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Silvio Palmieri est né dans ce qui est aujourd’hui l’arrondissement de Lasalle à Montréal, en 1957. Il s’est épanoui dans l’univers de la musique savante contemporaine québécoise, très sérieuse et très atonale. Pourtant, cet artiste avait une façon très personnelle d’écrire, relevant d’un jeu d’équilibriste entre lyrisme inspiré du grandiloquent opéra italien et bourrasques de sonorités brutales, entre joie de vivre publique et noirceur intime. La cheffe Véronique Lacroix est intarissable sur les qualités remarquables de la musique d’un homme qu’elle a bien connu et grandement aimé. Elle est surtout hyper convaincante sur la nécessité que l’art immense de ce souriant ténébreux soit connu du plus grand nombre.
Chez Pan M 360, nous avons la même conviction. Voilà pourquoi nous lui avons demandé de nous en parler.
Pan M 360 : Bonjour Véronique. Tu as côtoyé Silvio et travaillé étroitement avec lui à plusieurs reprises. Qu’est-ce qui te manque le plus de lui, depuis son départ trop hâtif?
Véronique Lacroix : Lui! Sa personnalité attachante, sa générosité, sa gentillesse, son humour.
Pan M 360 : Quel genre d’homme était-il?
Véronique Lacroix : Unique! Quand on le rencontrait, on l’aimait tout de suite. Il était d’une grande amabilité, très souriant, très enjoué. Pourtant, il y avait de la noirceur en lui. J’ai compris cela avec plus d’acuité dans les dernières semaines en replongeant dans ses partitions, en vue du concert donné au MNM.
Pan M 360 : Qu’as-tu compris exactement sur lui?
Véronique Lacroix : Silvio était ce que j’appelle un clown triste. Toute sa musique est parcourue de ce dilemme fondamental, de cette ontologie dissonante qui témoigne de toute son essence. J’ai pris conscience de certaines caractéristiques saillantes qui marquent sa musique et qui sont d’une foudroyante évidence une fois qu’on les remarque.
Silvio adorait deux instruments en particulier, le piano et la voix. Or, il ne traitait jamais les deux de la même façon.
Son piano est constamment chargé, voire brutal, poussé presque au maximum de ses capacités. Les partitions qu’il lui consacre sont touffues, très denses et implacables.
Au contraire, quand il écrit pour la voix, c’est avec des lignes claires, empreintes de lyrisme presque tonal, et assurément inspirées du chant lyrique de l’opéra italien romantique, dont il connaissait par cœur, m’a-t-on dit, tous les piliers du répertoire.
Peu importe ce qu’il écrivait, peu importe pour quel type d’ensemble, quand il y avait du piano (presque tout le temps) et/ou de la voix, il écrivait toujours de cette façon pour chacun. C’est d’une remarquable constance et cohérence!
Pan M 360 : Qu’est-ce que ça te dit de lui?
Véronique Lacroix : Je ne prétendrai pas avoir pénétré son intimité par une sorte de télépathie, mais je pense, je sens qu’à travers ces deux instruments, ce sont deux facettes de Silvio qui s’exprimaient.
Le piano, c’est LUI. Le lui intime, le lui que l’on ne connaissait pas. Un lui traversé d’orages et de tempêtes, un lui qui avait besoin de sortir, de s’exprimer, sinon il en aurait été consumé. Un lui ténébreux, affecté et assiégé par quelque chose.
Pan M 360 : Quoi?
Véronique Lacroix : Il est peut-être possible de répondre en notant les artistes qu’il admirait, ses idoles. Le plus haut dans sa liste, c’était Pier Paolo Pasolini, fabuleux artiste multidisciplinaire. Poète, cinéaste, écrivain, journaliste, Silvio a écrit l’un de ses chefs-d’oeuvre vocaux, Poesiole notturne, à partir de poèmes de Pasolini. Or, Pasolini était gai, dans un monde qui n’était pas encore prêt à accepter cette nature, tout comme Silvio. Italien d’origine, d’une famille catholique, serait-ce l’explication d’une déchirure intime?
Ce que je dis ici n’a aucune valeur scientifique bien sûr. Ce sont des impressions, mais elles me semblent plausibles.
Pan M 360 : Il reste la voix….
Véronique Lacroix : Oui! Je disais : le piano c’est lui. Mais, la voix, c’est son esthétisme, son italianité, son besoin d’être heureux. La voix, c’est son discours, son interaction avec le monde. Je pense aussi que quand il écrivait pour la voix, à travers elle, il résolvait ses troubles, il éclairait ses ténèbres.
La voix et le piano, comme le rouge et le noir ou les deux facettes du même homme, d’un même artiste, ce sont les clés pour mieux comprendre toute sa musique.
Pan M 360 : D’autres éléments marquants dans sa façon d’écrire?
Véronique Lacroix : Oh oui! J’ai fait une liste de gestes musicaux qui reviennent très souvent dans ses partitions.
Il y a ses gammes chromatiques descendantes et très rapides, comme une dégringolade sonore. Ça c’est une farce, un geste théâtral extravagant. C’est lui dans son humour au quotidien, coloré, sans complexes.
Pan M 360 : Tu parles de théâtre, et Silvio était d’ascendance italienne… Peut-on faire référence à la commedia dell’arte?
Véronique Lacroix : Tu m’enlèves les mots de la bouche! Oui, dans le sens de la couleur, de la pétulance et de la brusquerie comique du geste. Mais la commedia n’avait pas la noirceur intérieure que Silvio avait! En ce sens, il est unique.
Et c’est pourquoi je dirai qu’un autre geste récurrent chez lui, c’est ce que j’appelle sa rythmique funèbre. Je l’ai détectée dans plusieurs de ses pièces. Il s’agit d’une formule assez simple : croche-nooooire-nooooire-nooooire-nooooire croche-nooooire-nooooire….. etc. Ça ressemble tellement à une procession funèbre! La noirceur, encore.
Pan M 360 : Quel héritage laisse-t-il dans la musique savante québécoise?
Véronique Lacroix : L’expression. Peu de compositeurs ont exposé autant d’expression lyrique avec aussi peu de complexes, particulièrement dans les années 80 et 90. Il a écrit un opéra en italien! Fallait être culotté! C’est un champ de mines bourrés de clichés et de stéréotypes qui sont associés à cette lignée, mais lui, qui ne parlait pas la langue mais qui en avait les origines, se disait qu’il avait le droit. Et puis de toute façon, il adorait l’opéra italien romantique. Il s’est donné le droit d’oser s’en inspirer.
Mais, encore une fois, il n’a pas pu faire autre chose que du Silvio! C’est-à-dire la juxtaposition de la lumière (lyrique) et de la noirceur (le sujet), car l’histoire de ce drame tragique (dont nous jouerons un extrait) est terrible. Une femme enceinte qui ne peut accepter l’infidélité de son mari (avec un homme) tue son enfant au moment de sa naissance. C’est d’une noirceur absolue!
Pan M 360 : Presque démesurée…
Véronique Lacroix : Tellement! D’ailleurs, si je peux ajouter une autre caractéristique que j’associe à Silvio, c’est celle de la démesure!
Je parlais de son lyrisme sans complexe, mais aussi de sa générosité personnelle et de sa bonne humeur rayonnante, pourtant sous-tendue par une noirceur incandescente. Tout cela sublime, et est sublimé par une démesure communicative qui s’incarne dans des gestes musicaux souvent spectaculaires, et dans des sujets d’inspiration d’une grande intensité symbolique.
Dans Vers le silence…, il y a à la fin de la partition une citation d’un poème de Fernand Ouellette, qu’il appréciait beaucoup :
Un autre exemple : dans l’un des Poesiole notturne, le texte de Pasolini que Silvio a choisi dit ceci:
Silvio était attiré par les mots, et surtout par les images et les affects véhément, incendiaires qu’ils suggèrent.
Pan M 360 : Eh bien, je ne peux que te souhaiter la plus grande merde, et le meilleur succès pour ce concert. En espérant que Silvio Palmieri reçoive la reconnaissance publique qu’il mérite!
Véronique Lacroix : Merci beaucoup pour cette opportunité! Silvio serait content.