Ode à l’Infonie : Walter Boudreau se souvient, Philippe Hode-Keyser en ravive le souvenir

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Les boomers contre-culturels ont jadis vécu les happenings complètement fous de L’Infonie, créature polymorphe engendrée par Walter Boudreau. Un demi-siècle plus tard, la relecture de Philippe Hode-Kayser en fait renaître l’oeuvre atypique.

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L’Infonie est l’une des créatures les plus remarquables de la contre-culture québécoise des années 60-70. Sur la planète entière, peu d’orchestres offraient une telle proposition, mixtion de rock psychédélique, de free jazz,  de musique contemporaine, de bruitisme, d’électroacoustique, de poésie hippie, d’humour absurde. Sous la gouverne de Walter Boudreau, compositeur émérite, chef d’orchestre et directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec, l’Infonie demeure peu connue des générations suivantes. Voilà pourquoi PAN M 360 jette un éclairage sur L’Ode à l’Infonie, présentée virtuellement ce samedi 20 février (et plus encore) dans le contexte du festival Montréal Musiques Nouvelles orchestré par la SMCQ.


PAN M 360 :  À la fin des années 60, dans quel contexte l’Infonie avait-elle vu le jour?

WALTER BOUDREAU :  L’Infonie on était un regroupement multi-tendanciel si je peux utiliser ce terme, on avait l’esprit aussi ouvert que l’Océan Pacifique. Avec le peu de moyens qu’on avait,  on faisait en sorte de déboucher les oreilles du monde. Il y avait eu le premier choc de la Révolution tranquille au début des années 60, notre génération de baby boomers a suivi. Puisque nous étions  moins proches du « sacerdoce » imposé à nos parents, les jeunes de ma génération ont commencé à bouger, voyager, rencontrer plein de gens. Puis l’Expo 67 fut un énorme trip d’acide que le Québec a fait pendant des mois. Y a pas un Québécois de cette époque qui n’ait pas été marqué par ça! Ce fut un électrochoc absolument incroyable et le terreau fertile pour donner naissance à quelque chose comme l’Infonie. 

PAN M 360 : Qui était alors Walter Boudreau?

WALTER BOUDREAU : J’étais un jeune musicien sérieux qui se préparait à entrer au conservatoire, poursuivre des études en analyse et en composition. Entre-temps, j’avais trempé dans le rock à Sorel avec mon petit groupe au sein duquel je jouais du sax. Mon drummer m’avait alors fait découvrir le jazz, Coltrane, Miles Davis, Monk, name it. Je me tenais avec une gang de fous à Sorel, on s’était mis à organiser des espèces de happenings. Durant cette période, je venais écouter à Montréal les frasques de Péloquin à la Casa Espagnole. Les artistes à la Casa faisaient toutes sortes de folies, il y avait là un théâtre de l’absurde, un groupe qui s’appelait l’Horloge.

PAN M 360 : L’Expo 67 fut un déclencheur pour tant d’artistes québécois, Walter Boudreau n’y faisait pas exception! Rappelle-nous cette période précise, où les conditions de la naissance de l’Infonie furent réunies.

WALTER BOUDREAU : À l’Expo 67, je suis débarqué avec mon groupe de jazz, j’ai eu la chance inouïe d’avoir les sous pour lui donner de l’expansion en embauchant des musiciens supplémentaires. Ce faisant je rencontre Raoul Duguay, ça clique entre nous. Raoul faisait déjà des happenings mais il avait besoin d’un bon chef d’orchestre pourrait lui fournir des musiciens, une structure. On a commencé à travailler ensemble. Entre-temps j’avais rencontré les musiciens du du Jazz libre du Québec avec qui javais improvisé au Black Bottom. J’ai commencé à les intégrer dans le groupe. 

Le batteur Guy Thouin, qui venait alors d’enregistrer le fameux disque Linbergh de Charlebois et Forestier, m’avait appris l’existence du studio d’André Perry à Brossard… et André est toujours un grand chum, 54 ans plus tard!  Il nous avait offert une journée gratuite d’enregistrement, j’y avais amené ma gang. On avait joué un paquet de tounes, Perry avait embarqué à la planche! Puis on avait fait un montage de tout ça pour le faire écouter à des producteurs. Hors de toute espérance, Polydor International l’achetait la bande !

On avait un disque, on avait des tounes mais on n’avait pas de nom. Micheline, la blonde de Guy Thouin,, suggéra alors L’Imphonie, mais on trouvait ça lourd graphiquement. C’est devenu rapidement L’Infonie, née d’un mélange de hasard et de volonté de ses membres. Plein de gens là-dedans voulaient faire des choses.

PAN M 360 : L’Infonie fut populaire auprès des jeunes de la contre-culture de son époqueAu milieu des années 70, le Quatuor de saxophones de l’Infonie allait se transformer en Quatuor de saxophones de Montréal, après quoi les propositions infoniaques se sont volatilisées. Pourquoi cette rupture totale?

WALTER BOUDREAU : On m’a régulièrement harcelé pour faire des revivals de l’Infonie, j’ai toujours refusé car je ne voulais pas revenir en arrière. Je faisais autre chose – composition de musique contemporaine, direction artistique de la SMCQ, direction d’orcehstre etc.j’.  J’étais ailleurs, mes activités étaient d’un autre acabit sans toutefois renier ce que j’avais accompli précédemment. Mais je ne me voyais pas remonter sur scène avec ma chasuble (rires), mes pantoufles en minou et mon petit cass. Je n’étais plus là et j’en ai déçu plus d’un …

PAN M 360 :  Jusqu’en 2018, c’est-à-dire un demi-siècle plus tard, cette musique ne fut jamais reprise avec la rigueur nécessaire à son exécution. Comment as-tu eu vent de cette Ode à l’Infonie?

WALTER BOUDREAU : J’entends dire qu’un certain Philippe Hode-Keyser, que je connaissais de loin et dont on me disait  beaucoup de bien, faisait une Ode à l’Infonie.  Il le faisait sans m’avoir consulté, sans avoir eu accès aux partitions. J’ai appelé Philippe Hode-Keyser et lui ai dit être honoré qu’il rende hommage à l’Infonie. Je me suis toutefois  permis d’exprimer des doutes quant à fidélité au texte. Il m’a alors invité à une répétition, et je lui ai dit : « Le pire qui puisse se produire, je vais vous  serrer la main, je vais vous féliciter et je vais m’en aller. Le mieux, c’est que je vous prendrai dans mes bras!  Je suis allé à la répétition et je suis tombé sur le cul.  Pendant toute la répète, je n’ai remarqué que trois mauvaises notes… que bien peu de gens auraient pu observer.  Hallucinant! Il avait tout transcris ça à l’oreille, génial!  Il avait fait un travail extraordinaire et il a eu ma bénédiction. Avec de vieux infoniaques, nous nous sommes rendus à la Sala Rossa (en mars 2018), on avait les larmes aux yeux. Ensuite, Philippe a repris l’Ode à l’Infonie au festival de Jonquière, puis à Victoriaville où on avait ouvert le festival avec ma musique dont l’exécution de Paix de l’Infonie en première partie.

Trois ans plus tard, Philippe Hode-Keyser présente L’Ode à l’Infonie, qui n’a été vue sur scène que par quelques centaines de personnes, d’où la pertinence de cette représentation à MNM 2021… et cette seconde conversation avec l’initiateur de cette brillante relecture.

PAN M 360 : Pourquoi avoir entrepris de reconstituer l’œuvre de l’Infonie ?

PHILIPPE HODE-KEYSER : Au sens philosophique, le point de départ de cette soi-disant reconstitution de l’œuvre de l’Infonie fut de repérer la cible de l’interprétation et à en constituer une conception nouvelle, c’est-à-dire à la « décrire de manière interprétative ». En d’autres termes, l’objectif de cette reconstitution cherche à déterminer quelles sont les caractéristiques qui justifieront et contraindront ladite démarche interprétative, et dont toute interprétation ultérieure devra tenir compte. Au point de vue historique, ladite reconstitution de l’œuvre vise fondamentalement à mettre en lumière l’auteur et son propos en présentant l’œuvre dite infoniaque selon l’ordre effectif de sa production dans le temps et à redéfinir sa cohérence systémique et sa relation intrinsèque à la tradition, voire au temps lui-même. 

PAN M 360 : Comment reproduire cet esprit jazzo-psychédélique, mâtiné de musiques classiques et contemporaines ?

PHILIPPE HODE-KEYSER :  L’intention première n’est pas de restituer un état d’esprit particulier, voire de vouer un culte à toute forme de langueur, mais bien de contextualiser la pertinence de l’œuvre qui nous préoccupe ici à même l’époque actuelle où l’éventualité d’une validité nouvelle semble plus qu’envisageable. L’Ode à l’Infonie du 333 ToutArtBel est essentiellement une esquive afin d’éviter toute constitution de sentiment de détresse, et même une occasion de noyer toute forme de manque, de nostalgie évoquant un « objet partiel » idéalisé et dénué de toute réactualisation possible.

PAN M 360 :  Comment éviter la relecture académique avec des musiciens qui n’étaient pas nés à l’époque de l’Infonie ?

PHILIPPE HODE-KEYSER : L’œuvre de l’Infonie est stylistiquement conçue et structuralement construite de manière à ce qu’elle octroie un « consentement interprétatif » à quiconque désireux de s’approprier de celle-ci (en l’occurrence, les musicien.ne.s de l’ensemble), et ce, peu importe l’époque à laquelle les interprètes et ladite relecture sont assujettis. En d’autres termes, toute tentative de relecture dite académique de l’œuvre, dans sa forme initiale, se doit d’être évitée afin d’offrir préséance à la « différence », voire à l’alternative conceptuelle, la variation interprétative. Au sein de toute œuvre musicale, comme tout langage, réside un réseau de différences d’interprétations. 

PAN M 360 : Expliquez-nous comment vous avez recruté les interprètes. 

PHILIPPE HODE-KEYSER : J’ai œuvré pendant 35 ans à titre de professeur de musique. Au fil de ces années, j’ai eu le privilège de côtoyer plusieurs musicien.ne.s avec lesquels j’ai développé une affinité certaine tant au plan humain que musical. Depuis plusieurs années (depuis une vingtaine d’années dans certains cas), bon nombre d’entre eux m’accompagnent au sein de mes multiples projets musicaux. Ceux-ci composent la première moitié de l’ensemble. Quant à la seconde moitié de l’ensemble (en partie les instrumentistes à vent), celle-ci est essentiellement formée par des musicien.ne.s de niveau universitaire, pour la plupart, référé.e.s par les instrumentistes de la première moitié de la formation. 

PAN M 360 :  Comment leur avez-vous transmis l’esprit de l’époque et les consignes de l’exécution musicale ? 

PHILIPPE HODE-KEYSER : Puisque l’idée première est de constituer un « point de départ » réactualisé pour toute œuvre interprétée, aucun état d’esprit particulier ne fut transmis dans le cadre de l’Ode à l’Infonie. Collectivement, nous avons adopté ce que l’œuvre infoniaque évoque manifestement et adapté celle-ci à notre point de vue interprétatif en tenant compte des intentions premières, voire « boudriennes ». 6. Comment cette musique a-t-elle évolué depuis vos premiers concerts il y a quelques années ? J’ai assisté moi-même à celui de la Sala Rossa, excellente soirée d’ailleurs ! Au cours des années, la musique de l’Infonie a, sans conteste, évolué de telle sorte que l’unité de l’ensemble 333 ToutArtBel se raffermit, l’interprétation se raffine, l’écoute se définit; devient plus complice et notre compréhension à l’égard de l’œuvre infoniaque se précise et se transcende à même notre interprétation en constante évolution depuis ce premier jour de juin 2017. 

PAN M 360 : Y aura-t-il de nouveaux ajouts pour le nouveau concert ? 


PHILIPPE HODE-KEYSER : La seule section assujettie à une altération est la section 31-32 de l’œuvre Paix; à même laquelle des paroles ont été ajoutées et seront chantées pour l’occasion; ce qui ne fut pas le cas originalement, en 1972. Également, je prévoyais présenter un nouvel arrangement de la pièce Paix en y incorporant une section de cuivres; question de lui consacrer une dimension plus orchestrale. Malheureusement, faute de temps de répétition, j’ai dû remettre ce projet à un moment ultérieur. En ce qui a trait aux autres pièces dudit répertoire, aucun nouvel ajout n’a été prévu dans le cadre de l’Ode à l’Infonie du 333 ToutArtBel au Festival Montréal Nouvelles Musiques.

POUR ACCÉDER AU CONCERT VIRTUEL À COMPTER DU SAMEDI 20 FÉVRIER, 19H30, ET CE POUR 6 MOIS À VENIR, C’EST ICI

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