Salle Bourgie : Louis Lortie et le cycle des sonates de Beethoven, suite et fin

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : classique / période classique

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Dans le cadre des festivités amorcées en 2020 afin de souligner le 250e anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven (1770), le pianiste Louis Lortie poursuit et conclut à la Salle Bourgie le cycle de son intégrale des Sonates pour piano du maître, soit l’interprétation des 32 brillantissimes sonates.

Rappelons que le virtuose avait amorcé le tout au début de 2020. Ensuite, les cinq programmes restants ont été reportés quelques fois, jusqu’à cette semaine et la semaine prochaine, les 13, 16, 18, 19 et 20 octobre.

PAN M 360 avait interviewé le grand interprète québécois (basé en Europe depuis des lustres), peu avant son retour prévu en janvier 2022… qui ne s’est jamais produit, vu la vague Omicron. Cette conversation fut alors reléguée au congélateur des interviews et nous vous la faisons dégeler maintenant, au moment opportun. Inutile d’ajouter que nous y avons retiré les extraits concernant des projets à venir qui ne sont plus exactement les mêmes qu’il y a une dizaine de mois.

Alors bonne lecture!

PAN M 360 : On se souvient d’un coffret chez Chandos enregistré il y a nombre d’années.

LOUIS LORTIE : J’ai commencé à les enregistrer il y a plus de 20 ans, et ça s’est passé sur plus d’une quinzaine d’années. Au départ, je les avais joués en concert et puis nous avons commencé l’enregistrement. Nous l’avons terminé en film et c’est diffusé sur la plateforme payante medici.tv. 

PAN M 360 : Tu as déjà fait tout le cycle des sonates de Beethoven, parle-nous de celui-ci.

LOUIS LORTIE : Il y avait l’excuse du 250e anniversaire de sa naissance en 2020, c’était le moment de les refaire. Chaque pianiste qui les a jouées souhaite généralement les faire deux ou trois fois sur scène et, si possible, en enregistrement. Et là comme j’avais l’accord de Medici et de la direction artistique de Bourgie (Isolde Lagacé), je pouvais faire les deux. Au bout du compte, une dizaine de sonates ont été filmées et puis vint la pandémie. Les sonates ont été reprogrammées à l’automne 2020, et au moment où je débarquais à Montréal, j’ai entendu dans le taxi l’annonce de l’annulation de tous les concerts par François Legault. J’ai parlé avec Isolde et nous avons pu les filmer en petite équipe sans public. Alors ceux qui entendent les premières sonates entendront parfois les applaudissements du public (enregistrements pré-pandémie) ou sans réactions. On le dit à la fin au générique. Et puisque je n’ai pas eu de public pour celles qui restaient, je les reprends maintenant. (NDLR : Louis Lortie explique ici qu’il allait les reprendre en janvier 2022, concerts qui furent de nouveaux reportés jusqu’en octobre 2022.)

PAN M 360 : Nous sommes contents de les entendre enfin! Pour quiconque aime la musique de piano, les sonates sont un passage obligé.

LOUIS LORTIE : Pour moi, il y avait moins de pression à toutes les enregistrer. S’il y avait une petite erreur, je pourrais toujours corriger après. Je pouvais le faire avec le public, car on filmait aussi les répétitions. Mais c’est très fatigant de faire ça deux fois dans une même journée. Énorme en fait. 

PAN M 360 : Comment vois-tu la progression de ton propre jeu dans ce cycle des sonates?

LOUIS LORTIE : C’est un terrain immense, car il y a plein de perspectives qui changent car on connaît mieux le compositeur après toutes ces années. Je pense qu’on accepte plusieurs autres facettes de la personnalité de Beethoven. Au début, on a tendance à développer certaines facettes plutôt que d’autres et, en vieillissant, le paysage est plus vaste et tu as une approche plus diversifiée à tous les niveaux – la dynamique, les tempi, l’histoire de chaque œuvre, ce que ça représentait lorsque cela fut écrit, le recul qu’on a avec l’expérience et l’âge. 

PAN M 360 : Ce qui est aussi intéressant dans l’écoute de ces œuvres, c’est la nette progression de son écriture au fil du temps. Du côté du compositeur, il y eut une évolution phénoménale.

LOUIS LORTIE : Absolument! C’est incroyable de voir comment il est passé du classicisme au romantisme et même au moderne. C’est tellement éclaté! La chose à faire si j’avais le temps, ce serait de m’asseoir et de comparer les enregistrements que j’avais faits il y a 20 ans et ce que je viens de faire. Je pourrais encore mieux répondre, mais pour un critique ou un mélomane, tu peux le faire avec les deux versions enregistrées, et voir où les choses ont changé. Mais moi je suis toujours dans l’action et pour moi, je termine un projet et je saute dans un autre. Alors pour moi, c’est presque narcissique de m’asseoir et de faire ça mais il faudrait bien que je le fasse à un moment donné et voir ce que je sais d’instinct en me confrontant avec la réalité des enregistrements.

PAN M 360 : Et d’instinct, que dirais-tu sans vouloir être extrêmement précis?

LOUIS LORTIE : Je dirais que les contrastes sont plus considérables. J’ai une approche plus « orchestrale », plus diversifiée, soit au niveau des couleurs, de la rythmique ou même de la violence de Beethoven que j’accepte en vieillissant. Plus ta vie avance, plus tu comprends ces aspects-là. Il y a moins de peur et plus le désir de briser des tabous. On s’éclate beaucoup plus, on a moins besoin d’être dans la norme. Plus jeune, on est habitué à des interprétations qui font référence et je pense qu’on est moins influencé avec l’âge. On prend son propre chemin et on se fiche un peu des traditions d’interprétation.

PAN M 360 : Pour le public qui reçoit ces transgressions dans l’interprétation, que se passe-t-il?

LOUIS LORTIE : Difficile à dire car tout dépend de la connaissance qu’on a de ces sonates. Je m’attends toujours à jouer pour une portion du public qui ne les connaît pas ou peu. Comme il y en a 32, on a tendance à réécouter les mêmes. Certaines sonates sont moins programmées en général alors forcément moins connues du public. C’est idem pour l’interprète qui, plus jeune, travaillera davantage sur les sonates les mieux connues et fera de plus en plus les autres moins connues avec le temps… pour se rendre compte qu’il n’y a pas grand-chose de banal dans toute cette production.

PAN M 360 : On l’a observé à Montréal avec les prix de Charles Richard Hamelin et Bruce Liu au concours Chopin, on peut l’observer partout dans le monde : il y a de plus en plus de musiciens de très haut niveau et… plus il est difficile de les faire connaître. Quel est alors le rôle d’un soliste d’expérience dans ce contexte?

LOUIS LORTIE : Effectivement, c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui. Et je vois mon rôle d’artiste en redonnant à mes élèves ou aux jeunes pianistes déjà accomplis que je côtoie. Soit en faisant avec eux du « fine tuning » ou en essayant de leur trouver des débouchés, en leur faisant rencontrer des agents, etc. Car c’est devenu vraiment ardu de faire carrière dans le contexte actuel, dans un marché qui semble plus restreint depuis la pandémie. On ne sait pas exactement ce que deviendra ce marché par la suite…

POUR ACCÉDER AU SITE MEDICI.TV, C’EST ICI

POUR INFOS ET BILLETS DES PROGRAMMES DE LOUIS LORTIE À LA SALLE BOURGIE :

13 OCTOBRE

16 OCTOBRE

18 OCTOBRE

19 OCTOBRE

20 OCTOBRE

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