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Lancé le 9 février sous étiquette Infiné, Ghosts, nouvel EP de l’excellent producteur et compositeur français Rone, s’accompagne d’un court métrage d’exception réalisé par (LA) HORDE , une compagnie de danse de Marseille, le tout scénarisé par nul autre que le grand réalisateur américain Spike Jonze.
Voilà certes l’une des grandes sorties audiovisuelles de l’hiver en matière de musique électronique et de danse contemporaine.
Ce film-chorégraphie implique les performances de danseurs du Ballet national de Marseille filmés au Musée des Beaux-Arts de Marseille et au Palais Longchamp Marseille. On y observe une réelle propension chez Rone d’hybrider musique électronique et musique de chambre.
Voyons voir ce qu’en pense le principal intéressé, joint en France cette semaine.
PAN M 360 : Pouvons-nous d’abord en savoir plus long sur la genèse de ce superbe projet?
RONE : C’est la continuité naturelle d’un spectacle que j’ai créé avec le collectif (La) Horde pour janvier 2020. Ce spectacle m’avait été commandé par le Théâtre du Châtelet à Paris, on m’avait alors proposé en fait une carte blanche dans ce lieu situé au cœur de Paris. Lorsque je me suis trouvé sur cet énorme plateau, je me suis dit que c’était l’occasion de travailler avec des danseurs.
J’étais déjà en contact avec les danseurs de (La) Horde et je leur ai proposé de créer un spectacle qu’on était censé jouer deux semaines en mars 2020. On a quand même eu de la chance car on a quand même pu faire 8 représentations et après on est resté confiné chez soi et le spectacle s’est arrêté. Nous étions censés tourner et ce fut annulé. Nous avons quand même pu rejouer le spectacle à la Biennale de Venise et sur les toits du Ballet National de Marseille, sur scène où je suis entouré de 18 danseurs .
Entre deux représentations, on a tourné le clip Room With A View. Apparemment, ce clip a été visionné par le vidéaste Chris Cunningham, qui l’aurait chaudement recommandé à Spike Jonze. Il a effectivement eu un coup de coeur pour le clip et la musique, et il alors proposé un petit scénario : l’histoire de ce fantôme joué par la danseuse Sarah Abicht, coincée dans un coin et qu’aucun être vivant ne peut voir mais qui rencontre d’autres fantômes dans le musée et qui finit par s’échapper du musée en empruntant le corps du gardien.
PAN M 360 : C’est quand même une chance incroyable de travailler avec Spike Jonze sur un tel projet non?
RONE : Spike Jonze était pour moi une idole d’adolescence, comme Michel Gondry et toute cette génération de réalisateurs qui faisaient de super bons clips. Je les admirais, et donc travailler avec Spike Jonze, c’est fou ! Je ne sais pas s’il fait souvent des formats courts ces dernières années car il est plutôt passé au format long, puisqu’on reconnaît essentiellement ses long métrages, mais je crois que ça l’amusait de créer quelque chose pour la musique et la danse.
PAN M 360 : Comment la création d’un tel court-métrage diffère-t-elle de la réalisation d’un clip?
RONE : C’est tout l’opposé de ce qu’on a fait au théâtre du Châtelet, c’est un spectacle d’une heure et demie pour lequel j’avais d’abord composé la musique. On a travaillé ensuite la chorégraphie avec les danseurs. Et là, c’était exactement l’inverse sur ce film; (La) Horde a tourné sans musique ce scénario de Spike Jonze dans un musée à Marseille et on m’a ensuite envoyé un premier montage. Et donc c’était comme faire une musique de film, j’ai composé en regardant les images et en essayant d’accompagner les danseurs dans leurs mouvements, un travail de fine synchronisation avec l’image et le mouvement. On avait quand même une idée du tempo, je ne sais plus exactement le bpm, vitesse moyenne élevée, et voilà je devais composer sur ces images. Une partie de ping pong s’est menée entre moi et le monteur de (La)Horde, c’est donc plus proche de la composition d’une musique de film que de la création d’un clip musical.
PAN M 360 : Nous voilà devant une forme hybride, presque une installation. Qu’en pensez-vous?
RONE : C’est vrai, une forme hybride. Ce film est d’ailleurs passé dans un festival de court métrage à Clermont-Ferrand, il a été reçu comme une fiction à part entière. Or, je sors le morceau en même temps que le film, et ça fait aussi comme s’il s’agissait d’un clip, car il y a de la musique tout au long de ce film.
PAN M 360 : La dimension orchestrale est tangible dans la musique de Ghosts. Cela fait-il partie des nouveaux enjeux créatifs de votre travail?
RONE : Oui. Dans un premier temps, d’ailleurs, j’avais d’abord présenté quelque chose de très orchestral pour le film, et on a convenu d’une certaine redondance. Il fallait revenir à quelque chose de plus électronique malgré les insertions orchestrales, j’ai alors pris cette direction.
PAN M 360 : Néanmoins… au chapitre de la fusion entre musique de chambre et musique électronique, vous êtes un des artistes électros qui mènent cette démarche. Cette fois, comment avez-vous procédé aux imbrications orchestrales dans votre musique électronique?
RONE : Dans le contexte de ce film, je n’ai pas fait appel à de vrais instruments. Il peut toutefois m’arriver de faire travailler un orchestre symphonique,un petit ensemble ou un instrument solo mais pour celui-ci, j’ai utilisé des logiciels, des orchestres virtuels super bien faits qui simulent des cordes notamment. Et donc j’ai fait ça dans mon studio sans faire intervenir de vrais musiciens. Mais j’aime bien cette idée où l’on ne sache plus la frontière entre musique acoustique ou électronique, à tel point que j’avais des hésitations parfois à savoir si j’avais fait intervenir de vrais musiciens.
PAN M 360 : Croyez-vous être parmi les rares de votre communauté électro à étudier les formes classiques et ainsi les intégrer à votre travail ?
RONE : Je ne sais pas exactement, mais je connai les limites des producteurs électroniques. Plusieurs restent dans un cercle fermé et n’écoutent que de la musique électronique. Pour moi, c’est assez étrange… C’est peut-être une réaction aux clichés réducteurs de la musique électronique… Pour se défendre et imposer leur langage, les producteurs ont progressivement imposé des codes où il y a beaucoup d’intolérance; si tu n’utilises pas telle machine pour générer tel effet ton travail est discutable.
Pour moi, la vraie capacité des musiciens de se réinventer existe lorsqu’il n’y pas vraiment de règles. Expérimenter des choses consiste aussi à s’ouvrir à d’autres musiques. Bien sûr, j’écoute toujours beaucoup de musique électronique mais j’aime aussi chercher l’inspiration dans la musique classique, dans la pop et autres genres. En classique, par exemple, je m’intéresse à la musique romantique, à la musique moderne française et aussi à la musique répétitive. En juillet dernier, par exemple, j’ai présenté deux concerts avec l’Orchestre national de Lyon, 80 musiciens. Ça s’est très bien passé même si j’avais le sentiment d’être très jeune et très frais dans ce truc-là. Mais j’ai pu comprendre des choses et nous allons retravailler ensemble à la fin de l’année, soit à Lyon et à la Philharmonie de Paris. J’aimerais alors expérimenter autre chose.
PAN M 360 : De retour bientôt en Amérique?
RONE : Je suis venu plusieurs fois à Montréal ,Osheaga, MEG, SAT, Théâtre Fairmount. Ma prochaine tournée américaine est prévue en juin prochain, dont une date est prévue au Piknic Electronik.
Crédit photo: The1point8