Marc Lavoine : cœur d’enfant, cœur d’occasion

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : chanson / pop de création

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Sur la pochette de son nouvel album, Marc Lavoine est représenté en ado via une photo familiale croquée dans les années 70 par Francis, son frère aîné. 

Pourquoi donc? Parce que… Adulte, jamais. Le titre s’inspire d’un credo du romancier, poète et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini, assassiné en 1975 dans des circonstances nébuleuses. 

Un demi-siècle s’est écoulé, depuis cette mort tragique et cette profession de foi de la victime en l’adolescence prolongée jusqu’au bout de l’existence et… Encore aujourd’hui, ce rejet de cette mentalité inhérente à l’âge adulte est partagé par le chanteur français de 59 ans, aussi homme de lettres, de théâtre et de cinéma.

La pièce titre de son treizième studio (en excluant Les Souliers rouges, conte musical créé en 2016 de concert avec Arthur H et Cœur de Pirate) est assortie des mots de Grand Corps Malade, artiste également issu d’une famille progressiste de la classe moyenne, qui s’est reconnu dans le texte initial de son aîné. 

« Et si on avait plus souvent raison à 19 ans? », questionne le slammeur dans la chanson. « Un homme, peut-être. Un jour, qui sait? Adulte? Jamais », réplique son aîné. 

À l’instar de Grand Corps Malade, Marc Lavoine réaffirme dans cette chanson ses valeurs banlieusardes et progressistes, lui-même élevé dans les années 60 et 70 par des parents curieux, ouverts d’esprit et très engagés à gauche du spectre sociopolitique. 

En quête d’une énergie plus jeune pour ce nouvel album, comme c’est souvent le cas dans la pop de création, Marc Lavoine a mis de côté (provisoirement?) sa collaboration avec son complice Fabrice Aboulker, s’entourant cette fois de Darko et Mathieu Pigné, qui bossent normalement chez Julien Doré, sans compter l’auteur-compositeur Johan Czerneski, fondateur du groupe rock A24-13.

Adulte jamais mène aussi Marc Lavoine à rendre de vibrants hommages à deux compagnons disparus, soit Frédéric Rister (Dunkerque) et Daniel Darc (Rose bonbon). La thématique de l’amour, récurrente dans la littérature chansonnière de l’artiste parisien, rejaillit dans Le train, Cœur d’occasion, Le long de toi, Jusqu’à ce que l’amour nous sépare (entonnée avec Virginie Ledoyen) ou L’amour iceberg (écrite avec Line Papin).

Chose certaine, l’artiste a passé l’épreuve du temps dans un univers pop où l’espérance de vie d’une carrière est courte. Rappelons que le chanteur s’était imposé en 1985 alors qu’il était âgé 23 ans, on lui doit plusieurs chansons à succès dont des duos mémorables enregistrés avec Françoise Hardy (Chère amie), Catherine Ringer (Qu’est-ce que t’es belle) ou Véronique Sanson (Une nuit sur son épaule). 

Cette épreuve du temps, on s’en doute bien, exclut tout vieillissement de la créativité. 

PAN M 360 : Prolonger l’adolescence jusqu’à la fin est un très joli concept! D’où vient cette motivation chez vous au-delà de l’inspiration pasolinienne?

MARC LAVOINE : Vous savez, j’ai été élevé par des enfants. Et j’essaie de suivre leur exemple! Mon père me disait « Ne sois jamais raisonnable » et ma mère ajoutait « Ne sois jamais adulte », citant Jacques Prévert, « un grand homme parce qu’il était un enfant ». Et c’est vrai! Lorsqu’on lit Jacques Prévert, on est ébloui par l’enfance qui se trouve dans chacune de ses phrases.

PAN M 360 : Prenons, si vous le voulez bien, des exemples de votre nouvel album pour en mieux absorber la substance.

MARC LAVOINE : Lorsque, dans la deuxième chanson du disque, je dis rouler avec un coeur d’occasion, il y a le temps qui passe devant la fenêtre du véhicule.

Le train rappelle qu’on ne peut pas être maître de tout, que la vie nous échappe sans qu’on sache pourquoi… Pendant la conception du Train, j’ai pensé éliminer le mot câlin, mais le mot était plus fort que moi. 

Dans Mon rêve en personne, je me jure de rêver toute la vérité. L’amour iceberg, c’est l’image de l’iceberg qui se déplace très lentement; ce calme apparent cache des choses dangereuses : il n’y a plus de rives, on ne voit plus la terre ni le ciel, tout se confond, voilà une forme insidieuse de l’amour. 

Manhattan est une chanson sur la ville mais aussi sur les gens et la solitude, avec des références cinématograpĥiques à la Sydney Pollack; on trouve à Manhattan des endroits artistiques rares comme le Guggenheim, mais on y observe aussila solitude des gens qui peuvent y rester sur le carreau, n’y recevoir l’aide de personne… on peut y jogger avec ses écouteurs au milieu du trafic et des sirènes de police.

Il y a des hommages dont la chanson Rose bonbon, dédiée à Daniel Darc, dans laquelle je dis que le taxi était une fille en référence à son groupe Taxi Girl, qu’il formait avec Mirwais. Je recommande son album Crèvecoeur à quiconque ne l’a pas encore découvert; les silences prolongent les mots dans ces chansons absolues que j’écoute encore avec délectation.

PAN M 360 : Vous êtes associé à la chanson populaire de France mais aussi au théâtre et au cinéma, mais vous ne faites pas de vagues. Votre évolution est tranquille et constante, vous êtes une vedette relativement discrète. Expliquez-nous votre approche.

MARC LAVOINE : Je suis très patient et j’estime qu’on ne peut demander aux gens de vous comprendre tout de suite. Certains artistes explosent au début de leur carrière mais… malheureusement, parfois, c’est compliqué un départ canon. On te donne tout, on te décerne des Victoires de la musique, tu es une vedette avant d’avoir écrit de bonnes chansons… Moi je ne veux pas de trophées, je ne suis pas à l’école. 

PAN M 360 : Vous avez néanmoins maintenu votre place dans une pop culture généralement fondée sur de courtes carrières, très souvent éphémères, n’est-ce pas? 

MARC LAVOINE : Ça dépend… De ma génération en France, il y en a quand même quelques-uns qui sont toujours là. Je pense à Catherine Ringer, Florent Pagny, Étienne Daho ou Mylène Farmer mais c’est vrai, vous touchez quelque chose qui m’a toujours interrogé. Après un certain temps, on arrête de faire des chansons et on fait plutôt du merchandising, on vit sur sa notoriété. Moi ce que j’aime d’abord, c’est faire des chansons et renouveler la proposition, trouver de nouveaux compositeurs, un nouvel ingénieur du son, de nouveaux collaborateurs. Par exemple, j’ai travaillé avec des rappeurs, je communique beaucoup avec les jeunes créateurs de chansons comme Eddy de Preto. Je m’intéresse aussi à la photographie, je fais du théâtre et du cinéma, j’écris des bouquins. Je n’ai pas envie de faire un métier! Donc j’essaie de naviguer dans ce qui vit et dans ce qui va naître. Pendant des années, vous savez, j’ai eu peur qu’il n’y ait plus de très bons textes de chanson. Heureusement, il y a eu des Gaëtan Roussel, Benjamin Biolay… Tout n’est pas perdu.

PAN M 360 : Que cherchez-vous d’abord dans la création d’une chanson?

MARC LAVOINE : Ce qui m’importe, c’est de trouver le frisson, la sensation dans le propos. Il ne faut pas que le jeu des mots devienne une sorte de lexique un peu vide de sens, où le son prend le dessus, où l’auteur essaie de vous dire « regardez comme je suis fort avec les mots ». Être fort avec les mots, selon moi, dépend de l’émotion qui les sous-tend. On le voit chez Neil Young ou Johnny Cash, ça a l’air très simple et c’est tellement difficile à faire. Je reprends l’exemple de ma chanson Le train, c’est une chanson qui n’est pas intelligente de prime abord; on dirait une chanson d’adolescent qui ne cherche pas à être originale, mais elle est bien foutue. J’ai travaillé dessus! On peut y ressentir le frisson que déclenchent les mots. Lorsqu’on lit des grands auteurs comme Albert Camus, on voit ce qu’on lit, on ressent ce qui est écrit, on peut s’imaginer l’odeur du café ou du tabac. On a des sensations. Et c’est ce que j’essaie de faire à mon tour, bien humblement.

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