Lydia Lunch et Retrovirus au Taverne Tour : le charme de la dissonance

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon
Genres et styles : avant-garde / bruitiste / expérimental / no wave / post-punk

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On ne présente plus Lydia Lunch. Égérie underground, grande prêtresse du no wave, cette artiste insaisissable n’a jamais cessé de façonner une (volumineuse) œuvre dérangeante, déstabilisante, provocante, audacieuse et hostile, que ce soit par le biais de sa musique, de ses créations littéraires, de sa poésie ou comme actrice. Aujourd’hui encore, à 63 ans, elle demeure toujours aussi pertinente dans son impertinence.

De Teenage Jesus and the Jerks jusqu’à Big Sexy Noise, en passant par 8-Eyed Spy et ses multiples albums solos et collaborations, la Queen of Siam revisite son impressionnante carrière musicale avec son groupe Retrovirus. dans le cadre du Taverne Tour.

À quelques jours de son passage à Montréal, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec cette légende vivante de la contre-culture. Affable, généreuse, blagueuse et animée d’une passion qu’on sent toujours brûlante, elle nous a entretenu à bâtons rompus du no wave et de Retrovirus bien sûr, mais aussi de son rapport avec la mort, de certains de ses projets et de son singulier désir de vendre la totalité de son œuvre.

PAN M 360 : Tu es souvent associée à l’underground new-yorkais, comment cette ville a-t-elle influencé ton travail ? Et l’influence-t-elle encore ?

Lydia Lunch : Comment ai-je influencé ce qui s’est passé à New York tu veux dire ? D’accord, soyons clairs. J’ai d’abord été influencée par la littérature. Donc si j’étais influencée par la littérature d’Hubert Selby Jr et son Last Exit to Brooklyn à 12 ans, si j’étais influencée par les écrits de Henry Miller, j’étais bien préparée à ce que New York pouvait, devait ou allait être. J’avais déjà une idée préconçue de ce que je devais faire avant d’arriver ici, en un sens. J’ai moins vécu à New York que dans d’autres endroits, ce qui est bizarre. C’est parce que je suis arrivée ici en 76 jusqu’en 79, ou 80. J’ai déménagé à Los Angeles pendant deux ans, à Londres pendant deux ans, de retour à New York pendant quatre ans, San Francisco, Pittsburgh, la Nouvelle-Orléans, Barcelone pendant huit ans… Mais comme quelqu’un l’a dit un jour, je suis peut-être ce que New York était autrefois, je ne sais pas….

PAN M 360 : Cette ville a beaucoup changé au cours des 30 dernières années. Penses-tu que ces scènes artistiques et musicales underground des années 70 et 80 pourraient exister aujourd’hui ?

Lydia Lunch : Si nous voulons faire de l’histoire, ce que j’aime beaucoup, les scènes sont cycliques. Par exemple, nous commencerons par les années 20 à Paris, les années 30 peut-être à Berlin, ou encore les années 50 à Chicago, les années 60 à San Francisco, les années 70 à New York, Londres, Los Angeles, et puis les années 80… Je ne sais pas ce qu’il est advenu de la musique dans les années 80, elle est allée de travers….. Je pense qu’avec l’arrivée d’Internet, il y a eu moins d’urgence à être dans un endroit précis, et tout est devenu plus cher aussi. Et puis à la place des clubs, qui ont disparu maintenant, il y a eu de plus grands festivals. Tout est toujours en train de changer. Les choses ne peuvent pas rester les mêmes. Je veux dire, j’aimerais que ce soit Paris dans les années 20, mais ce n’est pas le cas. Tu vas n’importe où, ce n’est plus ce que c’était. Mais il y a toujours des éléments radicaux quelque part. Je vais te donner un tout petit exemple qui m’a bien réjoui dernièrement : des jeunes du secondaire IV et V à la bibliothèque de Brooklyn se considèrent comme des luddites, ils sont anti-technologie, ils lisent des livres, ils écrivent et ne se connectent pas à Internet et je me dis : « Ça c’est une forme de rébellion ! » Parce que nous savons à quel point l’Internet peut être une manie électronique qui suce l’âme et quand les jeunes le refusent, cela signifie qu’ils veulent une expérience de vie réelle.

PAN M 360 : Tu étais et est toujours étroitement associée au mouvement no wave. Peux-tu nous parler un peu de cette scène ? Était-ce même une scène ?

Lydia Lunch : Chéri, toute son histoire a été écrite, mais laisse-moi définir ce qu’est le no wave. Je me considère toujours comme une artiste no wave. Quand tu entends du punk rock, de l’opéra, du classique, de la musique pour piano, de la pop… tu as une idée de ce qui définit ce son. Mais avec le no wave, non ; ce genre n’a même pas de relation avec lui-même. C’est beaucoup plus dada ou surréaliste, c’est discordant, ce n’est pas forcément adapté au public et ce n’est généralement pas mélodique. Et par opposition au punk, par exemple, qui avait lieu à la même époque et qui était davantage une révolte sociale, avec le no wave la plupart des gens vivaient une révolte interne. Ils avaient des révoltes personnelles; à cause de la ville, à cause de la folie de l’Amérique… C’était plus une folie personnelle, je pense.

PAN M 360 : Ces dernières années, nous avons assisté à une sorte de renaissance du genre no-wave. Qu’en penses-tu ?

Lydia Lunch : Eh bien, pour moi, cela n’a jamais disparu. Mais je me considère comme no wave parce que cela défie toute catégorisation. Je veux dire que je suis toujours heureuse quand quelque chose est discordant, ou quelque chose est déchiqueté, ou quelque chose est irritant. Mais j’ai aussi fait du swamp rock, j’ai fait de la musique de big band… Je ne m’attends pas à ce que quelqu’un fasse de la musique pour moi, je la fais pour mes nombreux moi ! C’est pourquoi j’essaie généralement d’avoir une saveur différente.

PAN M 360 : Tu as créé beaucoup de choses et avec le recul, en considérant l’ensemble de ton œuvre, y a-t-il des occasions manquées ou des choses que tu aurais aimé faire ? Et que tu veux toujours faire ?

Lydia Lunch : Eh bien, c’est une très bonne question. Non, car qu’est-ce que j’aurais manqué ? (rires). Le fait est que je suis une conceptualiste. Donc je veux dire, avant tout, j’ai un concept, un concept musical. Ensuite, j’essaie de trouver la personne qui, à mon avis, sera la plus apte à illustrer ce son. Je ne pense jamais « oh je veux travailler avec cette personne ». Je ne saurais pas avec qui. Ce n’est pas que j’ai travaillé avec tout le monde non plus, mais je ne m’assieds pas en pensant « oh, je voudrais faire quelque chose de novateur ». Non. J’aimerais continuer à collaborer avec ceux qui font le plus de sens pour un projet spécifique. Ce qui est intéressant avec Retrovirus, parce que nous couvrons tant de décennies, c’est que beaucoup de ces musiques n’ont jamais été jouées en concert, ou alors seulement de manière très, très brève. C’est donc intéressant d’avoir des musiciens qui peuvent interpréter ces musiques, mais qui les amènent au-delà de ça, d’une manière plus… je ne dirais pas sophistiquée, mais d’une manière encore plus belle et punitive. (rires)

PAN M 360 : En parlant de Retrovirus, nous venons de voir Bob Bert aux percussions avec John Spencer à Montréal il y a deux semaines. Sera-t-il toujours derrière les fûts pour le concert de Retrovirusau Taverne Tour ?

Lydia Lunch : Non, nous avons Kevin Shea maintenant. Tu sais, c’est l’organisation la plus longue que j’ai jamais eue. Parce que d’habitude, j’ai un concept, je trouve les collaborateurs, nous faisons une tournée ou nous faisons un disque et ensuite on passe au prochain (concept) s’il vous plaît ! Mais vu la quantité de chansons de mon répertoire dans lesquelles nous pouvons puiser, il se pourrait que Retrovirus devienne un nouveau groupe de temps en temps (rires). Et donc maintenant nous avons un nouveau batteur, principalement parce que Bob est impliqué avec John Spencer pour un bon moment, donc nous avons dû prendre Kevin Shea, et cela a rendu le son du groupe encore plus brutal. Je le dis avec grand plaisir ! (rires) Nous ouvrons le spectacle avec War Pigs de Black Sabbath ! Je reste fidèle aux paroles mais venant de moi, sortant de ma bouche, elle prennent un autre sens, elles sont complètement déformées.

PAN M 360 : Je me demande ce qu’en penserait Ozzy…

Lydia Lunch : Est-il encore capable d’entendre quelque-chose? (rires)

PAN M 360 : Et je crois que Weasel Walter s’occupe toujours de la guitare et Tim Dahl de la basse ?

Lydia Lunch : Bien sûr ! Weasel et Jim, yeah !

PAN M 360 : Considérant que tu as écrit plus de 300 chansons…

Lydia Lunch : 400 ! Qui compte ? Même pas 10 par an, je me relâche ! (rires)

PAN M 360 : Ok, considérant que tu as écrit plus de 400 chansons, est-ce qu’il y en a que tu n’as jamais jouées en concert sur cette tournée ?

Lydia Lunch : Nous jouons des chansons de mon catalogue que nous n’avons jamais jouées auparavant, oui. Mais nous n’écrivons pas de nouvelles chansons quand il y a autant de choix. Si je veux écrire de nouvelles chansons, je vais avoir de nouveaux collaborateurs ou collaboratrices, comme avec Cypress Grove, ou mon Fistful of Desert Blues, et j’ai aussi un album inédit de jazz noir avec Sylvia Black, qui est une incroyable auteure-compositrice et chanteuse (en français dans l’interview). J’ai un disque avec le groupe de Tim Dahl, Grid, avec saxophone, basse et quelque chose qui ressemble plus à du spoken word, qui n’est pas encore sorti. Il n’y a donc aucune raison de mettre de la nouvelle musique dans Retrovirus ; il s’agit du virus « Retro » ! Mais ce qui est intéressant, c’est que nous pouvons faire des chansons que nous n’avons jamais faites auparavant. Par exemple, nous faisons trois ou quatre chansons que nous n’avons jamais jouées auparavant pour cette tournée.

PAN M 360 : Il y a quelques années, on a entendu dire que tu voulais vendre les droits de toutes tes œuvres. Comment cela s’est-il passé ?

Lydia Lunch : Je suis toujours là, la main tendue, à attendre que de l’or y tombe (rires). Tu sais, j’ai vendu mes archives à l’Université de New York, mais il ne s’agissait que de débris physiques. Je ne sais pas comment, mais dès mon plus jeune âge, j’ai réussi à conserver les droits pour tout ce que je faisais, contrairement à tant de mes contemporains. Et je ne sais pas comment j’ai pu être aussi prévenante à 17 ans. Je possède tout, ce qui est génial, mais personne ne veut l’acheter (rires). Tout est là. On ne sait jamais… Mais tu sais, pourquoi s’intéresseraient-ils à mon oeuvre alors qu’ils dépensent 150 millions de fucking dollars pour les Red Hot Chili Peppers ? Beurk ! In-croy-able… Je veux dire, je n’ai jamais écrit « Under The Bridge » alors qu’ils n’ont jamais écrit « Orphans ». Je ne sais pas quoi dire… J’aimerais juste que quelqu’un m’enlève tout ça des mains, qu’il en fasse quelque chose. Dans les 400 chansons, je pense qu’il y en a plein d’effrayantes qui pourraient facilement se retrouver dans certaines de ces séries criminelles, dont je suis obsédée.

PAN M 360 : Donc il n’y a pas eu d’offres ?

Lydia Lunch : Eh bien, il y a eu quelques offres mais pas ce que je voulais… Je dois essayer de tenir bon. Il faut aussi que ce soit avec les bonnes personnes. Tu sais, ce n’est pas comme un local de stockage qu’on mettrait aux enchères. Et si c’était le cas, qui viendrait ? (rires). Écoute, je dois tout prendre avec un grain de sel comme je l’ai toujours fait. Par exemple, l’année dernière, j’ai reçu une bourse de la Middle Tennessee State University de Murfreesboro, qui possède les plus anciennes et plus volumineuses archives musicales d’Amérique. Ils me l’ont offerte, et j’ai ri, et j’ai dit : «Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Et qui d’autre l’a eu ? » Ils m’ont répondu : « Vous savez, ça veut dire quelques milliers de dollars, vous venez, vous faites du jogging, vous obtenez une plaque… ». Et les deux seules autres personnes qui l’ont eu sont Lamont Dozier, qui a écrit beaucoup de chansons pour Motown, j’adore Motown, et Barry Gibb ! Je déteste les Bee Gees ! (rires). Donc c’est moi, Barry Gibb et Lamont Dozier ! C’était génial ! De la même manière, j’ai enseigné dans des universités avant et, ayant lâché l’école en secondaire IV, je pensais juste « ça me plaît tout ça ! ». C’est tellement ridicule quand on y pense ! Ça, c’est vraiment l’essence du no wave : l’absurdité ! J’adore l’absurdité de tout ça. Je veux dire, je suis plus fier de mon entraînement de tir au pistolet que d’une bourse ! (rires). Je suis une Américaine, j’ai un entraînement au tir tu sais ! (rires)

PAN M 360 : Comment le récent décès de Tom Verlaine t’as-t-il affecté ? Etiez-vous amis ?

Lydia Lunch : Affecté ? Ah ! je suis surprise que tout ce monde soit encore en vie ! Je rigole, mais le truc c’est que les gens ont une mauvaise attitude face à la mort. Nous ne pleurons pas pour les morts, nous pleurons pour nous-mêmes, comme « oh, je n’aurai plus de ça… ». On doit apprécier ce que les gens nous ont donné dans la vie. C’est pourquoi on doit être très reconnaissant, chaque jour. Parce que tout le monde va mourir. Vous ne devez pas pleurer leur départ, vous devez juste apprécier ce qu’ils vous ont donné, ce qu’ils ont fait pour vous, ce qu’ils ont donné pour la culture ou autre chose. Je veux dire, Tom Verlaine n’était pas un de mes amis, mais je pense que sa contribution aux deux premiers albums de Television a été formidable. Combien de choses un homme doit-il encore faire avant de pouvoir reposer en paix dans cette salle de velours noir ? (rires) Je ne suis pas prête à partir mais… on ne sait jamais !

PAN M 360 : Attend après le spectacle de Montréal s’il te plaît.

Lydia Lunch : Au moins, j’attendrai jusqu’à la fin de cette interview ! (rires) De toute façon, je ne vais nulle part, sauf pour tourner en rond comme je le fais toujours. Je vais donc tourner autour de chez vous dans quelques jours, j’ai beaucoup de cran !

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