Louis-Jean Cormier: le deuil, carburant de création

Entrevue réalisée par Alain Brunet

La mort et le deuil du père ont nourri la création de Louis-Jean Cormier, en témoigne un nouvel opus.

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Louis-Jean Cormier a « pris la carte du ciel »  pour revoir son père disparu. Il n’a pas eu à s’élever très haut, car le « ciel » est beaucoup plus proche qu’il  ne le croyait au départ,  bien au-delà des dogmes et des considérations strictes des religions organisées. 

Ainsi, comme l’annonce Le ciel est au plancher.

Lancé le 15 avril au Club Soda en formule quartette devant 250 personnes parfaitement masquées et distanciées, l’album se veut une traversée du deuil, rampe de lancement via laquelle le chanteur et musicien québécois a propulsé une douzaine de chansons neuves. 

Cette sortie est aussi l’occasion de lancer une plateforme, Le 360, où se déploie son propre univers – œuvres, ateliers, rencontres, produits dérivés. Parlons-en avec le principal intéressé.

PAN M 360 : D’où vient l’idée de cette plateforme qui se termine par ce numéro qui nous est si familier? (clin d’oeil)

LOUIS-JEAN CORMIER : « D’abord, je dois dire que j’avais complètement oublié le 360 de votre PAN M quand j’ai pensé à ma plateforme. J’ai tellement fait le saut quand on me l’a rappelé! 

PAN M 360 :  Ne reste qu’à nous associer ! Nous aurons l’occasion de s’en reparler. (clin d’oeil). D’ici là, l’usage du numéro peut effectivement créer une certaine confusion mais bof… 360 n’est pas une propriété privée. Prenons Anderson Cooper de CNN dont l’émission quotidienne s’intitule 360. C’est beaucoup plus gros que nous haha!

LOUIS-JEAN CORMIER :  Oui haha, pas mal plus big, effectivement.  Au moment de créer la plateforme , on voulait une bannière qui accueillerait plusieurs artistes. Et puis non c’était mettre la charrue devant les bœufs, il faut d’abord que les artistes aménagent leur propre espace. Pour moi, Le 360 est une sorte de fan club payant, c’est ma table de « merch » virtuelle où les fans peuvent vivre une expérience supplémentaire aux albums et aux concerts. Ce sont des choses qu’on maîtrise. Ma carrière, mon studio, etc. Les fans m’écrivaient souvent « comment est-ce que je peux payer pour que le plus d’argent reste dans tes poches?  Tous les artistes devraient avoir ce genre de baluchon numérique.

PAN M 360 : Après avoir passé une saison à La Voix il y a quelques années, tu es devenu un chanteur populaire. Fait intéressant, tes deux derniers albums solos sont plus audacieux que les précédents. Ç’aurait pu être le contraire! Où en es-tu?

LOUIS-JEAN CORMIER : Je suis content d’où je suis dans ma vie. Mon passage à La Voix fut relativement bref et c’était déterminé ainsi, après quoi ça m’a ramené à mes intentions originelles : faire exactement ce que je veux artistiquement. Monsieur et madame tout le monde aiment la personnalité de l’artiste; sans vouloir me lancer des fleurs, j’ai un côté empathique et bon vivant sans ne rien forcer, des gens m’ont ainsi découvert sans être des mélomanes. Mais j’ai aussi des fans qui traversent le temps avec moi, j’en ai gardé beaucoup plus que je ne le croyais.  

PAN M 360 : Passons au vif du sujet, cet album décliné sur le deuil de ton père décédé en janvier 2020.

LOUIS-JEAN CORMIER : Les planètes se sont d’abord alignées pour que j’aie une direction musicale précise avec mon collègue Frank (François) Lafontaine; je voulais enregistrer avec lui les chansons qui n’avaient pas été enregistrées pour l’album précédent, Quand la nuit tombe. Puis il y a eu  décès de Marcel, mon père. J’avais entre les mains un concept, sorte de storyboard entre Montréal et Sept-Îles.  Dans cette traversée du deuil, il y a des souvenirs, des décors, des odeurs, la musique, le sous-sol de  la maison familiale à Sept-Îles où ma mère vit toujours – mon père vient de Havre-Saint-Pierre et ma mère est originaire de Petite-Vallée en Gaspésie. Un tel storyboard n’est pas donné à chaque projet d’album. 

PAN M 360 : Parle-nous de Daniel Beaumont, l’auteur avec qui tu travailles depuis un moment déjà : 

LOUIS-JEAN CORMIER : Daniel est rédacteur et concepteur publicitaire dans la vie, il est pour moi un roc, un port d’attache. Il est toujours présent, très créatif, très sensible. Il est co-auteur en grande majorité, sauf exceptions comme l’au-delà. Souvent, je sors le jus et il intervient. J’aurais tendance à partir dans le flou et le vague et Daniel passe au peigne fin ce qui sort de moi spontanément. Il met le doigt sur les affaires importantes et organise la matière, la pensée.   Il me suggère des images, il peut écrire  un refrain, etc. Il peut aussi écrire des choses extraordinaires. C’est lui qui a trouvé Le ciel est au plancher.  

PAN M 360 : Cette métaphore résume le tout!

LOUIS-JEAN CORMIER : Oui. Avec la COVID et mon propre deuil, j’ai beaucoup entendu parler de mort cette dernière année, j’ai aussi cette pression de vivre malgré tout. Le ciel est devenu tellement bas que j’ai parfois le sentiment d’arriver à toucher les morts. Je parle à mon père,  je me dis être plus près de l’au-delà que je ne l’aurais cru.  

PAN M 360 :  La mort est effectivement un carburant créatif. Comment cette perte de ton père t’a-t-elle nourri ?

LOUIS-JEAN CORMIER : Comme la rupture amoureuse, la mort te donne accès à de la vérité profonde. Je n’ai pas alors à me mettre dans la peau de quelqu’un, ces mots qui sortent sont automatiquement vrais parce qu’ils proviennent de faits vécus par moi-même. Les chansons de cet album ne sont donc pas des chansons génériques sur l’amour ou l’espoir. En touchant quelque chose de très intime avec des humains, des lieux, des décors, on peut aussi toucher à l’universel. 

PAN M 360 :  Le deuil est aussi une façon de faire la paix avec ceux qui partent.  Parle-nous de ton père!

LOUIS-JEAN CORMIER : Mon père est mort à 85 ans. Avant la famille, il a une une vie ecclésiastique. Il a défroqué de la prêtrise pour se marier. Il fut enseignant, puis professionnel au Ministère de l’Éducation. Il est toujours resté collé à la religion après avoir défroqué, il fut très pratiquant toute sa vie. Nous avons donc été traînés à l’église longtemps, et il s’est développé en moi une relation amour-haine avec la religion, une certaine rébellion à l’adolescence. Au-delà de la spiritualité et de l’idéologie, il y avait aussi quelque chose de très courant chez les garçons à l’adolescence : ne plus s’identifier à son père. 

Au moment du décès, cependant, tout te revient dans la face. Tu te dis que finalement des liens père-fils nous unissent, nous sommes pareils sur plein d’aspects. Je marche pas mal dans ses pas, en fait; à ma façon je prêche, j’enseigne mes acquis et mes connaissances en chantant des textes qui portent un certain message. Le deuil te mène donc à faire de tels liens. Côté spiritualité, je me suis trouvé à développer une relation avec l’intangible, l’énergie, le principe de dieu… je n’ai pas de religion mais je m’intéresse à l’intangible. Ça touche un peu plus au bouddhisme en ce moment, à la méditation, sans me trouver  dans un système précis de croyance. Cette connexion avec l’invisible ressemble un peu à la musique : on passe notre vie à jouer quelque chose qui ne se voit pas et ne se touche pas. L’inspiration a aussi sa part de mystère… on ne saura vraiment jamais d’où ça provient. Il y a aussi de la science-fiction dans cet album, car le deuil touche inévitablement aux galaxies, à l’espace, à l’infini.

PAN M 360 : On devinait le conflit fils-père dans l’album Quand la nuit tombe alors que c’est la résolution du conflit à travers le deuil  dans Le ciel est au plancher. Peux-tu expliquer davantage?

LOUIS-JEAN CORMIER : Effectivement, ça fait deux disques d’affilée où je touche à la religion et à mon père. Dans la chanson Croire en rien, sortie dans l’album précédent, j’évoque la peine que je lui ai faite en tournant le dos à la religion. Je voulais lui expliquer pourquoi et où j’en étais aujourd’hui en cherchant ailleurs la spiritualité. J’ai attendu trop longtemps pour le lui dire, car il n’a jamais pu entendre cette chanson. Après son décès, j’ai eu le sentiment d’avoir fait certaines chansons prémonitoires. Je sentais qu’il allait partir.  

Dans L’ironie du sort, sur le nouvel album, je voulais d’abord aborder la question de la perte de mémoire. Lorsque j’ai commencé à écrire ce texte, mon père commençait à perdre un peu la mémoire, d’autres personnes de mon entourage étaient atteints de  l’alzheimer. Mais je n’arrivais pas à ficeler ce texte et … Lorsque mon père est mort, j’ai trouvé toutes les réponses  aux problèmes de ce texte. Des chansons étaient en chantier avant sa mort, mais la majorité (60%) ont été  composées après. L’album précédent était quand même plus à caractère social, alors que Le ciel est au plancher est une sorte d’hommage et de deuil.  Il y a une force, une âme, un esprit qui écoute tout ça quelque part…

PAN M 360 : Ton père était aussi chef de choeur et mélomane, cela est-il aussi évoqué dans le nouvel album?

LOUIS-JEAN CORMIER : Oui on a connecté avec Marcel; l’idée des choeurs se trouve là, nous sommes plusieurs à chanter. Il y a aussi son amour pour la musique orchestrale, la musique classique et la chanson française orchestrée. On trouve ça dans Marianne, dans L’Ironie du sort, dans 138, une de mes préférées où chante Erika Angel. Je vois des fantômes dans cette toune-là! Je suis vraiment fier de la direction artistique et de la manière dont on l’a fait, François Lafontaine et moi.  On venait de terminer Quand la nuit tombe, lui avait alors été musicien invité. Je lui ai alors demandé si ça lui tentait de faire le reste du matériel artistique et des nouvelles chansons. On a fait une réunion, on a vu la big picture. 

Musicalement, on voulait de l’électro, des choeurs et des arrangements orchestraux et des ambiances de jazz de chambre à la ECM .Lorsque, par exemple, on a fait venir Andy King (trompette) et Eric Hove (saxophones), on les a fait jouer et aaaah c’est drette ça le son qu’on voulait!  C’est un autre album plus claviers, avec François pour m’épauler. Il m’a laissé faire la plupart des pistes de piano, pendant qu’il faisait les synthés. Puisqu’il est partenaire du studio où je travaille, nous avons pu piger dans son musée de claviers. On s’est amusés à faire des trucs à deux, comme passer ma voix dans le Harp 2600. On a vraiment eu du plaisir à faire ce disque dans notre laboratoire. Le jazz est présent dans quelques pièces,  et je n’ai jamais fait d’aussi longs tunnels … 

PAN M 360 : Qu’entends-tu par tunnel?

LOUIS-JEAN CORMIER : Ces tunnels sont des passages instrumentaux qui peuvent symboliser le passage vers l’au-delà. À la fin du disque, un tunnel évoque le temps qui passe. Au moment du deuil, on atteint un stade où on se dit que la vie continue… tout en regardant vers le haut en se demandant es-tu là ? La part de mystère et de rêve m’intéresse beaucoup. Ma vie serait triste si tout était clair. 

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