Loud: toutes les raisons de lui causer

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : hip-hop / rap keb

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Il y a plusieurs raisons d’échanger avec Loud par les temps qui courent.  À commencer par la sortie récente de son troisième album studio, Aucune promesse (Joyride Records). Cette mise en vente sera suivie d’une tournée des festivals, notamment le 12 juillet prochain au FEQ, et des salles du monde à partir de l’automne. 

Cette activité intense est assortie de shows commémoratifs du groupe Loud Lary Ajust dont il est l’un des trois protagonistes comme chacun sait. Et qui, après avoir comblé les fans de la première ligne venus au Club Soda la semaine dernière, joindra un public de masse ce samedi 18 juin, Place des festivals dans le contexte des Francos. 

Dans son studio, Loud accueille PAN M 360 en toute courtoisie. Il sera question de processus créatif, de succès de masse, de diversité culturelle, de respect, d’inspirations venues du passé, d’avenir.

PAN M 360 : Possible pour toi de situer l’album Aucune promesse par rapport aux enregistrements précédents ?

LOUD : Je n’ai pas tant de recul par rapport à l’album que je viens de faire. Mais plus de recul sur ce qu’on a fait avant la pandémie. C’est quand même une pause qui a provoqué un certain changement dans ma direction. Le deuxième album était dans la continuité du premier. Je ne dis pas que c’était identique mais c’est clairement dans le même élan. Le EP (New Phone), le premier album  (Une année record) et le deuxième (Tout ça pour ça) sont vraiment proches les uns des autres. En deux ans, les trois projets sont sortis, le succès de l’un informait ce qu’on allait faire avec le suivant. Bien sûr, on prend goût aux tracks qui fonctionnent et on souhaite avoir du succès avec les suivantes, sans pour autant vouloir les reproduire. On a tourné énormément par la suite, avec la matière du premier et du deuxième.  La tournée s’est simplement poursuivie pendant que les enregistrements s’ajoutaient à la liste.

PAN M 360 : Pour Aucune promesse, la méthode de travail a-t-elle changé?

LOUD : Comme avant, le beatmaking part de Ajust et Ruffsound, qui coréalisent. On ne travaille pas vraiment à la manière de certains qui impliquent plusieurs beatmakers pour une même pièce. Grosso modo, le beatmaking et la direction de l’album partent de nous trois, nous puisons dans toutes nos ressources et d’autres collaborateurs peuvent se joindre à nous. Je pense notamment à Billboard, Kable Beatz, Jay Century et Stack Moolah. qui sont des légendes du beatmaking montréalais.  

PAN M 360 : Peux-tu identifier des particularités propres à Aucune promesse?

LOUD : Cet album sonne plus comme ce qu’on écoutait à l’époque des débuts.  C’est plus raw et et plus leftfield, ça ressemble à la musique qu’on écoute encore quotidiennement et les goûts qu’on partage. Beaucoup de ça est le rap des années 90, je pense à Mobb Deep, Wu Tang, NAS, le boom bap, etc. Je ne dirais pas que notre approche est nostalgique mais il y a beaucoup de clins d’œil de cette période dans la production. On n’a pas que des beats du moment, on se lasse des modes comme le trap qui a  quand même été une période importante du rap. 

Il y a un peu d’exécution instrumentale dans cet album, Ajust joue souvent de la guitare. Ce sont plus des arrangements. Notre méthode est quand même classique, on part des loops qu’on fait ou qu’on nous envoie. Hey j’ai cette idée-là, on construit. Le rap fonctionne ainsi depuis toujours et j’aime quand même cet aspect. Et puis il y a un regain de « classic rap », les années 90 reviennent avec des groupes comme Griselda et… j’imagine que cette mode va aussi s’épuiser mais on s’inscrit aussi là-dedans.

On n’essaie pas pour autant de faire de la musique pour les puristes ou les nostalgiques. Tout simplement, on essaie de se faire confiance. Si on aime cette musique et c’est ça qu’on veut écouter et bien on y va. On n’est peut-être pas dans le profil du fan moyen au Québec mais on n’est pas non plus les seuls à avoir cette culture et on essaie de parler à du monde qui nous ressemble. De toute façon c’est ce que nous pouvons vraiment bien faire. 

PAN M 360 : Selon toi, en 2022, quel est ton public dans le marché hip-hop?

LOUD : Mon auditoire est plus blanc keb, pas de doutes là-dedans. Après, c’est aussi la partie de mon auditoire qui se déplace aux concerts, ce sont les jeunes et les très jeunes. Pour remplir un Centre Bell, ça prend un impact comme celui-là.  Au moment des shows au Centre Bell en 2019, il y avait plus de jeunes ados qui se mettaient à écouter ma musique.  Alors que Loud Lary Ajust, c’est notre génération qui nous suivait au départ (j’ai 34 ans) qui est toujours là. Avec mes premiers projets solos, j’ai ratissé beaucoup plus large.  

PAN M 360 : Le hip hop black de Montréal et de Québec peut-il  être contrarié par le succès de masse du rap blanc?  Le rap black du Québec n’a jamais eu un impact comparable à ce que tu peux avoir.  On observe le phénomène depuis les années 90, KCLMNOP, Dubmatique, Muzion, Sans Pression, Rainmen, Yvon Krevé, Webster, Dramatik, Connaisseur Ticaso, Imposs, on en passe.

LOUD : Oui il y a sûrement une frustration et elle est justifiée. Je pense que c’est normal car le rap black est le début du rap québécois. Au début, le rap blanc était l’exception, les médias de masse ne s’intéressaient pas au rap et il y a eu un changement et l’attention médiatique est vraiment arrivée avec Alaclair Ensemble, LLA, Koriass, Souldia, FouKi… Je ne crois pas qu’on puisse blâmer les artistes blancs de recevoir autant d’attention mais oui, il y a des chouchous médiatiques et… Je ne sais pas si l’on peut espérer que ça change graduellement. À cause de cette popularité-là, certains pourraient penser qu’il y a un raccourci pour un artiste comme moi, c’est un respect qui doit se gagner sur le long terme.  

PAN M 360 :  Avant l’arrivée du rap keb, on avait observé le phénomène aux États-Unis, avec Eminem entre autres.

LOUD : Oui. Très rapidement, il a eu énormément de succès. Il a peut-être sauté des étapes, effectivement, il a peut-être eu accès à des chemins qui n’étaient ouverts pour d’autres. 

PAN M 360 : Quoi qu’il en soit, vous les MC blancs du rap keb, n’avez-vous pas une responsabilité de promouvoir la qualité de vos collègues noirs ou latins ou nord-africains?

LOUD :  Je ne sais pas si tous les artistes blancs doivent faire de même, je ne peux parler à leur place. De mon côté, j’ai cette conscience, c’est une mission que je me donne.  Je ne fais pas beaucoup de collaborations,  je ne suis quand même pas un ermite même si j’ai tendance à travailler seul, mais j’essaie d’en faire de plus en plus, ça me parle plus maintenant. Il faut vouer tout notre respect à ceux et celles qui ont pavé la route ou encore maintenant qui font de la musique de grande qualité. Je crois qu’il est important de les supporter, parler de leur travail, les inviter sur nos tracks. Et si je suis à mon tour invité par quelqu’un que je respecte, il faut y aller aussi. 

PAN M 360 : On voit ici qu’entre le rap « street » et le rap plus proche de la culture pop, il y a des liens.

LOUD : Oui, il faut créer des ponts entre ces deux mondes distincts. Tout ce pendant montréalais du rap street comporte des artistes majeurs, pertinents, et qui ont beaucoup de fans pour les bonnes raisons, c’est-à-dire la qualité de leur travail. Néanmoins, il  y a toujours eu ce clivage entre le rap présenté comme étant celui des « élus » et les autres.  Car Il y a une communauté d’artistes qui n’ont pas cet impact malgré leur pertinence et la fidélité de leurs fans. Je pense donc qu’il est important de faire le pont et de travailler ensemble.

Il faut  que les associations se multiplient et qu’on cesse progressivement de présenter le phénomène comme nous et eux. Je ne prétends pas pour autant vouloir faire dans le rap street, et en faisant de telles collaborations je ne deviendrai pas rap street pour autant.  Mais il faut tisser ces liens, c’est important quand même. Et comme Souldia l’a fait, lui qui vient du rap street de Québec, c’est justement un bon exemple de rédemption par le hip hop et la création. Il faut quand même croire à ça aussi! Une belle histoire. Le rap est une porte de sortie pour les gens qui sont devenus délinquants parce qu’ils voyaient leur vie sans issue. White B peut être un autre exemple, ça ne dépendra que de lui.

PAN M 360 : Maintenant dans la trentaine, tu sais que la durée de cette très haute popularité est très variable, généralement plus courte que longue. Alors comment gères-tu ce succès?

LOUD : Je suis conscient que tout ça est très fragile, et qu’il ne faille pas m’y concentrer.  D’une certaine manière je me trouve chanceux de n’avoir pas connu un tel succès à 19 ans.  Ma tête aurait peut-être enflé, j’aurais peut-être pensé que ce serait comme ça pour la vie et que ce serait trop facile. Je sais que je n’aurai pas toujours de hits.

PAN M 360 : Ça reste cool d’avoir les hits pour les bonnes raisons.

LOUD : J’aime un bon hit et je sais qu’ils sont plus rares que les « mauvais hits ». J’écoute la radio commerciale, une chance sur dix d’aimer ce qui y joue. Mais quand je tombe sur une toune que j’aime, je trouve toujours que c’est un exploit de faire une toune respectable qui devient un hit. Et si moi-même j’ai un hit, ce n’est pas après avoir étudié la science des hits, mais bien en restant moi-même et qu’il se passera quelque chose de spécial avec une chanson. Quand la chanson Toutes les femmes savent danser  est sortie, on ne pensait pas que ça deviendrait un hit radio et qu’on pouvait le faire. C’était pas sur notre radar même si on savait qu’il y avait quelque chose de super catchy, on savait qu’on pouvait faire quelque chose de spécial avec ça. Moi je pensais que ça allait créer l’effet de surprise sur l’album alors qu’on était connus pour faire des trucs plus raw, plus hard, plus rap. Cette chanson était complètement cross-over, mais si on essaie de forcer ça on n’obtient pas de résultats. Là, on ne l’a pas forcé. 

Cela dit, Toutes les femmes savent danser n’est pas la chanson qui m’a mis au mond; 56 K, Devenir immortel, TTTTT et d’autres sont plutôt les tounes qui m’ont fait. En show, on le constate, ces tounes résonnent vraiment avec le monde. De toute façon, qu’on joue ou pas à la radio FM n’est pas essentiel et… c’est quoi la pertinence de la radio FM aujourd’hui ? 

PAN M 360 : LLA fait les dix ans de Gullywood au Club Soda le 9, vous le refaites dehors, le samedi 18. Par la même occasion, on se souviendra de vos concerts importants une décennie plus tôt.

LOUD :  À l’époque on avait juste Gullywood, mais il y a eu d’autres projets ensuite et donc on peut jouer aujourd’hui pendant une heure et demie. On a eu de la demande, mais on n’essaie pas de faire un reunion tour.  Moi, je suis en tournée à partir de cet été et jusqu’à l’été prochain. On a annoncé une cinquantaine de dates. Je ferai les plaines d’Abraham le 12 juillet prochain,je ferai les festivals et la tournée en salle démarrera à l’automne. Moi et Ajust sommes toujours là et Larry sera un featuring pendant le show après avoir fait l’ouverture. Et non, on ne s’est jamais séparés. 

LOUD LARY AJUST JOUE CE SAMEDI 18 JUIN AUX FRANCO, 21H, PLACE DES FESTIVALS

LOUD SERA EN TOURNÉE AU QUÉBEC CET ÉTÉ, NOTAMMENT AU FESTIVAL D’ÉTÉ DE QUÉBEC, LE 12 JUILLET, 21H30, PLAINES D’ABRAHAM

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