Loig Morin et l’album Adieu hiver: chansons d’été… conçues en hiver

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Le moins qu’on puisse dire, c’est que Loig Morin est un cas atypique de la chanson francophone en Amérique du Nord. Natif de Bretagne, il a quitté la France avec son épouse et leurs jumeaux pour s’établir en Colombie-Britannique… et faire carrière en français!  Depuis son arrivée sur la côte Ouest, il a été pédagogue et producteur, en plus de mener une carrière artistique dont le dernier rejeton est cet enregistrement sorti fin mai, Adieu Hiver, troisième volet d’une tétralogie fondée sur les humeurs et expériences vécues au cours des quatre saisons. 

On lui doit ainsi Printemps (2021), Automne (2021) et Adieu hiver (2023), sans compter Lonsdale (2012), La rivière (2018) et Citadelle (2019). Ces enregistrements révèlent la capacité certaine de Loig Morin à faire de la chanson de belle tenue, doublée d’un éclectisme musical qui l’ont mené vers le rock, la synthwave, l’électro-pop, l’électro-rock, certaines inclinations americana et plus encore.

Puisque sa prolificité est inversement proportionnelle à la connaissance qu’on a de lui dans l’est canadien, tentons donc d’inverser le processus via cette première interview sur PAN M 360.

PAN M 360 : Faisons connaissance! Vous êtes donc Breton, Français et Canadien.

LOIG MORIN : Je viens de la petite île de Groix, en face de Lorient. Je suis donc Breton de par mes parents. Après quoi j’ai grandi dans la région lyonnaise.

PAN M 360 : Vous avez un prénom breton, effectivement.

LOIG MORIN : Ce prénom veut dire gloire et combat. Avec un prénom comme ça…

PAN M 360 : Ça met beaucoup de pression sur les épaules!

LOIG MORIN : Ha ha!

PAN M 360 : Et donc vous êtes débarqué en Colombie-Britannique.

LOIG MORIN : C’était en 2010. En fait, ma femme est Marocaine et nous ne nous voyions pas vivre dans un contexte (souvent raciste) où elle ne pouvait s’émanciper professionnellement en France (elle travaille en informatique), alors nous avons décidé d’aller vivre ailleurs. Ainsi, nous avons fait une demande d’immigration, et nous avons finalement eu une opportunité en Colombie-Britannique. Nous y sommes restés depuis, parce que nous avons vraiment eu un coup de cœur. Nous avons vécu longtemps à North Vancouver et maintenant nous sommes basés sur la Sunshine Coast, soit à Gibsons (un peu au nord de Vancouver). Comme à l’île de Groix, il faut prendre un traversier pour s’y rendre! Vancouver est une ville qui a eu tellement de succès avec les Jeux Olympiques, c’était devenu beaucoup trop cher et il y a désormais un côté Suisse à cette ville – pas le droit de faire ceci ou cela… Mais quand tu vas sur la Sunshine Coast, tu retrouves cet esprit aventurier où les choses sont permises, et où il y a moins de monde. On s’y plaît vraiment.

PAN M 360 : Vous avez donc gardé votre famille intacte en faisant de la musique, ce qui est un exploit en soi!

LOIG MORIN : Lorsque je suis arrivé en Colombie Britannique, j’ai fait un peu pour les boulots et puis on m’a proposé d’être prof de musique à l’école française. Alors voilà, j’ai fait ça pendant deux ans, j’ai pu profiter des espaces et des équipements en plus d’y donner des cours de musique. Puis j’ai cessé les cours et j’ai monté mon propre studio (Music Lab) où j’accueillais régulièrement des jeunes et des moins jeunes pour apprendre à créer des chansons. Donc j’ai enregistré plusieurs albums d’artistes de la région, et j’ai sorti moi-même des albums.

PAN M 360 : Vous l’aviez déjà fait en France avant d’émigrer, n’est-ce pas?

LOIG MORIN : Oui mais les albums faits là-bas ont été retirés de la circulation. À l’âge de 18 ans, en fait, je m’étais barré de l’école et puis j’avais rencontré William Sheller qui m’avait pris sous son aile, soit en me signant pour trois albums sur son propre label. J’ai alors fait pas mal de rock et puis j’ai eu des enfants après avoir connu ma femme venue du Maroc pour faire ses études en France. Lorsqu’on a eu les jumeaux, j’ai arrêté la musique pendant deux ans et on a décidé de partir.

PAN M 360 : Quelques années et quelqus albums plus tard, voici donc Adieu hiver, qui se veut le troisième volet des quatre saisons au programme.

LOIG MORIN : Cette fois, j’ai vraiment eu cette idée de faire des chansons d’été en hiver, soit en conservant ce côté tranchant, un peu métallique de l’hiver… Pourquoi ? Parce que je n’arrivais pas trop à me dire si c’était la bonne saison… Vraiment l’hiver ? Ça s’est précisé au fur et à mesure. Et donc voilà ces chansons d’été créées en hiver, qui m’ont permis d’aller un peu plus encore dans l’exploration électronique, sans pour autant sortir du format chanson. La suite est inconnue pour l’instant Le prochain album sera soit Été avec des chansons ou un autre album où le format chanson ne sera plus prédominant. En pente douce, je compte sortir du format chanson.

PAN M 360 : Parlons des textes d’Adieu hiver, tous bien écrits. William Sheller ne vous avait pas pris pour rien!

LOIG MORIN : Merci, ça fait plaisir. Alors ça commence avec la première chanson Top Model; il y a le soleil, la froideur de notre époque, celle des star hollywoodiennes qui n’expriment rien, il y a cette froideur nord-américaine, il y a cet « été sous la neige » où je me moque un peu des États-Unis, notamment du Texas.

Ensuite, la chanson Américaine évoque ces gens qui décident de ne plus répondre à leur interlocuteur lorsqu’ils perdent de l’intérêt à leur sujet.

Puis il y a Maria, le récit d’une femme partie pour pour se suicider dans une ville complètement folle qui s’appelle Wallace (Idaho) où il n’y a que des antiquaires. J’ai visité cet endroit surréaliste où les gens semblent n’être jamais sortis de chez eux. Cette ville complètement perdue, hors du temps, m’a inspiré.

Et il y a Avalanche, qui parle des gens désireux de faire des choses pour sortir de leur emprisonnement, désireux de vivre une existence excitante, et qui finalement n’y n’arrivent pas parce que parce que leurs habitudes sont trop fortes. Partir à l’aventure fait peur, on en parle beaucoup mais ça ne se passe que dans les paroles. Tu repasses sans cesse les images qui font penser à ce que tu aimerais faire, mais tu ne peux pas car tu es enseveli sous une avalanche d’obligations et de contraintes sociales qui t’empêchent de faire ce dont tu rêves. Tu veux sortir de cet hiver de difficultés et l’avalanche te ramène chaque fois en dessous.

Après je suis parti vraiment avec les synthés pour faire carrément Adieu hiver. On va vers le chaud mais il y a aussi ce côté un peu dépressif qui te ramène vers le bas tout en te laissant rêver de te sortir de là. Ce n’est pas une chanson finalement, c’est une musique instrumentale que je voulais mettre là au milieu de cet album un peu triste, somme toute.

Et puis après ça repart avec la plus pop de l’album, Baisers de Savoie. Je m’y souviens de cette fille que j’ai embrassée il y a très longtemps – avant de connaître ma femme haha! Cette chanson raconte la chaleur d’un tel épisode vécu au mois de novembre, dans une petite ville de Savoie.

Et la dernière chanson, La bouche, c’est vraiment Montréal où en fait je suis allé souvent ces deux dernières années. J’ai bien aimé y observer les Montréalaises, nettement moins coincées que les Parisiennes – ces dernières se replient un peu sur leur côté plus classique dans un contexte français plutôt négatif en ce moment.

PAN M 360 : Adieu hiver n’est pas un album strictement électronique, on y trouve aussi de la guitare, du pedal steel, de la basse, de la batterie, etc.

LOIG MORIN : Oui. Mon instrument de prédilection, c’est quand même la guitare. Et puis après, je joue les autres instruments.

PAN M 360 : Ce n’est donc pas seulement de l’électro et même là, voix cherchez des sons chauds.

LOIG MORIN : En fait, c’est essentiellement analogique; pour moi, le numérique reste froid et les instruments deviennent vite obsolètes. J’ai donc acquis des synthés Moog (entre autres) , j’ai plusieurs modules électroniques regroupés sur un Eurorack, etc.

PAN M 360 : Combien de temps aviez-vous prévu pour compléter ce cycle des saisons?

LOIG MORIN : Au départ, je voulais tout faire en un an et demi, et puis finalement, je me suis senti fatigué et je me suis dit non je ne le sens plus pour l’instant. J’avais plutôt envie de d’explorer des sons nouveaux et éviter cette pression « commerciale » de faire le dernier des quatre albums. On verra bien, je laisse faire… mais là je veux partir sur une exploration sonore. À ce titre, je suis en train de me construire un studio mobile dans un camion, je veux parcourir le territoire avec ce studio mobile, rencontrer des artistes inconnus, les enregistrer tout en faisant ma propre musique. J’aimerais donc faire un album nature avec des sons électroniques et d’autres sons enregistrés sur le terrain.

PAN M 360: À l’évidence, vous avez encore beaucoup de terrain à parcourir !

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