L’Impératrice : sang bleu… blanc rouge

Entrevue réalisée par Alain Brunet

L’Impératrice est l’une des rares formations françaises à avoir conquis récemment plusieurs marchés outre-mer. Ça se poursuit avec Tako Tsubo !

Genres et styles : funk / house / pop / soul

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crédit photo: Théo Gosselin

Le groupe parisien connaît un réel succès au-delà de l’Hexagone, des bassins de fans sont repérables en Turquie, au Mexique, aux États-Unis, au Québec et plus encore. 

En eaux françaises ou en eaux internationales, le vaisseau de L’Impératrice croisait au large du funk, de la house et de la disco et… Amarré depuis le début de la pandémie, il se prépare à un nouveau départ sur les scènes du monde, nouvel album à l’appui sous étiquette Microqlima : Tako Tsubo.

En langue japonaise, l’expression signifie piège à poulpe, la métaphore renvoie au « syndrome des coeurs brisés ». Phénomène connu de la cardiologie,  une émotion très intense peut avoir pour conséquence tragique la déformation du muscle cardiaque. Dans le cas qui nous occupe, la conséquence est symbolique; les montagnes russes du cœur sont au centre de 13 chansons qui n’inspirent, pourtant, aucune embolie, aucune chute de pression.

La chanteuse et parolière Flore Benguigui et le claviériste Charles de Boisseguin  nous résument le nouveau concept de L’Impératrice,  compte sept EP/maxis et deux albums, plusieurs tournées mondiales.

PAN M 360 :  L’Impératrice devait se produire à Montréal l’an dernier… au moment où éclata la pandémie mondiale… rendez-vous raté mais nous voilà avec vous un an plus tard pour causer de votre nouvel album.

FLORE BENGUIGUI : Oui! Ironiquement, nous devions jouer à Montréal au Théâtre Corona, c’est devenu la plus grosse blague de nos annulations! (rires)

PAN M 360 : C’est votre deuxième album et 7 EP. Vous n’avez donc cessé de produire depuis 2012 ?

CHARLES DE BOISSEGUIN : Effectivement, nous n’avons jamais cessé de produire. On continue à se faire confiance, on essaie en tout cas.

FLORE BENGUIGUI : C’est vrai que le format des EP est moins contraignant que celui d’un album, c’est donc plus facile de pouvoir produire des EP, en tout cas financièrement. Alors oui, on a eu cette liberté par le passé et on s’en est bien servi.

PAN M 360 : L’Impératrice préconise une approche organique, en ce sens que les machines sont tout de même moins importantes que les instruments traditionnels. Que justifie ce choix?

CHARLES DE BOISSEGUIN : Ça dépend de ce qu’on entend par machine. Dans Tako Tsubo, nous utilisons quand même des machines qu’on a beaucoup entendues dans les morceaux de musique électronique et autres productions – par exemple, la LM-1 de Lynn, utilisée sur Thriller de Michael Jackson. Également, nous utilisons les synthétiseurs analogiques qui sont des reproductions de vrais instruments. L’idée est que tout soit joué en temps réel, d’une manière organique, l’idée est de prendre en compte la dimension humaine dans l’enregistrement et le concert. On aime ressentir la dynamique entre la basse et la guitare, la rythmique des accords, il est important de ressentir quelque chose d’humain.

PAN M 360 : Sans vouloir faire des comparaisons directes, on peut établir un lien de parenté avec des groupes anglais tel Hot Chip, si ce n’est pour cette cohabitation de l’organique et de la club culture. Et aussi pour ce clin d’œil ce second degré.

CHARLES DE BOISSEGUIN : Encore récemment, j’écoutais certains de leurs albums et oui il peut y avoir des liens. On essaie  aussi de se faire plaisir, mélanger plusieurs influences et ne pas se définir par un seul style en tant que musicien même si c’est important pour nous d’être sincères. Et oui il y aura toujours cette ode à la légèreté, à la relecture au second degré de nos influences.  

PAN M 360 : L’Impératrice compte sur un mélange multi-référentiel mais aussi sur beaucoup de musique nord-américaine.

CHARLES DE BOISSEGUIN : Beaucoup, oui.Nous avons aussi  cette club culture, house, dans le beat et dans la répétition. Peut-être un peu moins dans le nouvel album, l’électronique fait partie des structures de nos morceaux, dans la répétition, dans la boucle.

PAN M 360 : La pandémie a été pour vous une occasion de création, racontez-nous le chemin vous ayant menés à Tako Tsubo :

FLORE BENGUIGUI : L’album a beaucoup bougé pendant le confinement, qui nous a aussi permis d’aménager un studio de répétition et d’y faire des live streams.  L’album a été coréalisé par Renaud Letang, avec qui on avait fait Matahari.

CHARLES DE BOISSEGUIN : Pour Matahari, Renaud avait été avec nous de a à z. Il nous avait aidé à enregistrer, il avait réalisé et mixé l’album. Là, c’est une coréalisation avec lui dans son studio. Cette fois, nous avons été plus investis dans le choix des arrangements. Moi j’ai toujours ce truc de superviser les textures, les synthés, quels effets on va utiliser sur chaque prise, j’ai une idée précise de chaque son. Déterminer comment l’album va sonner est un truc auquel je tiens. Ensuite, Renaud s’assure que les émotions ne trichent pas, que le groove est là, que tout est bien enregistré.

PAN M 360 : Il est clair que la touche de Tako Tsubo est très française dans le son et l’exécution.

CHARLES DE BOISSEGUIN : Oui, nous avons cet héritage french touch qui s’inspire aussi de la house. C’est amusant que vous le dites, je discutais justement avec Neal Pogue (Outkast, Kaytranada, Tyler the Creator,etc.)  qui a mixé Tako Tsubo. Et il a eu précédemment la même conversation avec Mike Bozzi (Kendrick Lamar, Snoop Dog, etc.), qui a matricé l’album. On s’est tous mis d’accord que l’ album devait rester assez français, pas trop américain. Pour nous, pour notre public, pour la façon dont on doit être perçu aux États-Unis.

PAN M 360 : Non seulement votre album est-il de sensibilité française, mais aussi de sensibilité européenne, peut-être dans l’élégance et une certaine minceur dans l’exécution. 

CHARLES DE BOISSEGUIN : Complètement! L’écoute et le ressenti sont vraiment différents. Je ne sais pas si c’est une question d’élégance ou de minceur, mais c’est  assurément une approche distincte. Dans l’émotion, en tout cas, il y quelque chose dans notre musique qui est très français malgré les références américaines. Ça s’entend dans notre façon de l’exprimer.

FLORE BENGUIGUI : Il y a aussi cette de mélancolie profondément française et très présente dans notre musique. Même si on ne voulait pas faire français, ça finirait par sortir, c’est quelque chose qu’on ne contrôle pas. Très parisien? Oui probablement! (rires) Il y a un vivier d’artistes ici qui s’alimentent  ici. En région parisienne, souvent il pleut et fait gris… ça éveille la mélancolie! (autres rires)

PAN M 360 : Quelles sont les avancées de Tako Tsubo par rapport à vos enregistrements précédents?

CHARLES DE BOISSEGUIN : Chaque disque qu’on a sorti a été suivi d’une tournée. Au-delà de la France et de l’Europe, on a rencontré notre public américain, mexicain, turc, canadien et du coup on a interagi avec les musiques de ces cultures, on a ramené tout ces souvenirs de voyage à la maison. Et je pense que ça nous a inévitablement servi pour assumer toutes ces références qu’on a aujourd’hui, et de ne pas nous sentir obligés de faire de la musique franco-française. On ne sentait pas ces influences dans Mata Hari, notre premier album très nocturne, très français. Tako Tsubo est plus empreint de hip hop, de jazz, de soul, mélanges plus assumés.  Partir loin nous a rendus plus libres, cette liberté se ressent dans la structure globale de l’album.

FLORE BENGUIGUI :  Et ça se ressent aussi sur les textes.  Je m’appliquais avant à écrire des textes français qui sonnaient bien, qui s’inscrivaient bien dans le groove mais qui ne disaient pas grand-chose. Je ne formalisais pas trop du sens, je m’intéressais surtout au son, alors que cette fois, je me suis penché autant sur le sens que sur le son. Les textes parlent de choses beaucoup plus intimes, plus profondes, sans perdre le son. C’est parler de soi mais c’est aussi universel, c’est une forme de poésie. Ce n’est pas du premier degré mais c’est beaucoup plus personnel.  C’est grâce au travail que j’ai fait avec le rappeur Fils Cara sur deux des morceaux. Dans le rap, cette idée d’associer le son au sens est beaucoup plus répandue. Du coup ça m’a beaucoup aidée à l’écriture des autres morceaux.

 CHARLES DE BOISSEGUIN : Oui on a essayé un traitement beaucoup plus intime de la voix, il   y a un traitement voix qui se rapproche plus d’une Billie Eilish que d’une France Gall.  On a essayé de faire en sorte que la voix soit vraiment dans vos oreilles, que la voix vous parle directement comme si vous étiez à côté de la personne qui chante. Bouffer le micro… en quelque sorte, créer une proximité instantanée. Ça participe aussi au sens des textes.

PAN M 360 : Si on prend des exemples pour illustrer cette différence acquise dans le texte?

FLORE BENGUIGUI : Par exemple, Hématome parle du piège des réseaux sociaux dans une rupture amoureuse, ce phénomène du ghosting à portée de la main. C’est le piège des réseaux où les gens sont à la fois hyper-accessibles et terriblement loin. Hematome est un morceau très intime pour moi parce que c’est quelque chose que j’ai vécu.  Si on compare ce morceau à Erreur 404,  de l’album Mata Hari, c’est aussi un morceau de rupture mais vécu cette fois avec beaucoup d’ironie et de fierté, alors qu’Hematome est hyper triste, profondément déchirant, plus intime, plus précis. 

C’est pourquoi je crois que les gens s’identifient beaucoup plus à Hématome. Plusieurs nous ont dit qu’ils se reconnaissaient dans cette chanson, ça les aidait à traverser ce qu’ils étaient en train de vivre. Ce ne fut pas le cas avec Erreur 404,  plus floue, moins personnelle. Quand je dis par exemple  « je t’ai tellement regardé sans rien dire j’aurais pu compter tous tes atomes », c’est admettre sa fragilité, sa propre tristesse.  

J’ai essayé de creuser cette mise à nu dans d’autres morceaux comme Submarine (en anglais). Peur des filles est un autre exemple de texte plus direct, plus précis : l’exercice consiste à manier l’ironie, se moquer ce que je n’exprimais pas avant. Être revenue dans le réel m’a aussi permis d’amener une dose d’humour.

CHARLES DE BOISSEGUIN : Peur des filles est vraiment féministe même si cela n’est pas un manifeste, l’ironie adoucit ce que les gens pourraient qualifier de vindicatif. En tout cas, il y a une prise de parti qui n’existait pas dans tout ce qu’on a pu faire avant.  

PAN M 360 : Avec cet humour, ces clins d’oeil, ces seconds degrés sur fond disco-funk-house, il  est aisé de croire que la dimension spectacle sur scène est prépondérante pour L’Impératrice.

FLORE BENGUIGUI :  Oui. Nous sommes d’abord un groupe live. Notre son est plus organique qu’électronique.  

CHARLES DE BOISSEGUIN : Nous sommes six sur scène, nous avons parfois des invités – section de cuivres,  chanteurs, etc. En tournée, nous essayons de défendre à six.  Ça coûte extrêmement cher mais nous sommes fiers d’avoir relevé le défi avec une vraie scénographie, des éclairages, un jeu de scène. Pour la tournée de l’album Matahari, nous avons bossé avec Vincent Lérisson qui avait précédemment travaillé avec Justice. Il nous avait fait une scéno incroyable! Et ce qu’on avait gagné avec cette tournée on l’a réinvesti dans la nouvelle tournée… interrompue par la pandémie. Notre univers visuel est plein d’influences de partout, nous avons toujours eu ce côté très cinématographique sur scène comme c’est le cas dans notre musique. 

PAN M 360 : Vos fans à l’étranger sont-ils vraiment étrangers ou des ressortissants français à l’étranger?


CHARLES DE BOISSEGUIN : Lorsque nous avons joué une première fois aux États-Unis, nous espérions qu’il n’y aurait pas 80% de Français dans la salle et… c’était 90% d’Américains! Ailleurs? 100% de Mexicains, 100% de Turcs, etc. On s’approprie notre musique, on s’y identifie, c’est très cool! On est d’ailleurs un des rares groupes français  à avoir quasiment plus de succès à l’étranger qu’en France. Chez nous, on est un ptit peu boudés par les médias qui choisissent de couvrir ce qui s’inscrit dans la tendance du moment, alors qu’on fait une musique en marge des tendances. En fait, ça nous rend plus singuliers, plus pérennes car nous échappons à la surexposition, au phénomène du tremplin spontané qui peut te réduire en cendres deux ans après car tu n’es plus tendance. Et ça nous permet de mieux nous exporter. À notre façon.

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