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En janvier 1998, une forte tempête de pluie verglaçante s’abat sur l’Est du Canada, le Nord de l’État de New York et sur la Nouvelle-Angleterre. Cet épisode marquant de l’histoire récente du Québec commémore cette année ses 25 ans. Maxime Goulet, un habitué des compositions descriptives et aux thèmes imagés, a composé une Symphonie du verglas, afin de commémorer musicalement cet événement et d’en évoquer différents angles sous étiquette Atma Classique. Ce qui justifie cet entretien avec le compositeur au sujet de la création de cette œuvre qui résulte d’une commande de l’Orchestre classique de Montréal.
PAN M 360 : Quels souvenirs gardez-vous de la tempête de verglas de 1998?
MAXIME GOULET : J’avais 17 ans à l’époque. J’en garde plusieurs souvenirs. Certains sont agréables; je me souviens par exemple des homards des Îles-de-la-Madeleine que ma mère gardait dans le frigidaire qu’on avait dû manger à la lumière des chandelles pour ne pas les perdre. D’autres sont naturellement plus sombres et plus tristes. Je pense notamment aux éleveurs qui perdaient leurs troupeaux. Personnellement, c’était la première fois que je réalisais à quel point notre bien-être est directement lié à la situation environnementale et c’est une des motivations que j’ai eues à aborder ce sujet-là dans ma symphonie.
PAN M 360 : Ces souvenirs qui sont les vôtres ainsi que ceux qui ont été partagés collectivement ont dû nourrir musicalement vos idées et la manière dont vous vouliez les transmettre dans la symphonie?
MAXIME GOULET : Oui. En fait, ce que j’essayais de faire d’une certaine façon, c’était d’évoquer la tempête de verglas, mais pas nécessairement spécifiquement d’un lieu très précis. Étant donné que la musique est quelque chose d’abstrait, ça permettait d’embrasser le thème de façon assez large, de sorte que tout le monde qui est passé à travers ce moment puisse se remémorer des souvenirs qu’ils ont vécus personnellement. Chacun des quatre mouvements de la symphonie est un tableau qui aborde un thème particulier de la tempête.
PAN M 360: Soyons plus spécifique, mouvement par mouvement:
MAXIME GOULET: Le premier mouvement Tourmente est dramatique et descriptif. On y entend plusieurs effets de vents et de gouttelettes d’eau qui tombaient sur les toits et que j’ai essayé de reproduire à l’orchestre. Le mouvement représente la tourmente météorologique, mais aussi la tourmente des gens qui ont traversé la tempête.
Le deuxième mouvement Chaleur évoque à la fois les moments de chaleur au coin du feu, mais aussi les moments d’entraide dont les gens on fait preuve en accueillant des gens chez eux autour de leur foyer. C’est à la fois la chaleur du feu, mais aussi la chaleur humaine. Je me suis inspiré dans ce mouvement de la musique folklorique québécoise pour ce côté rassembleur.
Le troisième, Noirceur, évoque les nuits noires sans électricité, à la fois calmes, mais aussi mystérieuses et effrayantes. Ce mouvement rend hommage aux personnes qui sont décédées pendant cette période, dont Lotte Brott, membre fondatrice de l’Orchestre classique de Montréal [anciennement l’Orchestre de chambre de McGill] et mère de Boris Brott. Je lui rends hommage par un solo de violoncelle long et lyrique.
Le dernier mouvement, Lumière, évoque le retour de la vie avec un grand crescendo d’énergie aux cuivres. On y entend également des rythmes militaires de caisses claires qui font référence à l’armée qui était venue en renfort. C’est donc un voyage à travers le parcours émotionnel de cet événement.
PAN M 360 : Est-ce que pour vous, une des fonctions de la musique, au-delà se susciter des émotions, serait d’agir comme moteur de lien social et de repères historiques?
MAXIME GOULET: Oui absolument. Je pense que toutes les œuvres d’art, que ce soit les tableaux, les sculptures ou la musique, peuvent servir à témoigner d’événements qui traversent le temps. C’est un peu comme un message qu’on met dans une bouteille et qu’on adresse aux générations futures. Ce qui est intéressant aussi c’est qu’elle témoigne de deux époques : celle de 1998, mais aussi de celle d’aujourd’hui, avec mes influences musicales d’aujourd’hui et le regard que l’on porte sur la question climatique qui est toujours très actuelle.
PAN M 360 : Vous avez une vision esthétique que l’on pourrait rapprocher de la musique à programme. Selon vous, une musique plus « figurative » est-elle un moyen d’expression plus facile que de communiquer par de la musique dite pure?
MAXIME GOULET : C’est intéressant parce qu’à l’époque, quand j’étais en contact avec Boris Brott en 2019 et qu’il préparait la saison de son orchestre pour les quatre prochaines années, pour un grand concert en 2023, il avait dit que ce serait l’fun qu’au lieu de faire des pièces de dix minutes qu’on fasse une œuvre plus importante. Comme j’allais avoir 40 ans, je m’étais dit que d’écrire une première symphonie, sans programme ce serait mon projet de crise de la quarantaine, pour sortir de ma zone de confort.
Après avoir discuté avec Boris, pour plusieurs raisons, on est venu à la décision que ça prenait au moins un titre ou thème pour accrocher le public. La question de l’environnement était beaucoup dans l’air du temps et je venais de terminer mon opéra Flight of the Hummingbird qui parle des changements climatiques et ce qu’on peut en faire. Je ne voulais pas aborder le thème de la même façon et en y réfléchissant, l’idée de la tempête du verglas m’est venue. Je trouvais que c’était un terme intéressant avec assez de volets à développer et qui m’a beaucoup inspiré.
PAN M 360: L’approche programmatique vous est chère !
MAXIME GOULET: La raison principale pour laquelle je fais des pièces qui ont souvent un programme, c’est qu’en tant que compositeur ça me donne un cadre créatif; un thème que je vais aborder. C’est un peu la même chose qu’avec les scénaristes, les réalisateurs ou les auteurs qui abordent un thème dans leurs œuvres. Regarder ce thème sur différents angles en musique, c’est mon moyen de communiquer ma perception sur ce thème. Donc à la base, je le fais surtout pour moi, parce que ça m’inspire. Et dans un deuxième temps, je dirais que ça me permet d’avoir un fil d’Ariane pour guider l’auditeur dans le labyrinthe de la musique. Ça lui donne un élément auquel se rattacher pour tendre l’oreille.
PAN M 360 : À titre de comparaison, est-ce que vous qualifieriez la Symphonie du verglas de la même manière que la Symphonie fantastique de Berlioz ?
MAXIME GOULET : Dans un certain sens oui. Je crois que c’est surtout dans l’utilisation de l’idée fixe ou un thème musical revient dans chacun des mouvements de manière différente.
PAN M 360 : Quels sont les prochains projets qui vous attendent?
MAXIME GOULET : Mon opéra The Flight of the Hummingbird sera présenté dans une version augmenter avec orchestre de chambre et chorale, je travaille sur une première commande pour l’Orchestre symphonique de Montréal et en ce moment je travaille sur la musique d’un jeu vidéo, One More Gate de la compagnie française Ankama.
CRÉDIT PHOTO: NADIA ZHENG