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Lorsqu’une musicienne de jazz peu connue ou carrément inconnue prend la direction d’un ensemble constitué de musiciens chevronnés, en l’occurrence le contrebassiste Adrian Vedady, le trompettiste Lex French et le batteur Jim Doxas, il y a lieu de s’y intéresser une première fois.
Voilà pourquoi, dans le contexte du 22e OFF Festival de Jazz de Montréal, présenté du 30 septembre au 9 octobre, PAN M 360 va à la rencontre de l’excellente pianiste Kate Wyatt, qui ne compte aucun album, aucune page Bandcamp, et qui pourrait pourtant s’imposer parmi les très bons artistes du jazz montréalais, québécois ou canadien.
PAN M 360 : Tout d’abord, nous devons connaître les bases. D’où venez-vous ? Quand vous êtes-vous installé à Montréal ? Où avez-vous reçu votre formation de pianiste ? Avec qui avez-vous étudié ?
Kate Wyatt : Je suis originaire de Victoria, en Colombie-Britannique. Par hasard, je me suis retrouvée dans une école secondaire qui avait un programme d’interprétation du jazz. À ce moment-là, j’avais déjà pris des leçons de piano pendant 7 ans, mais à l’âge de 14 ans, je perdais tout intérêt. Cependant, le professeur de mon programme de musique cherchait quelqu’un pour occuper la place de pianiste dans le big band de l’école et j’ai accepté de le faire. Il se trouve que c’est ce qui a déclenché ma carrière ! Jouer dans le big band a ravivé mon amour du piano et de la musique, et je me suis fortement impliquée dans le programme de jazz. C’est tout naturellement qu’après l’école secondaire, j’ai poursuivi mes études de jazz à l’Université McGill. J’y ai étudié avec André White et Tilden Webb (un grand pianiste qui vit maintenant à Vancouver), ainsi que la composition avec Joe Sullivan.
PAN M 360 : En tant que musicienne professionnelle, vous êtes active depuis un bon moment déjà.
Kate Wyatt : Oui, en fait, cela fait plus de 20 ans maintenant ! Je suis diplômée de McGill en 1998 et je travaille professionnellement depuis.
PAN M 360 : De toute évidence, quand on regarde vos vidéos, votre approche est proche du piano moderne ou contemporain acoustique. Peut-on en savoir un peu plus à ce sujet ? Quelle est votre vision pianistique ?
Kate Wyatt : Je suis avant tout une joueuse de piano, c’est-à-dire que je ne suis pas vraiment intéressée par les claviers, ou le matériel, ou quoi que ce soit de ce genre. J’aime explorer l’instrument et la profondeur des sons qui peuvent être créés. J’essaie d’utiliser tout l’instrument et de ne pas me limiter aux voicings conventionnels de la main gauche avec des lignes mélodiques de la main droite.
PAN M 360 : Comment vous voyez-vous dans votre personnalité pianistique ? Qu’est-ce qui est spécifiquement Kate Wyatt dans votre jeu de piano ?
Kate Wyatt : Hmm… c’est une question difficile. J’ai fini par croire, au fil des années, que tous les musiciens de jazz jouent leur personnalité : on peut entendre qui ils sont dans leur façon de jouer. Donc, peut-être que ce que vous entendrez dans mon jeu, c’est ma mon côté amusant et mon sens de l’humour, l’importance que j’accorde à l’écoute des autres, mon amour des énigmes et de la résolution de problèmes. C’est très difficile à quantifier.
PAN M 360 : C’est peut-être un cliché mais…. Pensez-vous parfois au fait d’être une femme musicienne de jazz dans un genre musical où la parité n’est pas vraiment respectée ? Peut-être que ce n’est pas pertinent pour vous et peut-être que vous ne pensez pas à une » touche féminine » dans la musique d’improvisation. Ou la composition. Ou la performance. Sentez-vous à l’aise de répondre.
Kate Wyatt : Oui, je pense que le fait d’être une femme dans le jazz a grandement influencé ma carrière, et probablement aussi ma façon de jouer. Dans mon cas, j’ai eu des enfants quand j’avais une vingtaine d’années, avant d’avoir vraiment eu la chance de lancer ma carrière en tant qu’interprète solo. Pendant toutes ces années, j’ai surtout travaillé en tant que personne d’appoint, en accompagnant les autres. C’est peut-être grâce à cette expérience d’accompagnatrice que j’en suis venue à accorder une telle importance à l’écoute et au soutien des autres musiciens avec lesquels je joue. Il se peut aussi qu’en tant que femmes, nous soyons menées socialement à nous mettre en retrait et à travailler dans des rôles de soutien. Je suppose qu’il serait impossible de l’affirmer mais globalement, je pense que ma carrière serait bien différente si je n’étais pas une femme et une mère.
PAN M 360 : Avez-vous des affinités avec certains pianistes des générations précédentes ou de votre propre génération ? Encore une fois, ce n’est peut-être pas pertinent pour vous…
Kate Wyatt : Il y a tellement de pianistes que j’aime écouter, mais je ne suis pas sûre que vous les entendiez nécessairement dans mon jeu. Il y a des musiciens de jazz qui, quand on les écoute, on peut vraiment cerner leurs influences. Je ne pense pas que ce soit aussi évident dans mon jeu. J’accorde le plus d’importance au développement de ma propre voix sur l’instrument.
PAN M 360 : Votre ensemble réunit les mêmes musiciens que le Code Quartet, à l’exception de Christine Jensen. Pure coïncidence ? Bien sûr, le résultat est très différent car vous jouez un instrument harmonique… et alors ?
Kate Wyatt : Je vais vous raconter l’histoire de la création de mon quartette. Il a en fait beaucoup à voir avec la pandémie. Retour en mars 2020, c’était juste au moment où tout a commencé à fermer. Lex avait un concert réservé au Upstairs avec Jim, Adrian et un autre pianiste. Les gens commençaient tous à être très nerveux à cause de ce nouveau virus, et le pianiste a décidé qu’il n’était pas à l’aise pour jouer dans un club plein à craquer, alors Lex a fini par m’appeler pour le remplacer. C’était la première fois que nous jouions dans cette formation, avec ces membres du groupe, et l’alchimie était fantastique. Nous avons passé une soirée incroyable !
Après cela, pendant la période suivante de confinements et de restrictions diverses, nous nous sommes réunis tous les quatre pour jouer autant que possible. Nous avons joué dans cours arrières des maisons, et plus tard dans nos maisons (quand c’était autorisé). Comme il n’y avait pas de concerts et que l’enseignement était limité, nous avions soudain tout le temps que nous voulions pour jouer et explorer la musique. Ce fut très libérateur ! J’ai l’impression que nous avons vraiment développé un son de groupe.
Donc, pour résumer, ce n’est pas comme si j’avais décidé d’embaucher les musiciens du Code Quartet, sans Christine. Nous nous sommes réunis d’une manière beaucoup plus organique, simplement par amour de jouer ensemble. Ils sont le choix évident de ceux que je veux voir jouer ma musique.
PAN M 360 : Vous avez fondé une “famille de jazz” avec le bassiste Adrian Vedady. Des parents jazzmen avec des enfants, une compréhension mutuelle idéale… Cela semble être l’entente parfaite ! N’est-ce pas ?
Kate Wyatt : Je dois dire que c’est plutôt génial ! Nous aimons jouer ensemble, et nous avons tellement de choses en commun. Toutes nos expériences de vie partagées renforcent probablement aussi notre connexion musicale.
PAN M 360 : Êtes-vous également impliquée dans d’autres genres musicaux ?
Kate Wyatt : J’ai joué d’autres musiques dans le passé, mais pour l’instant je me concentre sur le jazz.
PAN M 360 : Enseignez-vous également ? Qu’est-ce que vous étudiez en fait ?
Kate Wyatt : Oui, je fais beaucoup d’enseignement ! Je travaille au Marianopolis College, et j’ai de nombreux étudiants privés. L’été, j’enseigne dans plusieurs camps de jazz différents.
PAN M 360 : A propos de vos prochains projets ? J’espère que nous écouterons beaucoup plus de votre propre musique !
Kate Wyatt : Merci ! En fait, j’ai reçu une bourse du Conseil des Arts du Canada pour écrire et enregistrer un nouvel album de ma musique avec le quartet. Nous avons enregistré en juillet à la Boutique de Son avec George Doxas, et nous sommes en train de faire le mixage et le matriçage, et de terminer le travail artistique et tout ça. Je prévois de le sortir au printemps. L’album s’intitulera Artifact.