Karlof Galovsky : Le retour essentiel d’un chansonnier inutile

Entrevue réalisée par Louis Garneau-Pilon

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Les années 2000 battent leur plein, l’époque est dominée par les boy bands, la teen pop et le hip-hop. Au cœur de cette période existe aussi Karlof Galovsky, poète folk aux textes déjantés, au style instable , à l’humeur changeante.

Lui-même vous aurait dit qu’il pratiquait alors le folk-punk-psychédélique. Pendant près de 10 ans, il s’est fait une place au sein de la scène marginale de Montréal. Il était  particulièrement apprécié pour ses textes truffés d’humour et d’humeurs sociales portés par des riffs accrocheurs. Or, en 2006, il s’éclipsa de la scène.

Après 15 ans d’absence, Karlof Galovsky effectue un retour inattendu avec un tout nouveau projet en coopération avec le label L-A Be; Chansons inutiles. La première moitié est sortie le 3 juin dernier, le côté B est attendu cet automne. Pour sa réapparition, le chanteur fait les choses en grand : son nouveau projet comportera 15 morceaux composés en étroite collaboration avec le chanteur/compositeur Éric Goulet. Le virtuel ne sera d’ailleurs pas la seule façon d’entendre les pitreries de Galovsky. Le projet paraîtra aussi en vinyle.

Ceux qui voudront vivre l’expérience en direct pourront aussi se pointer au Ministère pour un spectacle de Saint-Jean, ce vendredi 24 juin. 

Le retour en salle et en selle de Karlof Galovsky est assorti d’une interview avec PAN M 360. En toute gravité, on discute de la pluie, du beau temps et de Chansons inutiles.

PAN M 360 :  Visons d’abord  l’éléphant dans la pièce: que s’est-il passé au cours des 15 dernières années ?

KARLOF GALOVSKY : Au milieu des années 2000, j’ai rencontré quelqu’un et je suis tombé amoureux. J’en ai profité pour prendre un break. J’aime beaucoup la musique, mais je voulais essayer de faire autre chose pour un peu de temps. J’ai une passion pour la vidéo et j’ai pu me mettre au cinéma. Il fallait aussi que je me trouve un emploi plus sérieux. C’est amusant d’être une rock-star underground mais… ça ne paye pas les factures. J’ai tout de même gardé une certaine présence artistique. De petits spectacles d’humour ou de musique, de temps en temps. Je n’ai jamais vraiment arrêté. J’ai simplement mis le gros de mes efforts quelque part ailleurs. 

PAN M 360 : Donc, Chansons inutiles n’est pas exactement un comeback.

KARLOF GALOVSKY : Non pas vraiment. Sans aller dans la psychanalyse, je voulais reprendre là où j’avais laissé. Je pense m’être un peu raffiné en plus! 

Un aspect qui m’a motivé à revenir, c’est que toute la scène musicale s’est transformée. Quand j’ai arrêté en 2006, les médias sociaux n’existaient pas. Tout le circuit musical était différent. En travaillant autour de musiciens, je pouvais voir ce changement. Mais je ne pouvais pas le vivre en tant qu’artiste. Je voulais me plonger dans ce nouveau bassin. Pleinement vivre ce changement. Aussi, j’ai des enfants. Il fallait bien qu’ils puissent me voir en spectacle au moins une fois!

Je comprends à quel point cette histoire va sonner comme un cliché. Je me suis  remis à écrire de la musique avec des amis. Je commençais à prévoir mon retour avec un Facebook Live pour l’annoncer… en mars 2020. Sur le coup, ça ressemblait à un signe de l’univers qui me disait d’arrêter. Mais en voyant tous ces artistes s’épanouir malgré la pandémie, j’ai lentement changé d’avis. Pendant ces deux dernières années, énormément d’artistes ont dû prendre une pause avant de sortir leurs projets prêts depuis déjà plusieurs mois. Il y a eu une vague d’albums excellents qui sortaient tous en même temps. Ça m’a motivé à me relancer pleinement.

PAN M 360 : Et donc c’est la genèse de Chansons inutiles?

KARLOF GALOVSKI : Eh oui! Le titre est justement inspiré de cette période pandémique. Je m’interrogeais sur mon retour et j’écoutais les nouvelles. Une des questions qui revenait beaucoup était : qu’est-ce qui est essentiel? Pour moi, c’est devenu essentiel de montrer au monde ce que je faisais. Pour l’univers, c’est un peu inutile un album de musique. Ce titre a donc une sorte de côté meta que j’aime beaucoup. 

PAN M 360 : Et pour la suite, comment le légendaire Éric Goulet a-t-il joint l’équipe?

KARLOF GALOVSKY : Au début, quand on était encore en train de planifier le tout, on se posait beaucoup de questions sur la marche à suivre. Plus on avançait, plus je me disais que je n’étais pas à l’aise à prendre les devants de la réalisation. Ça faisait 15 ans que je n’avais pas fait ça. Mais j’ai trouvé une solution. Éric Goulet, c’est un monument de la chanson québécoise. Il en a fait de la musique. C’est un de nos artistes les plus sous-estimés. Je serais curieux de savoir combien de gens ont autant de projets sous la cravate! Je l’avais un peu côtoyé par le passé. Ça me semblait naturel de l’inviter et il a accepté. 

On se complète très bien. Moi je suis cabotin et provocateur. Je l’ai appris en réalisant que ma musique était trop vulgaire pour mes enfants. Lui, il est beaucoup plus sérieux, mais on partage les mêmes goûts musicaux. On a fait une très bonne équipe!

J’aimerais aussi mentionner mes autres collaborateurs sur ce long jeu. Tout d’abord Philippe Delorme à la guitare. Je le connais depuis longtemps. C’est un homme qui a été dans beaucoup de groupes. On se disait depuis des années qu’il fallait qu’on joue ensemble. Mon retour à la musique était l’occasion parfaite. Mon batteur, Pascal Gingras, était un ami de Philippe que je connaissais bien. Ces deux-là ont un CV musical plus long que mon bras! Avec cette petite équipe, j’avais tout ce qu’il me fallait pour Chansons inutiles. 

PAN M 360 : Et tout s’est bien passé? Pas trop rouillé? 

KARLOF GALOVSKI : Eh bien, un peu. C’est sûr. Mais ce ne fut pas trop un problème. Pour l’album, je voulais le faire avec un style purement old school. On travaillait avec un petit groupe qui enregistrait tout ensemble. On a tellement pratiqué qu’on pouvait quasiment jouer chaque chanson en une traite pour l’enregistrement. On voulait avoir un son qui se rapprochait le plus possible du live. Avec Éric, on a tout retravaillé par la suite. On progressait de façon un peu aléatoire, par phases disparates. C’est un peu la nature de créer une œuvre au milieu d’une pandémie. Ce rythme était vraiment différent de ce dont je me souviens. À mon époque, on avait une période de temps beaucoup plus stricte pour finir nos chansons. Si on se faisait dire qu’on avait deux semaines, on faisait avec. Mais après tout je suis content d’avoir deux ans à la place de deux semaines. Je suis très satisfait de ce son imparfait. Le style en direct avec ses petites erreurs donne un parfum plus humain. 

PAN M 360 : Donc le projet est un peu un hommage au rock d’autrefois ?

KARLOF GALOVSKY : Oui! On voulait remonter aux racines de ce qu’est l’album. Aujourd’hui, ça n’a plus la même signification qu’avant. Fut un temps où on disposait de 20 minutes pour chaque côté d’un vinyle. Un album ne pouvait pas durer plus longtemps que 40 minutes. Impossible d’en avoir plus. On consommait aussi la musique différemment. Écouter un album, c’était une activité à part entière. On se rejoignait dans le sous-sol d’un ami et on s’asseyait pour écouter l’album du début à la fin. Aujourd’hui, la musique n’est plus consommée de la même façon. On se promène tous avec une paire d’écouteurs et on est accompagné de musique partout où l’on va. Mais on ne dédie plus notre temps à seulement écouter de la musique. Je n’ai rien contre l’écoute moins sérieuse, mais pour mes chansons, je veux qu’elles soient appréciées pleinement. 

Je suis aussi bien content d’avoir essayé de nouvelles choses à ce stade de ma carrière. Chansons inutiles sera mon premier album à sortir en vinyle. Je n’avais jamais fait ça avant. C’est un peu un commentaire méta. À l’ère du numérique, il n’y a vraiment plus aucune raison d’utiliser ce genre de médium. Et pourtant, c’est cette inutilité que j’aime le plus quand je pense au projet. C’est drôle, plus le temps passe, plus je deviens old school. 

PAN M 360 : Parlant de l’ancien temps, certaines de tes chansons tirent dans une direction où se trouvent  beaucoup de groupes plus vieux. Par exemple, le surf rock des années 60 ou le new wave des B-52’s aux accents surf.

KARLOF GALOVSKY : Oh oui! Ce sont des inspirations totalement assumées. Quand les B-52’s ont sorti leurs premiers albums, ce devait être le meilleur groupe au monde. C’était une sorte de fusion entre le surf et le new-wave, deux styles que j’aime beaucoup. J’aime énormément ce mélange. On peut donc en entendre dans tous mes albums! La chanson Sexy cerise est justement un cri d’amour à ce groupe.

PAN M 360 : Es-tu satisfait de Chansons inutiles?

KARLOF GALOVSKY : Oui bien sûr! Quoique… je crois qu’on ne peut jamais être totalement satisfait. Tout le long de la production, Éric Goulet me disait souvent: « On ne finit pas un album, on l’abandonne ». Je dois reconnaître qu’il y a bien un peu de vrai là-dedans. Cependant je reste très fier de ce que j’ai fait. Je me suis aussi bien amélioré dans mes textes. S’il y a une chose qui a changé depuis 15 ans, c’est que mes histoires sont beaucoup plus personnelles maintenant. Avant, j’incarnais un peu un personnage. Les histoires ont maintenant beaucoup plus de moi à l’intérieur.

PAN M 360 : Karlof Galovsky est tout de même un musicien provocateur. En 2022, trouves-tu toujours aussi facile d’être choquant et imprévisible?

KARLOF GALOVSKY : Bonne question! Je crois qu’en 2022, les gens sont tellement habitués à voir du contenu imprévisible que ça devient plus dur de garder leur attention. C’est quelque chose que j’ai vu beaucoup en vidéo. Aujourd’hui, une pause de 2 secondes, c’est considéré comme interminable. Il y a des années, ce n’était absolument rien. En même temps, cette difficulté constitue un défi très intéressant à relever. C’est pourquoi j’aime avoir des chansons hyper imprévisibles. Quelque chose qui force l’auditeur à s’arrêter et remarquer qu’il s’est passé quelque chose. Quand on consomme de la musique, on a tendance à faire cela sur le pilote automatique. J’essaie de briser un peu cette habitude. On peut dire que c’est un besoin de provocation. Mais je dirais plus que c’est un besoin d’attention. J’ai envie qu’on donne l’attention que mes chansons méritent! S’il faut l’avoir  en changeant le rythme de temps en temps, pourquoi pas! Ce besoin d’attention, c’est aussi pourquoi j’étais beaucoup plus vulgaire avant. Je jouais dans de petits bars punks et il fallait trouver une façon de prendre l’attention des gens.

Maintenant je suis bien moins agressif. Pour Chansons inutiles, j’attire beaucoup l’attention avec l’ordre de mes chansons. Ce fut un gros mal de tête à organiser. J’ai essayé de garder un ordre qui allait surprendre l’auditeur. Par exemple, en ayant une chanson plus lente là où il devrait y avoir de la vitesse. En parsemant ces détails ici et là, je continue de choquer à ma façon. 

PAN M 360 : Pour finir, tu présentes l’album en spectacle ce vendredi! As-tu commencé à te préparer?

KARLOF GALOVSKY : Oui, c’est justement ce que je faisais avant qu’on se parle! En plus de pratiquer, on garde aussi quelques surprises pour fêter la Saint-Jean. On jouera un peu de mes vieilles chansons et beaucoup de morceaux de  Chansons inutiles. Cependant, il n’y a pas que les chansons qui comptent pour un spectacle. Pour moi, les moments de répit où je parle à la foule sont tout aussi importants. On se prépare plus pour la mise en scène que pour les chansons. Dans tous les cas, je suis un leader stressant en spectacle. On a beau se préparer une liste de chansons à jouer… Il va sans dire que tout peut changer en fonction des réactions du public. Même si ce n’était pas le plus facile, je vais là-bas pour donner un vrai spectacle. Pour ça, il faudra pouvoir ressentir et comprendre la vibe des gens qui sont là. À la fin, je ne fais pas toujours les choses facilement… autant garder ça old school.

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