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En 2014, le sculpteur professionnel Jean-Robert Drouillard avait 44 ans et, dans ses tiroirs, quelques compositions. Une rencontre avec le musicien Hugo Lebel, membre du groupe Les Goules, engendra un embryon musical auquel se greffa Yves Marquis, collègue d’Hugo au sein de Headache24. De jam en jam finit par naître Juste Robert, en mai 2014. D’une entité qui, selon son fondateur, sonnait « garage sur un méchant temps » et ne risquait pas de sortir des bars et cafés de Québec, Juste Robert est devenu un vaisseau folk-rock fascinant. Avec volonté, imagination et vaillance, J.-R. Drouillard a raffiné son art chansonnier, rameuté des collaborateurs aussi doués que dévoués, puis entamé l’édification d’un corpus comptant déjà trois albums complets et un microalbum. Il se trouve dans ces recueils des pépites qui méritent d’être entendues au-delà d’un cercle d’initiés. Ce à quoi devrait contribuer Ta théorie sur la lumière, qui paraît ces jours-ci (vous pouvez lire notre recension de l’album ici). Pan M 360 a pu en discuter avec Juste Robert.
Pan M 360 : Tout d’abord, bravo pour Ta théorie sur la lumière, c’est du très bon folk. Tu avais lancé Des autoportraits en 2016, puis Mon mammifère préféré il y a presque trois ans. Est-ce que l’écriture et la composition des pièces de Ta théorie sur la lumière ont commencé peu après, ou alors plus récemment?
Juste Robert : J’ai aussi lancé un EP, Ta constellation, le 13 mars 2020. Il est passé dans le beurre… Pour ce qui est de Ta théorie sur la lumière, l’écriture a commencé au printemps 2020. Tout a été fait durant la pandémie, sauf la chanson Sous le bruit des hélicos que j’avais écrite il y plus longtemps, mais que je n’avais pas encore réussi à caser sur un album.
Pan M 360 : Un « album de pandémie », donc.
Juste Robert : Oui, mais comme je tente de me l’expliquer et de l’expliquer aux journalistes qui me posent des questions, on croit intuitivement que les artistes ont souffert de l’isolement. Or, même si ça peut sembler presque honteux à dire, la pandémie m’a mis, comme sculpteur, devant beaucoup de calme et de lenteur. J’ai pu prendre le temps d’observer les choses. Puis, ça fait 22 ans que je fais de l’art visuel; je suis habitué à être seul dans mon atelier à trouver ça agréable. C’est différent du monde de la musique où les choses se font souvent en gang.
Pan M 360 : Je comprends tout à fait. J’ai vu que Benoit « Shampouing » Villeneuve compte parmi tes collaborateurs. Jérome Casabon, que j’ai interviewé l’automne dernier, en parlait en termes élogieux. Ça semble être un musicien recherché.
Juste Robert : Je pense que si Shampouing était vraiment carriériste, ce serait un joueur vraiment important. En fait il l’est déjà, il a remporté, par exemple, un Félix pour l’enregistrement et le mixage d’un album de Tire le Coyote. On entend souvent parler de trucs qui se passent sur la scène musicale de Québec, et on sait que Shampouing y participe. On entend parler d’un endroit comme le Pantoum, mais ça fait plus de dix ans que Shampouing enregistre des albums, des petits EP et des projets dont on entend moins parler. Il est fantastique, il sait tout faire. C’est lui qui place le micro, qui est à la console, qui joue de la guitare. Il est à l’écoute, il a une grande dévotion envers les projets. Il lui arrive parfois de se « travestir »; dans mon projet, j’ai essayé de le convaincre d’être lui-même, de laisser aller ses envolées pop-rock. Si on a déjà vu Shampouing jouer de la guitare en spectacle, on sait qu’il joue comme une sorte de guitar-hero des années 70, il peut faire des solos complètement fous. C’est donc un guitar-hero qui se cache derrière les projets des autres. Bref, il est merveilleux. Il a son petit studio dans le quartier Saint-Sauveur depuis dix ou douze ans, mais plus récemment il s’est construit un studio dans le centre du Québec, près de Thetford-Mines. On a fait deux séances là en septembre 2021.
Pan M 360 : De fait, tu étais extrêmement bien entouré : outre Shampouing, il y avait Émilie Clepper, qui fait du folk haut de gamme, Benoit Paradis qui est devenu le trompettiste de référence au Québec, Claude Fradette qui a joué avec Michel Faubert, Richard Desjardins, etc., Frédérick Desroches qui a accompagné des centaines d’artistes, puis Kenton Mail et Yves Marquis, que je ne connais pas mais qui sont manifestement doués.
Juste Robert : Pour ce qui est d’Émilie Clepper, si on l’a déjà entendue chanter autour d’un feu ou dans un party, on devient complètement fan-gaga! La portion anglaise des paroles de la chanson Le gris des fées a été écrite par Avery Isbrücker, une jeune ontarienne qui a étudié la poésie à l’université Concordia. J’ai tout de suite pensé à Émilie pour les chanter, j’avais envie de son accent en anglais. Ensuite, avec mon noyau d’accompagnateurs – batterie, basse, clavier-piano, guitare – on a commencé à travailler il y a un an, en s’envoyant des pistes. Puis en septembre dernier, le noyau s’est réuni en studio, et Claude Fradette – un chum d’un vieux chum –, Benoit Paradis et Émilie se sont greffés, mais à distance.
Pan M 360 : Les séances d’enregistrement ont dû être agréables. Est-ce que les idées d’harmonisation et d’arrangements surgissaient à mesure?
Juste Robert : Je ne suis pas un très bon musicien. Les gens qui jouent avec moi le savent. Je peux composer, faire des séquences d’accord, mais je ne parle pas le langage des musiciens. Pour faire comprendre ce que je veux à Shampouing, j’arrive avec des listes de chansons, je précise que j’aimerais de la batterie qui sonne comme ça, disons. Il est à l’écoute de mon affaire, puis peut dire aux autres musiciens ce que je veux, dans leur langage. Et chaque musicien y met de son âme. À Fred Desroches, par exemple, qui est immensément talentueux, je vais dire « Écoute telle ou telle toune de Nick Cave, c’est ce genre de clavier que je veux ». Quand j’ai l’impression qu’on est à côté, conceptuellement, de ce que je veux, je les arrête et on recommence. Et tout est basé sur le plaisir : à 50 ans, j’ai passé l’âge d’être dans une création tendue. Il n’y a pas de pression, ça reste une proposition artistique, pas du showbusiness.
J’ai aussi travaillé avec Stéphane Robitaille, un personnage assez connu ici à Québec, dans le milieu de la chanson très marginale. Il a d’ailleurs lancé un fantastique album en 2013 ou 2014, Fuck you mon amour. Stéphane aime jouer avec les mots, c’est lui qui a écrit les trois quarts de la chanson La lettre, puis il a suggéré des phrases et d’autres trucs pour trois autres chansons.
Pan M 360 : Si on compare les textes de Ta théorie à ceux de Mon mammifère préféré, on remarque une constance dans l’intimité des propos. Toutefois, Mon mammifère préféré exhalait une certaine insouciance, alors que Ta théorie sur la lumière me semble plus sérieux et plus prude. S’agit-il d’un changement d’approche conscient?
Juste Robert : J’ai l’impression que c’est moins poétique, mais peut-être plus clair parfois. Il y a des petits flashes engagés, comme dans Sous le bruit des hélicos, ce que je n’avais jamais fait. Il y a aussi des allusions humoristiques et sarcastiques, comme à la fin de Le moineau. Mais il y a peut-être moins de candeur ou de naïveté, à cause de ce désir de faire « maturer » ma proposition.
Pan M 360 : Je songe au passage où la patte d’une table est « shimmée » avec La détresse et l’enchantement de Gabrielle Roy. Je suis convaincu que tu n’as pas écrit ça par manque de respect pour l’œuvre. C’est plutôt loufoque et propice à différentes interprétations, en fait.
Juste Robert : Il y a deux références littéraires dans l’album : celle-là et une autre à L’insoutenable légèreté de l’être. Les chansons sont comme de petites nouvelles, de l’autofiction. J’ai vu un rapport avec le film Léolo, où la table de la cuisine était « shimmée » avec du Réjean Ducharme! Ça m’amuse et je trouve ça beau.
Pan M 360 : C’est la beauté de la puissance d’évocation des paroles de chansons. L’album paraît le vendredi 28 janvier sans tambour ni trompette, j’imagine, compte tenu du contexte sanitaire. Est-ce qu’il y aura un lancement ultérieur?
Juste Robert : Il devait y avoir un lancement, mais l’album sera lancé dans l’univers tout seul pour l’instant. Le seul concert confirmé aura lieu le 29 mai au grand Théâtre de Québec.
Pan M 360 : Merci beaucoup Juste Robert de nous avoir accordé cette entrevue et bonne continuation!
Crédit photo : Charles-Frédérick Ouellet