Franky Fade : Contradictions et autres considérations

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : hip-hop / rap keb

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Fin octobre, Franky Fade rendait public Contradictions, très bel opus solo, distinct de l’approche hip hop/jazz/groove mise de l’avant par Original Gros Bonnet (OGB), excellent groupe montréalais dont il est la figure de proue. 

Actuellement en tournée au Québec, le rappeur, chanteur et claviériste débarque chez Ausgang Plaza le jeudi 9 décembre, afin d’y offrir son spectacle-lancement avec ses proches collaborateurs de tournée et aussi des invités spéciaux. Joint sur la route, Franky Fade répond aux questions de PAN M 360, dans le contexte des deux concerts-lancements consécutifs donnés cette semaineà Ausgang Plaza, soit les jeudi 9 et vendredi 10 décembre.

PAN M 360 :  Le titre Bon Ami nous fournit un indice, ton profil biographique le confirme… Tu es de Gaspé!

Franky Fade : En effet, je suis né à Gaspé mais je n’y ai pas grandi. Ma famille est venue vivre près de Montréal quand j’étais encore tout petit et j’ai donc vécu mon enfance à Saint-Bruno, sur la Rive-Sud. C’est là que j’ai commencé mes cours de piano avec Luc Marcel,  pianiste et compositeur qui enseigne maintenant au conservatoire de Rimouski. Je retournais quand même régulièrement en Gaspésie, presque tous les étés quand j’étais plus jeune. J’ai un attachement spécial à cette région, d’où la chanson Bon Ami. 

PAN M 360 : Après l’école secondaire, le cégep Saint-Laurent? Quels furent tes profs d’instruments à MTL? Que voulais-tu devenir alors  

Franky Fade : J’ai fait une première année à Saint-Laurent en voyageant de la Rive-Sud tous les jours, mais les 3 heures de transport en commun étaient difficiles et je suis donc déménagé à Montréal à ma deuxième année de Cégep. J’étudiais avec Réal Ayotte principalement, mais j’ai eu des cours avec Lorraine Desmarais, Pierre François, Marianne Trudel. Dans mes autres cours, j’ai eu la chance d’avoir Jean Fréchette (La Bottine Souriante), Jean-Pierre Zanella et Lévy Bourbonnais comme professeurs, entre autres. À ce moment-là, je savais que je voulais faire de la musique toute ma vie, mais pas exactement sous quelle forme. J’ai toujours voulu faire de la scène et composer, mais je n’avais pas la discipline nécessaire pour être interprète en jazz ou classique au piano. C’est quand j’ai commencé à écrire et rapper avec OGB que j’ai trouvé une direction plus claire. 

PAN M 360 : On raconte sur ton profil biographique que l’album To Pimp A Butterfly, de Kendrick Lamar, a été un déclencheur pour toi, ce qui t’aurait mené au boom bap, à J Dilla et à tout ce qui s’ensuivit. Peux-tu nous en dire davantage?

Franky Fade : Avant 2015, je n’écoutais pas beaucoup de hip-hop. Un peu de 50 Cent, Kanye West et Eminem, mais sans connaître les dessous du genre. L’album de Kendrick Lamar m’a ouvert les yeux sur les possibilités infinies que le rap et le hip-hop offraient à un artiste, tant pour le texte que de la musique. J’ai alors voulu faire mon éducation sur le style en écoutant beaucoup de ce qui s’était fait dans les années 90 – Rakim, De La Soul, A Tribe Called Quest,  N.W.A, Snoop Dogg, Outkast, etc. C’est Sambé, un ami et collaborateur de toujours, qui m’a fait découvrir J Dilla et m’attarder aux beatmakers autant qu’aux rappeurs. Parallèlement, j’ai commencé à écouter beaucoup de ce qui sortait en hip-hop à ce temps-là (Migos, Travis Scott, Young Thug, Mick Jenkins…) et c’est devenu la musique que j’écoutais le plus. 

PAN M 360 : Quels artistes hip-hop as-tu vraiment apprécié depuis? Écoutes-tu beaucoup d’autres styles? Jazz? Classique? Musique contemporaine? Électro? Noise? Drone? Chanson d’auteur? Quoi encore?

Franky Fade : J’ai écouté des tonnes d’artistes depuis, mais voici quelques un.es qui m’ont marqué. 

Rap et R&B : Young Thug, Travis Scott, Frank Ocean, Tyler the Creator, Brockhampton, Kendrick Lamar, Mick Jenkins, Kanye West, Kendrick Lamar, Rapsody, Mobb Deep, Nas, MF DOOM, JID, Smino, Gunna, Playboi Carti, Roddy Rich, Vince Staples, Westside Gunn, Josman, Alpha Wann, Varnish La Piscine, Makala, Eman, KNLO… Je pourrais continuer haha!

Autres styles :

Badbadnotgood, The Beatles, Bill Evans, Bill Withers, Blood Orange, Brent Faiyaz, D’Angelo, Daniel Bélanger, Harmonium, Jorja Smith, Kaytranada, Les Louanges, Michael Jackson, Otis Redding, Sade, Sophie…

Comme tu vois, ça va dans tous les sens. J’écoute pas mal de tout sauf du rock et du métal. Un peu de musique classique, surtout des pièces pour piano. J’écoute régulièrement du jazz. J’ai commencé à m’intéresser à l’hyperpop, surtout la musique de AG Cook, mais je ne suis pas certain d’aimer ça encore. De plus en plus, j’essaie de me tenir au courant de ce qui sort au Québec. J’aime beaucoup Planet Giza et Klô Pelgag, par exemple. 

PAN M 360 : Ton travail de MC/rapper l’emporte-t-il définitivement sur celui de musicien, instrumentiste ? Travailles-tu en beatmaking aussi? Sinon qui sont tes beatmakers préférés?

Franky Fade : Même si je suis considéré comme un rappeur avant tout, je pense encore d’abord à l’instrumentation dans ma musique. Sur Contradictions, j’ai composé 4 des 10 pièces et j’ai participé de près ou de loin à toutes les autres, soit dans l’arrangement ou en contribuant au beatmaking. Pour moi, c’est un travail aussi important que l’écriture dans ma création.  Mes beatmakers préférés en ce moment sont Knxwledge, J Dilla, Kaytranada, Kenny Beats, Wheezy, Freakey! et bien sûr Sambé. 

PAN M 360 :  Y a-t-il des auteurs marquants en rap ou en poésie, de qui tu pourrais t’inspirer indirectement ou directement? Écoutes-tu essentiellement du rap keb lorsqu’il s’agit de rap franco? Sinon, quels sont tes prefs dans le rap français ou belge ou africain ou antillais? Et le rap/ soul anglo? Puisque tu écris, chante et rappe aussi en anglais…

Franky Fade : J’écoute encore principalement du rap américain, mais je suis beaucoup plus à l’affût de ce qui se fait au Québec et en Europe depuis quelques années. Mes paroliers de prédilection sont Kendrick Lamar, MF Doom, Andre 3000 (que je mentionne dans FFreestyle, d’ailleurs) tandis que j’aime beaucoup les flows de Biggie Small, Snoop et plus récemment JID ou Smino. J’adore l’énergie de Playboi Carti et Young Thug. Au Québec, je suis un grand fan de KNLO, Eman, 20some. J’aime aussi beaucoup Imposs, Loud et Connaisseur Ticaso, Nate Husser, Skiifall et Tony Stone, entre autres. En France, je pense que personne n’accote Alpha Wann en ce moment. J’aime aussi Josman. En Belgique, j’ai écouté du Roméo Elvis, Damso, Cabellero & Jean Jass, mais je crois que mon rappeur favori est Swing de l’ODC. Plus récemment j’ai découvert le rap suisse, d’abord avec Varnish La Piscine, puis Slimka et Makala. J’aime énormément ce qui se fait là-bas. J’écoute également un peu de drill britannique, mais ce n’est pas un son que j’utilise beaucoup dans ce que je fais. 

PAN M 360 : Parle-nous de  des collaborations sur ce premier album?  

Franky Fade : Il y en a quelques unes!  

D’abord, j’ai travaillé tout au long de la création avec Sambé, qui a coréalisé l’album avec moi. Il a fait les beats pour Cellules, La perche, FFreestyle et le premier jet de Bon ami. Il a travaillé sur tous les autres aussi à une moindre échelle. Son apport m’a permis de maintenir une certaine cohérence à travers l’album, malgré des pièces souvent très contrastées. 

Ensuite, j’ai travaillé avec Miko sur Rewind. C’est lui qui a fait l’instru à partir d’une maquette que j’avais faite. Il est très bon dans ce genre de pop alternative. 

Sur Vertige, j’ai pris un beat que DoomX de Planet Giza m’a envoyé et on l’a réarrangé avec Sam, avant d’ajouter le pont où Arnaud Castonguay (OGB) joue des flûtes. 

D’ailleurs, Arnaud joue le solo de saxophone dans Métal. Il a aussi fait l’instru de Murder My Ego avec Sam et GreenPiece, un autre membre d’OGB. 

Il y a aussi Pops & Poolboy, de Clay & Friends, qui ont repris ce que Sam et moi avions fait pour Bon Ami et on refait toute l’instru. Ils ont composé plusieurs hits dans leur carrière encore jeune et je voulais ce genre de son un peu plus radio pour cette pièce. 

Finalement, il y a les invitations sur VVM; j’ai eu la chance d’avoir des couplets de Maky Lavender et SLM, deux de mes rappeurs montréalais préféré.es. Je voulais absolument avoir d’autres voix que la mienne sur cette chanson pour transmettre cette impression d’être dans une fête. 

Je veux aussi souligner le travail de Roberto Viglione au mix, son input a été créatif sur plusieurs chansons. 

PAN M 360 : Explique-nous l’évolution de ton style en tant qu’artiste solo depuis l’EP Diamonds, sorti il y a quatre ans?

Franky Fade : J’ai énormément développé mes habiletés d’écriture, de beatmaking et d’interprétation depuis ce premier projet. Je suis plus réfléchi dans mon approche, surtout dans les thèmes abordés et dans la construction d’un projet complet. Je pense que mes refrains sont plus forts mélodiquement et qu’il y a plus de constance dans la qualité des paroles. Musicalement, j’ai incorporé un son plus organique en modifiant ma voix ou des instruments pour les ajouter à tout ce qui est plus programmé. Ça donne un son un peu hybride que j’ai envie d’explorer davantage. 

PAN M 360 : Quelles sont les différentes ambiances de Contradictions? Grosso modo, comment décrirais-tu les principaux tableaux musicaux de cet album?

Franky Fade : Côté paroles, j’oscille entre la confiance, l’indépendance et la vulnérabilité et la remise en question. Ainsi j’ai essayé d’opposer des émotions positives (Rewind, VVM, Bon ami, La perche, Vésuve)  à d’autres plus difficiles à vivre (Métal, Vertige, Cellules, Murder My Ego). FFreestyle est une espèce d’épilogue, une synthèse de tout ça. Il y a des chansons  touchantes, d’autres font danser et d’autres où le rap plus technique est mis de l’avant. Pour un premier projet, j’ai voulu inclure tout ce qui me fait vibrer dans la musique, particulièrement le hip-hop. 

PAN M 360 : Quels sont tes sujets de prédilection? Que cherchais-tu à atteindre dans Contradictions?

Franky Fade : L’amour en est un qui revient de plusieurs manières. D’abord comme un objet dangereux que j’essaie d’éviter (Vertige), que j’apprends ensuite à apprivoiser (Bon Ami) et que je célèbre finalement comme quelque chose de magnifique (Vésuve). L’indépendance est aussi abordée plusieurs fois, dans Rewind, La perche et FFreestyle, notamment. Dans Murder My Ego, je réalise que cette indépendance a des limites et que j’ai besoin des gens qui m’entourent pour avancer. Il y a donc une progression assez évidente de ma manière de penser à travers cet album. Et c’est parce qu’en l’écrivant, j’ai réalisé plusieurs choses et fait pas mal de chemin. 

PAN M 360 : As-tu des chansons préférées sur cet album? Sinon peux-tu en décrire très sommairement deux ou trois?

Franky Fade : Mes coups de cœur changent souvent! Vésuve en est une dont je suis particulièrement fier. Je crois que j’ai réussi à créer quelque chose de touchant autant dans le texte que dans la musique. J’aime beaucoup La perche, une production de Sambé. En ce moment, j’ai aussi un penchant pour FFreestyle, je trouve que j’y suis très lucide. 

PAN M 360. Quels musiciens as-tu réunis pour ta tournée? Invités spéciaux? Comment as-tu aménagé le son de ton backup pour la scène? Qui fait les arrangements de scène? Quelles sont les différences avec le son de Franky Fade en studio?

Franky Fade : La tournée se fait à trois: Sambé à la guitare et au DJing, Alexis Gagnon à la batterie et moi-même à la voix et aux claviers. Quand on peut, comme pour les lancements au Ausgang Plaza, j’invite Arnaud Castonguay au saxophone + Maky Lavender et SLM pour VVM. On joue les pièces presque telles quelles, avec les percus jouées en hybride acoustique/électronique (Alexis a des triggers et un pad) pour ressentir l’énergie de la batterie sur scène  tout en restant fidèle au son studio. Je joue des claviers sur quelques pièces seulement et de la guitare sur une ballade inédite, qui devait être sur l’album, mais qu’on a gardé seulement pour les shows. À part quelques harmonies en séquence, toutes les voix sont interprétées en live. 

Les quelques arrangements sont conçus par moi mais dans les faits, c’est souvent Alexis qui réarrange sa partie de batterie pour que ça sonne mieux dans un contexte de show. On travaille ensemble. 

PAN M 360. Quelles sont selon toi les différences importantes entre ton projet solo et le groupe OGB à travers lequel nous t’avons découvert?

Franky Fade : Le son d’OGB est clairement plus influencé par le jazz que ma musique solo, plus proche de la pop. L’improvisation  est plus présente dans la musique du groupe,  l’instrumentation est plus dense et plus considérable. La musique de Franky Fade est un peu plus épurée, je crois. Pour les paroles, j’ai réussi à aborder des sujets beaucoup plus proches de moi dans cet album, alors qu’avec OGB, j’essaie souvent (inconsciemment) de représenter les 7 gars du band. 

PAN M 360 : Que se passe-t-il avec OGB?

Franky Fade : OGB est encore actif ! On a sorti un album en 2020 et avec la pandémie, mais on a pu commencer à tourner l’été dernier. D’ailleurs, on a diffusé une captation de notre dernier concert, le 26 novembre dernier. On compte pousser encore ce projet, mais on a déjà composé pas mal de musique pour la suite.

Crédit photo : Lian Benoit

FRANKY FADE SE PRODUIT LE 9 DÉCEMBRE, AUSGANG PLAZA

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