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Le compositeur George Crumb (1929-2022) était un iconoclaste, une sorte d’OVNI dans le monde de la musique. Quelque part entre Henry Cowell et Ligeti, il était de cette race de compositeurs qui savaient être à la fois avant-gardistes et attrayants en raison de leur approche profondément expressive de la musique de création. Là ou d’autre ne font que du bizarre pour quelques heureux élus qui pensent déjà de la même manière qu’eux, Crumb utilisaient les innovations sonores et interprétatives (avec, entre autre, ses partitions graphiques en forme de spirale ou de symbole Peace) afin de créer des univers sonores dans lesquels les mélomanes peuvent se plonger et ressentir un flot d’émotions et de sensations. Autrement dit, il était un compositeur du cœur avant d’en être un du cerveau.
Ce jeudi 20 juillet au Festival de Lanaudière, on rendra hommage à ce créateur exceptionnel qui demeure encore trop peu joué sur nos scènes. Pour l’occasion, un ensemble ad hoc formé de Maude Paradis, mezzo-soprano, Olivier Hébert-Bouchard, piano, Diane Bayard, violon, Stéphane Tétreault, violoncelle, Alex Huyghebaert, flûte, Mélissa Tremblay, hautbois et Charlotte Layec, clarinette donnera un concert musicalement chorégraphié afin de créer une trame narrative et dramatique liée à la musique de Crumb, mais aussi de celles de compositeurs dont il s’inspirait, ou même citait.
PAN M 360 a parlé avec le violoncelliste Stéphane Tétreault de ce concert.
PAN M 360 : Bonjour Stéphane. Qu’est-ce qui rend la musique de George Crumb si spéciale et intéressante?
Stéphane Tétreault : Son originalité mais aussi sa surprenante beauté. On ne s’attend pas à ça en regardant ses partitions, tellement précises, élaborées, presque scientifiques. Mais tout est conçu pour rendre la musique attrayante et remarquablement expressive. Oh, pas dans le sens de mélodies faciles aux harmonies moelleuses, mais plutôt une beauté transcendante, énigmatique et parfois onirique. On est dans le mystère. Et surtout pas dans une démarche cérébrale, froide et mécanique. Ce n’est pas du dodécaphonisme et du sérialisme formaliste et détaché. On est dans la communication directe avec l’auditeur.
PAN M 360 : On parle souvent des partitions graphiques de Crumb. Je me mets à la place du profane, peu habitué à la musique contemporaine : à quoi ça sert? Est-ce que ça influence réellement le résultat final? Est-ce qu’on entend la différence?
Stéphane Tétreault : C’est une bonne question, évidemment. Je pense que oui. Prenons par exemple une partition comme Makrokosmos, en forme de cercle avec des barres centrales (un symbole Peace). Cela véhicule une idée de l’infini, de la continuation et de la fluidité des lignes que l’on finit par vouloir recréer en concert. Au final, peut-être qu’on y parvient mieux qu’avec simplement des termes comme Fluide écrit au-dessus des partitions. En tant qu’interprètes, on est inspirés par ça, d’une manière ou d’une autre. Et, en fin de compte, ça sert la musique.
PAN M 360 : Qu’allez-vous jouer?
Stéphane Tétreault : Ce sera un panorama de sa production, conçu dans une séquence logique et thématique par Olivier Hébert-Bouchard. Il y aura des extraits de Vox Balaenae, la Sonate pour violoncelle seul, Makrokosmos, Night of the Four Moons et plein d’autres choses, mais intercalées avec des extraits de pièces de Chopin, de Strauss, de Bach. Crumb était fortement teinté par ces compositeurs du passé. Le « scénario » du concert, sans entracte, est appuyé sur le thème de la mort, un sujet qui prenait beaucoup de place dans l’esprit de Crumb. Mais attention, pas la mort morbide, non. Plutôt la mort comme transcendance, comme espoir d’autre chose, peut-être, sans égard aux croyances de chacun. La mort comme vecteur de positif, de beauté. La beauté, encore une fois.
PAN M 360 : À quoi les mélomanes empreints de curiosité devront s’attendre en allant au concert?
Stéphane Tétreault : Je pense que les gens seront envoûtés par cet univers. Crumb est un créateur de mondes uniques et prenants comme le sont Ligeti ou Claude Vivier.
PAN M 360 : Il est décédé l’an passé. Quel héritage laisse-t-il à la musique d’après toi?
Stéphane Tétreault : Deux choses. D’abord une innovation radicale de la pratique musicale, puis un côté humain et chaleureux en musique contemporaine. Oui, c’est une musique exigeante, qui réclame concentration et investissement d’attention des mélomanes, mais il leur offre en retour des expériences profondément bouleversantes.