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Sienna Dahlen (Crédit photo : Ricardo Hubbs)
Dóttir est un duo féminin, magnifique rencontre de l’électroacousticienne émergente Véro Marengère et de la réputée chanteuse, compositrice, improvisatrice, autrice et jazzwoman Sienna Dahlen. Deux univers sonores, deux générations, deux approches, un terrain nordique commun. Voilà certes un point fort de la programmation désormais virtuelle de l’Off festival de Jazz, présenté à Montréal ce week-end.
Sienna Dahlen en cause généreusement :
PAN M 360 : Pouvez-vous décrire vos intérêts pour la musique électronique, groupes, artistes, styles ?
SIENNA DAHLEN : Honnêtement, je n’ai pas écouté beaucoup de musique électronique dans ma vie ! Au cours des six dernières années, j’ai écouté des artistes comme Nicolas Jaar, Nils Frahm, James Blake et j’aime beaucoup les ambiances qu’ils créent. Radiohead a aussi toujours été une source d’inspiration pour moi. J’ai tendance à avoir besoin de plus qu’un simple « deep beat » pour maintenir mon intérêt pour une composition, donc la mélodie, la production, l’espace, le mouvement, la direction, l’ambiance, l’harmonie, jusqu’à un certain point, et la couleur sont tous des éléments qui m’intéressent. En général, j’aime l’obscurité, pour moi, c’est un bel environnement et les artistes qui créent cet effet sensoriel dans leur musique m’ont toujours attirée. Dans une certaine mesure, ce thème est également présent dans mon travail, tant dans les chansons que j’ai écrites et enregistrées au fil des ans que dans ce nouveau projet.
PAN M 360 : Quelle est votre vision du jazz et de l’électronique par rapport à ces exemples ? Certains artistes de jazz s’intéressent aux instruments électroniques depuis la fin des années 60 – tous les musiciens autour de Miles Davis pendant les concerts de la période In A Silent Way, Bitches Brew, etc.; Soft Machine au Royaume-Uni; Weather Report, Return to Forever, etc.; l’acid jazz dans les années 90 : Galliano, Ronny Jordan, Groove Collective, Stereo MC’s, Gilles Peterson, etc.; le Drum & Bass avec du jazz à la fin des années 90 : Roni Size, etc.; les musiciens endisquant pour Jazzland Records à la fin des années 90 et au début des années 2000 – Eivind Aarset, Nils Petter Molvaer, etc.; les musiciens d’électro-jazz : Cinematic Orchestra; les producteurs de jazz électronique hip-hop – J Dilla, Terrace Martin, Flying Lotus – et bien d’autres encore…
SD : J’aime et j’ai aimé écouter beaucoup des groupes/artistes que vous citez… Miles, Nils Petter Molvaer, Weather Report, Cinematic Orchestra, entre autres. J’ajouterais également Sidsel Endresen et Bugge Wesseltoft à cette liste. Je n’ai pas vraiment de vision de ce que devrait être le son du jazz rencontrant l’électronique. Je suis simplement le résultat de toutes les différentes expériences que j’ai eues. Mon travail avec des gens comme Christine Duncan et d’autres compositeurs/musiciens basés à Toronto où, pour la première fois, j’ai été exposée à la création musicale spontanée, à des techniques vocales étendues, etc. Mon travail avec DJ MHBee (Marie-Hélène Brousseau) dans notre duo Klardrøm m’a permis de mélanger ces techniques d’improvisation et de chant avec des pédales d’effets, des rythmes, des synthés, etc. Ma formation en jazz m’a appris à écouter en profondeur. Créer des contrastes, explorer le timbre, improviser, savoir soutenir et diriger, etc. sont autant de facteurs qui guident ma vision musicale. Au sein de Dóttir, j’ai le désir de garder les choses brutes, sans aucune censure. Cela ne veut pas dire que je n’essaie pas toujours de mettre 150 % de moi-même dans cette musique, je suis néanmoins excitée par les perspectives d’imperfection, c’est-à-dire que je ne me préoccupe pas de ma voix ou de la soi-disant beauté de la musique. Parfois, c’est le cas et c’est très bien aussi, mais j’essaie de ne pas en faire une priorité. Je m’efforce de puiser dans ma réaction au moment où elle surgit, authentique et primaire, et d’en tirer quelque chose de signifiant pour moi plutôt que d’imposer une sorte de direction intellectuelle prédéterminée.
PAN M 360 : Dóttir (qui signifie fille en islandais, n’est-ce pas) est-il une confluence entre l’électroacoustique/expérimentale/ambiante et la musique improvisée ?
SD : Cela signifie fille et, oui, je dirais que vous êtes sur une bonne piste… ☺
PAN M 360 : Parlez-nous de votre partenaire musical, Véro Marengère. D’où vient-elle ? Où vit-elle ? Quels sont ses propres goûts musicaux ? Quels styles exploite-t-elle ?
SD : Véro est originaire de Gatineau et elle habite actuellement Montréal. Nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, nous nous sommes rencontrées en janvier de cette année, grâce à Kathy Kennedy. Je suis réticente à commenter ses goûts musicaux à sa place, mais je dirais qu’elle a une vaste expérience de la composition et de l’interprétation de la musique électroacoustique. Dans sa notice biographique, elle dit « trouver un équilibre entre le traitement numérique et les sources organiques ».
PAN M 360 : Pouvez-vous nous décrire certaines de vos séances de travail, les instruments et outils utilisés, la contribution de chacune d’entre vous, tout l’esprit de ce projet ?
SD : La musique de Mûremers provient de deux ou trois jams menés juste avant le confinement en mars. Nous aimons bien jouer et enregistrer nous-mêmes de façon simple, lo-fi, sans pression. Nous ne pensions pas tirer un album de cette musique cependant, c’est sans doute pourquoi elle est si vivante. Nous voulions simplement documenter nos explorations. Lorsque nous avons commencé à réécouter ces séances, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup de moments spéciaux, certains longs, d’autres courts, certains explosifs, d’autres doux et harmonieux, certains naïfs et drôles, d’autres tristes et inquiétants. Nous avons couvert beaucoup de territoire émotionnel en peu de temps ! Mon équipement est très simple : j’utilise deux pédales de guitare TC Electronic qui ont des fonctions de delay, de réverbération, de boucle et de rembobinage, ainsi qu’un micro Beta SM 58A. J’ai également joué du mélodica et du piano acoustique lors de ces séances. Pour sa part, Véro utilise divers jouets pour enfants dans lesquels elle a inséré des micros, plusieurs mini-boîtes à rythme, des techniques de feedback contrôlé, des pédales d’effets, ainsi que sa voix par moments. Comme nous n’avions pas prévu mixer cette musique pour un album, mon micro et ses sons passaient tous par un seul canal sur sa table de mixage, ce qui a rendu les choses un peu délicates au stade de la post-production, mais nous avons accepté le processus et décidé d’accepter « ce qui était » comme « ce qui arriverait ». J’ai ajouté des parties vocales supplémentaires à quelques morceaux et, à certains endroits, nous avons superposé des morceaux provenant d’autres moments de nos jams pour créer un collage sonore varié, mais la plupart des pièces que l’on entend sur l’album sont telles qu’elles étaient au départ.
PAN M 360 : Ce projet a-t-il quelque chose à voir avec le free jazz, bien que le spectre des textures soit beaucoup plus vaste que ce que génèrent les instruments acoustiques ou électriques ?
SD : J’ai l’impression que nous sommes assez éloignées du free jazz (tel que je le connais) dans ce projet. Cela dit, l’improvisation est certainement ce qui occupe le plus grand rôle dans ce que nous faisons. Mes pédales sont numériques mais je crois que la plupart des machines de Véro sont analogiques. J’aime aussi parfois utiliser un son vocal non traité en plus des voix traitées par les pédales, avoir deux micros sous la main est donc idéal.
PAN M 360 : Est-ce un enjeu pour ce parcours musical, souvent redondant dans l’improvisation libre avec une instrumentation jazz « traditionnelle » ?
SD : Nous n’essayons pas de nous inscrire dans une catégorie et donc nous n’essayons pas d’adhérer à un style. Ce n’est pas un problème pour nous. Pas encore en tout cas !
PAN M 360 : Y a-t-il une structure dramatique dans ces dix pièces ? Comment avez-vous imaginé ce « récit » ?
SD : Comme je l’ai dit, nous n’avons pas cherché à créer un album ou une histoire avec cette musique. Le récit a fait surface tout seul et je crois qu’il a ses racines dans la beauté mystérieuse de la nature et l’absurdité du comportement humain. Je pense que nous avons tous des « thèmes » récurrents dans nos vies, et en tant que créatrices, nous utilisons souvent l’art pour exprimer certains de ces thèmes. J’essaie de toujours me mettre au diapason de la corde émotionnelle qui vibre en moi à un moment donné. Et si, par exemple, je sens que des mots dits sont nécessaires pour améliorer l’histoire, je lis différents poèmes et textes que j’ai écrits au fil des ans, mais je m’efforce à le faire d’une manière fraîche et nouvelle. Parfois, je me mets à parler, sans vraiment savoir ce qui va sortir. Dans d’autres cas, je tire certains mots ou phrases de livres qui m’ont inspirée.
PAN M 360 : Y a-t-il d’autres musiciens impliqués dans la version live de ce nouvel album, présentée à l’Off Festival de Jazz ?
SD : Nous allons jouer avec Claire Devlin (saxophone) et Ana Dall’Ara-Majek (thérémine) pour le concert, mais nous n’avons pas encore discuté de la participation d’autres personnes.
PAN M 360 : Pouvez-vous identifier quelques réalisations précises durant ce projet ?
SD : Du point de vue de l’éthique du travail, je suis fière que nous ayons pris le temps de réaliser ce projet à distance pendant le confinement. L’album a été entièrement réalisé et produit par nous-mêmes, (y compris l’image de la pochette que Véro a créée). Ce processus était une première pour moi. Je suis également heureuse que nous ayons la volonté et la capacité de faire découvrir cette musique au public (!). Que l’Off Festival de Jazz nous ait programmées et que Jeunesse Cosmique ait accepté de nous aider pour la parution est vraiment encourageant. Du point de vue du jeu, je suis fière de notre capacité à rester continuellement ouvertes à nos voix intérieures et à accueillir ces impulsions avec gratitude et confiance. Véro et moi avons des parcours musicaux assez différents, ainsi qu’une différence d’âge substantielle, pourtant, nous sommes capables de trouver un terrain d’entente musical et l’inspiration, ce qui est vraiment gratifiant et inspirant.
PAN M 360 : Et ces mots-clés ? Dottir et Mûremers ?
SD : Étant donné que nous nous identifions toutes les deux comme des femmes et que nous voulions un nom à la sonorité non conventionnelle venant d’une partie du monde nordique, Dóttir nous a semblé approprié. Quant à la façon dont nous avons choisi Mûremers comme titre, puisque nous sommes un duo bilingue, nous avons d’abord essayé de trouver un titre bilingue pour l’album. Après avoir passé en revue plusieurs listes de titres, nous avons finalement choisi Mûremers, que certains anglophones pourraient à tort prononcer « murmures », et notre musique peut parfois ressembler à cela, c’est pourquoi nous avons apprécié cette connexion. En outre, nous voulions que le titre saisisse la nature organique et fluide de notre musique, d’où « mers », qui sonne aussi comme « mères » (et dóttir, comme vous le savez, signifie fille), ce qui était aussi un jeu de mots intéressant. Et enfin, « mûre » fait référence au fait que nous sentons que cette musique est mûre et prête à être expérimentée… et nous aimons bien les mûres aussi !
VOIR LE SPECTACLE
3 octobre à 18 h sur la page Facebook de L’OFF Festival de Jazz de Montréal