Dominique Fils-Aimé : Three Little Words, suite et fin de la trilogie initiatique

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Chanteuse, parolière, compositrice, coréalisatrice, performer charismatique. Avec Three Little Words, Dominique Fils-Aimé boucle la boucle d’une trilogie initiatique dont l’objet est de retracer ses influences d’ascendance africaine, lointaines ou proches, conscientes ou inconscientes.

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Il y a exactement trois ans,  c’est-à-dire lorsque nous avions fait connaissance dans le contexte d’une première interview, Dominique Fils-Aimé n’aurait certes pu prédire le succès retentissant de Nameless (2018) et de Stay Tuned (2019), albums d’une trilogie dont le dernier chapitre discographique est rendu public en ce mois de l’histoire des Noirs. Three Little Words paraîtra le 12 février sous étiquette Ensoul Records, comme ce fut le cas des enregistrements précédents, et devrait mener à la chanteuse de déborder le cadre national… lorsque, bien sûr, les frontières seront déverrouillées.

La conclusion de cette trilogie,  parcours initiatique sur les traces de la culture africaine dans les Amériques, côtés blues, gospel ou jazz dans les deux opus précédents, est cette fois consacrée aux formes originelles de la soul et du  R&B.  Les nouvelles chansons écrites par Dominique Fils-Aimé se déploient  sur les thèmes de l’empathie, de la guérison, de l’amour comme arme suprême de la rédemption humaine. 

Devenue sans conteste une star du paysage culturel québécois, gracieuse, altière, charismatique, la chanteuse québécoise d’origine haïtienne, peut désormais s’affirmer  comme un illustre représentante de notre diversité, appréciée au plus haut point par un public vaste, hétérogène, transgénérationnel.

 
PAN M 360 : Comment vois-tu ton extraordinaire progression depuis trois ans, c’est-à-dire lors de notre première interview au coeur de l’hiver 2018 ?

DOMINIQUE FILS-AIMÉ :  « C’est incroyable que je sois rendue là aujourd’hui. J’ai été vraiment chanceuse que le monde ait embarqué dans mon projet. Ce qui est le fun d’autant plus, c’est de ne pas avoir touché une seule catégorie de personnes; mon public n’est pas une seule niche, il est super diversifié, constitué de différents groupes d’âge aux différents backgrounds. Au début je doutais sur mes chances de succès, aujourd’hui je sais qu’on croit en moi telle que je suis, je suis réconfortée par l’appui du public et du milieu de la musique. Je ne suis pas bonne pour feindre des choses, je suis incapable de faire semblant , alors voir que les gens m’acceptent avec mes qualités et aussi mes maladresses, je me dis que j’ai vraiment de la chance. »

PAN M 360 : Où en est le volet international de ta carrière ? 

DOMINIQUE FILS-AIMÉ : «  Avant la pandémie, nous avions commencé à tourner en Europe, ça avait bien fonctionné. Grâce à la plateforme Bandcamp, surtout avec le deuxième album, nous avons généré un certain intérêt aux États-Unis, un peu partout ailleurs – Singapour, Royaume-Uni, Japon, etc. Des labels d’ailleurs nous ont  alors contactés pour des collaborations, des ententes de licences. Ce  développement est organique en fait, c’est bien de ne pas toujours avoir à forcer les choses, et d’aller là où les gens nous aiment déjà, voir les portes s’ouvrir et suivre ce chemin. » 

PAN M 360 :  Comment situer la matière de Three Little Words, dernier volet de la trilogie ?

DOMINIQUE FILS-AIMÉ : «  Cette trilogie peut avoir l’air variée et éclectique, mais tout y découle de la même racine. J’ai suivi le filon. Nous avions commencé par le blues et des chants parfois plus sombres, puis nous sommes arrivés dans le jazz. Vint ensuite cette explosion de créativité, le jazz était le tronc duquel plusieurs branches ont poussé. Ainsi, cette liberté de création dans le jazz se retrouvait dans le R&B, la soul, le hip hop, aussi dans la percussion et autres instruments traditionnels qui vont droit au coeur. La trilogie explore donc les ramifications du jazz comme les racines de la musique noire. 

« C’était un peu une libération pour moi d’avoir parlé de mes racines,  je pouvais alors me donner le droit de parler de ce qui m’avait nourrie directement.  Le blues et le jazz avaient nourri mon subconscient, alors que le R&B, la soul, le hip-hop ont nourri mon conscient. Dans ce troisième album, mes influences  directes se retrouvent. C’est ce que j’explore, tout cet épanouissement musical et cet espoir généré chez moi. Je veux partager cet espoir et cet enthousiasme, aussi les mélanges de genres et cultures induits par ce terreau musical.  Je mets donc en relief ces musiques qui habitent mon âme et ce qui fait se joindre les âmes ensemble. La musique a ce pouvoir d’unification, car elle  touche profondément nos âmes. »

PAN M 360 : Et pourquoi pas le hip hop dans ce troisième album ?

DOMINIQUE FILS-AIMÉ : « J’ai convenu que le sujet du hip hop devait être pris seul, à part entière. C’est d’ailleurs le hip hop qui m’a le plus marquée, qui a pris le plus de place dans ma vie. C’est un bijou que je garde pour la suite, car l’impact du hip hop est plus chargé, c’est un genre aussi important que le jazz, c’est un message porté, c’est une nation pour ses artistes et ses amateurs. »

PAN M 360 : Les genres musicaux illustrés dans cette trilogie font désormais partie de l’imaginaire collectif, bien au-delà des communautés noires dans les Amériques, en Occident, en Afrique ou ailleurs dans le monde. Pourquoi n’as-tu choisi que des formes comprises de tous et toutes? 

DOMINIQUE FILS-AIMÉ : «  C’est la conclusion organique et rationnelle du chemin que j’ai entamé et où il m’a naturellement menée. J’ai choisi des musiques désormais universelles et unificatrices, qui touchent tout le monde. Je voulais que n’importe qui puisse s’y retrouver. Less is more, même pour le jazz dans notre musique. Nous n’allons pas dans la complexité mais dans le plaisir de jouer. Ma musique est une incitation à la rencontre, aussi à l’empathie entre les humains. Je veux participer à cette rencontre, je crois qu’il faille mettre un terme à ces rapports agressifs entre les gens qu’on observe sur les médias sociaux, entre autres. Je crois sincèrement que la musique a un pouvoir de guérison en ce sens. »

PAN M 360 : Côté textes (exprimés en anglais), de quoi est-il question dans ces 15 chansons nouvelles, ceci incluant une version très personnelle de Stand By Me en guise de conclusion ?

DOMINIQUE FILS-AIMÉ : « Dans les deux albums précédents, je voulais en mettre en lumière certains moments de l’histoire. Et surtout comment on pouvait se sentir face à ces moments. Dans celui-ci, plutôt  que d’exprimer l’émotion que suscite un moment historique, je suis allé chercher en moi ce que je ressentais au présent,  quel message je voulais partager à travers cette émotion exprimée.  On n’ose pas discuter de nos faiblesses, je l’ai fait. Je parle de notre guérison en tant qu’êtres humains et aussi la guérison des humains en général et de leur écosystème planétaire. Que conserver de notre système obsolète? Que faire pour l’avenir ? Je parle aussi de l’amour sous toutes ses formes, ça peut sembler naïf ou kétaine et… non ça ne l’est pas. J’ai fini par m’assumer! L’amour est quand même une valeur fondamentale de l’humanité. Ni la haine ni la peur n’arrangeront les choses, l’amour le fera. Il faut cultiver l’amour pour que ça aille mieux. »

PAN M 360 :Peux-tu nous en fournir des exemples de cette orientation prise dans Three Little Words ?

DOMINIQUE FILS-AIMÉ :  « Dans la chanson titre de l’album, il n’y a pas de mots parlés ou chantés, il y a de la voix et des percussions qui vont chercher les gens dans leur coeur et dans leurs tripes . Au fond du mix, on peut entendre un message subliminal en code morse qui signifie amour. Les sons communiquent ce message comme on le fait parfois dans les guerres ou les révolutions – en Colombie, par exemple, le gouvernement a déjà inclus dans une chanson diffusée à la radio un message de libération pour des otages.  Transmettre l’amour et l’espoir dans un message caché, à travers la musique.  

« Dans Being the Same, je rappelle que nous avons généralement tendance à souligner nos différences alors qu’au fond, il y a plus de similarités entre les humains que de différences.  C’est l’idée de retourner à l’humain en tant que tel. La chanson  We Are The Light dit qu’on est fait de lumière et que cette lumière avoir un impact sur le changement nécessaire. » 

PAN M 360 : Est-ce sensiblement la même équipe de musiciens qui a travaillé avec toi ? 

DOMINIQUE FILS-AIMÉ : « Nous avons fait de petits changements mais c’est le même noyau. De nouveau, Jacques Roy (bassiste et contrebassiste) a coréalisé l’album studio avec moi, il a travaillé aux arrangements de cordes et instruments à vent, il a même fait des prises de son. Moi, j’arrivais avec les maquettes, le concept de la chanson, les mélodies vocales, le texte. Après quoi, Jacques s’assurait que les musiciens puissent bien saisir de quoi il s’agissait. Jacques est un musicien très compétent, très sollicité, il  est aussi un très bon être humain. »

PAN M 360 : Après la trilogie?

DOMINIQUE FILS-AIMÉ : « Lorsque le dernier album a été conclu, j’ai eu le sentiment d’avoir fait mon trravail puis j’ai eu un down. J’ai ressenti le néant pour ensuite me rendre compte que je me trouvais plutôt dans la zone des possibles, des possibilités artistiques infinies. Ce plan-là est fini, c’est une chose de faite, je peux commencer à penser au projet projet. Je suis actuellement en train d’y réfléchir. Que suis-je devenue après ces années de création? De quoi aurais-je envie de parler ? 

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