Dan Snaith, Caribou, Suddenly…

Entrevue réalisée par Alain Brunet

2020 marque quinze années d’existence pour le pseudo de Caribou que porte Daniel Snaith, aussi connu sous les alias Manitoba (à ses débuts) et Daphni (encore maintenant). Suddenly, cinquième album de Caribou sous cette appellation, vient de paraître chez Merge Records et précède une tournée internationale actuellement en préparation.

Genres et styles : électronique

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  • lun 23 Mar 2020 • 20:00 (Annulé) Caribou • Kaitlyn Aurelia Smith MTELUS - Montréal

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NDLR : C’était le 2 mars 2020. C’était notre première interview internationale sur www.panm360.com et vous connaissez la suite… jusqu’ici: la pandémie nous ramène le même sujet, aussi pertinent 21 mois plus tard. Le programme Caribou / Kaitlyn Aurelia Smith prévu initialement a ainsi été reporté ce lundi 22 novembre 2021 – notons que l’excellente productrice, claviériste et compositrice élecro Kara Lis Coverdale remplace K A Smith. Voilà pourquoi nous vous ramenons pour les prochaines 48 heures ce texte… que vous n’avez fort possiblement jamais lu.

Joint à son domicile au Royaume-Uni avant le départ de ce tour du monde, l’artiste canadien nous cause de Suddenly en toute générosité.

À l’aube de la quarantaine, Dan Snaith est un créateur de premier plan, de surcroît heureux en couple et père de deux jeunes enfants. Tout baigne? Pas tout à fait : l’artiste se dit partagé entre la lumière générée par les vents favorables de l’existence et les nuages planant au-dessus de ses aspects les plus ingrats. Entre autres zones d’ombre, la perte de proches parents et le vieillissement d’êtres chers confèrent à Daniel Snaith de nouvelles responsabilités affectives et lui font traverser des épreuves difficiles.

« Dans la famille de ma conjointe et dans ma propre famille, explique-t-il, nous sommes les plus jeunes enfants. Or nous sommes soudainement devenus les membres forts et solidaires de nos familles, ce que nous n’avions jamais été auparavant parce que, justement, nous étions les plus jeunes. Au cours des dernières années le frère de ma femme est décédé d’une crise cardiaque. J’ai alors vu ma belle-mère faire face à cette perte et en souffrir.

« Durant cette même période, la sœur de ma femme a divorcé. Aujourd’hui, nous avons de jeunes enfants (trois et huit ans) et des parents âgés, je me sens partagé entre le bonheur de cette famille qui pousse et la mélancolie du passé de voir mes proches amorcer la dernière étape de leur vie. »

Quel est le rapport entre vie personnelle et Caribou ? Une source d’inspiration, bon gré mal gré.

« Quand je réécoute mon nouveau matériel, j’entends la tristesse provoqués par ces événements et les réflexions qui s’ensuivent. J’y ressens aussi l’effort à réconforter les personnes concernées. Ma musique renforce cette idée de réconfort, elle représente aussi pour moi une sorte de catharsis. »

Chez Caribou, donc, la pudeur a progressivement fait place à la transparence de l’émotion intime.

« Lorsqu’on se trouve au coeur de nouvelles chansons, pose-t-il, on observe sa disposition à partager des choses très personnelles et à les intégrer aux musiques et aux textes. Prenons l’exemple de Cloud Song, une réflexion sur ce que mon père a vécu; j’ai enregistré ce morceau pour moi-même parce que ça me faisait du bien. Au départ, je ne voulais pas rendre cette chanson publique parce qu’elle est trop personnelle, je n’étais pas à l’aise de la partager. Finalement, j’ai senti le besoin de le faire.

« Le dévoilement de cette intimité a graduellement pris de plus en plus de place au fil de mes albums précédents, mais cela a augmenté de façon spectaculaire dans Suddenly. Lorsque j’interprète ces chansons plus récentes, je le fais avec plus d’émotion, justement parce qu’elles sont plus crues, parce qu’elles sont liées à mon vécu, alors que la majorité de mes anciennes relèvent de la fiction. »

Transformer en matériau de création les émotions liées à sa propre existence, en somme, représente la principale avancée du chapitre Suddenly.

« C’est ce dont je suis le plus fier : me confronter personnellement à ces choses difficiles, me sentir assez à l’aise et honnête pour les écrire, les chanter et les partager, surmonter l’obstacle de la pudeur et, je l’espère, trouver une résonance auprès de mon public. »

Dan Snaith est ensuite invité à commenter sa progression en tant que musicien complet.

Rappelons que le récipiendaire du Prix Polaris (pour l’opus Andorra, lancé en 2007), s’était imposé pour sa polyvalence pop, tant sur le plan de l’instrumentation « classique » que de la lutherie électronique.

« Dans une certaine mesure, estime-t-il, très peu de changements sont observables dans Suddenly, la méthodologie reste la même. Par exemple, beaucoup de sons qui ressemblent à de la guitare proviennent en fait d’un logiciel conçu pour évoquer la guitare à partir d’un clavier. Nous vivons dans un monde où nous pouvons désorienter l’auditeur. »

Enclin à la création numérique depuis ses tout débuts, Dan Snaith n’a jamais déserté l’univers des instruments acoustiques ou électriques, celui des claviers analogiques.

« J’ai toujours eu l’impression d’avoir un pied dans les deux univers. J’ai grandi dans un petit bled de l’Ontario rural. Il n’y avait pratiquement pas de musique électronique où je vivais, c’est pourquoi je me suis d’abord intéressé au rock psychédélique et à d’autres styles comparables. À mon sens, il fallait tout essayer, de toutes les manières possibles; grunge rock, stage band scolaire, musique pour les mariages, DJing… Tout ce que j’ai pu faire, je l’ai fait. »

Si toute pureté stylistique est écartée sous les pseudos de Caribou ou Daphni, les travaux récents de Dan Snaith ne sont pas aussi éclatés qu’ils le furent à ses débuts.

« Je n’ai pas vraiment l’impression de penser consciemment à ce qui provient des mondes musicaux que j’aime. Tout semble s’accorder sans que je m’en préoccupe. Pour Caribou, cependant, il m’importe de créer des chansons dans un contexte de musique de danse. Écrire des chansons avec couplets, refrains, ponts et changements harmoniques, ce n’est pas très courant dans la musique de danse. »

La composition, opine-t-il lorsqu’on le lui suggère, l’emporte largement sur la performance technique :

« Je ne suis pas un bon guitariste, je suis un batteur correct, les claviers constituent mon principal domaine d’expression. Je ne répète plus sur mes instruments comme je le faisais tout le temps à l’adolescence. Je ne joue vraiment que lorsque nous tournons. Le but n’est pas d’être un guitar hero ou un virtuose du clavier mais de faire des bonnes chansons et de la bonne musique. »

Aurons-nous saisi que le jeu est essentiellement lié au processus de création ainsi qu’à la scène :

« Je pouvais jouer plusieurs fois la même partie jusqu’à ce que je trouve la bonne prise. Ensuite, je ne joue plus mes nouvelles chansons jusqu’à ce que je les joue en spectacle. En répétition, il m’arrive de ne plus me souvenir dans quelle tonalité sont ces chansons ou quels accords elles comportent. En fait, je pense davantage en termes de son et de mix rendu à ce stade. Généralement, vous savez, les groupes entrent en studio après avoir joué plusieurs fois leurs chansons en tournée. Pour moi, c’est l’inverse, je les joue jusqu’à ce qu’elles soient bien construites dans tous leurs aspects. »

Dans cette optique, Dan Snaith fait face à un conflit : apprendre ou désapprendre?

« Simultanément, il m’importe de maîtriser la création de meilleures chansons et de garder cette impression de ne jamais rien retenir, de toujours repartir à zéro, de saisir les choses au terme de multiples essais et erreurs. Ne pas avoir une idée claire de ce que je fais rend la chose ludique, amusante, créative, exploratoire. »

Soliloque pendant la création de Suddenly, Dan Snaith aime ensuite se retrouver avec ses vieux amis lorsqu’il s’agit de jouer devant public.

« Un seul musicien, précise-t-il, est venu en studio avec moi pour jouer de la guitare et du saxophone : Colin Fisher. Sur scène, je travaille avec le même groupe depuis 2009 : Ryan Smith, un ami d’enfance, auquel se sont joints Brad Weber et John Schmersal. C’est très important pour moi de jouer avec eux après des mois de solitude, cela devient très collaboratif quand nous apprenons à jouer avec des instruments ces chansons imaginées au départ avec des synthétiseurs et des machines. C’est formidable de voir ces chansons sortir du studio et amorcer une nouvelle vie. »

Impossible de conclure cet entretien sans parler du lien possible entre création musicale et hautes mathématiques, sachant que Dan Snaith est titulaire d’un doctorat en la matière :

« Plusieurs m’associent à l’ingénierie ou à un domaine du genre et… cela n’a rien à voir! Pour moi, les mathématiques et la musiques sont des jeux impliquant des idées ou des sons abstraits. Ces jeux me permettent de faire des liens, d’assembler des choses. Depuis l’enfance, j’aime me retrouver dans ces univers mentaux. Encore aujourd’hui, je vois la même connexion entre les mathématiciens et les musiciens. Je ne sais pas pourquoi ils vont si bien ensemble, mais il y a la notion de jeu dans ces deux disciplines. »

Et pourquoi Dan Snaith, esprit complexe s’il en est, se contente-t-il d’évoluer dans la culture de création pop, aussi raffinée soit-elle?

« J’écoute énormément de musique complexe et expérimentale, qui souvent exclut les éléments mélodiques. Mais… quand c’est moi qui suis le créateur, je ne peux résister à une mélodie pop. Ça fait profondément partie de qui je suis, ce sera toujours là. »

Caribou & Kaitlyn Aurelia Smith partagent le programme du lundi 22 novembre, 20h, au MTelus

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