Connaisseur Ticaso : le roi est mort, longue vie au roi!

Entrevue réalisée par Maude Bélair
Genres et styles : hip-hop / rap keb

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Plusieurs ont prétendu au trône du rap keb. Il y a neuf ans, le collectif Casse-Croûte recevait à Montréal l’Entourage, collectif de Paname qui comptait dans ses rangs les jeunes Nekfeu et Alpha Wann. En 2016, les Francofolies de Montréal avaient accueilli une foule électrisante pour la Sainte Trinité du moment ; Loud Lary Adjust, Dead Obies et Alaclair Ensemble. Il y a à peine quelques semaines, le jeune rappeur Jeune Loup succombait sous les balles alors que son tube intitulé Sensuelle avait atteint le million de vues sur Youtube. 

Alors la question reste ; qui est le véritable roi du rap keb ? 

Pour plusieurs, la réponse est bien simple ; c’est le rappeur originaire de Montréal-Nord, Connaisseur Ticaso. Bien que considéré comme une authentique figure de proue du gangsta rap montréalais, il surprend tout le monde le 1e janvier 2020 à minuit en larguant son tout premier album, intitulé Normal de l’Est. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Son premier album devait originalement paraître en 2008, mais un séjour en prison a mis le projet sur pause. Toutefois, l’artiste avait déjà bien assis sa réputation en sortant de multiples mixtapes et en participant à des collaborations (comment oublier le classique Sur le corner ?). Pour plusieurs, Ticaso était le dernier des vrais.  

Sur le projet, on peut écouter la chanson La rue m’appelle encore, continuation de la chanson La rue m’appelle qu’il avait sorti en single il y a bientôt dix ans. La réponse fut immédiate et largement positive ; le rap old school faisait un retour en force. En entendant Ticaso parler de la rue, de la violence et des armes en cette période très inquiétante de leur prolifération exponentielle, nous ne pouvons que nous poser la question suivante : Ticaso promeut-il ce style de vie violent ou le condamne-t-il ? Le rappeur est très clair à ce sujet ; il n’a pas à avoir honte de son histoire. Et raconter celle-ci n’encourage pas les jeunes à s’engager dans des activités criminelles, il ne fait que raconter la vérité, sa vérité. 

Ce samedi 11 septembre, il se produit à l’Astral dans le cadre des Francos de Montréal aux côtés du rappeur White B (5Sans14). Alors que l’événement affiche complet, PAN M 360 s’est entretenu avec lui pour parler de JAY-Z, de standards et surtout de ses bons et moins bons coups. 

PAN M 360 : Peux-tu me parler un peu de ta jeunesse ? 

Connaisseur Ticaso : J’ai vraiment eu une super belle enfance, je n’ai jamais manqué de rien. Déjà à neuf ou dix ans, je rentrais tard le soir sans prévenir ma mère… Je me faisais fouetter un peu, mais ça en valait tellement la peine! Après, j’ai déménagé à Saint-Léonard ; elle a décidé de retourner à l’école et ma tante habitait déjà tout près.  Par la suite, j’ai été au secondaire dans Montréal-Nord. C’était très nice, mais c’est là que la violence a commencé.  Dans le temps… ça faisait partie de notre quotidien, c’était presque normal pour nous.  Je n’ai pas de mauvais souvenirs concernant cette période, si ce n’est que la mort de mon ami en 98. 

PAN M 360 : Normal de l’Est est sorti après presque dix ans d’attente. Lors de ton retour, les gens ont dit que tu venais récupérer le trône du rap keb. Ç’a t’as mis la pression, cette attente ? As-tu été surpris de la réponse positive des gens ? 

Connaisseur Ticaso : L’intérêt m’a surpris, oui. Je savais quand même qu’il y avait beaucoup de fans qui continuaient de m’écouter, plein de gens m’écrivaient pour savoir quand j’allais sortir quelque chose… Je savais bien que les gens m’attendaient et surtout, je savais que j’avais déjà fait mon nom dans la game. Mais côté pression… je n’avais pas peur. Je suis tellement difficile, mes standards sont tellement élevés pour le rap… personne ne peut mettre de pression sur moi, je m’occupe déjà de ça. Il y avait même beaucoup de chansons où les gens me disaient : « Ah, c’est trop bon ce que tu fais! » et dans ma tête je me disais « Ah ouain? C’était pas fou mais ouais ça allait ». De toute manière, je sais que si je suis satisfait de mon album, je peux vivre avec le reste. Je suis tellement à confiant, pas seulement avec mes skills de rap, mais aussi avec ma critique du rap que si j’aime ma chanson, je ne prends pas l’avis des autres en considération. Si je n’avais pas été satisfait de mon projet, je n’aurais pas fait de come-back

PAN M 360 : Avant, ton souhait était de produire de la musique de manière complètement indépendante, un peu à la JAY-Z dans le temps de Roc-A-Fella. Au fil du temps, tu as réalisé que c’était plutôt difficile, voire impossible à faire. Pourquoi as-tu rejoint les rangs de Joy Ride Records au final ? 

Connaisseur Ticaso : Premièrement, je crois que c’est vraiment Joy Ride qui est rendu au top, je trouve. C’est même une question en fait ; ils ont 5Sang14, y’a moi, y’a Imposs, y’a Loud… 7eME Ciel est deuxième.  Après, je ne crois pas que c’est impossible de produire indépendamment sa musique mais pour moi, mon style de vie, la seule manière de devenir indépendant aurait été de retourner au crime. Et je ne voulais pas ça. Ce que je voulais, c’est avoir une équipe derrière moi qui m’aide, qui m’épaule pour pas que je fasse juste ça de mes journées. Deuxièmement, je n’aurais jamais signé personne d’autre que Joy Ride parce que Carlos m’avait déjà rencontré cinq ans auparavant et j’ai vu que ce gars-là était un vrai. Je n’aurais pas pu signer avec quelqu’un qui profite de la culture et qui ne pense pas comme moi. 

PAN M 360 : Ton premier album devait voir le jour en 2008 mais un détour en prison t’a fait mettre ce projet sur pause. Tu étais même censé faire une tournée en France, qui elle aussi a malheureusement été annulée. Penses-tu parfois que ta carrière aurait pris un virage totalement différent si tu y étais allé ?

Connaisseur Ticaso : Non, moi je pense que tout a été fait comme ça devait être fait. Je suis un gars très spirituel, ça veut dire que je ne veux pas retourner dans le passé, regretter des choses… De toute manière, en ce temps-là, je ne prenais pas du tout le rap au sérieux. Pour moi, le rap venait après la rue, je pouvais faire trop d’argent, tu comprends ? Si j’étais allé en France en 2008, je n’aurais peut-être pas été assez bon, peut-être que j’aurais fait les mauvais choix, j’étais trop dans le crime. En plus, l’album qui était sur le point de sortir en 2008 est vraiment moins bon que Normal de l’Est, je n’étais pas assez focus dans le temps. Mais maintenant, je crois que c’est le parfait timing. 

PAN M 360 : Tu avais déjà dit dans une entrevue que « le game du rap keb ne m’intéresse plus » que pour toi, la prochaine étape était la France. Tu crois toujours ça ? 

Connaisseur Ticaso : Non parce que comme j’ai disparu de la game et que celle-ci a changé, il faut que je reprenne mon travail ici avant d’aller en France. Dans le temps, je trouvais que j’en avais déjà fait assez pour ici, tu comprends ? Donc, je dois me rétablir ici, mais j’ai toujours envie de la France, de l’international. J’aime la compétition, je veux voir l’arène du rap français.

PAN M 360 : Tu aimerais collaborer avec qui ? 

Connaisseur Ticaso : Je te donne un scoop : je prépare un feat avec Kennedy pis aussi… Bon l’autre, je ne vais pas te le dire. Y’a quelques artistes en France qui respectent ce que je fais donc ça va se faire organiquement. 

PAN M 360 : Tu l’as dit toi-même ; tes attentes en termes de rap sont très élevées, tu aimes quelque chose de distinct qui respecte tes codes du rap. Tu as déjà dit que tu ne respectes pas le « rap de gentil », rap nouvellement populaire qui s’intéresse davantage aux rimes, aux mélodies, au vocabulaire. Tu penses encore ça ? 

Connaisseur Ticaso : Le hip-hop, pour moi, c’est de raconter quelque chose dont on ne connaît pas. C’est trois choses en fait : soit tu m’apprends quelque chose, soit que ton côté technique est irréprochable ou soit que tu me fais party. Mais oui, tout le monde peut faire du rap mais là c’est mon côté rappeur qui parle ; dans le temps, si tu n’étais pas respecté dans le quartier, tu ne prenais pas le micro. Voir ce monde-là faire du rap faible, sans valeur, sans force… je trouve que ça ne représente pas du tout la culture. Donc moi, en tant que compétiteur, je les attaque, je les battle parce que c’est ça l’énergie du rap. Si le rap de Montréal c’est juste du monde du Plateau… 

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