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Le Camerounais Blick Bassy, fondateur de The Jazz Crew et surtout Macase, un groupe phare du Bantou-Groove, manie la pop avec une touche de peintre, particulièrement depuis le début de sa carrière solo en 2006. Sa palette de base est celle de ses racines, des couleurs et de la lumière traditionnelle de son pays d’origine, mais auxquelles il ajoute des traces d’électro (de plus en plus présentes), de groove et de funk. Mais ce qu’il insuffle le plus fortement à ses albums, ce sont des thèmes centraux à connotation socio-politique très volontaire.
Dans Madiba, c’est l’eau qui est le socle discursif, grandement canalisée vers un effet panoramique impressionnant grâce à une trame sonore aux ambitions quasi symphoniques. Dans l’album précédent, 1958, il rend hommage à Ruben Um Nyobé, un héros de la lutte anticoloniale camerounaise, mais en vérité il en profite pour approfondir le lien avec ses racines et son identité.
À quelques jours de sa visite au Festival international Nuits d’Afrique, ainsi qu’au Festival d’été de Québec, le chanteur, auteur-compositeur, producteur, guitariste et percussionniste, mais aussi auteur, cinéaste et acteur sociopolitique (il a été récemment nommé co-directeur de la Commission mémoire sur le Cameroun instituée par Emmanuel Macron) m’a parlé non seulement de musique, mais aussi beaucoup communauté, d’humanisme et de l’importance de faire partie de la »chaîne du vivant ». Explications.
PAN M 360 : Vos albums prennent une tournure militante, d’engagement sociopolitique et d’éveil de conscience. Pourquoi et à quand remonte ce besoin d’implication?
Blick Bassy : À l’époque de Macase, j’ai toujours mis de l’avant une écriture conscientisée, pour parler des problèmes qui empêchent l’émancipation de l’humain. Depuis le début de ma carrière solo, j’ai tout simplement renforcé ma démarche. Je me dis que puisque j’ai une tribune grâce à mon métier artistique, autant l’utiliser pour partager mes réflexions sur ce qui peut nous permettre d’atteindre, peut-être un jour, une sorte d’osmose en tant qu’humains. J’ai envie d’amener les gens à être sensibilisés sur l’importance pour chaque personne de faire partie de la chaîne du vivant. Nous sommes tous contributeurs et dépendants de cette chaîne.
PAN M 360 : Qu’est-ce qui stimule en vous le choix d’un sujet?
Blick Bassy : C’est un processus. Une chose en amène une autre. Prenez dans les dernières années par exemple. Dans mon album 1958, je poursuivais une quête personnelle pour mon identité, ce qui m’a amené à questionner la nature de mes racines camerounaises. Qu’est-ce que cette nation? Que représente-t-elle? Dans un sens, c’est un espace identitaire créé et nommé par d’autres, les colonisateurs qui en ont déterminé les contours géographiques, puis par le fait même, la nature socio-politico-culturelle. À partir de là, je me suis aussi demandé comment on peut s’approprier cet espace imaginé et lui donner une vie renouvelée dans le jeu contemporain des nations. Mais cette fois, selon la perspective des Camerounais, selon leur vision et leurs idéaux. À travers la figure de ce militant anticolonial assassiné en 1958, c’est tout cela qui se matérialise en mots et en musique. J’en arrive finalement à demander comment peut-on faire pour vivre en paix, dans une reconnexion commune, Camerounais et Français, à une chaîne du vivant qui soit solidaire, en se solidifiant mutuellement.
Dans Madiba, l’eau est une sorte de continuation du questionnement suggéré dans 1958. L’eau est une métaphore puissante de la chaîne. C’est un lien sans lequel nous ne pouvons pas vivre. Elle est en chacun de nous, en chaque élément vivant de l’ordre naturel! Comme dans une chaîne, comme avec l’eau, nous ne pouvons nous extraire de la chaîne sans nuire à nous même et aux autres. Les conflits sont de cet ordre : un retrait de certains groupes de la chaîne du vivant, de la chaîne de dépendance. Et les conséquences sont désastreuses. C’est le chaos.
PAN M 360 : Ça marche? Avez-vous l’impression de faire une différence?
Blick Bassy : Je pense que l’art entre par effraction dans les cœurs et dans les cerveaux. Il permet de préparer au dialogue. On abaisse les défenses de tout un chacun en utilisant un moyen de communication qui détourne l’attention en offrant le plaisir et même la transcendance. Ça peut créer des prédispositions favorables à la rencontre de l’autre. Je demeure optimiste oui. Les idées derrière l’album 1958 sont rejetées par plusieurs en France. Ça reste une histoire méconnue, celle de la période coloniale et de ses effets sur les populations locales. Des Français se sentent heurtés car ils ont l’impression qu’on leur demande une sorte de repentance à tout moment. Mais avec la musique, je sens que l’on peut parler de manière apaisée. C’est le dialogue qui est ainsi stimulé. C’est toujours le dialogue qui manque dans les conflits.
PAN M 360 : Justement, le président Emmanuel Macron vous a récemment nommé co-directeur de la Commission mémoire sur le Cameroun, une instance qui aura pour mandat de documenter la décolonisation du Cameroun et la répression menée par la France à l’époque. Comment ressentez-vous la responsabilité reliée à ce rôle?
Blick Bassy : C’est en effet une énorme responsabilité que j’ai accepté de porter avec humilité. Nous devons parcourir le territoire camerounais, aller à la rencontre de nos pères, de nos mères, de frères, de nos sœurs et leur offrir l’occasion de parler sans peur. Ce sont des personnes que l’on n’a jamais écouté. C’est un travail psycho-thérapeutique mais aussi un travail d’archivage de la mémoire de l’histoire du Cameroun, mais aussi de l’histoire commune avec la France. Cela permettra de réaliser un véritable dialogue constructif, de ramener deux communautés dans un chaîne du vivant partagée. Je me sens chanceux de porter cette mission.
PAN M 360 : Cela dit, la situation sociale actuelle en France est contradictoire, non? Comment vous sentez-vous face au fait que ce même état qui vous permet d’effectuer ce travail de mémoire est associé à un dispositif sécuritaire perçu comme violent et discriminatoire par une partie de la population, surtout d’origine africaine?
Blick Bassy : Je constate que les appareils de gouvernements peuvent prendre des mesures positives parfois. Il faut sauter sur l’occasion. Mais il est vrai que la France souffre en ce moment. Elle souffre beaucoup. On ne se mettra pas la tête dans le sable. Beaucoup se sentent rejetés par ce pays. Et d’autres se rassurent en déchargeant le poids de leurs responsabilités sur des boucs émissaires. Il y a un chaos dans ce pays. Dans une France normale, tout le monde devrait se lever pour dénoncer un acte de violence inacceptable. Et il ne devrait pas y avoir de cagnotte pour celui qui a tiré (une levée de fonds en ligne à récolté plus d’un million et demie d’euros pour le policier). C’est un exemple de sortie de la chaîne du vivant dont je parlais. Il n’y a plus conscience du lien qui unit tous les humains, malgré leurs différences. Et tout ça part d’une déstructuration des états soumis à la loi du capitalisme moderne, qui n’a pas intérêt à ce que les gens comprennent tous les enjeux. Il n’y survivrait pas. On amuse, on détourne l’attention, mais on laisse plein de gens sortir du vivant, de la chaîne de relations et de communauté. Le capitalisme ne s’intéresse pas à régler ce problème. Il vend plus en amenant les individus à ne pas se préoccuper de ces choses.
PAN M 360 : Revenons à la musique. Je constate une évolution de plus en plus affirmée vers l’électronique dans vos récents albums, surtout le plus récent, Madiba. Pourquoi cette progression?
Blick Bassy : Vous avez raison. Depuis plusieurs années, je souhaite utiliser les outils que la technologie nous offre afin d’explorer des espaces sonores nouveaux, inédits. J’aime me considérer comme un artiste africain avant-gardiste, sans prétention. Je cherche à amener les miens à sortir du cadre général africain dans lequel on nous attend. Le milieu de la musique en Afrique n’est pas structuré. Nous n’avons pas d’espaces pour aider les artistes à explorer et triturer les sonorités. Moi, je suis en France et j’ai accès à des espaces de ce type. Je souhaite donc en profiter au maximum afin d’apporter quelque chose d’autre à la marque Afrique en musique. De plus, ce la permet de créer, encore une fois, une chaîne entre ma culture d’origine, ses traditions, la langue, etc. et l’autre, le non Africain pour qui tout cela est étranger. Grâce à ces sonorités, il sera plus réceptif à ce dialogue que je souhaite entamer.
PAN M 360 : J’entends un univers sonore que j’associe avec l’afrofuturisme, ce courant culturel qui embrasse surtout la littérature et les arts visuels. Sentez-vous une connexion avec ce mouvement?
Blick Bassy : C’est intéressant, car dans ma démarche, j’essaie de penser le futur également. Mais pour moi, l’afrofuturisme, c’est avant tout la reconnexion avec la tradition en utilisant des outils modernes! Pour avoir un futur, nous devons reconstruire une base solide sur laquelle nous projeter dans le temps. Pour le moment, notre structure de base a un grave problème : elle a été construite par d’autres! Alors, oui, je peux me rattacher à ce courant, mais mon approche est différente.
PAN M 360 : Merci Blick Bassy, et bienvenue au Québec!
Blick Bassy : Merci, j’ai très hâte d’y être.
BLICK BASSY SE PRODUIT AU THÉÂTRE FAIRMOUNT, CE JEUDI, 21H / INFOS ET BILLETS ICI