Bernard Lavilliers sous un soleil énorme, entretien sous un soleil minuscule

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : chanson / pop de chambre / tango nuevo

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Sous un soleil énorme est paru en novembre dernier sous étiquette Romance/Universal. Depuis lors, ce 23e album studio signé Bernard Lavilliers éclaire, chauffe, nourrit les esprits dans la pénombre envahissante du solstice d’hiver. D’où l’intérêt d’en savoir davantage sous un soleil minuscule.

Joint en France, Bernard Lavilliers cause brièvement à PAN M 360 de son 23e album studio, d’inspiration d’abord argentine. Trois mois passés à Buenos Aires et toute une pandémie passée à Paris ont conduit le septuagénaire à créer un album « trans-pandémie », pour reprendre l’expression du principal intéressé.

En studio, se sont joints à Lavilliers l’auteur-compositeur et arrangeur Romain Humeau (Eiffel) ainsi que les compagnons de route que sont Georges Baux, Xavier Tribolet ou Michael Lapie. Les invitations au micro ratissent large :  deux jeunes Stéphanois du groupe Terrenoire, Izïa Higelin, Gaëtan Roussel, Hervé, l’ex-footballeur Eric Cantona, le Quatuor Ebène, Victor Le Masne, Jérôme Coudane de Deportivo, c’est dire la constellation Lavilliers.

Voilà onze titres incluant l’adaptation dylanesque d’une chanson de boxe écrite en 1963, onze textes au carrefour de la chronique éditorialisée et du ressenti poétique. As consacré de la chanson reportage comme on le sait, Lavilliers y chante ses perceptions inquiètes de la conjoncture planétaire, ses récits de voyage et autres diffractions autobiographiques.  L’album se conclut sur L’Ailleurs  de Jérôme Coudanne, un thème qui s’impose de plus en plus lorsqu’on atteint les trois quarts de siècle.  

Malgré l’âge qui avance inexorablement, malgré le corps qui se fatigue un peu, Lavilliers continue d’incarner ce « chanteur politique », à la fois poète et pamphlétaire.  Il demeure cet aventurier romanesque qui nous « balance des flashs ». Il est cet auteur-compositeur qui penche à gauche et use d’un lyrisme modéré. 

Sans allégeance directe il va sans dire, libre pensée oblige.

PAN M 360 :  Comment cela a-t-il été vécu dans le contexte de cette pandémie?

BERNARD LAVILLIERS : C’est un album trans-pandémique. J’ai commencé avant à Buenos Aires, j’ai continué à Paris pendant le confinement, avec les difficultés qu’on a connues. Et donc… c’était un peu bizarre comme album. 

PAN M 360 : Qu’en est-il du choix de l’Argentine comme immersion créative? 

BERNARD LAVILLIERS :  Depuis le temps que je voyage, je connais à peu près tous les pays d’Amérique latine, mais j’avais gardé l’Argentine un peu à part. Également,  je connaissais plein d’Argentins  qui me semblaient un peu différents des autres. Je me suis dit cette fois qu’il fallait me poser dans ce pays pendant un moment. 

PAN M 360 :  Et ce ne fut pas un court voyage !

BERNARD LAVILLIERS : J’y suis resté 3 mois. Je n’y connaissais personne, ça m’a permis de m’oublier et de découvrir  Buenos Aires, une ville qui a beaucoup souffert sous un régime militaire comme on le sait. On se promène à pied dans cette ville. Je marchais jusqu’à la nuit et je rentrais en taxi. Le soir, je sortais aussi  car il y a énormément de salles de concerts, cafés-théâtres, clubs et autres endroits. Malgré les conditions économiques qui ont souvent été très difficiles, l’activité culturelle est vraiment intense à Buenos Aires. 

PAN M 360 : Comment le processus créatif s’est-il installé?

BERNARD LAVILLIERS :  Je m’infiltre. Je ne m’impose pas. Je rencontre toutes sortes de gens. La plupart des musiciens que j’ai croisés viennent des classes populaires, ils sont dans la réalité des choses. Il y a eu aussi la découverte d’auteurs, écrivains. Les conversations avec des chauffeurs de taxi. Me trouver loin de chez moi me mène au besoin d’écrire. Au bout de 8 jours là-bas, j’ai commencé par Le piéton de Buenos Aires. Puis j’ai rencontré des musiciens avec qui j’ai fait mes premières maquettes. Nous avons travaillé dans un studio situé loin du centre de Buenos Aires. J’étais allé au Théâtre Colon de Buenos, dont l’orchestre de l’opéra est excellent. J’avais rencontré la patronne pour lui dire que je reviendrais pour enregistrer les arrangements et ainsi visiter la ville. Après je suis parti à New York et puis je suis rentré en France.

PAN M 360 : Les séances argentines en studio n’ont pu constituer tout le nouveau répertoire, donc. 

BERNARD LAVILLIERS :  En Argentine, en fait, j’ai composé quatre ou cinq chansons, dont Noir Tango et Les Porteños sont fatigués. J’aurais dû rentrer en France pour ensuite repartir en Argentine et y enregistrer les cordes. Mais il y a eu le « garde à vue » du Covid. C’est donc en France que j’ai fait Toi et moi,  Corruption ou Voyages

PAN M 360 : Pouvez-vous nous raconter quelques passages de la séquence française de Sous un soleil énorme ?

BERNARD LAVILLIERS : J’avais convoqué mon groupe le 14 juillet suivant, à la campagne, dans ma grange aménagée en studio. Ça nous avait fait du bien de rejouer ensemble. J’ai travaillé avec Romain Humeau à son studio de Bordeaux, la musique de Voyages  et le texte de Corruption. Pour Le Cœur du monde, on a essayé différentes versions harmoniques, comme des peintres qui retouchent lentement leur toile. 

En octobre, il y a eu le couvre-feu. Du coup, j’ai fait venir des gens chez moi. On a également beaucoup travaillé par internet. On a enregistré les cordes à Londres… en Zoom. Je n’aime pas ça… J’ai besoin d’être sur place, ça va plus vite en face à face. Et puis ce fut de plus en plus difficile car il fallait tout faire par internet, et donc le processus était plus lent. Lorsqu’on est tous en studio, il y a la chaleur humaine, l’énergie, la rapidité. Car je ne suis pas quelqu’un qui traîne en studio. Avec Internet, il faut se téléphoner et souvent recommencer. Ce doit être plus facile pour la musique électronique alors que pour nous, musiciens électriques ou acoustiques, ça peut être frustrant. 

En décembre 2020, j’avais quand même presque tout écrit. Le mixage fut très long… 

PAN M 360 : Pouvez-vous relever les qualités de vos principaux collaborateurs?  

BERNARD LAVILLIERS : Avec Romain (Humeau), ça fait le troisième album sur lequel on travaille.  Lui-même est un auteur-compositeur, il a également fait de hautes études en musique. Il en sait beaucoup plus, il est plus cultivé musicalement que moi. De mpn côté ça se passe plus à l’instinct et j’en sais pas mal en musique. 

George Baux, le Toulousain, est un collaborateur et compagnon depuis fort longtemps. Lui, il est à la fois ingénieur du son et musicien. Mais d’abord ingénieur du son je dirais; c’est le meilleur preneur de voix que je connaisse. Et après il y a Michael Lapie, mon batteur,  et mon clavier Xavier Tribolet. J’ai rencontré également les mômes du duo Terrenoire. Comme moi, Raphaël et Théo Herrerias sont Stéphanois. J’assume complètement cette chanson créée avec eux; j’ai écrit ma partie, la seconde du couplet, tout ce qui me concerne sur la ville de Saint-Étienne. J’ai aimé écrire sur une ville que j’ai quittée il y a fort longtemps pour faire de la musique, aux côtés de ces deux frangins, petits-fils d’immigrants espagnols et ouvriers.

PAN M 360 : Une fois de plus, donc, votre méthode s’impose; le voyage, l’inspiration d’Amérique latine, le mélange des genres et des générations.

BERNARD LAVILLIERS : C’est comme ça que je suis.  Il faut aussi que je voyage pour écrire, y a rien à faire. Et je ne veux jamais refaire le même album avec seulement des gens de ma génération.

PAN M 360 : Une trempette dans ce répertoire ?

BERNARD LAVILLIERS : J’ai fait Qui a tué Davy More,  de Bob Dylan, écrite en 1963 et qui fut adaptée en français par Graeme Allright. J’ai choisi cette chanson pendant que je réécoutais des tas de mes vinyles. Je voulais rendre cet hommage à cet immense auteur-compositeur, mais je ne pouvais pas le faire seul. Alors avec mes invités nous avons chacun joué un rôle : Gaëtan Roussel a fait l’arbitre, j’ai fait le manager salaud qui laisse monter boxeur malade sur le ring, le footballeur Éric Cantonna a fait le journaliste, Izïa Higelin a incarné la foule, Hervé a joué le boxeur adversaire de Davy More, mort sur le ring. Cette chanson reportage dépasse l’événement, c’est une chanson politique où l’auteur cherche à éclaircir la responsabilité de ses acteurs.

PAN M 360 : Voilà effectivement un des moments de pensée critique de Sous un soleil énorme.

BERNARD LAVILLIERS : De manière générale, ce disque s’inscrit dans le réel de la période que nous traversons, même avec la reprise de Dylan qui reste d’actualité un demi-siècle plus tard. Et comme on l’entend dans la chanson Corruption, un type droit pourrait presque passer pour un con aujourd’hui. C’est donc un album ironique par moments, on le constate encore sur Beautiful Days, où le crooner incarne un narrateur qui se fout de la gueule des politiques. Les nôtres.

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