A Place To Bury Strangers : Gravir le mur du son

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon
Genres et styles : expérimental / noise-rock / shoegaze / space-rock

renseignements supplémentaires

NDLR: Le groupe A Place t Bury Strangers se produit ce vendredi 3 juin au Ritz PDB, nous ramenons pour vous l’interview réalisée par Patrick Baillargeon.

À l’instar de bien d’autres, 2020-2021 fut une période assez difficile pour A Place To Bury Strangers et son leader Oliver Ackermann. Covid, confinement, le groupe qui se désintègre… Plusieurs se sont dit que c’était la fin du parcours pour les APTBS. Et pourtant le groupe noise/shoegaze, qui n’en est pas à ses premiers bouleversements, s’est servi de cette crise pour mieux rebondir, revenant à la charge avec le EP Hologram et deux nouveaux membres à bord, le bassiste John Fedowitz et son épouse, la batteuse Sandra Fedowitz. 

Formé en 2002, le groupe le plus bruyant de New York semble donc bien décidé à poursuivre ses expérimentations soniques au-delà de 2021, cette nouvelle incarnation se voulant un retour aux efforts les plus bruts et les plus chaotiques de APTBS.

Rencontré dans son atelier de Queens, encombré de guitares déglinguées, de toutes sortes de machines et de câbles de différentes couleurs, le sympathique savant fou Oliver Ackermann nous a parlé de cette nouvelle mouture, de son laboratoire de pédales d’effets Death By Audio et de son nouveau label Dedstrange. 

PAN M 360 : Il y a eu quelques changements chez APTBS l’année dernière. Dion Lunadon, bassiste avec le groupe depuis 2011, et la batteuse Lia Simone Braswell ont quitté le navire et ce sont John et Sandra Fedowitz qui ont pris la relève. Dirais-tu que c’est un nouveau départ pour APTBS ?

Oliver Ackermann : Je dirais que oui. J’ai grandi en jouant de la musique avec John, donc ces deux-là font partie de mes meilleurs amis. Chaque fois que je passe du temps avec John et Sandra, on s’amuse comme des fous. Ils ont un groupe très cool qui s’appelle Ceremony East Coast et qui est un peu le même genre de groupe que APTBS. Ils savent donc ce qu’est APTBS. C’est comme si on remontait dans le temps avec le groupe. C’est comme une forme pure d’APTBS. C’est vraiment amusant et naturel avec eux et je suis tellement excité par ce qui s’en vient. Tu sais, on a toujours ce genre de doutes, on se demande si ça va vraiment marcher, ce qui va se passer… Là je dois dire que je suis agréablement surpris par tout ce qui se passe.

PAN M 360 : Quand ont-ils rejoint le groupe ? 

Oliver Ackermann : C’est arrivé au début de la quarantaine, ça doit faire un an environ. On a enregistré beaucoup de nouveaux morceaux, on a travaillé sur des trucs pour de futures tournées.

PAN M 360 : Qui sont ces deux-là ? À part leur groupe Ceremony East Coast, j’ai vu qu’ils sont aussi cuisiniers ?

Oliver Ackermann : Oui, oui ! J’ai grandi en Virginie avec John. Nous étions dans ce groupe appelé Skywave il y a longtemps. Il était le batteur mais aussi un auteur-compositeur incroyable. Il est demeuré en Virginie après mon départ pour NYC et il a fini par être à la tête d’une entreprise de restauration, travaillant dans les cuisines de restaurants. Lui et Sandra ont aussi lancé leur propre petite entreprise de sandwichs. Ils continuent donc à jouer de la musique parce qu’ils s’amusent et qu’ils peuvent se le permettre d’une certaine manière… Après avoir bâti APTBS au fil des ans, c’est devenu une sorte de compagnie qui peut s’autofinancer, et c’est un peu un luxe en quelque sorte. Je fais ça parce que j’aime ça. C’est une question de passion, de la musique que je veux entendre et de faire des choses qui me plaisent avec cette musique. Donc avoir l’opportunité de travailler avec ce genre de personnes fait qu’on ne se retrouve pas dans le genre de conflits que l’on peut avoir avec des musiciens qui font de la musique pour être populaires ou pour faire de l’argent… C’est cool de travailler avec des gens qui n’ont pas ces objectifs bizarres. Tu sais, parfois tu joues dans des groupes où certains musiciens veulent être payés plus, avoir plus d’argent pour ce qu’ils font. Je comprends, bien sûr nous espérons tous gagner plus d’argent sur certaines tournées mais on ne peut pas vraiment garantir ce genre de choses. Je préfère me concentrer sur la création de trucs vraiment géniaux, donc c’est bien quand on trouve des gens qui partagent ce genre de vision. 

PAN M 360 : C’est pour ça que Dion et Lia sont partis ?

Oliver Ackermann : Il y a toutes sortes de raisons; des choses qui se sont accumulées au fil du temps, des non-dits… J’ai eu quelques conflits avec Dion et les choses sont devenues un peu bizarres, je me suis senti un peu abandonné par tout ce scénario. Ce sont des choses qui arrivent quand on traîne avec des gens depuis longtemps. Vous devenez de bons amis avec eux, mais parfois mélanger amitié et travail n’est pas une bonne idée. On espère passer de bons moments avec ses amis dans un groupe, on voudrait que ce soit pour toujours, mais parfois la relation tourne au vinaigre…  

PAN M 360 : Eh bien, tu pourrais te retrouver dans ce genre de situation avec ton vieil ami John dans ce cas !

Oliver Ackermann : (rires) Ouais… Tu as raison… Peut-être que la différence est que John et moi nous nous connaissions avant de faire de la musique, alors que Dion et moi nous nous sommes rencontrés en tant que musiciens qui voulaient collaborer sur un projet ensemble. Donc avec John, c’est plus naturel parce que nous sommes des amis avant tout. Je ne pense pas que Dion et moi aurions été amis si nous n’avions pas fait de musique ensemble. 

PAN M 360 : Parle-moi d’Hologram. C’est votre 13ème EP. Comment a-t-il été conçu ? 

Oliver Ackermann : Eh bien, on a été frappé par la quarantaine, tout était fermé ici à New York, j’ai attrapé le virus du Corona, et tout ça a perturbé mon cycle temporel. Je me levais à 3 ou 4 heures du matin, alors je me suis plongé dans l’écriture de musiques, l’enregistrement… Et chez Death By Audio on alternait le travail à l’atelier, alors j’ai eu beaucoup de temps pour construire des circuits, je jouais et enregistrais de la batterie tous les jours. J’enregistrais toutes sortes de choses différentes, juste en expérimentant. Le groupe venait de se séparer, je ne savais pas vraiment ce que l’avenir me réservait. J’ai donc enregistré environ 80 ou 90 chansons que je trouvais vraiment bonnes et j’ai monté un album avec ça, puis j’ai monté un EP avec certaines des chansons restantes. Mais avec le nouveau groupe qui se formait, nous jouions beaucoup et j’ai pensé que ce serait mieux d’écrire quelques chansons ensemble. C’était plus excitant, c’était frais et nouveau. C’est donc le résultat de ce qui s’est passé : tout a été complètement chamboulé, New York a été chamboulée, j’ai été chamboulé de ne pas savoir ce que ma vie allait devenir avec la séparation du groupe… On peut donc entendre cela sur certaines chansons de l’EP, ce genre de chansons contentieuses et énervées, mélangées à d’autres plus positives. Je suppose que c’est juste de la musique pour supporter un moment bizarre et effrayant.

PAN M 360 : La deuxième chanson du EP, I Might Have, ressemble étrangement à Song 2 de Blur. Était-ce intentionnel, une sorte de clin d’œil ?

Oliver Ackermann : Non, pas du tout. Ce genre de choses m’est déjà arrivé auparavant. J’ai fait des musiques qui sonnaient comme d’autres trucs, mais c’est plus fort que moi. Quelqu’un m’a raconté cette histoire d’un long voyage à vélo où ils avaient oublié leur Ipod, ils n’ont donc pas eu de musique pendant un mois. Mais il me disait que c’était plutôt cool parce que de toute façon, ton esprit joue toutes sortes de musiques quand tu fais des choses. J’ai entendu cette histoire il y a des années et depuis, je ne cesse de le remarquer. Ça m’arrive tout le temps ! Je me promène, je vais dans le métro et j’entends toutes sortes de chansons folles. Je suis sûr que nous sommes tous influencés par toutes sortes de choses sans le savoir ou sans le remarquer. Alors oui, il est difficile d’éviter certaines similitudes entre une chanson et une autre. Nous en sommes à un point dans la musique où presque toutes les chansons ou mélodies ont été écrites. Les similitudes sont donc difficiles à éviter.

PAN M 360 : L’album est sorti sur Dedstrange, qui est un label que tu as récemment créé avec quelques personnes. Était-ce quelque chose que tu avais l’intention de faire depuis un certain temps ?

Oliver Ackermann : Oui, c’est quelque chose auquel j’ai toujours pensé. Tu sais, quand tu travailles avec des labels, il y a toutes sortes d’avantages mais aussi toutes sortes d’inconvénients. J’en ai eu vraiment assez de toutes ces normes avec les maisons de disques, je pense souvent qu’elles te font te concentrer sur les mauvaises choses. Souvent, il s’agit de faire sa propre promotion, de sortir son disque à un moment particulier parce que c’est plus avantageux, ou d’avoir quelqu’un qui te dit « oh, je ne sais pas si j’aime vraiment cette pochette d’album »… je ne voulais plus entendre ça. Je voulais juste me débarrasser de toute cette influence. Je voulais juste une liberté totale, pour faire ce que je veux, même si c’est stupide. Je pensais que ce serait une forme d’expression plus pure si nous faisions les choses avec notre propre label. Et puis nous avons aussi vite réalisé que nous pouvions aider beaucoup de groupes que nous aimons vraiment et qui sont dans une situation similaire ou qui ne reçoivent pas l’aide qu’ils devraient recevoir. Quand nous avons obtenu un contrat de distribution avec Red Eye, ça nous a donné un gros coup de pouce. J’ai donc monté ça avec deux de mes amis, Mitchell O’Sullivan, de Berlin, et Steven Matrick qui est de New York. 

PAN M 360 : Jusqu’à présent, quels groupes ont été signés sur le label ?

Oliver Ackermann : À date, nous avons signé Jealous et Plattenbau de Berlin, Data Animal d’Auckland, Wah Together (avec à son bord un ex LCD Soundsystem et un Rapture) de New-York, et quelques autres que nous sommes sur le point de signer.

PAN M 360 : Tu fais des remixes ici et là, le dernier en date étant Death Racer de Data Animal (ré-intitulé Death Raver pour l’occasion), mais tu as aussi fait le mastering du dernier album de Paul Jacobs, Pink Dogs on the Green Grass. Comment cela s’est-il produit ?

Oliver Ackermann : Nous avons joué dans une sorte de festival ou quelque chose du genre à l’extérieur de Montréal, je ne me souviens pas exactement mais c’est là que j’ai vu Paul Jacobs et j’ai pensé « oh man, ce groupe est tellement génial ! ». Nous avons donc fait un peu connaissance avec eux. Et puis nous avons joué un autre concert avec eux et c’était tout aussi incroyable. Ensuite Steven, qui fait aussi partie du label, a commencé à aider Paul Jacobs, en essayant d’organiser une tournée avec eux et nous, et il m’a dit que Paul voulait quelqu’un pour faire le mastering de l’album et m’a demandé si ça m’intéressait. Paul a ensuite enregistré quelques pistes de batterie pour moi, qui vont apparaître sur de futurs morceaux de APTBS, je suppose que c’est un geste pour me remercier d’avoir fait le mastering de son album. Je pense que c’est un musicien incroyablement talentueux.

PAN M 360 : Tu as également été très occupé avec Death By Audio. Tu crées des pédales d’effets mais aussi des synthétiseurs il paraît. 

Oliver Ackermann : Nous ne nous sommes pas vraiment concentrés sur cela, mais nous en avons construit un certain nombre que nous utilisons parfois avec APTBS en concert, ce sont des synthétiseurs à l’intérieur de boîtiers ou de guitares, ce sont des synthétiseurs basiques, on peut pratiquement faire ce qu’on veut avec.

PAN M 360 : Quelle est la dernière pédale à être sortie du laboratoire Death By Audio ? 

On est en train de concevoir des pédales pour le festival Levitation, ce qui est plutôt cool. Elles ont un son psychédélique super fou ! On a fait ça avec eux il y a quelques années aussi. Au départ c’était comme une blague ou un défi lancé par un des employés; j’ai dit « ce serait tellement facile de faire ce son dingue en mettant ce filtre et une boucle de feedback de delay », et il a dit « ça va être nul ». Alors j’ai simplement câblé tout ça et c’était juste malade ! Je me suis dit « oh ils vont adorer ça à Levitation ! ». Ça sonne comme un rêve psychédélique… Les gens ont besoin de nouveaux sons tout le temps, donc je pense qu’il est logique d’en créer. Nous avons conçu beaucoup d’effets au cours de la quarantaine.

PAN M 360 : Je me demandais si tu connaissais Mile End Effects et Soratone de Montréal. Deux petites entreprises locales, l’une appartenant à un musicien et l’autre à un technicien de son. Ils créent des pédales faites à la main comme vous le faites chez Death By Audio. 

Oliver Ackermann : Non, je n’ai jamais entendu parler d’eux. Ça a l’air cool, je vais noter ces deux noms et les rechercher pour sûr. Je découvre toujours de nouveaux trucs dingues. Tu sais, quand tu construis des effets, tu réalises que tu peux construire presque tout ce dont tu rêves et le faire fonctionner comme tu le souhaites, donc je pense qu’il y a assez de place pour des milliers de fabricants d’effets. Ce qui est utile pour certains artistes est différent de ce qui est utile pour d’autres. J’aime la façon dont ces deux mondes se rencontrent : les créateurs de musique et les créateurs d’instruments se poussent mutuellement à essayer de créer quelque chose de nouveau et de fou. Si tu aimes créer des pédales d’effets, à priori tu aimes aussi faire de la musique. 

PAN M 360 : Des plans à court ou moyen terme pour APTBS ?

Oliver Ackermann : Oui, on a quelques dates aux États-Unis, un petit festival, un show à Berlin et je vais aussi jouer de mon côté avec Yonatan Gat qui monte un truc avec Brian Chase des Yeah Yeah Yeahs. Les choses se mettent en place petit à petit, mais pour le moment j’ai vraiment hâte de jouer tous ces trucs déments qu’on a fait avec le groupe ! 

(photo : Heather Bickford)

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