classique / post-romantique

Le niveau supérieur de l’Orchestre de Philadelphie

par Alain Brunet

On peut en témoigner au sortir de ce programme présenté vendredi à la Maison symphonique, il y a un lien fort entre Rachmaninov et l’Orchestre de Philadelphie. Le maestro Eugene Ormandy, chef principal à Philly de 1938 à 1980, a dirigé la première mondiale des Danses symphoniques en janvier 1941 en la présence du compositeur russe transplanté aux USA depuis la révolution bolchévique. Sous la baguette d’Ormandy, l’Orchestre a enregistré trois de ses concertos pour piano entre 1939 et 1941. Le maestro Leopold Stokowski a aussi enregistré deux versions du deuxième concerto pour piano de Rachmaninov.

On comprendra le choix de l’exécution réussie de la Symphonie No 2 pour cette tournée de l’Orchestre de Philadelphie, à l’évidence toujours l’un des 5 plus importants sur le continent nord-américain – le fameux Big Five.

On en constate l’envergure en temps réel, chaque section se trouve à un niveau supérieur aux moyennes internationales en matière symphonique. Bien sûr, il peut y avoir à redire sur de menus détails mais grosso modo, on se pâme devant cette supériorité orchestrale. On admire toutes les sections de l’Orchestre, on se range particulièrement du côté des cordes dont la richesse timbrale, l’articulation d’ensemble et la maturité collective sont tout simplement exemplaires.

On voyait Yannick Nézet-Séguin se réjouir de tant de beauté pendant qu’il dirigeait cette œuvre post-romantique, une œuvre archi-connue, même pour plein de gens qui ne l’ont jamais clairement identifiée et qui pourraient pourtant en reconnaître l’air principal de son 3e mouvement, adagio magnifiquement interprété vendredi soir. Or cette œuvre relève d’une esthétique beaucoup plus proche de la deuxième tranche du 19e siècle que du milieu du 20e . Cette musique plutôt retardataire plaisait tant à l’élite mélomane nord-américaine et aux producteurs d’Hollywood.

En première partie de programme, on a eu droit à la 4e Symphonie de la compositrice afro-américaine Florence Price (1887-1953), authentique pionnière de sa communauté dans le monde classique, que YNS a d’ailleurs enregistrée avec l’Orchestre de Philadelphie. À l’instar des compositeurs de sa générations aux USA, on pense notamment à George Gershwin, Florence Price entreprit d’intégrer à une approche post-romantique certains éléments de la culture populaire afro-américaine et de son répertoire sacré, d’où la singularité de cette esthétique qui fut rapidement récupérée par Hollywood et les séries télévisées… et qui fut méprisée par l’élite mélomane, vous vous en doutez bien.

Crédit photo: François Goupil

classique / période moderne

L’OSL et Naomi Woo : un parcours énergique au Nouveau Monde

par Alexandre Villemaire

Pour son troisième et avant-dernier grand concert de sa saison, l’Orchestre symphonique de Laval recevait comme cheffe invitée Naomi Woo, dont la dernière présence au podium remontait à mars 2023 où elle avait remplacé au pied levé Mélanie Léonard dans un programme mettant en lumière les compositrices pour la Journée internationale des droits des femmes.

Cette fois-ci en pleine maîtrise du programme, la maestra et l’orchestre ont offert au public lavallois un programme ancré dans des mondes musicaux de l’Amérique plurielle. Car, ce n’était pas que de la musique dite américaine, mais des Amériques, qui était mis de l’avant. Il convient à ce titre de souligner l’intelligence du programme proposé par Woo, qui conjugue à la fois élément connu – avec la Rhapsody in Blue et la Symphonie du Nouveau Monde -, et moins connu avec les deux pièces d’ouverture; deux œuvres de compositrices aux langages musicaux contemporains, mais qui demeurent accessible et cohérent dans l’unité thématique qui est tissé durant le concert.

Ainsi, l’orchestre a offert un départ explosif avec la très courte pièce Hullaballoo de Jocelyn Morlock. Composé dans le cadre des 150 ans du Canada, le caractère chaotique et angoissant de la pièce contraste avec le propos supposément festif entourant sa composition. Une manière pour Morlock selon Naomi Woo, d’exposer l’histoire compliqué du pays de la feuille d’érable. S’ensuivit l’Elegia andina de Gabriela Lena Frank.

Puisant dans ses origines culturelles sino-péruviennes, la compositrice accorde une place prépondérante aux percussions ainsi qu’aux vents dans cette œuvre pleine de contrastes. Le martèlement des sabots traversant les montagnes de la cordillère des Andes est soutenu par une enveloppe sonore portée notamment par les flûtes (excellents Benjamin Morency et Jean-Philippe Tanguay). Dans les deux cas, ces pièces proposent une musique d’effets où le timbre des différents instruments de l’orchestre est présenté avec différentes techniques de jeu, notamment pour les cordes, souvent sollicitées dans le suraigu en jouant sul ponticello ou encore par des attaques très percussives. 

Pour illustrer la portion états-unienne du concert, Naomi Woo a eu l’idée de programmer la Rhapsody in Blue de George Gershwin avec la pianiste jazz Lorraine Desmarais comme soliste invitée afin qu’elle présente « sa » version l’œuvre. Cette portion du concert à véritablement mis de l’avant son jeu pianistique, l’orchestre et sa cheffe ne se limitant qu’a quelques interventions, laissant le champ libre à la pianiste. Une fois le premier thème exposé, Lorraine Desmarais, que l’on voyait visiblement habitée par cette musique, a laissé libre cours à son sens de l’improvisation, égrenant au fil de ces longs interludes pianistiques des thème musicaux de la pièce, mais aussi des extraits d’autres chansons connus du répertoire de Gershwin, tel Summertime et I Got Rhythm

Les plus puristes pourraient se demander si intégrer le style de jeu de Lorraine Desmarais, qui n’est pas représentatif du style de l’époque de Gershwin, dans une pièce qui ne porte pas forcément l’étiquette jazz, était une bonne idée. Même si nous pouvons noter un certain décalage stylistique l’expérience esthétique de voir une des grandes jazzwomen du Québec, s’approprier le matériel musical de Gershwin, le manipuler et le transformer en y juxtaposant différents thèmes aux caractères variés avec aplomb a offert une version de l’œuvre qui avait le mérite d’être audacieuse et rafraîchissante.

La Symphonie du Nouveau Monde d’Antonín Dvořák qui est venu clore la soirée a mis en valeur l’énergie débordante de celle qui est entre autres cheffe associée à l’Orchestre de Philadelphie et récemment directrice musicale de l’Orchestre national des jeunes du Canada. S’il y a un mot qui devrait venir qualifier la performance de Woo, c’est vélocité. Dès le premier mouvement, on perçoit le caractère et la direction active qu’elle donne à l’œuvre en maintenant une tension et un roulement constant au niveau de l’orchestre. Ce caractère offre un panache et un écrin éclatant dans l’Allegro molto et l’Allegro con fuoco et une dimension plus active et engagé dans les passages plus lents. Ce fut le cas notamment du fameux deuxième mouvement, légèrement plus allant qu’à l’accoutumée. Ce choix déstabilisant permet néanmoins à Naomi Woo de jouer avec les textures et les dynamiques pour créer des éléments de surprises et de contrastes au sein du discours musical. Notons à cet effet la fin du deuxième mouvement où le fameux thème du cor anglais est repris par les cordes, mais ici dans un traitement extrêmement intimiste à la manière d’une musique de chambre, qui vient parfaitement contrebalancer le tempo plus actif du début. 

Généreuse dans ses intentions, audacieuse dans sa direction artistique, nous avons là une cheffe dynamique et expressive qui demande beaucoup de ses musiciens en allant tirer le maximum de leur jeu avec une intelligence interprétative énergique et contrasté, tant dans les moments les plus intenses que dans ceux nécessitant une extrême délicatesse. Avec un Orchestre symphonique de Laval en grande forme, manœuvrant toujours dans une salle, qui, bien que pratique et fonctionnelle, ne rend pas justice à ses ambitions, nous avons eu droit à un concert bien ficelé réfléchi et enlevant duquel on ressort immanquablement avec des airs mémorables en tête.

 Crédit photos – Annie Diotte

Université de Montréal | L’au revoir grandiose de Jean-François Rivest

par Elena Mandolini

La Salle Claude-Champagne de l’Université de Montréal était pleine à craquer samedi soir pour assister à un concert exceptionnel. Non seulement le programme était ambitieux (on proposait la deuxième symphonie de Mahler), c’était également le dernier concert de la saison de l’Orchestre de l’Université de Montréal (OUM), et le dernier de Jean-François Rivet comme chef, celui-ci prenant sa retraite à la fin de la session universitaire. Pour toutes ces raisons, il fallait souligner l’occasion en grand. Quelques 250 musicien.ne.s se sont réuni.e.s sur scène pour faire vibrer les murs de la Salle Claude-Champagne de leur interprétation remarquable de cette Symphonie de Mahler.

S’il fallait décrire cette œuvre de Mahler en un mot, ce serait probablement contrastes. Contrastes de nuances, de ton, de taille aussi. L’OUM transmet parfaitement toutes ces subtilités. Malgré le grand effectif, les nuances pianissimo le sont véritablement. Dans cette deuxième symphonie, en particulier dans le premier mouvement, on retrouve plusieurs mélodies superposées, que se partagent les différentes sections de l’orchestre. L’équilibre entre ces sections est excellent, ce qui nous permet d’entendre chacune de ces mélodies distinctement. Les instruments graves, notamment les contrebasses, sont le moteur de cette œuvre, et, tout au long de la soirée, on les entend porter l’orchestre avec une précision sans failles.

Si le premier mouvement est dramatique et puissant, le deuxième est plus joueur, s’apparentant à une danse. On admire cette capacité de l’OUM de passer de la puissance sans bornes à la retenue, sans qu’il en perde pour autant de sa précision. Jean-François Rivest guide ces transitions avec des gestes très évocateurs, fidèle à la précision qu’on lui connaît. Le troisième mouvement laisse place à de beaux échanges de la mélodie entre différents instruments. Là encore, les moments de montée en intensité, plus chargés et touffus, ne sont jamais confus. Le volume qu’atteint l’orchestre est par moments renversant. Dans le quatrième mouvement, l’orchestre accompagne très bien Mireille Lebel, mezzo-soprano. Ce mouvement, très court se termine tout en délicatesse avec un son doux et enveloppant. On salue l’exécution de la dernière note de ce mouvement, qui semble s’évanouir, sans jamais vaciller.

Puis, le cinquième mouvement demande un retour en force. On y retrouve la même énergie et puissance que dans le premier mouvement, mais avec encore plus de grandeur. Dans ce mouvement, des cuivres doivent jouer en coulisses. La Salle Claude-Champagne n’étant pas tout à fait adaptée à cela à notre avis, ces instruments sont peu audibles, mais l’écho des coulisses crée un très bel effet. Dans ce mouvement intervient également un grand chœur. C’est là qu’on retrouve un bémol. L’exécution des nuances douces donne l’impression que le chœur hésite. On aurait apprécié un peu plus de certitude dans les entrées du chœur dans les passages doux et presque a cappella, en accompagnement de la soprano Layla Claire, et plus de puissance dans les derniers instants de l’œuvre, fortissimo. Mais la symphonie se termine de manière grandiose, avec, entre autres, une impressionnante section de cuivres et quelques accords à l’orgue.

La soirée était tout à fait à la hauteur des événements à souligner. L’OUM a de nouveau démontré son grand talent et sa capacité à relever haut la main d’ambitieux défis. Il s’agissait là d’un très bel hommage à Jean-François Rivest pour sa dernière soirée à la barre de cet orchestre.

Pour connaître le calendrier des événements de la Faculté de musique de l’Université de Montréal, c’est ICI!

Willows et Soleil Launière : Une soirée post-éclipse lumineuse

par Michel Labrecque

Dans le cadre des soirées Plateau Double au bar le Verre Bouteille du Plateau Mont-Royal, les chanteuses et compositrices autochtones Willows et Soleil Launière nous ont conviés à une introspection de leurs racines qui s’est révélée lumineuse en cette journée historique d’éclipse totale. Michel Labrecque y a assisté.

D’abord, une confession : Willows, alias de Geneviève Toupin, fait partie de ma famille élargie. Je ferai de mon mieux pour rester objectif…

La chanteuse métis originaire du Manitoba inaugurait ce plateau double avec une formation en trio : le batteur Vincent Carré, le bassiste Guillaume Bourque et Geneviève aux guitares et avec sa voix unique. 

Elle nous a livré l’essentiel de son album de 2023, Maison Vent, qui se veut une synthèse de ses différentes identités : métis, franco-manitobaine et désormais québécoise et montréalaise. Elle nous a raconté des tas d’histoires pour mettre tout cela en contexte. 

Pour compenser l’absence des magnifiques harmonies vocales et des arrangements somptueux de Maison Vent, Willows et ses deux comparses ont présenté une version plus brute, plus rock de certaines chansons, mais avec beaucoup de créativité musicale. Le public a apprécié, à en juger par les applaudissements. 

Geneviève Toupin, c’est d’abord une voix, qui a la capacité de transmettre beaucoup d’émotions variées, juste par ses différentes inflexions et intonations. Quand elle chante a capella, c’est comme si on assistait a une éclipse solaire…sonore. 

Après le concert de Willows, place à l’artiste multidisciplinaire Soleil Launière, une Innue de Mashteuiatsh, au Lac St-Jean. En octobre dernier, elle a fait paraître Taueu, un album qui mélange racines et musiques synthétiques, tradition et modernité. Soleil Launière est issue d’une mère québécoise et d’un père Innu. Elle n’a pas d’autre choix que de mélanger les cultures.

Également dramaturge, Soleil offre un spectacle à la fois musical et théâtral. Parfois, elle crie, met son corps en scène. La musique aussi revêt des aspect théâtraux. Parfois, on jongle avec la saturation sonore.

Au fait, pour accompagner la chanteuse, on retrouve le groupe Chances, composé de Chloé Lacasse (synthèse-voix), Vincent Carré (batterie)…et Geneviève Toupin (synthés-voix) ! Il y a aussi l’excellent guitariste et arrangeur Simon Walls. Tout cela donne de magnifiques harmonies vocales qui remuent l’intérieur. La salle était peut-être trop petite pour absorber un groupe aussi puissant. 

Soleil Launière nous fait partager sa redécouverte de ses racines. Elle est en train d’apprendre la langue de ses ancêtres, que son père ne parlait pas. On sent une artiste qui est en train d’explorer et qui n’a pas fini de nous surprendre. 

Après plus de deux heures de musique, le public semblait repus et très content. Après l’éclipse solaire, l’éclipse musicale autochtone. Tout un 8 avril!

classique persan / musique contemporaine

L’Iran féministe de Bahar Harandi

par Frédéric Cardin

Le 2 avril dernier, un concert de découvertes et d’affirmation féministe a eu lieu à la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal. La soprano montréalaise, d’origine iranienne, Bahar Harandi était accompagnée d’Amir Eslami au ney (flûte traditionnelle iranienne), Saba Yousefi au violon et Hooshyar Khayam au piano. À travers un répertoire constitué d’oeuvres contemporaines écrites par autant de compositrices irano-canadiennes, c’est tout un univers inspiré des racines persanes et de sa richesse historique qui nous a été présenté. Quelques pièces traditionnelles arrangées pour ney et piano ont débuté le concert, plongeant les spectateurs dans un décor sonore exotique mais aussi relativement près de la musique de Gurdjieff/Hartmann, du début du 20e siècle. Les autres pièces au programmes, de Parisa Sabet (née en 1980), Aida Shirazi (née en 1987) et Mina Arissian (née en 1979) ont démontré un très bon niveau de savoir-faire, allant du consonant de Sabet à l’expressionnisme plus exigeant de Shirazi, avant de revenir aux inspirations scriabiniennes de Arissian. 

Les textes, plusieurs de Rumi, sont utilisés de façon symbolique dans le contexte de ce concert, même si leur prémisse initiale n’avait pas ces velléités. Par exemple, Be still, de Parisa Sabet (sur un texte de Rumi) nous dit : 

Assieds-toi, reste tranquille et écoute,

parce que tu es saoul

et nous sommes en bordure du ciel

On n’a pas été surpris que la force expressive donnée à la voix se soit concentrée sur la première strophe. Bahar Harandi y a mis beaucoup d’intensité et il était impossible de penser à autre chose qu’un homme ordonnant cela à une femme dans l’Iran moderne (ou même ailleurs). Il y avait d’ailleurs plusieurs moments de puissante force dramatique un peu partout dans un programme assez varié en termes de texture musicale, de rythmes et d’atmosphère.

Harandi a chanté avec une voix belle et très bien équilibrée, alliant maîtrise technique et beaucoup de caractère émotionnel. La soprano a su également démontrer un bon jeu dramatique, accentuant certains passages de façon ici mordante, ailleurs plus cynique, ou encore avec une grande douceur. 

Le sirocco est un courant d’air chaud et vaste que s’échangent l’Afrique du nord et l’Europe du sud. C’est également le symbole dont se sert le violoncelliste sud-africain Abel Selaocoe pour inspirer un esprit d’échanges musicaux entre l’Afrique et l’Europe dans un programme de concert que lui et ses amis du Manchester Collective promènent dans une importante tournée nord-américaine dont Montréal était une étape jeudi dernier. 

L’artiste est aussi solide dans Beethoven et Debussy que dans des arrangements de pièces traditionnelles pan-africaines ou même ses propres compositions. Le concert Sirocco, donné devant une salle Bourgie électrifiée par sa présence scénique très charismatique, laissait un peu de place aux classiques européens (très brefs Haydn, Berio et Hans Abrahamsen, folklores scandinaves), mais en donnait surtout aux sonorités et particularités techniques issues de l’Afrique (Mali, Afrique du Sud). Plus que du crossover, bien que parfois ça y ressemblait un peu, Selaocoe a surtout offert une vision interculturelle de la musique de chambre, où un quatuor de Haydn avait la résonance d’un chant spirituel anti-Apartheid d’Afrique du Sud, et des techniques percussives lancées sur les cordes ou la caisse du violoncelle s’accordaient avec des inflexions vocales surprenantes, même impressionnantes. Le musicien versatile naviguait habilement autant dans des aigus délicats que dans des graves grondants qui faisaient penser à des chants de gorge tibétains. Il faut croire qu’entre l’Afrique et l’Asie de l’est, des traditions millénaires ont réussi à se frayer un chemin culturel permanent. 

Selaocoe et les musiciens du Manchester Collective (deux violons, un alto, un percussionniste et une basse électrique) ont insufflé une énergie contagieuse qui leur a valu une longue et chaleureuse ovation. Les puristes d’un autre temps auraient détesté ce genre de programme, et pourtant, Selaocoe est porteur d’un nouvel avenir pour la musique classique et son message de renouveau interculturel rejoint manifestement un public nombreux et surtout pas mal jeune. 

Photos : Abel Selaocoe et le Manchester Collective crédit Anna Kaiava

alt-rock / indie / indie folk / jazz

Anti Jazz Police Festival – Jour 4

par Frédéric Cardin

Puisque toute chose, même la meilleure, doit avoir une fin, la quatrième et dernière soirée de l’Anti Jazz Police Festival chez Ursa, avait lieu hier dans une atmosphère de satisfaction complète. La petite salle de l’Avenue du Parc était bondée d’un public bigarré, heureux, attentif, multilingue et chaleureux. Totalement Mile-End-ien quoi.

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

Cette ultime séance de bonheur musical a débuté avec les rêves martiens de la harpiste Sarah Pagé, qui nous présentait du matériel qui se retrouvera sur son prochain album intitulé Utopia Planitia. La grande plaine visitée récemment par un rover de la NASA a donc servi d’inspiration lévitante pour l’évocation de paysages étranges, sur lesquels des nappes d’arpèges et d’échos éthérés venaient apporter une touche de couleur plus terrestre. La saxophoniste Charlotte Greve suivait et nous a elle aussi grandement séduit avec son minimalisme symbolique, tendance spirituelle, sur lequel elle déploie de fort belles lignes vocales flottantes et inspirantes. Le ténor de Greve s’exprime avec une très belle rondeur qui nous fait penser à Garbarek chez ECM. Quelque part au ⅔ de la perfo, le rythme s’est activé pour donner une finition plus pop à l’ensemble, auquel l’excellente Sarah Rossy est venue apporter sa propre touche. Progression dynamique et stylistique impeccable qui dressait la table pour le deuxième acte de la soirée. 

Celui-ci s’est présenté sous le nom d’Oren Bloedown, chanteur, guitariste et bassiste new yorkais, qu’on a connu pour Elysian Fields, mais aussi avec les Lounge Lizards, Bruce Springsteen, Meshell Ndegeocello… Le type connaît bien le genre Ursa : il possède et gère habilement The Owl Music Parlor, petite place hyper chouette pour soutenir la bonne musique locale à Brooklyn. Bloedown fait dans le jazz côté rock, pop, blues, un peu R’n’B. Des riffs efficaces et une musique pleine et entière maîtrisée par ses amis du moment, Rémi-Jean Leblanc à la basse et Samuel Joly à la batterie, superbes. Martha, toujours là, est venue nous donner son habituelle chanson… Attendez, non : deux! Quel honneur, mais c’était la finale, alors, un petit cadeau boni de finition est bien compréhensible. Joel Zifkin au violon puis Charlotte Greve sont venus en ajouter une couche non négligeable de couleurs complémentaires. Le feeling était super bon, et la soirée n’en était qu’à la moitié.

L’avant-dernier set de cette conclusion événementielle était tenu par Unessential Oils, toute nouvelle incarnation de Warren Spicer (Plants and Animal). À ses côtés, Tommy Crane, Sergio D’Isanto et Claire Devlin entre autres. Unessential Oils, c’est rien que du bon groove feel good, dynamique mais pas précipité, de caractère solaire et qui verse dans une très belle plénitude sonore, enveloppante d’émotions. Les lignes lyriques, presque chorales, de Devlin au saxo sont comme des envolées qui nous entraînent avec elles. Ce qu’on a entendu sera dispo sur le premier album du band, éponyme, en vente le 24 mai prochain. Réservez votre copie tout de suite!

La grande finale du Montreal Anti-Jazz Police Festival semble avoir été pensée pour les ‘’Polices du Jazz’’, les snobs et puristes, à qui peu de fleurs ont été lancées dans ces quatre jours de musique très très élargie, de cœur et de style. En effet, le duo Concurrence, de Nashville, formé de Paul Horton au piano (Alabama Shakes) et Greg Bryant à la basse (additionné de Tommy Crane à la batterie) nous a offert le set le plus ‘’authentiquement’’ jazz de tout le festival. Et quelle belle heure et quelque ce fut! Du très très haut niveau d’impro, d’écoute mutuelle, de versatilité rythmique et de qualité technique. Des compos originales fortement teintées de commentaire social et quelques standards/hommages bien lancés comme ce Now’s the Time de Bird, complètement et brillamment réinventé. 

Une finition parfaite qui va pérenniser dans les esprits des mélomanes l’image d’un événement d’une très grande qualité, malgré son côté bon enfant et un peu spontané, ce qui, en vérité, est exactement la raison de son succès (car j’affirme que c’est un succès). Le DIY montréalais dans toute sa splendeur et son honnêteté, même parfois ses erreurs. Toutes les personnes présentes, un panorama de ce qu’il y a de beau et de diversifié dans cette métropole, ont ressenti viscéralement l’atmosphère amicale, voire familiale, de ce festival. Bravo. 

Aucune promesse n’a été faite sur une potentielle deuxième édition. On l’espère fort, fort, fort bien sûr. Mais, au cas, on va s’accrocher à ces superbes souvenirs.

Merci Martha, merci Tommy Crane, merci l’équipe du Ursa et merci au public, nombreux et enthousiaste. Mission accomplie.

jazz / jazz contemporain / jazz de chambre / jazz moderne

Les Supersaxes de l’ONJM

par Varun Swarup

Je trouve qu’une des caractéristiques d’une performance de jazz exceptionnelle se manifeste souvent lorsque le public peine à contenir son applaudissement, et de tels moments étaient nombreux lors de l’événement d’hier soir. L’Orchestre national de jazz de Montréal (ONJM) a présenté un spectacle mémorable et intimiste, exploitant leur redoutable section de saxophones pour livrer un répertoire captivant comprenant à la fois des classiques bien-aimés tels que « Stolen Moments », « Night in Tunisia » et « Infant Eyes », ainsi que des originaux évocateurs, comme le poignant hommage de Jean-Pierre Zanella à son regretté technicien de saxophone.

Les saxophonistes de l’ensemble, Jean-Pierre Zanella, André Leroux, Samuel Blais, Frank Lozano et Alexandre Côté, ont fait preuve d’une précision remarquable dans leurs lignes unisson, devenant efficacement une seule voix, et lors de leurs solos, permettant à leurs styles de jeu uniques de briller. Inutile de dire que la section rythmique, avec Marianne Trudel au piano, Rémi-Jean LeBlanc à la contrebasse et Kevin Warren à la batterie, a fait preuve d’une cohésion exemplaire. L’interaction nuancée et la chimie musicale entre ces musiciens étaient particulièrement évidentes dans cette configuration plus épurée de l’orchestre, permettant une meilleure appréciation de leur art collectif.

Le jeu dynamique et passionné du batteur Kevin Warren était une caractéristique marquante, entraînant constamment le groupe avec précision et élan. Sa maîtrise à créer le cadre du succès de l’ensemble était indéniable, contribuant de manière significative à l’énergie globale et à l’impact de la performance. De plus, l’inclusion de musiciens invités, le tromboniste David Grott et Lex French, a ajouté une profondeur et une diversité supplémentaires aux offrandes musicales de la soirée, ce dernier offrant notamment une interprétation particulièrement émouvante de Lover Man en duo avec Marianne Trudel.

La performance exceptionnelle de l’ONJM a suscité deux ovations debout bien méritées, servant de rappel poignant de l’héritage durable de l’ensemble en tant qu’institution chère à Montréal. Avec plus d’une décennie d’excellence inébranlable, l’orchestre continue de captiver les auditoires avec leur art exceptionnel et leur dévouement à la tradition du jazz, laissant une impression durable à tous ceux qui ont le privilège de vivre leur musique.

avant-garde / avant-rock / expérimental / improvisation libre / indie rock / jazz / jazz contemporain / post-rock

Anti-Jazz Police Festival – Jour 3

par Frédéric Cardin

Troisième journée de l’Anti-Jazz Police Festival chez Ursa, hier. On en ressort moins satisfait que les soirées précédentes, pas tant pour des raisons de qualité musicale, mais plutôt de cohérence d’ensemble et de préparation dues à des absences de dernière minute. J’y reviendrai. Cela dit, ce ne fut pas dépourvu de moments assez extatiques merci.

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

C’est l’excellence artistique du bassiste Rémi-Jean Leblanc qui a lancé ce troisième opus du nouveau festival. Ce dernier, en grande forme et soutenu par Jonathan Cayer aux claviers, Nicolas Perron à la guitare, Kevin Warren à la batterie, nous a entraîné dans des aventures sonores tendance rock, tant prog que post dans certains détails rythmico-harmoniques, ou encore fusion genre McLaughlin ailleurs. Aussi, invités à la fête stylistique, quelques déhanchements funk et même une courte extravagance que j’ai ressentie comme un clin d’œil punk. Par-dessus tout cela, Erika Angell, magistrale, s’est permise une série d’élans vocaux comme elle sait les propulser, à la fois modernes, étonnants et lyriques. Ça commençait bien, devant une salle plus clairsemée que les soirs d’avant. Dommage, car RJ Leblanc est l’un des grands musiciens de sa génération.

Bellbird au Ursa – crédit photo : Pierre Langlois

Le deuxième acte de ce Jour 3 nous a montré les surprenantes velléités expérimentales de Liam O’Neil (de Suuns) à la batterie (et autres percus). Liam a manifestement été appelé à la dernière seconde pour couvrir celui qui devait être là, Parker Shper (malade?). Voilà qui explique probablement le set très court, et peut-être aussi (mais comment?) le fait qu’il a débuté quelque part en même temps que le soundcheck se terminait. La frontière entre les deux s’étant révélée inexistante, et surtout très imprécise, la performance était déjà peut-être à moitié terminée quand nous avons réalisé qu’il jouait pour vrai! On s’est senti un peu largués. On se souviendra tout de même que O’Neil crée des coloris inédits en tapochant de toutes les manières ses outils, et qu’il ose même le faire avec un micro, grâce auquel il recueille les résonances créées pour créer des feedback qu’il transforme live en autant de nouvelles couleurs et atmosphères. De l’avant-garde de haut niveau.

Suivait, lors de ce même deuxième acte, le quartette montréalais de jazz moderne/free jazz/musique contemporaine savante/minimalisme étatsunien, Bellbird. J’avais hâte de les entendre live. Ce fut malheureusement un trio qui se présenta, la saxophoniste (spectaculaire) Allison Burik étant restée cloîtrée à la maison pour maladie. Una utre absence. Ça arrive, bien sûr, et on ne leur en voudra pas (ni au festival bien entendu), mais le résultat, bien qu’excellent, n’atteignait pas les hauts niveaux polyphoniques constatés ailleurs, et aussi dans leur album Root in Tandem, sorti en 2023 (lisez ma critique ICI). Chapeau quand même à Claire (Devlin) au saxo ténor, Eli (Davidovici) à la contrebasse et Mili (Hong) à la batterie, pour avoir assuré autant que possible, et pour nous avoir donné un set de qualité qui ferait l’envie, même diminué, de n’importe quel autre band. 

Simon Angell au Ursa – crédit photo : Pierre Langlois

Le troisième acte était réservé à un duo qu’on espérait depuis longtemps, celui de Simon Angell à la guitare (et multiples tripatouillages) et de Tommy Crane à la batterie. On nous avait promis des invités et, après une belle lancée en duo, faites d’espiègleries atonales, d’abstractions contemplatives et de poussées d’énergie rythmiques réjouissantes, Greg Bryant de Concurrence (en spectacle ce soir pour le Jour 4) est arrivé sur scène avec sa basse ronronnante. Soudainement, tout le set a été comme pimpé. Puis, l’autre mec de Concurence, le pianiste Paul Horton, vient en rajouter un couche. Le type pianote bien, oui, mais il joue aussi du mélodica en même temps! Ayoye. Là, ça décoche solide et la salle est soulevée par une énergie foudroyante et dopée par une adrénaline explosive. Mais attendez, ce n’était pas fini : comme sur un coups de tête, le saxophoniste David Binney et la chanteuse Sarah Rossy viennent transformer ce trip à quatre en orgie extatique à six. Ça ne dure pas assez longtemps, mais on est tout de même bien repus. 

Une soirée inégale, certes, mais qui se termine dans une très grande satisfaction. Si l’important est de bien commencer et de bien finir, ce Jour 3 a prouvé que l’Anti Jazz Police festival sait très bien enligner les vraies priorités. 

À ce soir pour la finale.

DÉTAILS, PROGRAMMATION ET BILLETS DISPONIBLES SUR LE SITE DU FESTIVAL

alt-folk / alt-pop / dream-pop / indie folk / jazz / post-rock

Anti-Jazz Police Festival – Jour 2

par Frédéric Cardin

Deuxième jour (plutôt soir) du plus récent festival musical montréalais, même résultat, ou presque. Encore une fois, trois actes bien campés et complémentaires s’enchaînent agréablement au Ursa, sur l’Avenue du Parc. 

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

Martha Wainwright, en guise d’intro, chante une chanson avant de laisser la place au folk-pop apaisant, doux et mélodique de la harpiste/chanteuse Émilie Kahn (ex Emilie & Ogden), en duo avec Thanya Iyer sur son synthé ouaté (Reface CS de Yamaha pour les techno-curieux). On s’installe calmement afin de tenir jusqu’à dépassé minuit. Si on le souhaite bien sûr! Car on arrive et on part quand on veut dans ce festival. Puis, vient le quintette de Ivy Boxall (Christopher Edmonson de son vrai nom), qui joue du clavier et du sax. Piano, basse/guitare, trompette et batterie y sont associés dans un panorama sonore expansif, tendance épique entrecoupée de pauses atmosphériques plus calmes. En termes de technique musicale, c’est très bon. L’ensemble a de toute évidence un excellent potentiel, et il peut bâtir quelque chose de solide. Cela dit, je doit donner une mauvaise note pour l’attitude scénique du leader, qui semblait rarement satisfait de ce qu’il faisait et coupait court à des idées en annonçant que le produit ‘’n’est pas encore prêt’’, et qu’il s’agit d’un ‘’work in progress’’. Malaise. Si tu n’es pas prêt mon pit, faut revoir ta méthode de travail. Les mélomanes n’ont pas acheté des billets pour venir voir une répète (à moins que ce ne soit annoncé comme tel!). Ou bien tu fais avec, tu improvises une finition correcte et tu ne passes pas ton set à bouder et à nous le faire sentir. On appelle ça du professionnalisme. Mais, je le redis, le potentiel est grand et ne reste qu’à être mieux présenté.

Le deuxième acte présente d’abord la Brooklynoise Claire Dickson, qui dévoile une dream-pop trempée dans l’étrangeté et assaisonnée d’alt-folk expérimental. Claire chante avec un belle voix dont on devine à peine l’étendue des possibilités car elle l’utilise généralement dans des lignes soupirées, sussurées et chuchotées qu’elle s’empresse de triturer, d’étirer et de charcuter de toutes les manières grâce à sa lutherie numérique. Quelques petits problèmes avec la logistique de son appareillage ont fait grincer des dents mon amie Monique Savoie (de la SAT), qui était présente et qui en sait quelque chose sur ce domaine. Pour ma part, j’ai assez aimé. L’autre artiste au programme de ce set de 20h30 était Sarah Rossy. Sarah a chanté la veille, en duo avec Eugénie Jobin, et c’était superbe. Cette fois, toute l’attention était sur elle (et ses musiciens, tous excellents), et on comprend très bien pourquoi elle est considérée comme un des étoiles montantes de la scène alt/indie. La jeune montréalaise décoche tout un punch émotionnel grâce à une voix versatile et malléable, en plus d’être belle et tonalement assurée. Mais c’est surtout comment elle l’utilise et la musique qui la soutient, qui épatent. Ses compositions nous ramènent à des esthétiques-sources aussi riches que Zappa, Radiohead, Björk et peut-être même (ai-je rêvé?) Prince, occasionnellement. Je garroche des noms, pour vous donner une idée, mais le produit Sarah Rossy est bien plus que ça. Elle a une forte personnalité musicale, et une belle transparence psychologique qui lui donne un charme irrésistible sur scène. Son ascension ne fait que commencer, croyez-moi.

Ce deuxième jour de festivités se conclut avec le 3e acte, celui de 23h – ish assuré par le quartette Little Animal (pedal steel, basse, batterie, trompette). Puissance sensorielle, constructions musicales lentes mais irrémédiables et sommets cathartiques bibliques nous font hésiter pour les décrire : Post-Rock aux couleurs Jazz ou Jazz aux accents Post-Rock? Peu importe, c’est assez tripant et c’est très contemporain, façon Bad Plus, mais viscéralement montréalais. J’ai dis quartette, mais hier, il y avait quintette, car aux côtés de Tommy (Crane), Joe (Grass), Morgan (Moore) et Lex (French), nous avons eu le bonheur de retrouver David (Binney) au sax, qui a ajouté sa touche de flamboyance tourbillonnante à cet ensemble déjà assez relevé. Binney passe la semaine à Montréal, pour le festival mais aussi en raison du lancement de son album In The Arms Of Light (lisez ma critique ICI), qui aura lieu au bar O Patro Vys le samedi 30 mars. 

Rendez-vous pour le Jour 3, jeudi (quoi? C’est déjà aujourd’hui!). Au programme : Rémi-Jean Leblanc à 17h30, Bellbird et Parker Shper à 20h30, puis Tommy Crane et Simon Angell avec invités (surprises). Et comme toujours, l’ambiance incomparable du Ursa, une toune de Martha, et sa cuisine maison faite avec amour. 

À tantôt.

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indie / indie pop / nusoul

La mélancolie contagieuse et festive d’Arlo Parks au Beanfield.

par Luc Tremblay

La Britannique Arlo Parks s’est retrouvée devant un Théâtre Beanfield (autrefois Corona) plein à craquer.

Montréal découvre Arlo Parks sur scène, 23 ans, fragile, mélancolique parfois, touchante toujours, festive et rockeuse quand, en fin de show, elle s’accroche la guitare au cou et jamme avec un plaisir contagieux avec l’excellent trio qui l’accompagne, portée par le groove précis, irrésistible, de sa section rythmique.

Quand elle interprète Cola, la chanson qui l’a révélée en 2018, le Beanfield devient chorale et entonne I loved you to death and now I don’t really care.

Parks a grandi à Londres, mais ses racines nigérianes, tchadiennes, creusent aussi un sillon côté français, sa mère étant parisienne. La richesse de ses origines et de ses influences, expliquent la profondeur de sa création. On cherchera à la catégoriser indie-pop, néo-soul, sa palette est plus large; elle découvre King Krule à 13 ans, s’inspire de Hendrix, Bowie et Sufjan Stevens. En cours de show, elle salue au passage Radiohead, la filiation s’entend. 

La poétesse explore les blessures de l’enfance, celles de l’amour brisé. Et les dangers de la vulnérabilité; dans Devotion, on tremble quand elle chante sur fond de guitare acérée: “Your eyes destroying me, I’m wide open, all yours baby, flood me with your nervous love”. Les méprises sentimentales y passent aussi, vous connaissez peut-être Eugene. Non? Remédiez-y rapidement.

Parks s’émeut de ce premier concert à guichets fermés en Amérique, on ne se surprendra pas que cet arrêt du Soft Machine American Tour soit le début d’une histoire d’amour entre elle et MTL. Ce ne serait pas la première fois que les mélomanes d’ici auraient créé une relation profonde et durable avec des artistes britanniques novateurs. 

Précédée en première partie par une Chloé George à fleur de peau, craquante et inspirée, Arlo Parks offre en 75 minutes une prestation dont on sort ému. Sa poésie nous éloigne-t-elle de la lourdeur de l’époque? Elle en est tout près, plutôt, de cette lourdeur, si près qu’elle ne nous laisse plus à voir et sentir qu’une profonde humanité. On sort du Beanfiled l’esprit léger. 

alt-folk / ambient / americana / avant-folk / free jazz / indie / indie folk / jazz / musique contemporaine

Anti-Jazz Police Festival chez URSA – Jour 1

par Frédéric Cardin

On nous a promis un festival sans oeillères et réfractaire au purisme coincé de la ‘’Police du jazz’’ (les snobs du genre). Chose promise, chose due. Le premier soir de la première édition du nouveau festival de jazz  »élargi » fondé par Martha Wainwright, avec l’aide inestimable du batteur Tommy Crane et de toute l’équipe du Ursa, est assurément un succès qui rendra les mélomanes heureux et confiants. 

Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Martha Wainwright à propos du Montreal Anti-Jazz Police Festival

La soirée, comme toutes les autres à venir, se déroule en trois actes. Un premier concert vers 17h30 (approx, car on est dans la fluidité du ressenti ici. Pas de chronomètre…), un deuxième vers 20h30, et un troisième à 23h. Trois actes, donc, et trois univers dissemblables dont le deuxième seulement peut être relié assez directement au monde du jazz.

Ça commence avec Edwin de Goeij, qui lance les festivités en grande douceur, avec une musique instru planante et soutenue par un assemblage à la fois lo-fi (fond sonore généré par cassette 4 pistes, comme on disait ‘’dans le temps’’) et hi-fi avec un appareillage synthétique moderne. Au-dessus de tout cela, flotte un clavier aux accents cosmiques. Ambiance néo-kitsch sans grande surprise, mais très agréable. Après cette intro chill, Erika Angell se présente et reprend une partie de ce qu’elle nous avait offert lors du lancement de son album The Obsession with Her Voice au Ausgang Plaza il y deux semaines. Face au nuage interstellaire sommes toutes assez placide de de Goeij, la musique d’Erika est une nébuleuse sonore extra dimensionnelle fascinante. L’originalité perçue à l’écoute de l’album et du spectacle de lancement se confirme sans aucun doute possible. Voici une proposition d’une unicité et d’une audace artistique férocement nouvelles et impressionnantes qui mérite de faire le tour du monde de la musique indie la plus avancée de notre époque.

La pause arrive, ce qui nous permet de commander des tacos faits et servis par Martha Wainwright elle-même! Si vous avez envie de vivre cette expérience, il vous reste trois soirs! Le deuxième concert sera celui du saxophoniste californien David Binney, un ovni musical qui peut allier fulgurances avant-gardistes avec lévitations musakiennes ou post-bop bien cadré. Après une intro avec Martha à la guitare (elle a promis de chanter l’une de ses chansons chaque soir, fa que, soyez là pour les prochains), Binney se met en marche dans un quartette musclé : l’accompagnent une contrebasse (Morgan Moore, épatant de virtuosité) et deux… drumsets! Oui, DEUX batteries, l’une tenue par Tommy Crane et l’autre par Andrew Barr. Le groove, totalement acoustique mais qui garroche de la puissance au décibel carré comme ça ne se peut pas, est tout simplement emballant. On est subjugué et emporté par cette force sonore sur laquelle Biney s’échappe à qui mieux mieux dans des envolées stratosphériques ‘’free’’ et excitantes. Quelques pauses plus calmes équilibrent un show (séparé en deux ‘’sets’’) mémorable qui restera gravé. OMG, that was some seriously good shit!

23h arrive et nous sommes prêts à poursuivre l’aventure, bien que le popotin ronchonne un peu (les bancs et les chaises sont un peu ‘’hard’’ pour des séances aussi prolongées, seul bémol à relever dans cette première impression, autrement excellente). Cette fois, on revient à des sentiments moins exaltés, avec un trio étonnant : deux très belles voix (Sarah Rossy et Eugénie Jobin) avec batterie/percussions (Aaron Dolman). On se retrouve plongé dans un post/avant-folk aux douceurs fantomatiques et aux lignes mélodiques inattendues, parfois presque atonales. On pourrait imaginer les Soeurs Boulay chantant du Schoenberg! Le choix était bien pensé car cette première soirée se termine dans un calme, une sérénité et une nourriture intellectuelle/émotionnelle qui nous rassasient, juste ce qu’il faut pour attendre la deuxième soirée. 

Exception faite de David Binney, tout le monde présent hier est Montréalais. C’est fou non, la qualité disponible dans cette ville?

Je parle ici d’un succès qualitatif, mais il faut noter également le succès quantitatif de cette première soirée. La salle était pleine, de remplie à bondée serrée, pour chaque concert! Voilà qui est très encourageant. 

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