rock prog

Chronochromie et TurboQuest : prog extrême et « vidéoludique »

par Laurent Bellemare

Un week-end d’octobre, quelque chose d’inusité se tramait au Nombre 110, salle de spectacle située en plein cœur des locaux de pratiques Les Studios de Rouen du quartier Hochelaga : un double lancement d’album pour les groupes montréalais TurboQuest et Chronochromie. Sur deux soirs, cet événement juxtaposait deux facettes très différentes du rock progressif d’aujourd’hui. 

D’un côté, des arrangements flamboyants des meilleurs tubes de jeux vidéos et de l’autre, une musique aussi pesante que cérébrale, intransigeante dans sa complexité. Tout cela se liait néanmoins dans l’approche  intello qui nourrissait les deux démarches. Qu’on ne s’y méprenne, le rendu en salle était spectaculairement ludique.

Chronochromie

Si l’art d’être « extrêmement  progressif  » existe en musique, c’est notamment à Chronochromie qu’on doit en attribuer le crédit. Le groupe, qui jouait à peine trente minutes, nous a laissé bouche bée, voire stupéfaits par une inéluctable virtuosité technique.

Bien que la musique progressive se soit développée à travers d’innombrables prolongements depuis les années 1970, il y a peu de choses que l’on puisse vraiment comparer au trio montréalais. Effectivement, le rock et le métal progressif se développent souvent par l’enchaînement élaboré d’idées musicales somme toute digestes.

Même si les formes sont longues et audacieuses, l’un des dénominateurs communs du genre reste tout de même l’utilisation de cellules répétitives. Ce n’est pas le cas de Chronochromie, qui varie et développe son matériau plutôt que ne le réitère. Sur les cinq titres du EP Epoch, aucune place n’est laissée à l’installation d’un groove de plus d’une mesure tant la musique est densément organisée.

Cette approche résolument contemporaine n’est pas sans rappeler la nouvelle musique héritière de la musique classique occidentale. Car Chronochromie, qui tire son nom d’une œuvre symphonique d’Olivier Messiaen, est à l’origine un projet du compositeur Alexandre David, connu pour ses œuvres instrumentales. Le travail rythmique et harmonique y est donc très poussé, chaque morceau du casse-tête agissant comme étape logique d’une forme toujours en mouvement. 

Dans un autre contexte, l’absence de répétition pourrait être un choix casse-gueule. Par contre, David et ses comparses maintiennent toujours une certaine cohérence dans leur musique. Certains éléments mélodiques et harmoniques persistent effectivement au fil des morceaux, créant des échos familiers qui sont essentiels à la stimulation d’une écoute engageante. 

Alors que la simple exécution de cette musique relève de l’exploit et pourrait suffire à gagner la sympathie du public, Chronochromie surprend également par la musicalité de sa proposition et sait tenir en haleine quiconque lui tend l’oreille. Une force locale en plein essor et qui ne demande qu’à être découverte.

TurboQuest

L’auditoire s’attendant à identifier des thèmes de Zelda et Mario Bros dans un concert de TurboQuest risque d’être un tantinet déçu. Si le groupe n’omet pas d’inclure ces classiques dans son répertoire, il fait principalement dans l’arrangement de pièces tirées de jeux beaucoup plus obscurs. C’est cette exploration férue de l’underground du jeu vidéo qui se poursuit dans un deuxième album intitulé Enter the Turboverse.

Décidément, le quintette instrumental a un public qui connaît bien le matériel original référencé. C’est d’ailleurs ce public, celui des gamers, chez qui TurboQuest a principalement bâti sa réputation. L’ensemble est effectivement un habitué des conventions telle l’Otakuthon de Montréal et il entretient des liens étroits avec l’Orchestre de Jeux Vidéos.

Cependant, même pour le néophyte, les morceaux de TurboQuest fonctionnent très bien comme pièces de power metal autonomes, avec leurs escapades progressives et leurs refrains accrocheurs. C’est là une excellente mesure de la valeur artistique de ce qui nous était présenté. Il faut également saluer la virtuosité des artistes, qui ont pour la plupart des formations académiques en musique. Leurs arrangements laissent fréquemment place à des soli où chaque musicien.ne a sa chance de resplendir. Chapeau au claviériste pour son utilisation d’une keytar lumineuse.

Chose certaine, c’est qu’on ne s’ennuie pas à écouter ces morceaux exécutés avec habileté technique et forte présence scénique. Au-delà de la nostalgie, le quintette assume pleinement son côté rock ‘n’ roll et tout le plaisir qu’il a à raviver l’univers ludique qui l’anime. Car au fond, c’est bien ça la vocation des jeux vidéos, divertir!

Sardou : entre charisme et nostalgie

par Claude André

C’est après une décennie d’absence que le dernier des monstres sacrés de la variété française triomphait vendredi dernier au Centre Bell de Montréal. Nostalgie quand tu nous tiens…

Accompagné de sa fille de 20 ans qui ne connaissait pour ainsi dire que la très belle reprise de Je vole par Louane, popularisée par le film La famille bélier, et Comme d’habitude (version Claude François et Elvis), l’auteur de ces lignes n’allait pas rater cet artiste qui demeure probablement l’une des quatre ou cinq plus belles voix de la francophonie avec, notamment, celle de Claude Dubois.

Le récital s’ouvre avec un panorama animé d’un magnifique cheval blanc galopant dans les plaines irlandaises. On comprend rapidement que nous sommes en Irlande dès les premières notes de l’entrainante Les Lacs du Connemara. Version réussie, bien que courte, de ce morceau incontournable du répertoire sardoussien qui, depuis des décennies, termine les plus belles surboums en France. Cet été, ce morceau a fait l’objet d’une controverse lorsque Juliette Armanet a déclaré en entrevue pour une radio belge que cette chanson la ferait fuir une soirée… Immense polémique à laquelle le chanteur de 76 ans a refusé de répondre avant que la belle ne s’excuse en privé par courriel.

C’est vrai que casser du sucre sur le dos de Sardou fut longtemps un passage obligé à gauche de la gauche, mais nous croyions cette époque révolue. D’ailleurs, le vieux crooner a repris, pendant une mixture de ses plus grands succès, l’irrésistible En chantant… « Et c’est tellement plus mignon, de se faire traiter de con, en chansons… » pour le plus grand plaisir de la foule largement composée de têtes blanches, qui ne s’est pas fait prier pour reprendre à l’unisson.

La rumeur veut que Sardou, avec En chantant, répondait au jeune Renaud qui s’était payé sa tête en parodiant d’une autre chanson : Les Ricains. Excellente reprise de ce dernier titre (ici à la sauce cajun avec banjo), puisé dans l’époque plus engagée où Sardou avait eu l’outrecuidance, ou le courage, de rappeler aux Français qui manifestaient, à juste titre, contre la guerre du Vietnam, que sans les Amerloques, ils seraient tous en Germanie « à saluer vous savez qui… ». Une chute percutante qui, de mémoire, ne figure pas exactement ainsi dans les versions enregistrées.

Si les réorchestrations sont généralement réussies, certaines pièces passent moins l’épreuve du temps, comme cette version parlée de Je vole ou d’Une fille aux yeux clairs, un éloge d’une mère par son fils qui déstabilisa ma jeune accompagnatrice, lui faisant déclarer : « Mais c’est carrément de l’inceste ça, je suis dégoutée. » Bonjour l’ambiance… Heureusement, Sardou retrouve grâce à ses yeux avec sa pièce suivante, Le Privilège, empathique à l’égard d’un jeune qui dévoile son homosexualité.

Parsemé de quelques pièces plus ou moins connues pour le public québécois, Sardou nous aura adressé d’indéniables clins d’œil, notamment en parlant toujours du Québec, et non du Canada, comme le font souvent les Français évoquant leurs cousins d’Amérique…

Clins d’œil 

Étrangement, si le plus bourru des chanteurs nous a gratifiés de La rivière de notre enfance, sans Garou qui se trouvait… en France, il n’aura pas interprété Je me souviens d’un adieu, un autre titre très accrocheur, qui est pourtant le nom de la tournée.

Parmi les grands moments, Vladimir Ilitch une chanson sur les sirènes du communisme où un écran qui surplombe la scène nous montre une immense statue de Lénine en lente décomposition, un extrait, trop court de l’exutoire Le France ou une relecture de Verdun et son diaporama de guerre, qui résonnait particulièrement fort au regard de l’actualité en Ukraine et au Proche-Orient. La reprise de Quelque chose de Tennessee, comme pour se faire pardonner par Johnny avec qui il n’aura pas eu le temps de se réconcilier. Mais l’apothéose fut atteinte quand Sardou, convaincant, nous a balancé son hymne Je vais t’aimer, dont les images fortes furent mises en relief par des cuivres saccadés.

Instants plus légers avec la caricaturale Être une femme, et aussi en nous révélant qu’il découvrit un jour chez un disquaire que le grand Louis Armstrong avait repris une chanson de son père, Fernand Sardou, comédien et chanteur de jazz, Aujourd’hui peut-être qu’il nous a interprété avec une fierté manifeste.

Bref, soirée très agréable placée sous le signe de la nostalgie et du charisme, malgré quelques moments un chouïa ringards, dont des chœurs souvent années 1980. Et, surtout, on retiendra qu’il n’a pas été avare en se déplaçant avec une équipe de plus de 20 personnes, juste pour la scène, dont une belle section de cuivres et un non moins impressionnant chœur. Quant au verdict de la fan de Lady Gaga et Sia qui m’accompagnait : « Correct. Très correct. »

OSM | L’audace complice d’Andrew Wan et de l’OSM

par Rédaction PAN M 360

C’est une salle bien remplie qui a assisté mercredi soir à un concert présentant à la fois des classiques et de l’audace. L’OSM, depuis la scène de la Maison symphonique, a proposé un arrangement intéressant d’œuvres qui orbitaient autour du Concerto pour violon en ré majeur de Beethoven. C’était un concert qui jouait avec la forme conventionnelle. On avait du Beethoven, du Mozart, mais au lieu d’avoir Haydn pour terminer le triumvirat classique, on trouve du Bach et, surtout, du Webern! 

La première partie s’organisait comme une démonstration de la longue évolution de la musique de concert. Depuis la fin de la période baroque avec l’Offrande musicale de Bach (composée en 1747), on passe par la très classique, mais toujours plaisante et délicieuse, symphonie selon Mozart, dans ce cas-ci la Symphonie no. 35 en ré majeur, souvent appelée Haffner, composée en 1782. La première partie se termine par la Passacaille de Webern, composée en 1908.

Cette œuvre est en quelque sorte le joyau caché de ce programme. La première œuvre publiée de ce compositeur, elle puise à la fois dans la tradition classique et présente une ouverture vers un nouveau langage musical. Pas tout à fait atonal encore, ce langage se traduit par une exploration particulière des timbres, de l’harmonie et de la structure de la mélodie. Alors que le Bach (arrangé par Webern, à noter) présentait la composition typique de la mélodie et que le Mozart en démontrait la maîtrise intuitive et charismatique, la Passacaille ouvre la boîte de Pandore en exposant les possibilités. Plus grave et plus intense que les autres pièces au programme, cette œuvre est certainement plus marquante et on se réjouit de la voir occuper une place si importante au programme.

L’orchestre a relevé à merveille les défis que les œuvres lui ont proposé tout au long du concert. Les cordes étaient à l’honneur, avec un jeu impeccable et une finesse admirable pour des œuvres assez variées. Il faut aussi saluer la qualité des bois et des cuivres qui étaient notamment à l’honneur durant une oeuvre de Bach assez exigente. L’exécution virtuose du Webern a probablement subjugué plusieurs membres du public, surtout que l’intensité de l’œuvre se mariait avec la nouvelle image fougueuse de l’OSM et de son chef Rafael Payare.

Après l’entracte, il était temps de mordre dans la pièce de résistance du concert. Andrew Wan nous a offert une version mémorable de ce Concerto pour violon en ré majeur. On peut constater toute l’assurance et la qualité technique du premier violon de l’OSM, ici soliste, surtout à travers les longues parties solos du concerto. On savoure les notes qui semblent si précieuses entre les doigts virtuose de Wan. À travers toute l’œuvre, on sent une continuité remarquablement équilibrée, même à travers les modulations et les passages entre les sections. On admire l’apparente complicité entre l’orchestre et son premier violon. On aurait peut-être aimé voir Wan prendre un peu plus de place sur scène, notamment dans le volume et dans la prestance, mais on ne peut critiquer son interprétation irréprochable.

Première étape du voyage Beethovenien de l’OSM, il sera possible de réentendre le concert ce soir, jeudi 26 octobre à 19h30. Également, l’OSM présentera la Symphonie no. 7 dès le 8 novembre. Pour plus de détails, visitez la page des concerts à venir de l’OSM.

Crédit photo : Gabriel Fournier

minimaliste / musique contemporaine / post-minimaliste

Paramirabo et Ensemble Variances à Bourgie : la pulsation, évoquée plus que martelée

par Frédéric Cardin

Deux rencontres simultanées avaient lieu hier à la salle Bourgie à Montréal : des interprètes français et québécois de musique d’aujourd’hui joignaient leurs forces, soit l’Ensemble Variances et Paramirabo, et, deux diffuseurs, Bourgie elle-même et Le Vivier, coproduisaient l’événement. Le thème-titre du concert, Pulse, laissait deviner une soirée placée sous le signe de la musique répétitive étasunienne. Pulse est d’ailleurs le titre éponyme d’une pièce de Steve Reich, grand maître du genre, placée en seconde place dans l’ordre du programme.

Or, la présence de la pulsation comme colonne musicale et architecturale s’est faite beaucoup plus subtile et discrète que présumée. Une pulsation bien plus évoquée que martelée, dans ces cinq œuvres écrites par deux femmes et trois hommes, et dont deux constituaient une création mondiale, et une autre, nord-américaine! 

Still Life in Avalanche, de l’excellente Missy Mazzoli, correspond d’emblée à l’idée que l’on se fait du minimalisme répétitif, mais son orchestration fait hésiter et hoqueter la linéarité du beat ainsi que la tonalité initiale de la pièce. On se retrouve avec des épisodes ludiques et, oui, pulsatifs, façon John Adams dans ses sonorités, mais qui s’échangent la prééminence avec d’autres passages assagis, plus chromatiques tendant parfois vers l’atonal. On dirait un tango schizophrénique réalisé par un couple dysfonctionnel. Très intéressant.

Steve Reich lui-même, avec son propre Pulse, relativise nos aprioris sur cette musique avec une pièce qui apparaît substantiellement plus apaisée que ses chefs-d’œuvres mieux connus comme Music for 18 Musicians, Different Trains, Drumming, Piano Phase, etc. Ici, la pulsation si emblématique de la musique de l’Étasunien se déploie en douceur et se fait bien moins percussive. D’ailleurs, aucun instrument de percussion n’est présent. Le tempo est également ralenti. Du Reich, certes, mais presque zen.

Le pivot central de la soirée, la pièce faisant office de séparation entre deux parties de deux pièces chacune, était Les Mémoires du miroir de quartz du Montréalais Marc Patch, pour piano solo. Composée en 1992, la pièce était jouée pour la toute première fois (d’où son statut de ‘’création mondiale’’!). Je comprends encore mal la pertinence de celle-ci dans la logique du programme. Il s’agit d’un exercice résolument atonal, fait de fulgurances d’accords violents, façon Stockhausen, entrecoupant des passages en cascades perlées et lumineuses. On est plus à Darmstadt que dans le New York des minimalistes. Cela dit, ne vous méprenez pas sur mes propos : Les Mémoires du miroir de quartz est une excellente pièce, jouée avec conviction, précision technique et contrastes brillamment suggérés par Thierry Pécou. Mais, aucun rapport avec le reste. Peut-être, justement, pour faire contraste? Je n’ai rien contre, mais on aurait pu expliquer.

Cassandra Miller, Montréalaise d’adoption vivant maintenant à Londres, suivait avec Perfect Offering, en création nord-américaine. En apparence simple, on devine l’extraordinaire difficulté de bien mettre en place cette pièce qui s’amorce comme un hommage aux frères Eno, Brian et Roger. On s’imagine en effet dans Music for Airports, œuvre culte et fondatrice de l’ambient contemporain dans les premières minutes. Mais contrairement à celle-ci, la pièce de Miller évolue de façon plus étoffée en se gonflant de puissance et de résonance, crescendo palpable qui se résorbe dans un faux fade out au violon et à la clarinette, cette dernière se faisant de plus en plus imperceptible, jusqu’à un pianissimo infinitésimal, véritable tour de force du soliste (Carjez Gerretsen, remarquable). C’est la fin? Non! On repart, avec un brin plus d’élan qu’au début, et désormais, la pulsation se fait plus invitante. La véritable conclusion est plus abrupte que souhaitée. Je pense que je préférais la fausse fin en infinie disparition de la clarinette. N’empêche : Perfect Offering, si elle n’est pas parfaite, est néanmoins une offrande grandement appréciée.

Le concert s’est terminé avec une création mondiale, une vraie, écrite en 2023 par Thierry Pécou lui-même. Les deux ensembles étaient conviés à jouer Byar, inspirée de la musique pour gamelan balinais. On connaît plusieurs Canadiens qui se sont inspirés eux-mêmes de cette musique : Colin McPhee, l’un des premiers, et Claude Vivier bien sûr. Pécou convoque un peu leurs visions, mais en les enrichissant de bien d’autres et en émulsionnant le tout dans le creuset de sa propre personnalité musicale, déjà très riche. Byar fait penser à un improbable cours d’eau circulaire, faits de remous tumultueux et de passages balisés. Expressionnisme coloristique, et cohésion structurelle d’inspiration répétitive mais souvent éclatée par des explosions spontanées, Byar est une oeuvre que je qualifierais de post-pulsation, post-répétition, ou encore post-moderne sans remords à piquer des éléments ici à l’avant-garde, ailleurs au minimalisme classique. J’ai besoin de la réentendre pour commencer à en apprécier toutes les nuances et les implications. C’est bon signe.

Excellentes performances des musiciens sur scène (et souvent ailleurs dans la salle, en projection spatiale et sonore multidirectionnelles). 

Le public qui garnissait correctement la salle Bourgie (j’aurais aimé plus, quand même) a chaudement applaudi, avec raison.

électroacoustique / expérimental / contemporain

AKOUSMA , un 20 octobre | Giannini, Benedicte, Merino, Block, Gonima, Aho Ssan

par Salima Bouaraour

Mécanique, électrique et électronique: cette 19e édition d’Akousma nous a  offert une soirée de clôture avec un plateau d’artistes canadiens et internationaux  synthétisant la richesse et la variété de la musique concrète née il a 75 ans, renommée  électroacoustique au fil du temps.  

Bloc 1: Nicolas Giannini (CA/IT), Bénédicte (CA), Elias Merino (ESP)  

Nicola Giannini  (Canada / Italie )

La pièce présentée, ici, Rebonds, fut une ouverture plutôt académique: un véritable  exercice de style. Jouant sur la figure rythmique du ricochet sonore, ce compositeur doctorant à l’Université de Montréal a présenté 13 minutes de superpositions et  d’enchaînements de corps sonores ainsi que des jeux de spirale répétitive et à vitesse  croissante. Cette chorégraphie a su exploiter toutes les possibilités de la spatialisation  et de l’immersion. En effet, elle a été le fruit d’une résidence au centre d’art, Spoborole,  à Sherbrooke. Nicola Giannini a remporté de nombreux prix et mentions: premier prix  au concours JTTP 2019 organisé par la Communauté électroacoustique canadienne,  mention honorable au XII° concours de la Fundación Destellos, finaliste au concours  Città di Udine 2018 et prix Micheline-Coulombe-Saint-Marcoux lors de la première  édition concours AKOUSMAtique en 2022. Un préambule tout à fait convenu.  

Bénédicte  (Canada )

La montréalaise -artiste interdisciplinaire, de son vrai nom, Maxime Gordon- dévia  franchement vers l’électronique. Nappes rondes et profondes de synthétiseurs en spirale formant et déformant le paysage sonore avec en final,  l’introduction d’échantillons de voix féminines. Les oreilles averties ont pu analyser  cette symbiose de sons se défiant de toutes les frontières de genre. Il est à noter  qu’elle est DJ, compositrice et performeuse. Sa pièce Halves Shoals semblait être le  chassé-croisé de toutes ses cordes de compétences. Elle a su nous porter dans un  univers sensuel, intérieur et d’une grande candeur. Ses productions se jouent à MUTEK  (Montréal), à l’Institut du Son Spatial (Budapest), à MONOM (Berlin), à Eastern Bloc x  Nuit Blanche (Montréal) ou à Glory Affairs x Punctum (Prague). Elle travaille  actuellement sur un nouvel album et organise des promenades sonores (soundwalk) à  travers Montréal.

Elias Merino (Espagne)

Le Bloc 1 de la soirée s’est conclu avec Synthesis of Unlocated Affections: empathy distress (2023)  d’une durée de 30 minutes. Un retour à l’expérimentation pure. Les maîtres mots ici  étaient plutôt: déconstruction, contemplation fracturée, immersion à revers. À l’instar  d’une nouvelle fantastique, ce récit de musique abstraite a transgressé les lois  naturelles. Entre altérité et étrangeté, le malaise était perceptible, ressenti, palpable.  Cet artiste espagnol s’intéresse énormément aux futurs spéculatifs et à la fiction. Un  scénario bien ficelé entre littérature et musique.  

Bloc 2 : Olivia Block (US), Evan Magoni / Gonima (US/CA), Aho Ssan (FR)  

Olivia Block  (États-Unis)

24 minutes de plongée sous les eaux du lagon de San Ignacio, dans la Baja California Mexicana. Un long travail texturé du son basé sur des enregistrements in-situ ou en  studio en audio-synthèse pour s’inviter dans le milieu de vie des baleines. Ce site  vierge, protégé par l’UNESCO, laisse transparaître une nature pure. L’États-unienne Olivia Block  et son œuvre Breach nous ont transmis un univers subaquatique et  abyssal. Une pièce riche en émotions. Il était relativement facile de visualiser les  différents collages sonores effectués tels un scénario où différents chapitres  s’ouvraient et se fermaient. Le paroxysme de la pièce fut orageux et résultant à un  déferlement de pluie battante. 

 

Evan Magoni / Gonima  (États-Unis / Canada)

Nouveau sursaut! Cette fois-ci dans l’electronica ambient glitch. Homeostasis d’Evan  Magoni – sous le pseudonyme Gonima- fit remonter la tension avec finesse et subtilité.  Cette œuvre sonore se déploya telle une peinture florale pointilliste avec parcimonie et  une profondeur multidimensionnelle. Cette tension émotionnelle et chaotique sous  contrôle se retrouve aussi chez Autechre, Boards of Canada, Loscil, Aphex Twin, Marc  Leclerc (Akufen). Voilà 15 minutes et 40 secondes de beauté saccadée, syncopée, éthérée.  Gonima a réussi un bel exercice de genre pour laisser la place à l’apothéose.  

Aho Ssan  (France)

Niamké Désiré alias Aho Ssan clôtura le festival en beauté. Et quelle beauté, oui! Falling  Man est une œuvre qui a été commandée par le Groupe de Recherches en Musiques  -intégré à l’Institut National de l’Audiovisuel depuis 1975 et siégeant à la Maison de  Radio France- et cofinancée par le programme Creative Europe de l’Union  Européenne. Prenant pour source d’inspiration, une photographie prise lors de  l’attentat du World Trade Center, cette pièce en trois parties est un pur chef d’œuvre. À l’instar d’une quasi synthèse de toute l’histoire de la musique concrète,  contemporaine, électronique, jazz et hip-hop, Falling Man déploie une richesse et une  finesse sachant conjuguer la vitesse de progression du scénario de tous les corps  sonores, la pétillance des cuivres, la consistance profonde des rythmes et la touche  finale de voix apportant l’espoir et l’optimisme pouvant triompher de l’obscurantisme. Parfois, il faut noter qu’il est largement possible d’analyser l’ampleur intellectuelle d’un  artiste par le biais de ses œuvres musicales. Ici, nul doute. Aho Ssan a fourni une  pièce plus que sonore mais aussi cinématographique, intellectuelle voire philosophique. En effet, il est à souligner que son dernier album Rhizomes évoque la  pensée rhizomatique de Gilles Deleuze, Félix Guattari et d’Édouard Glissant.  

Le festival Akousma se ferma ainsi tel un questionnement musical sur l’actualité,  le monde et ses crises multiples où au lieu de se cliver et se fermer, nous devrions penser à notre horizontalité et notre multiplicité pour mieux exister ensemble.

crédit photo: Caroline Campeau

Les Violons du Roy à la Salle Bourgie | Fougue et sonorités enivrantes avec Anthony Marwood

par Rédaction PAN M 360

Anthony Marwood et les Violons du Roy ont visité la Salle Bourgie vendredi soir pour un concert présentant des œuvres assez peu communes, mais qui après leur écoute en compagnie de ces musiciens aguerris, occuperont certainement une plus grande place dans les mémoires.

Marwood fait très bonne impression sur scène. Son jeu puissant et son showmanship font de lui un violon solo excitant et agréable à entendre. Il réalise avec brio et adresse des lignes mélodiques virtuoses et, surtout, très chargées. Durant la seconde pièce, celle de Mendelssohn, il dirigeait en tant que soliste et sa prestance humble et confiante semblait centrer l’orchestre autour de lui. Il n’y a plus de doutes à avoir sur la qualité des musiciens des Violons du Roy. Chaque section a su réaliser avec justesse et intensité les partitions souvent très complexes des trois œuvres présentées, même en support. On note également le travail exemplaire de Isaac Chalk à l’alto, qui avait d’importantes sections solos durant la dernière pièce, et dont les sonorités évoquaient presque une section complète de vents.

Que dire sur les œuvres joués? On peut commencer par le fait que les trois œuvres ont été composée durant la jeunesse des trois compositeurs. La première œuvre, la Sérénade pour cordes en mi mineur de Edward Elgar a été composée en 1892 alors qu’il avait 35 ans et précède encore un peu sa maturation musicale finale. Il s’agit d’une œuvre enlevante, presque enivrante qui vous emporte dans ces largesses et ses sonorités enchanteresses. La seconde œuvre, composée à 13 ans par Félix Mendelssohn, est le Concerto pour violon et cordes no. 1 datant de 1822. La composition y est plus simple, plus formelle, mais on y trouve une énergie et une intensité tant pour le soliste que pour l’orchestre autour. Le style y est presque classique (Mendelssohn n’ayant visiblement pas encore acquis son style propre), mais on sent l’éclosion proche d’un langage nouveau.

La dernière œuvre est plus paradoxale. L’Octuor en do majeur de Georges Enesco, fabuleusement arrangé par nul autre qu’Anthony Marwood, témoigne de la fougue et de l’ambition du jeune compositeur qui l’a écrit. Enesco avait en 1900, date de la composition, 19 ans et il avait clairement beaucoup de choses à dire. Peut-être un peut trop, parce qu’on perd facilement le fil avec toutes les idées différentes qui nous sont présentées. Les idées musicales sont très intéressantes, mais la surcharge de notes et le manque de continuité laisse l’auditeur un peu au dépourvu. C’est une œuvre de qualité, mais qui démontre également que, parfois, trop vouloir en dire revient à n’en dire que peu au final.

Il s’agit, somme toute, d’un concert bien réussi pour les Violons du Roy. La Salle Bourgie est effectivement bien adaptée à ce format et à cet ensemble. On espère avoir la chance d’en entendre plus souvent dans le futur!

Pour plus d’information sur les concerts des Violon du Roy, cliquez ICI.

électroacoustique

AKOUSMA, un 19 octobre| Bermudez Chamberland, Ratti, Tomoko Sauvage, Senécal, Ahti, Hansen

par Alain Brunet

La seconde soirée d’Akousma, soit jeudi soir à l’Usine C n’a peut-être pas présenté un programme d’anthologie mais la diversité et le relief des propositions au programme valait le déplacement à l’Usine C. 

Diego Bermudez Chamberland

Destin//Trouble, du Québécois Diego Bermudez Chamberland,  est sa deuxième composition d’une œuvre acousmatique répartie en trois mouvements (Cartografía interior). Les forces naturelles, les territoires infinis et le dynamisme de la vie seraient les vecteurs de la mythologie scandinave selon L’Edda, un recueil de l’auteur Snorri Sturluson. Voilà selon le programme officiel la source d’inspiration du compositeur dans le cas qui nous occupe. Ainsi, ces thèmes sont librement adaptés à une morphologie des sons résultant de différentes sources : sons de synthèse, prises de sons « naturels », traitements audionumériques, instruments acoustiques. Cette diversité de sources n’est certes pas une garantie de succès mais on a ici affaire à une œuvre tout à fait concluante, dont on observe la théâtralité et la cohérence narrative. Ce n’est donc pas une suite d’effets savants au service de la recherche fondamentale, on suit sans problème le parcours de ce Destin/ Trouble fertile en rebondissements et en contrastes parfois violents, et en apprécie la tension dramatique.

Nicolas Ratti

L’Italien Nicolas Ratti, musicien et designer de renommée internationale, présentait ensuite une version live de l’œuvre  K1/K2 pour support, synthétiseur modulaire et boucles de piano. On n’a pas assisté à la réinvention du minimalisme électroacoustique, mais cette œuvre s’est avérée facile d’absorption. Les matériaux sont clairement identifiables : enregistrés au piano et traités numériquement, des accords et clapotis mélodiques sont exposés en boucle par le clavier avec de minuscules variations. Les harmonies et fragments mélodiques sont assortis de percussions et sifflet jouées très simplement, d’abord déclenchés en temps réel et jouées carrément  par le compositeur à la conclusion de l’œuvre, le tout enveloppé de bourdons émis par le synthétiseur modulaire. Sympathique, reposant, agréable… et c’est tout.

Tomoko Sauvage

Japonaise installée en France, la compositrice Tomoko Sauvage surfe depuis un bon moment sur l’eau de ses bols qu’elle a convertis en instruments de musique, soit en y installant des micros-contacts permettant d’en capter les sons. L’eau, la céramique, l’amplification subaquatique et le traitement électronique sont les outils d’expression dont l’objet est de s’adapter à la dynamique imprévisible des matériaux mis à contribution. Ainsi, l’œuvre au programme  résulte de manipulations aquatiques et prises de sons transformées en temps réel. Le processus créatif est fort intéressant d’entrée de jeu, il faut dire : traitements divers résultant d’ondes générées dans les bols, immersion d’objets dans l’eau, harmoniques générées par le frottement,  etc. Or, l’étendue des découvertes au programme s’avère plutôt limitée, du moins ce qu’on en a entendu jeudi soir. Au bout d’une quinzaine de minutes, une impression de redondance s’installe et il faut multiplier les efforts pour que l’attention soit maintenue.

Pierre-Luc Senécal

Artiste prolifique, à qui l’on doit entre autres le très métal Growlers Choir,  Pierre-Luc Senécal s’en est mis beaucoup sur les épaules avec la création de l’œuvre Broken Voices, inspirée par le thème de la guerre. Son profil biographique indique qu’il est inspiré par le rock, la pop et le métal, on était donc en droit de s’attendre à une prestation musclée, qui fit somme toute plus cérébrale, à la limite du documentaire sonore. Avec cette rhétorique parlée sur les impacts tragiques et quantitatifs de la guerre, on perd un peu l’émotion que suscite la violence armée. Il est bien sûr complexe d’éviter le piège du bruit d’artillerie, Sénécal nous épargne ainsi les bruits de chars, mitrailleuses et autres munitions et préfère se concentrer sur l’illustration sonore de l’état psychologique engendré par la guerre. Au lieu des pétarades, on a plutôt droit à des fragments de dialogues et rires sont mis en scène, entrelardés de courtes séquences de chaos synthétique. Intéressant. Bien construit. Marquant? C’est selon.

Marja Ahti


Marja Ahti est une artiste sonore et compositrice suédo-finlandaise qui « crée des récits musicaux précis avec des textures acoustiques détaillées en mutation lente auxquelles s’ajoutent des formes et des tons calibrés intuitivement ». Entre les sons familiers du quotidiens et ceux de l’abstraction résultant d’une vue de l’esprit, Marja Ahti déploie une œuvre raffinée et sensible. Une écoute peu attentive de Still Lives, réparties en 4 mouvements, peut certes  laisser une impression de redondance ou  encore mener à conclura à une approche générique dans un contexte électroacoustique, mais le jeu de textures brillamment construites et la progression dramatique de ces fluides sonores infirment une telle impression. Rien de spectaculaire mais beaucoup plus riche qu’il n’y paraît.

Devon Hansen

 
Authentique nerd de la musique électro, Devon Hansen puise dans différents bassins de sons 

hip-hop, techno, glitch minimal, ambient, électroacoustique “classique”. Ce qu’il en fait, on le présume, peut laisser plusieurs impressions puisqu’il travaille en direct avec une grande latitude. Jeudi soir, le chemin était subtil, ludique par moments, sans éclat de manière générale. On pouvait néanmoins apprécier ces variations de bourdons et de criquets synthétiques, grognements dans les graves, percussions de table,  le tout nappé d’harmonies consonantes. Les découvertes et ressentis ont été un peu minces d’entrée de jeu mais cette musique de Devon Hanson s’avère un authentique grower.

crédit photo: Caroline Campeau

Le Vivier | Créations et célébrations pour le cinquième anniversaire de Stick&Bow

par Elena Mandolini

L’ambiance était à la fête hier soir à La Chapelle Scènes Contemporaines. L’ensemble Stick&Bow, duo atypique composé de Krystina Marcoux au marimba et Juan Sebastian Delgado au violoncelle, célèbre cette année leur cinquième anniversaire. Devant un public enthousiaste, les deux interprètes ont manifestement voulu se faire plaisir en proposant un programme comprenant presque uniquement des créations. Presque tous les compositeurs et toutes les compositrices étaient présent.e.s pour assister à la première exécution publique de leurs œuvres.

Le timbre du violoncelle et du marimba se marient parfaitement et la salle de La Chapelle était tout à fait adaptée à ce genre de concert. L’ambiance intime faisait en sorte que le public se sentait tout près des interprètes, et aucun problème de volume n’est à noter. La scénographie du concert est également à saluer. La scène était tantôt plongée dans la pénombre, tantôt éclairée par des lampes suspendues au plafond. Ces éléments contribuaient à créer différentes ambiances, tant mystérieuses qu’animées, ajoutant chaque fois une nouvelle dimension à chacune des pièces.

Il s’agit d’ailleurs du concept du concert : mobiliser plusieurs sens. À l’entrée en salle, chaque membre du public a reçu un petit sac contenant diverses collations à déguster durant le concert. Un élément parfois distrayant durant les allocutions entre les pièces, mais tout de même apprécié. On se sentait réellement à une fête d’anniversaire!

Musicalement, le duo nous a fait entendre toute l’étendue de leur talent. Les pièces demandaient l’utilisation de plusieurs techniques de jeu, autant au marimba qu’au violoncelle. Les instruments étaient réellement utilisés à leur plein potentiel, et on a l’impression qu’il s’agit de deux instruments solos, tant les partitions sont exigeantes et intenses. Le public a pu prendre part à un voyage sonore qui les menait de pièces introspectives et planantes à des œuvres aux sonorités jazz, en passant par des morceaux pleins d’intensité et de fougue. Les pièces étaient entrecoupées d’anecdotes sur les cinq premières années d’existence de l’ensemble.

Stick&Bow nous a offert un cadeau pour leur anniversaire, celui de nous offrir des œuvres passionnantes, touchantes et impressionnantes. Les deux interprètes ont visiblement beaucoup de plaisir à nous partager ces œuvres, et ce plaisir est contagieux. Pour Stick&Bow, l’aventure ne fait que commencer!

Pour la programmation complète du Vivier, cliquez ICI.

Ciné-concert à l’OSM | Tragédie, humour et humanité avec Le Dictateur de Charlie Chaplin

par Rédaction PAN M 360

Mercredi soir, l’OSM offrait à la Maison symphonique un petit cadeau au public omnivore montréalais. Une perle (aussi tragique soit-elle) du répertoire cinématographique, amplifiée et mise en valeur musicalement par un orchestre dont la qualité n’est plus à douter.

Le Dictateur, sorti en 1940, est un bijou de son genre. Le premier film réellement parlé de Charlie Chaplin présente une attention minutieuse à l’esthétique sonore, telle qu’on le retrouvait dans Les temps modernes quatre ans plus tôt, et une chorégraphie exemplaire qui fait la force de Chaplin. Le film se présente presque comme un ballet, évoquant autant la grâce que la misère humaine. La scène du globe terrestre est marquante dans cette optique. Il est nécessaire de remettre en contexte le film, qui a été réalisé bien avant que l’on saisisse l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, mais on ne peut s’empêcher de sourire et de rire face à cet humour si universel et si bien dosé.

Il est certain que la présence d’un orchestre comme l’OSM pour réaliser la trame sonore a bonifié, ou plutôt enluminé l’expérience. C’est avec clarté et fidélité au matériel original que les musiciens, sous la gouverne de Timothy Brock, ont accompagné le public. Les cuivres étaient en demande, étant donné le caractère militaire de nombreuses scènes, et ont été parfaits. Ils ont même par moment su extirper quelques rires par eux-mêmes. Les cordes quant à elles, très nombreuses (surtout pour les contrebasses), ont assuré la fondation de l’orchestre et la réalisation des émotions plus douces et sombres, à l’écran.

La musique du film n’a certainement pas la même ambition ou l’envergure d’une symphonie mahlérienne, mais démontre des qualités certaines qui sont à saluer, et à applaudir! Il s’agit d’une musique qui regorge d’humour et de fraîcheur. Malgré un aspect très fonctionnel (la musique est un outil dramatique par essence), on se plaît à observer comment la partition sert à accentuer les gags ou les émotions, tant dans la tristesse que dans la joie, ou encore dans la confusion et dans l’espoir. En effet, on remarque l’utilisation fréquente de leitmotivs.

Charlie Chaplin a lui-même dit avoir amèrement regretté d’avoir fait ce film après que les atrocités des camps de concentration aient été révélées au monde en 1945. Il ne s’agissait plus, selon lui, d’un sujet dont on pouvait rire. Sa présence dans le contexte actuel est également troublante. Le film a beaucoup d’échos avec la situation actuelle, voire trop d’échos. On ne peut critiquer l’OSM d’avoir programmé cette œuvre, ne sachant ce qui allait se passer, mais on peut saluer l’organisation de l’avoir conservée, avec son message surtout optimiste et humaniste. Un réconfort apprécié.

Le ciné-concert est représenté ce jeudi soir à 19h30, et d’autres ciné-concerts sont offert durant la saison de l’OSM. Pour plus de détails, consultez la page des concerts à venir ICI.

Carminho à Montréal: la passion du fado via son histoire ancienne ou nouvelle

par Stephan Boissonneault

Le Théâtre Outremont, plein à craquer de Portugais de Montréal et d’amateurs de fado, a été abasourdi mercredi soir par la prestation de Carminho et de son groupe, qui s’apparentait parfois à un opéra intime, à une mise à nu de l’âme en direct.

« Je chante le fado depuis que je suis dans le ventre de ma mère », a déclaré Carminho au public, vêtue d’une robe entièrement noire et de gants en cuir noir. Elle avait l’air d’un présage des ténèbres et son comportement sur scène nous laissait deviner qu’elle serait très sérieuse. Mais ce n’était qu’une apparence, car elle était en fait très humoristique ; elle plaisantait avec le public, jouant de son français minimal et de son anglais approximatif pour apporter un peu de légèreté entre les chansons de son dernier album, Portuguesa, et de quelques œuvres antérieures.

Lorsqu’elle a déclaré qu’elle chantait du fado dans le ventre de sa mère, ce n’était pas un mensonge. Sa mère, Teresa Siqueira, est également une célèbre chanteuse de fado, et Carminho a grandi entourée de musiciens dans des maisons de fado, de sorte que le style de vie de la musique fado est profondément ancré dans le sang de Carminho. Et ceux qui n’avaient aucune idée de ce qu’était le fado ont eu droit à une brève leçon d’histoire de la part de Carminho. Pour elle, le fado est la vie, sa langue, un moyen d’exprimer la passion et les difficultés du peuple portugais. Le fado, dont l’origine remonte aux années 1800, suit une structure traditionnelle et sonne souvent comme un deuil, avec de longues pauses dramatiques permettant au chanteur de tenir une note passionnée spécifique.

La voix de Carminho est pleine de vie et de tristesse, avec une touche dramatique qui vous secoue et vous laisse sans voix, que vous compreniez ou non de quoi parle la chanson. Une leçon d’histoire sur le fado, mais aussi sur l’origine des chansons, les poètes portugais qui les ont écrites et les amis de Carminho qui lui ont donné la bénédiction d’ajouter de la musique à leurs poèmes.

L’une d’entre elles parlait de deux amoureux qui ne ressentent rien l’un pour l’autre. « Je me demande s’il y a un couple dans le public ce soir à qui cette chanson s’adresse », a déclaré Carminho sous les rires du public. Une autre chanson était la réimagination par Carminho d’un poème classique sur une jeune fille qui se rend à une fontaine, mais qui est dérangée par des « oiseaux », qui semblent être en fait des hommes. Carminho a réécrit les paroles pour que ce soit un homme qui aille à la fontaine. « Il est vrai que beaucoup de fado a toujours été masculin et sexiste, les hommes écrivant les poèmes pour que les femmes les chantent, alors j’ai voulu changer cela », a déclaré Carminho. Et changer cela n’a pas été une mince affaire. Carminho a dû obtenir la bénédiction de la famille du poète originel et la signature de la Société portugaise des auteurs. En ce qui concerne le fado, la poésie et l’art en général, la valeur artistique et les droits d’auteur semblent revêtir une grande importance au Portugal.

Carminho a également été qualifiée d’innovatrice du fado pour avoir introduit le mellotron, la guitare électrique et la guitare lap steel en plus de la configuration traditionnelle de la basse acoustique, de la guitare classique et de la guitare portugaise. En raison de cette configuration, elle a interprété des chansons de fado plus traditionnelles, mettant l’accent sur les trilles et les gammes de la guitare portugaise, et des réimaginations plus modernes avec les tons chauds du mellotron et les lignes obsédantes de la guitare lap steel. Le spectacle était donc varié, sans aucun moment d’ennui.

AKOUSMA, UN 18 OCTOBRE | Dhomont, Delisle, Mourad Bncr, Côté, Guerra-Lacasse, Cano Valiño, Reid

par Laurent Bellemare

Est-ce possible d’entrer dans le son? C’est la question à laquelle la musique électroacoustique semble vouloir répondre. Entouré des trente haut-parleurs ide l’acousmonium installé à l’Usine C, on avait en tout cas l’impression d’être enveloppé dans le son en mouvement.

En guise d’ouverture de sa 19e édition, le festival Akousma proposait une gamme diversifiée d’œuvres savamment ficelées grâce à des procédés technologiques variés. Fort de 7 décennies de développement, ce classicisme de la musique électro n’est pas en reste en matière de renouveau. Hier, on pouvait d’ailleurs entendre des esthétiques les plus académiques à celles plus profanes. Mis à part les deux prestations, il n’y avait absolument rien à voir, mais beaucoup à entendre. Tout était fixé sur support, comme si vous alliez voir un film sans image, mais rebondissant d’action.

Francis Dhomont

À 96 ans, Francis Dhomont a pratiquement écrit l’histoire de l’électroacoustique. D’ailleurs, sa pièce Somme toute agissait comme un ‘best of’ de sa carrière. Elle était diffusée par Louis Dufort, ancien élève de Dhomont et directeur artistique d’Akousma, qui n’a pas raté l’occasion de souligner l’énorme influence du compositeur français. Bruits qui vous tournent autour, rebonds, objets qui roulent et articulations imprévisibles : tous les éléments clés d’une œuvre concrète phare y étaient. Bien que réalisée dans les règles de l’art, règles en partie écrites par Dhomont lui-même –, la pièce avait peut-être tout de même le défaut de ses qualités. C’était un exposé somme toute très académique, où l’aspect rétrospectif de l’œuvre pouvait être perçu comme un saut du coq à l’âne. Il n’en demeure pas moins qu’entendre une nouvelle pièce de Francis Dhomont, c’est toujours un plaisir ainsi qu’un réel privilège.

Julie Delisle 

Pipa Aura Suichi est-il un titre annonciateur de l’utilisation du pipa chinois? On aurait pu y croire. Pourtant, c’est une banque de son uniquement conçue des instruments inventés du compositeur Jean-François Laporte qui est à la source de cette œuvre de Julie Delisle, compositrice et flûtiste montréalaise. Complètement acousmatique, cette pièce cachait bien son jeu. On y entendait divers crépitements sonores, lesquels sonnaient parfois humides, à l’instar d’un mouvement d’ébullition. Il y avait un usage marqué des traitements sonores, camouflant bien souvent la nature des sons utilisés. Si le tout se développait selon une structure et des phrasés relativement convenus, la pièce avait toutefois une profondeur de champ créée par ses différentes couches texturales évoluant en concomitance.

Mourad Bncr

Comment l’environnement terrestre sonnera-t-il lorsqu’il n’y aura plus d’humains? Chose certaine, personne n’y sera pour l’entendre. Cela ne signifie pas pour autant que notre monde ne sera que silence. Dans Le monde après nous, l’artiste multimédia Mourad Bncr s’imagine un tel paysage sonore. Dès son entrée sur scène, la salle est immédiatement tombée dans une atmosphère lugubre, où la musique évoluait lentement dans une esthétique à la croisée du drone, du dark ambient et du glitch.  Mis à part la présence de l’artiste ainsi que l’inclusion distante d’une mélodie feutrée de flûte nord-africaine, la musique de Bncr était une affaire désincarnée, soustrayant l’anthropocène du portrait pour y laisser derrière une musique qui respire. Les articulations subtiles avaient tout l’espace nécessaire pour que leur mouvement soit pleinement ressenti par l’auditoire. Fort différente des autres propositions, Le monde après nous était un moment fort de la soirée.

Guillaume Côté

Avec Guillaume Côté, on s’aventurait dans des territoires autrefois proscrits par l’enseignement académique de l’électroacoustique. Discrete Stream of Light était une longue pièce de vingt minutes, structurée avec une poignée de longues montées en intensité, juxtaposées les unes après les autres. Durant l’un de ces mouvements, on baignait dans une superposition d’arpèges consonants reprenant les grands principes de l’esthétique minimaliste. Il y avait alors une densification progressive des strates sonores, culminant vers un sommet et une chute brève. Une nouvelle vague pouvait ensuite débuter. Harmoniquement, le tout était très statique. Aucune dérogation du mode majeur dans le choix des notes. De plus, l’essentiel de la matière utilisée semblait constitué de sons de synthèse. Si l’impression était loin d’être celle d’un contenu novateur et surprenant, la familiarité du résultat musical a fait de Discrete Stream of Light une œuvre fort satisfaisante sur le plan des affects. S’il y a eu un moment de bonbon auditif à Akousma hier soir, c’était définitivement celui-là.

Roxanne Melissa Guerra-Lacasse

Il y a parfois un décalage entre les inspirations thématiques des artistes et la perception qu’on peut avoir des œuvres finales. Dans La Berceuse de la veuve de Roxanne Melissa Guerra-Lacasse, c’est l’amour qui devrait être le moteur de création. Ce n’est pourtant pas évident d’y déceler un concept à la fois si vague et si omniprésent dans l’art. Il en va de même pour la pièce de théâtre éponyme qui a inspiré l’œuvre. Ce qu’on pouvait entendre, par contre, c’est une pièce acousmatique très bien montée, dans laquelle une variété de sources sonores plus ou moins identifiables se courtisent et dansent une ronde au-dessus de nos têtes. La pièce est vaguement narrative et les articulations sont graduelles. Il y a une histoire qui se raconte à travers cette trame plutôt ambiante et ses sons inversés, mais on ne sait pas laquelle. La relation avec le théâtre est certainement intéressante, et on peut s’attendre à ce que cet apport porte fruit à long terme dans la musique de Guerra-Lacasse. Une artiste dont il faudra surveiller le travail.

Rocío Cano Valiño

Même constat avec le travail de la compositrice argentine Rocío Cano Valiño dont les deux œuvres présentées à Akousma (Astérion; Okno) étaient respectivement basées sur des récits de Jeorge Luis Borgès et Silvina Ocampo. Dans Astérion, je n’ai su trouver ni labyrinthe ni Minotaure. Toutefois, j’y ai entendu une musique totalement engageante. Dans les deux pièces, les articulations étaient telles que l’attention était retenue du début à la fin. Les grincements, cliquetis et effets de crécelles abondaient et chaque seconde était d’une grande densité d’information sonore. La saturation de sons sur-stimulait l’ouïe, provoquant à la fois plaisir et chatouillement à l’oreille. Un travail monumental de micromontage a été réalisé pour pouvoir composer ces œuvres constamment en mouvement. L’esthétique était cohérente d’une pièce à l’autre et la précision technique de celles-ci était remarquable. Ces diffusions par Valiño auront été des moments marquants de l’événement.

Sarah Belle Reid

Avec Sarah Belle Reid, la trompette était mise dans tous ses états. La compositrice canadienne était la seule à présenter une œuvre mixte, Manifold pour trompette et électronique. Cette prestation de 25 minutes mettait en scène la compositrice elle-même, qui jouait de son instrument d’une manière bien peu orthodoxe. Pour l’essentiel de la composition, la trompette était utilisée comme amplificateur du souffle de Reid, lequel était ensuite capté par un micro qui interagissait avec le dispositif informatique en place. Ainsi, avec divers effets de respiration et bruits de bouche, la compositrice utilisait son instrument à la fois comme une source sonore et comme un contrôleur. Elle manipulait également certains paramètres numériques via des potentiomètres, laissant même sa trompette de côté pour se consacrer à ses machines pendant un bref instant. Vers la fin de l’œuvre, on a pu entendre quelques notes cuivrées, intervenant un peu comme une délivrance résolvant un long moment de tension. Mais pour le reste, on avait droit à une musique effrénée, dont le débit des interventions à la trompette relevait d’un chaos total, mais contrôlé. Le jeu entre l’humaine et la machine était spectaculaire, et cette œuvre aura su terminer la soirée en force.

Dominique Fils-Aimé | Ses racines courent dans la salle

par Michel Labrecque

Dans la foulée de son nouvel album , Our Roots Run Deep, Dominique Fils-Aimé s’est présentée le 17 octobre au Théâtre du Nouveau Monde, devant une salle comble, gagnée d’avance si on en juge par le tsunami d’applaudissements avant que la première note ne soit émise.

Comment rendre sur scène, cet album , magnifique au demeurant, basé principalement sur la multiplication des voix de la chanteuse par des effets de studio? C’était un pari risqué, qui a été gagné!

Une mouture plus électrique, rythmique, qui nous a tous envoûtés. 

Dominique Fils-Aimé ne fait rien comme les autres.  Elle fait des trilogies d’albums, à contrario des tendances actuelles à l’instantanéité.  Pour son spectacle, elle a débuté en suggérant candidement qu’elle ne voulait pas d’applaudissements et qu’elle était follement nerveuse. Après une déclaration d’amour au public, elle a annoncé que son concert allait être en continu, sans véritable pause.

Et nous l’avons suivie dans son voyage intérieur. 

Ça a donné près de quatre-vingt-dix minutes d’introspection dans lequel on a mélangé savamment des chansons des trois premiers albums aux nouvelles créations. Le tout lié par de jolis textes introspectifs en français sur les milles vies de Dominique Fils-Aimé et son droit à faire la liste, à pleurer et à demander « pourquoi? ». L’écrivaine et actrice Queen Ka, Elakahna Talbi de son vrai nom, aurait contribué à la confection des textes. 

Alors que sur Our Roots Run Deep, l’instrumentation est largement acoustique (contrebasse, percussions , trompette), la version scénique laisse beaucoup plus de place aux claviers (David Osei Afrita), à la guitare électrique (Étienne Miousse) et à la basse électrique(Danny Trudeau) et à la batterie(Salin Cheewapansri). Hichem Kalfa à la trompette et Elli Miller -Maboungou aux percussions complètent le groupe.

Cela donne une facture plus tonique et festive à la musique. Par contre, on perd la complexité des arrangements vocaux de l’album. 

Mais cela permet aussi à Dominique Fils-Aimé de livrer ses chansons d’une façon différente en mettant en évidence la force de sa voix unique. 

Le concert se termine sur Our Roots Run Deep, la première chanson du nouveau disque. Terminer par le début. Je vous l’ai dit: elle ne fait rien comme les autres. 

De toute évidence, la salle a plané. Et moi aussi. 

La tournée se poursuit au Québec et en Ontario 

  • La photo est tirée de la page Facebook de Dominique Fils-Aimé
Inscrivez-vous à l'infolettre