Opéra McGill | L’univers magique de Cendrillon porté sur la scène

par Elena Mandolini

Chaque année, les étudiant.e.s de l’École de musique Schulich de l’Université McGill montent un opéra. Cette année, il s’agissait de Cendrillon de Jules Massenet, que toute la distribution a su porter avec brio, pour livrer une performance de haut calibre. La soirée s’est déroulée sous le signe de la magie, de l’humour, et de somptueuse musique. Un franc succès!

En entrevue avec PAN M 360 plus tôt cette semaine, Stephen Hargreaves (directeur artistique et musical) et David Lefkowich (metteur en scène invité) avaient confié que cette partition de Massenet recelait des passages qui donnaient du fil à retordre même aux compagnies professionnelles. On reconnait, en tant que membre du public, que certains passages sont difficiles, autant pour l’orchestre que pour les chanteuses et chanteurs. Mais les interprètes donnent l’impression que ces passages sont en fait très faciles. Même les passages les plus rapides, les plus virtuoses, sont interprétés avec solidité et confiance.

On ne peut nier la qualité exceptionnelle de la distribution (impressionnante en nombre, d’autant plus que deux castings se partagent les trois représentations) d’Opéra McGill. Dès les premières mesures, l’orchestre s’impose et offre une performance d’une qualité constante, malgré les plus de deux heures que dure Cendrillon. L’écriture de Massenet est très évocatrice, et l’orchestre sait transmettre musicalement l’intrigue, la grandeur de la noblesse, la mélancolie et la magie que recèle cette Å“uvre.

Le même éloge peut être fait des chanteuses et chanteurs qui se partagent la scène. On retrouve une belle variété de voix, toutes solides et remarquables. On salue particulièrement la diction parfaite du texte en français : on saisit chaque syllabe. Le texte en anglais est projeté au-dessus de la scène, selon l’usage, mais on aurait également bénéficié du texte français, pour pouvoir savourer encore plus l’humour du livret d’Henri Caïn. Cet humour, qui transparaît d’emblée à la lecture du texte de l’opéra, est sublimé par la mise en scène. Les interprètes s’amusent sur scène, et leur jeu d’acteur fait beaucoup rire. On prend des libertés, on exagère parfois le jeu, mais tous ces éléments ont leur raison d’être et ne font que rendre la soirée des plus agréables. La scénographie et les costumes, respectivement dessinés par Vincent Lefèvre et Ginette Grenier, contribuent beaucoup à transporter le public dans le monde magique de Cendrillon.

Les moments très drôles côtoient des moments extrêmement touchant et somptueux. Les scènes mettant en vedette la fée (Kate Fogg) sont à couper le souffle, tant par leur scénographie magique que par la performance de grande qualité de l’interprète. Également, les duos sont pleins d’émotion, qu’il s’agisse des chants d’amour entre Cendrillon (Bri Jones) et le Prince charmant (MacKenzie Sechi), que celui où Pandolfe (Nicholas Murphy), le père de Cendrillon, lui propose de quitter la maison de la vilaine belle-mère pour retourner à leur vie paisible et campagnarde d’antan. Enfin, les moments impliquant les chœurs transportent le public tantôt à la cour du roi, tantôt dans une forêt peuplée d’esprits et de mystères.

Cette soirée exceptionnelle aura su démontrer à quel point les jeunes étudiant.e.s en musique sont prêt.e.s à relever des défis de taille, et leur capacité à briller et à exceller du même coup.

Cendrillon de Jules Massenet, avec Opéra McGill et l’Orchestre Symphonique de McGill, dirigé par Stephen Hargreaves. Représentations supplémentaires le 27 janvier à 19h30 et le 28 janvier à 14h. INFOS ET BILLETS ICI!

Pour connaître la programmation complète de l’École de musique Schulich, c’est ICI!

Crédit photo : Stephanie Sedlbauer

Cédrik St-Onge condense le Verre Bouteille

par Théo Reinhardt

Le 23 janvier au soir, au milieu de la rumeur du Verre Bouteille, j’attends de voir le récent album de Cédrik St-Onge, Osoyoos, mis en concert. C’est grâce à une date supplémentaire ajoutée à son lancement du 5 décembre – et qui a atterri bien loin – que j’ai pu y assister, ayant manqué le premier événement. J’ai bien hâte, et je me demande comment le son grandiose et luxuriant de l’album sera transposé dans cette petite salle.

Sans grande surprise, la scène est bien remplie: l’auteur-compositeur-interprète est accompagné de Marc-Antoine Beaudoin et Bruno St-Laurent, ses copains du groupe Vendôme, ainsi que d’Alexis Leroy-Pleshoyano (Mada Mada), Jérémie Essiambre (La Faune, Cosmophone), Flavie Melançon et Marilyse San James. Difficile de tous les voir en même temps quand on est au fond de la salle, alors on les identifie plutôt par le son de leurs instruments. Après 20 minutes on arrive peut-être à voir, le batteur entre les têtes, un autre 20 et on aperçoit le nez du claviériste. C’est tassé serré, disons.

Le spectacle commence, et ce qui frappe tout de suite avec le premier morceau Un jour à la fois, c’est l’immédiateté. Même les moments plus doux sont canalisés vers une énergie supérieure à celle de l’album. Ce qui donne hâte aux moments forts. Ensuite vient Ce qu’on veut pas entendre, qui confirme ce que la chanson précédente me suggérait. Les grands contrastes de volume de ce morceau en font un des plus envoûtants. À peine dix minutes après que cela ait commencé, je me dis dans ma tête que ce concert est déjà une réussite.

À un moment entre deux chansons, St-Onge demande à la foule de crier le nom de sa grand-mère pour lui enregistrer une vidéo. Évidemment, on s’emporte, et nous voilà en numéro improvisé où tout le monde chante le nom de Josette sur l’air de « olé, olé olé olé… ». Les musiciens, tels de vrais pros, s’y joignent. Une petite folie de 15 secondes. Un plaisir fugace à la soirée.

De retour à la musique. On se réjouit du fait que toutes les chansons soient revigorées, animées par une sensibilité entre les musiciens par laquelle l’énergie se transfère. L’alliage est solide: les chorales sont justes et obsédantes; le jeu des guitares, précis quand il faut; le batteur se permet de jouer avec les rythmes, ajoutant des détails et des nouveaux punchs qui provoquent des cris joyeux. Pour toutes ces raisons et d’autres que je ne saurais nommer, l’expérience de cet album en live s’est particulièrement distinguée d’une écoute du matériel standard. Les chansons Ce qu’on veut pas entendre et Headlights sont particulièrement bien rendues, et le souvenir de leur version vivante teintera désormais toutes mes futures écoutes. Pour un album aux instrumentations riches et grandioses, la petite scène du Verre Bouteille s’est montrée étonnamment plus qu’adéquate pour en rendre justice.

Peut-être est-ce la proximité des artistes sur scène. Peut-être est-ce le fait qu’il s’agissait de mon premier concert de 2024, et que je débordais d’humeur positive à l’idée de recommencer à courir entre les spectacles d’artistes que j’apprécie. Peu importe, cet album aux couleurs chaudes faisait affront au froid extérieur, probablement bien plus cette fois-ci qu’au début de décembre. Pas grand chose de plus évocateur, dans ce cas, que les fenêtres dégoulinantes de condensation qu’on remarque en sortant. Osoyoos et ses créateurs auront été une ravissante boule de chaleur à mon soir du 23 janvier.

Ensemble Tesse et Le Vivier | Briser le moule de l’expérience musicale

par Elena Mandolini

L’année 2024 au Vivier commence par des concerts mettant en vedette la relève de la scène musicale actuelle. Hier soir, l’Ensemble Tesse, nouvellement formé, présentait son premier concert. Pour l’occasion, l’événement a été présenté de manière assez différente : on proposait un concert déambulatoire. Le format de ce concert s’est avéré très agréable, et a permis d’apprécier les œuvres au programme d’une nouvelle manière.

À l’entrée en salle, le public était invité à s’asseoir au sol, sur scène, autour d’une structure qui serait occupée par les musicien.ne.s. Entre chacune des pièces, le public était invité à se lever et à se déplacer. Il y avait également la possibilité de rester debout ou même de se coucher. Le public s’est prêté au jeu, se déplaçant silencieusement autour de la structure aux moments opportuns. Ces mouvements n’ont pas alourdi ni ralenti le concert, au contraire : les musicien.ne.s également se déplaçaient et se couchaient au sol lorsqu’il n’était pas à leur tour de jouer.

Au programme, on nous proposait des œuvres « comprovisées », composées, mais aussi improvisées. La co-création est l’un des objectifs de l’Ensemble Tesse, et il remplit parfaitement son mandat. L’écoute et les dialogues entre les musicien.ne.s sont remarquables. Les œuvres présentées s’apparentent surtout à des études de sonorité, dans lesquelles chaque musicien.ne repousse les limites sonores de son instrument respectif. Il est primordial de souligner la qualité de chaque interprète, tant dans son jeu toujours excellent que dans son jeu d’ensemble.

Chaque pièce permettait à un membre différent de l’ensemble d’être mis en valeur, chaque fois dans des combinaisons instrumentales différentes. Chaque œuvre présentait un univers sonore différent. Même si le concept restait le même, soit des improvisations collectives, la soirée n’a jamais semblé répétitive, et les idées musicales se succédaient judicieusement. Les moments plus méditatifs côtoyaient des passages bruités, rythmés, et parfois d’une grande mélodie.

La proposition du concert a été accueillie avec enthousiasme par le public. La scénographie et l’éclairage contribuaient à mettre les auditeurs et auditrices dans une ambiance d’expérimentation, un peu hors du temps et de l’espace, où tous les cadres étaient brisés et reconfigurés. L’Ensemble Tesse est l’heureuse preuve qu’il est possible de faire les choses différemment tout en offrant une expérience de concert mémorable et agréable. Leurs prochains projets sont à suivre absolument!

Ensemble Tesse

NOAM BIERSTONE (percussions)

AUDRÉANNE FILION (violoncelle)

CHARLOTTE LAYEC (clarinette basse)

OFER PELZ (piano)

MARILÈNE PROVENCHER-LEDUC (flûtes)

GABRIEL TROTTIER (cor)

Pour connaître les prochains concerts présentés par Le Vivier, c’est ICI!

classique / classique occidental

Piano symphonique – Fazil Say

par Varun Swarup
Arrivant au Centre Pierre-Péladeau par un dimanche après-midi glacial, j’ai été un peu surpris de voir une foule immense rassemblée devant la salle de concert. Il semble que les organisateurs de l’événement chez Pro Musica aient été tout aussi impressionnés par l’affluence, exprimant leur enthousiasme dans leurs remarques d’ouverture. Mais peut-être n’était-ce pas vraiment surprenant.

Fazil Say s’est distingué en tant qu’artiste de classe mondiale au cours de ses 25 ans en tant que pianiste de concert. Avec 1,2 million de fans sur ses comptes de médias sociaux, il a accompli ce qui pourrait susciter l’envie de tout pianiste de concert, comblant le fossé entre la musique classique et un public populaire. Originaire de la capitale turque, Ankara, Say attire de nombreux compatriotes partout où il tourne, beaucoup d’entre eux étant venus le voir jouer ici.

Montant sur scène avec une démarche décontractée, M. Say se met rapidement à l’aise et en quelques secondes, les harmonies nébuleuses et cristallines de Claude Debussy remplissent la salle. Ce que l’on peut rapidement observer en regardant la performance de M. Say, c’est à quel point il est sensible au son et à sa manipulation. Tout au long de sa performance, il ferait souvent des gestes vers les cordes du piano, comme s’il conversait avec le piano lui-même, ou du moins avec le son qui l’entoure. Ainsi, l’aspect le plus virtuose de Say n’est pas nécessairement sa technique en soi, mais sa capacité à créer des nuances si fines dans la dynamique.

À cet égard, l’inclusion de Debussy dans le répertoire était un excellent choix et a créé une merveilleuse synergie entre le compositeur et l’interprète. La première moitié du programme a culminé avec une interprétation de Clair de Lune, une composition si magistrale qu’elle ne perdra probablement jamais son charme.

Bien que la deuxième moitié ait été agréable, les choses ont pris une tournure résolument plus romantique. Avec des compositions de Beethoven et Liszt, ce répertoire avec sa tonalité dramatique et grave, avait tendance à échapper à la clarté et à la délicatesse du jeu de Say. Le virtuose a néanmoins démontré une maîtrise redoutable de ce répertoire, et il était particulièrement agréable d’entendre le programme se conclure par une composition de l’artiste lui-même. Pour cette pièce, Say a pris plus de libertés avec le piano, jouant avec les cordes, tirant quelques mélodies percussives et arabisantes avant de devenir un peu jazzy.

À la fin, le public a pu laisser éclater tout l’enthousiasme et l’appréciation qu’il avait contenus, et Say s’est certainement délecté de ses rappels et de ses ovations. Un excellent début pour la série Piano symphonique !

La relève musicale brille de mille feux à la Salle Claude-Champagne

par Elena Mandolini

Hier soir à la Salle Claude-Champagne de la Faculté de musique de l’Université de Montréal avait lieu l’édition 2024 du concert Étoile Montante, concert mettant en vedette l’Orchestre de l’Université de Montréal (OUM). Cet événement a également permis à des étudiantes et étudiants solistes (Fiona Wu, piano et Catherine Chabot, flûte), cheffes (Lori Antounian et Marie-France Mathieu) et compositeurs (Edwin H. Ng et Luis Ernesto Peña Laguna) de briller sur scène. Une soirée haute en couleur et pleine d’interprétations à couper le souffle!

La première partie du concert mettait en vedette la création de l’œuvre Of breath, movement and boxing d’Edwin H. Ng, lauréat du Concours de composition de l’OUM en 2023. Il s’agit d’une pièce énigmatique, évocatrice et animée d’une énergie anxieuse. Les jeux de texture dans cette pièce sont particulièrement intéressants : on entendait le vent, par moments doux et mélodique, par moments percussif, ce qui faisait écho, en quelques sortes, à la glaciale température que le public avait dû braver pour assister à ce concert.

Et le public aura été récompensé! La deuxième pièce au programme, le Concerto pour piano no. 4 de Beethoven, interprété par Fiona Wu, 3e prix du Concours de concerto de l’OUM, était à couper le souffle. La pianiste interprète les passages les plus virtuoses avec légèreté, aisance et souplesse, tout en démontrant une force et une puissance remarquables dans les passages nécessitant une attaque plus forte. Les mélodies, qui passent d’une main à l’autre, sont toujours distinctement audibles. De plus, le jeu d’ensemble de l’OUM, le dialogue entre orchestre et soliste sont impeccables, et l’équilibre sonore est excellent.

Après l’entracte, le public assiste à une seconde création, soit celle de l’œuvre SAR de Luis Ernesto Peña Laguna, également lauréat du Concours de composition de l’OUM. Cette Å“uvre, qui contraste avec la première création, est tout aussi magnifique. Plus tonale, cette Å“uvre est remplie de mouvement, que l’on devine cyclique, puisque l’œuvre commence et se termine de manières similaires. Des sons filés et aigus aux cordes laissent place à de belles envolées mélodiques par le reste de l’orchestre. L’utilisation des percussions retient l’attention : parfois subtiles, elles sont toujours présentes, ajoutant une texture fort intéressante.

La soirée se termine avec une interprétation solide et convaincante de Conversations pour flûte et orchestre de Denis Gougeon, avec Catherine Chabot comme soliste. Cette œuvre se déroule sous le signe de la précision. Le son clair de la soliste remplit la salle sans effort, et elle attaque les passages rapides avec assurance et flexibilité. Pour sa part, l’OUM joue parfaitement son rôle d’accompagnateur, mais également d’interlocuteur (comme le titre de l’œuvre l’évoque). L’orchestre démontre une grande solidité et retenue dans le premier mouvement, plus lent, et est d’une grande précision dans les attaques et coupures dans le deuxième mouvement, plus percussif.


Il faut également souligner le travail remarquable des deux étudiantes en direction d’orchestre, qui ont su diriger ces œuvres exigeantes avec succès. Sur scène, il était manifeste que le plaisir et l’amour de la musique étaient au rendez-vous. Après une telle soirée, il ne faut pas s’inquiéter : la relève musicale est entre bonnes mains.

Pour la programmation complète de la Faculté de musique de l’Université de Montréal, c’est ICI!

électronique / funk / house / jazz / techno

Marc Rebillet : mettre le feu dans la neige sans la faire fondre!

par Alain Brunet

Jusqu’à 21h l’aire de jeu d’Igloofest s’est lentement peuplée. Jeudi soir, on renouait avec ces lieux garnis à l’aide de conteneurs devenus structures à usages multiples (terrasses, écrans, bars etc. ). Quatre week-ends consécutifs s’amorcent donc ce jeudi 18 janvier, les DJ producteurs.trices se succédaient sans se distinguer clairement et puis…

À celles et ceux qui pensent qu’Igloofest est devenu un événement dont la programmation est définitivement formatée, voici un contre-exemple frappant… ou encore un exemple probant de l’audace encore frétillante de sa direction artistique : l’heure passée avec Marc Rebillet ne se compare à aucun des (milliers) de sets présentés à Igloofest depuis sa fondation en 2007.

Légèrement vêtu, le mec ouvre les hostilités par un tonitruant « Why the fuck is it so hot here! Â»  On était au-dessous des – 10 degrés sur le plancher des vaches mais sur scène, c’était visiblement très chaud !

Né d’un père français et d’une mère américaine, l’artiste amerloque est l’une des rares créatures de la mouvance électronique à offrir une telle heure d’improvisation. 

Marc Rebillet se présente devant les milliers de one-pieces et leurs occupants avec sa dégaine provocatrice mais aussi avec des capacités peu communes à improviser en temps réel : avec ses équipements électroniques, il va sans dire mais aussi avec des claviers et sa propre voix, puissante voix de chanteur pop.

Il déclenche un beat house ou un beat techno, ou encore un autre plus tribal, avec lequel il sait juxtaposer des voix en temps réel. Il peut hurler à la lune ou improviser une ligne mélodique, il peut mettre en boucle une série d’accords posés sur une charpente rythmique, il peut balancer des grondements de moteurs, il peut haranguer la foule et la provoquer par un humour absurde, notamment lorsqu’il scande dans un français impeccable (assorti d’un accent charmant) qu’il ne parle pas français. 

Ses influx harmoniques de jazz ou de funk aux claviers confèrent encore plus de profondeur à son show clairement atypique dans le contexte d’Igloofest. Rares sont les artistes du genre capables de capter l’attention en stoppant les machines pendant de longues minutes et y glisser de très simples mélodies vocales ou autres borborygmes pour ensuite relancer la fête au plus grand plaisir des festivaliers. 

Toute une bête! Voilà qui promet pour la suite des choses, car il reste encore 11 soirées d’Igloofest, là où le feu peut prendre dans la glace.

crédit photo: Madeleine Plamondon

Searching for Goya : du flamenco pur, et plus encore

par Frédéric Cardin

Hier soir, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, avait lieu la création canadienne de Searching for Goya, une chorégraphie existentielle à base de flamenco classique, surtout, mais aussi de danse moderne et d’un peu de ballet. Les Productions Nuits d’Afrique nous ont fait une fleur (une rose dans les cheveux, assurément!) en invitant la compagnie new-yorkaise Soledad Barrio et Noche flamenca à venir présenter son specacle à Montréal, peu de temps après la première réalisée à Seattle il y a quelque semaines.

Crédit photo : Peter Graham

Searching for Goya est inspiré, vous l’aurez deviné, de l’art de Francisco de Goya (1746-1828), immense peintre espagnol qui révolutionna la peinture à son époque et demeure aujourd’hui l’un des plus grands artistes visuels de tous les temps. Encore de nos jours, son art viscéral, parfois explosif, son propos et son style demeurent totalement modernes et visionnaires, sans avoir pris une seule ride. 

Cela dit, si vous n’êtes pas spécialiste de Goya, vous devrez, à l’instar du titre, chercher Goya dans la chorégraphie. La présence du peintre et de son Å“uvre restent en filigrane, comme un fantôme, une présence sublimée plutôt qu’exposée, bien que quelques passages soient plus évidents. Qu’à cela ne tienne, ce détail n’est finalement pas déterminant, car la force émotive irrépressible qui se dégage de l’Å“uvre scénique de la danseuse Soledad Barrio et du metteur en scène Martin Santangelo submerge le spectateur. Nous sommes happés par un flamenco à la fois arrimé dans la tradition et dans une vision expansive où la danse moderne et le symbolisme viennent s’attacher de façon holistique.

Un décor presque nu, avec peu d’accessoires si ce ne sont quelques chaises, des costumes épurés, agrémentés de quelques rares ajouts, comme ces ailes (d’ange?) aperçues au début et à la toute fin de la pièce. Aucune projection de tableaux ou gravures de Goya. Il ne s’agit pas d’une expo-pop dans le genre à la mode actuellement. On est ailleurs. Dans le non-dit, dans l’allusion, dans une profondeur qui réclame concentration de la part du spectateur.

Modo de volar (1819) et Le vol des sorcières (1798), Francisco de Goya

Mais finalement, c’est le flamenco qui dit tout. Et la performance des quelque 13 artistes sur scène est à la hauteur. Époustouflante de perfection rythmique, de cohérence et coordination d’ensemble, d’expressivité incandescente, sensoriellement incendiaire. Jamais de décalage entre les coups de pieds, les clappements, les attaques de guitares. Tout est réglé au quart de tour, à la fraction de seconde près. On reste pantois. 

On aurait peut-être pu profiter de surtitres, pour associer ce que l’on voit avec ce que l’on entend, chanté ou scandé. C’est la seule nuance que j’apporterai à l’appréciation de ce spectacle unique et original. Si on n’est pas un connaisseur de Goya, ou si on ne parle pas espagnol, ou les deux, on ne peut aller au bout de la totalité de cette expérience. C’est dire la qualité de Searching for Goya, si, malgré ces carences, le spectateur lambda en ressortira ravi et fortement impressionné.

À lire également : l’entrevue de mon collègue Varun Swarup avec Martin Santangelo de Soledad Barrio et Noche flamenca

Crédit photo : Peter Graham

classique / classique moderne / post-romantique

L’OSM et Rafael Payare attaquent la 7e de Mahler

par Alain Brunet

L’OSM reprend du service à l’orée de 2024, la Maison symphonique vibre cette semaine au son de Mahler et Szymanowski et ses occupants s’en portent très bien.

Simone Lamsma ne figure pas dans la liste Wikipédia des violonistes néerlandais de très haut niveau, mais cela ne saurait tarder. Pas exactement un pied de céleri ! Il faut effectivement un son d’enfer pour transcender la partition de ce fabuleux Concerto pour violon no 1 de Karol Szymanowski, qui fréquente régulièrement les hautes fréquences, notamment dans les parties sans accompagnement symphonique.

Les notes doivent être particulièrement bien appuyées  pour éviter tout agacement dans les aiguës, ce que la musicienne accomplit dans les meilleures dispositions. Qui plus est, le jeu étincelant de Simone Lamsma inclut une articulation sans failles apparentes en haute vélocité.Qui plus est, l’intelligibilité de son interprétation n’est que très rarement réduite par l’orchestre dont le maestro a prévu un soutien quasi impeccable.

La relation musicale entre Rafael Payare, l’OSM et la soliste laisse assurément présager d’autres rencontres à venir. On applaudit ce choix du Concerto no 1 pour violon de  Szymanowski, car ce compositeur né dans une zone frontalière de la Pologne (aujourd’hui faisant partie de l’Ukraine) a Å“uvré durant la même période que les grands compositeurs pré-modernes et modernes, soit au tournant du siècle précédent. On y observe des avancées harmoniques, une diversité rythmique, une modernité mélodique et des orchestrations comparables à celles des compositeurs les plus joués de cette époque.

Voilà un choix judicieux de la part de la direction artistique de l’OSM, qui mise aussi sur la découverte d’un répertoire moderne, dont cette œuvre considérée par les spécialistes comme le premier concerto moderne pour violon et orchestre.

Quant à la Symphonie no 7 de Gustav Mahler, une œuvre colossale de 77 minutes répartie en 5 mouvements, l’effet est plus que frappant – sans compter les frappes inappropriées des applaudissements d’une part de l’auditoire qui n’est jamais réprimandée par l’OSM, un choix d’accessibilité qui se défend certes, mais qui met à l’épreuve la tolérance de la majorité des mélomanes présents dans la salle.

Il faut certes très bien connaître ses meilleures interprétations de cette 7e symphonie de Mahler pour en déceler les petites failles perçues mardi soir, quelques ajustements seront requis pour atteindre l’excellence de la 5e, jouée magistralement par l’OSM et Payare, l’hiver dernier. Au premier de trois concerts du même programme, tout indiquait que l’orchestre montréalais et son chef pouvaient d’ores et déjà ravir l’auditoire et que les ajustements  apportés cette semaine mèneraient à une exécution top niveau. On l’a vu et entendu au premier mouvement, un peu moins réussi que les autres, il est très difficile de bien rendre compte de cette dialectique orchestrale entre les ombres de la nuit et la lumière du jour, entre les  moments de petit bonheur incarnés par des airs plus légers et les ambiances sombres et dramatiques. 
Gustav Mahler était assurément une être tourmenté, mais on ne pourra pas l’accuser de ne pas avoir recherché les éclaircies de l’existence humaine, d’où ce clair-obscur déployé au long de cette 7e symphonie construite autour d’un scherzo central. Ce dernier est enrobé de deux mouvement sombres et nocturnes émaillés d’étoiles, on parle ici des fameux Nachtmusik 1 et 2, le tout coiffé d’un rondo-finale.

Le cinquième et dernier mouvement évoque ironiquement la quête du petit bonheur si l’on est attentif à sa subtile caricature. Quête à peu près impossible dans l’univers de Mahler… les ténèbres n’y finissent-ils pas par l’emporter, paradoxalement à notre plus grand plaisir ?

crédit photo: Antoine Saito

École de musique Schulich | Martin Luther King, Tambour-Major

par Frédéric Cardin

Chaque troisième lundi du mois de janvier, aux États-Unis mais également ici au Canada, est soulignée la Journée Martin Luther King Jr. Hier soir, donc, Montréal tenait son événement commémoratif à travers un concert donné à la salle Tanna Schulich de l’Université McGill. Pour l’occasion, on y donnait une Å“uvre de John Hollenbeck, pour trois trombones, batterie, piano, accordéon, guitare électrique, marimba et vibraphone, The Drum Major Instinct : Three settings of MLK Jr’s last sermon. Le principe est le suivant : sur un enregistrement du dernier sermon de MLK (Martin Luther King), donné le 3 avril 1968 dans une église de Memphis, deux mois avant son assassinat, le compositeur Hollenbeck, également professeur à McGill, a créé trois univers sonores différents, construits autour d’un équilibre entre improvisation et partition écrite. 

Le sermon lui-même est un exemple probant du génie oratoire de Martin Luther King, qui en s’appuyant sur un passage de la Bible, construit tout un discours narratif autour du principe de Drum Major Instinct, ou « instinct du tambour-major », que l’on pourrait résumer par la volonté de chaque personne à vouloir diriger la parade, être meilleur que les autres, ou même supérieur. Ce discours, il le déploie efficacement grâce à sa remarquable faculté oratoire à bâtir de la tension et de l’émotion évolutive qui mène vers un paroxysme affectif et signifiant. MLK ouvre la perspective vers les sujets politiques de l’époque, soit un réquisitoire contre la guerre du Vietnam tout en bifurquant vers son sujet de combat personnel, les inégalités raciales. Dans cette perspective, le Drum Major Instinct des Blancs les amène à se croire supérieurs. Esthétiquement parlant, c’est diablement réussi. C’est donc là-dessus que Hollenbeck a écrit ses trois versions, jouées l’une à la suite de l’autre. On entend donc le même discours à trois reprises, avec un accompagnement musical différent, comme pour montrer à quel point celui-ci peut être adapté de toutes les manières imaginables. À ce sujet, je remarquerai que, sauf tout le respect que j’ai pour les immenses qualités verbales de MLK, l’écoute d’un même preach religieux, bien que fortement additionné de politique, d’humanisme et de philosophie, devient lassant. Ceux et celles qui n’aiment pas le prosélytisme religieux qui se cache derrières les scandes de « Jesus!!!! » avec intensité dramatique finiront par être fortement irrités. Avertissement.

Musicalement, cela dit, l’approche de Hollenbeck (vous trouverez sa page Bandcamp ici) est fascinante et très stimulante. La première itération, confiée aux trombones et à la batterie, et se déroulant dans le noir, tente de créer une atmosphère de conflit et d’opposition. Les trois cuivres y vont de déclamations abstraites, faites de points et de traits sonores improvisés, ce que j’appelle du pointraitisme, typique de la musique d’avant-garde savante. Il ne s’agit donc pas de jazz, mais bien de musique contemporaine informée par le jazz, car des inflexions ici et là laissent savoir de quel univers provient le sujet, celui de l’afro-américanité des années 1960. La batterie (Hollenbeck lui-même) accompagne cette séquence de façon très discrète, tout en retenue.

La deuxième version est à l’opposé. Exit les trombones et la batterie, bienvenue à l’accordéon, la guitare électrique, le vibraphone, le marimba et le piano (Hollenbeck, encore). La lumière revient sur un monde tout en douceur, presque planant. L’effet est notable : le discours de MLK qu’on réentend une deuxième fois se pare alors d’une autre personnalité. On y remarque plutôt les tendances humanistes, et on entend mieux les paroles! On dirait quelque chose entre le minimalisme ambiant et l’éthérisme feldmanien (Morton Feldman, grand compositeur inclassable du 20e siècle). Très beau travail de l’accordéoniste et du guitariste, qui laissent perler des notes délicates à travers la trame. 

La troisième version appelle tout le monde sur scène, dans une sorte d’oecumémisme syncrétique entre la puissance des trombones et la douceur des autres instruments. Cette fois, cela dit, les trois cuivres se font moins abstraits, plus chantants, avec des réminiscences plus évidentes de jazz et même de blues. Les dernières minutes ressemblent à une parade de fanfare qui se dissout finalement dans une espèce de marche funèbre. Luther King n‘avait plus que deux mois à vivre. 

Applaudissements soutenus pour les musiciens sur scène, tous excellents : Ed Neumeister, Kalun Leung, Felix Del Tredici, trombone; Gentiane Michaud-Gagnon, accordéon; Oliver Tremblay-Noël, marimba/vibraphone; Roman Munoz Bueno, guitare électrique; John Hollenbeck, batterie et piano.

Le résultat final est impressionnant et porte à la réflexion, car le Drum Major Instinct évoqué par MLK n’a pas disparu de notre monde, au contraire. Si j’ai trouvé la force d’écriture de Hollenbeck tout à fait réjouissante, je me questionne sur la hiérarchie qui finit par transpirer de l’ensemble. La triple répétition du discours de MLK (au-delà du bémol évoqué plus tôt en lien avec le rebutoir du preach religieux), auquel est inféodée la musique, fait en sorte que le Drum Major Instinct évoqué par MLK est finalement représenté par le texte, au détriment de la partition. Celle-ci prend plutôt le rôle de bande sonore, un peu commentatrice, mais sans avoir pu remplir tout son potentiel, bien plus grand. En clair, j’aurais aimé ne pas entendre le sermon une troisième fois (au moins), et laisser la musique transcender, voire sublimer, le propos de MLK. C’est là l’immense pouvoir de la musique, que les mots, même de l’un des plus grands orateurs de l’histoire, ne peuvent égaler. J’aurais aimé pouvoir plonger en moi-même, cogiter le sens et la profondeur du discours de MLK à travers la musique seule. Je pense que ça aurait été encore plus efficace que d’entendre une énième fois l’enregistrement. À un moment donné, cela finit par ressembler à ce que le sermonnage religieux a de pire : nous enfoncer avec insistance des choses dans la tête, par une répétition incessante et profondément lassante.

Ne vous méprenez surtout pas sur mes propos : The Drum Major Instinct : Three settings of MLK Jr’s last sermon de John Hollenbeck est une Å“uvre supérieure, peut-être un authentique chef-d’œuvre. Mais c’est sa musique qui porte le texte de MLK dans de nouveaux espaces de signifiance, au-delà même de ce qu’avait pu prévoir l’orateur. Pas le contraire. Alors que celle-ci soit mise de l’avant de façon plus équitable en regard de sa qualité, ce n’est, de ma part, qu’un souhait sincère et une reconnaissance de sa grande qualité. 

Pour la programmation complète de l’École de musique Schulich, c’est ICI!

École de musique Schulich | Pleins feux sur les compositrices à McGill

par Frédéric Cardin

C’est une soirée musicale placée sous le signe de la féminité, disons même du féminisme, à laquelle il nous a été donné d’assister samedi soir dernier, le 13 janvier, à la salle Pollack de l’Université McGill. Mais, bien au-delà de ces catégories sommes toutes réductrices, ce fut avant tout une très belle soirée de grande musique, interprétée par des artistes de haute volée, professeures et étudiant, témoignant encore une fois du très haut niveau de qualité de cette école de musique parmi les meilleures en Amérique. 

Au programme et en ordre chronologique inversé, nous avons entendu le Trio pour piano en la mineur, opus 150 (1938) d’Amy Beach, le Trio pour piano no1 en sol mineur, opus 11 (1881) de Cécile Chaminade et le Trio pour piano en ré mineur, opus 11 (1847) de Fanny Mendelssohn. Un panorama élargi de l’acte compositionnel féminin, non seulement en termes temporels, mais aussi géographiques (une Étatsunienne, une Française et une Allemande) et stylistiques.

Amy Beach déploie des trésors de couleurs et de textures dans son Trio, solidement charpenté de façon classique, mais témoignant d’un tempérament romantique et manifestant des velléités stylistiques non seulement impressionnistes, mais aussi, dans le mouvement final, un stimulant Allegro con brio, des clins d’oeil discrets mais notables au jazz et au folklore étatsunien. Le tout a été rendu avec force et conviction par les artistes, Violaine Melançon au violon, Joshua Morris au violoncelle et Kyoko Hashimoto au piano.

Contrairement au Trio de Beach, une œuvre de maturité (en vérité la dernière pièce de musique de chambre de la compositrice), le Trio de Cécile Chaminade est une œuvre de jeunesse, sa toute première pour formation chambriste. Chez la jeune Chaminade (elle avait 24 ans), beaucoup de lumière, avec des phrasés déployés de façon très limpide et dessinés à la pointe fine. Une musique très française en somme. On y entend des passages à la fois délicats et virtuoses que Fauré aurait été fier d’avoir écrits. Ailleurs, c’est Schumann qui aurait apprécié les tournures mélodiques. Même si l’espace sonore créé par le trio dans son ensemble était un peu plus dense et charnu que souhaité dans ce genre de musique, on doit tout de même noter l’impeccable technique de chaque artiste et l’écoute attentive de chacun vis-à-vis des autres. Je remarque en particulier un scintillant jeu de piano de Kyoko Hashimoto. 

Finalement, le concert s’est terminé par le Trio, éminemment romantique, de Fanny Mendelssohn, encore ici, une Å“uvre de maturité de la compositrice (même si elle était encore jeune, elle devait mourir peu après). Rien à envier à frérot Félix, ou à n’importe quel mâle de l’époque. Rempli de mélodies engageantes et d’affects à la fois très personnels et finement contrôlés, il s’agit d’un authentique chef-d’œuvre du Romantisme allemand. La lecture des représentants de McGill fut à la hauteur d’une soirée qui se terminait ainsi avec brio et surtout une immense satisfaction. 

En 2024, nous avons désormais la grande chance d’apprécier de plus en plus régulièrement ce genre de bijoux musicaux, trop longtemps éclipsé par la mauvaise foi et les préjugés stupides d’une gente masculine jalouse de ses prérogatives et des ses privilèges auto-proclamés et accordés. Tant pis pour ces imbéciles qui n’ont jamais su reconnaître l’immense valeur de cette musique par le passé (mais dommage pour ces femmes qui en ont pâti…). Justice commence enfin à être rendue, non seulement pour la musique, mais particulièrement pour les mélomanes que nous sommes!  

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Bugs Bunny at the Symphony | L’humour intemporel de Bugs Bunny

par Elena Mandolini

Lorsque l’on pense à Bugs Bunny et aux Looney Tunes, la première chose qui nous vient à l’esprit est rarement la musique. Le thème du générique, peut-être, mais mois souvent la bande sonore qui accompagne les dessins animés qui ont bercé l’enfance de nombreuses générations. Cependant, lorsque l’on s’y attarde, on remarque bien vite que la musique classique occupe l’avant-plan de bien des cartoons. C’est ce que ce concert, Bugs Bunny at the Symphony, veut nous faire remarquer. Non seulement des extraits d’opéras, de ballets, et de symphonies classiques sont présentes dans la trame sonore de ces dessins animés, la partition originale arrange savamment ces extraits pour les adapter aux images, sans toutefois dénaturer la source.

Bugs Bunny at the Symphony se déploie donc sous le format du ciné-concert. L’Orchestre FILMharmonique, qui interprète la partition pour la version montréalaise de ce concert, est spécialiste de ce genre, et démontre toute son expertise dans le domaine. On remarque l’interprétation sans faille, d’une précision irréprochable et d’un dynamisme exemplaire. L’orchestre est amplifié de manière très satisfaisante. Seul bémol : le click track utilisé pour synchroniser son et image est clairement audible lors des moments de silence.

Sur un grand écran, qui domine la scène de la Salle Wilfrid-Pelletier, plusieurs dessins animés défilent, pour le plus grand plaisir de tous et toutes. On redécouvre les cartoons les plus connus mettant en vedette Bugs Bunny, bien sûr, mais aussi Wile E. Coyote, Road Runner, Elmer Fudd, et tous nos autres personnages favoris. Petite surprise également : de nouveaux dessins animés, réalisés spécialement pour ce concert, sont également présentés. L’excellent orchestre FILMharmonique est dirigé par George Daugherty, le créateur de ce concert. Tout au long de la soirée, il partage des anecdotes sur la création de Bugs Bunny et sur la musique que l’on y entend.

Tout au long de la soirée, le public s’amuse, et on entend plusieurs exclamations lorsque l’on reconnaît des mélodies ou des personnages. Il s’agit d’un concert très bien conçu, avec de la musique magnifiquement interprétée, qui saura charmer petits et grands.

Bugs Bunny at the Symphony, une production locale de GFN Productions, avec l’Orchestre FILMharmonique et George Daugherty. Deux autres représentations auront lieu le dimanche 14 janvier, à 14h et 19h. BILLETS ET INFO ICI!

Crédit photo : Martin Bélanger, gracieuseté de Warner Bros. Discovery

classique occidental / néoclassique

Aubades symphonique ou le triomphe du cycle orchestral de Jean-Michel Blais

par Alain Brunet

On ne peut commencer l’année 2024 sans vous causer du triomphe de Jean-Michel Blais et l’Orchestre de l’Agora : deux Maisons symphoniques à guichets fermés pour boucler la boucle du chapitre Aubades, album de JMB consacré à la musique de chambre dont la matière était exécutée devant public par plus ou moins une cinquantaine de musiciens de l’Agora sous la gouverne de Nicolas Ellis. 

Avec en prime le persillage concluant d’œuvres complémentaires signées Philip Glass (Opening, Closing), Claude Debussy (Passepied), Érik Satie (Gymnopédie no 3, arr. Debussy), Benjamin Britten (Playful Pizzicato), BedÅ™ich Smetana (Ma Vlast), Sergueï Rachmaninov (fondu dans une pièce de JMB), Max Richter(Spring no 1, inspirée de Vivaldi et impliquant le grand orgue Pierre-Béique joué par JMB), Yann Tiersen (J’y suis jamais allé) ou même Yanni (Santorini), ces Aubades, musiques du petit matin en mode symphonique contribuent à définir les standards les plus élevés du néoclassicisme.

Entrelarder de grands compositeurs du passé aux compositeurs néoclassiques d’aujourd’hui est une pratique de plus en plus prisée, force est d’observer. Pour le public conquis au néoclassicisme, cette pratique est louable à n’en point douter. Or, pour le public féru des périodes romantiques et modernes, c’est peut-être autre chose, car les plus grands compositeurs de notre époque ne sont pas tous post-minimalistes ou platement consonants, comme c’est le cas des néoclassiques en majorité absolue. 

Quoique…

Jean-Michel Blais, un pianiste de talent n’ayant pas complété sa formation et revenu à la musique au terme d’un louable parcours humanitaire, était doué pour la composition et sensible aux enjeux stylistiques de son époque. Ainsi, il n’a pas systématiquement adopté ses connaissances de la musique romantique ou impressionniste à une forme easy listening de musique classique. Ses injections de musique électronique l’avaient déjà positionné dans une classe à part. Puis la pandémie l’a conduit à se pencher sur l’écriture orchestrale, nous voilà au cÅ“ur de ce processus dont le principal intéressé se dégage lentement de l’exercice de style.

On l’avait observé il y a quelques années lorsqu’il avait assuré la première partie de l’Islandais Ólafur Arnalds à la Maison symphonique, nourrissant pour certains et soporifique pour d’autres. C’est aujourd’hui encore plus concluant. JMB est désormais un artiste consacré. Et sa personnalité attachante, empathique, drôle et sans prétention ne nuit certainement pas à son succès populaire.

L’arrangeur François Vallières a parfaitement saisi ces musiques consonantes en leur conférant un lustre plus contemporain, et ce sans déroger aucunement de la tradition classique pré-contemporaine. Rappelons qu’il remplit fort bien cette mission auprès d’Angèle Dubeau et l’ensemble à cordes La Pietà depuis plusieurs années, il poursuit cette Å“uvre notamment auprès de JMB  avec le  soutien fervent de l’Orchestre de l’Agora et son chef Nicolas Ellis. 

Ce très bel orchestre, d’ailleurs, ne cesse de progresser dans cohésion, dans ses exécutions ou dans  l’efficience de ses sections et de ses solistes. On l’a d’ailleurs observé vendredi chez les bois et les cuivres. Les parties de cordes n’étaient pas particulièrement mises à l’épreuve, sauf le mouvement Playful Pizzicato, deuxième mouvement de la Simple Symphony de Britten entièrement joué en pizzicato par les cordes (pincées, sans archet).

Et… de toute cette mouvance, Jean-Michel Blais n’est-il pas un des musiciens québécois ayant favorisé les meilleurs accommodements entre musique classique consonante et création contemporaine ?  Snobée par les mélomanes rompus à la « grande musique », cette approche n’est certes  pas la panacée de la musique contemporaine, mais n’est pas non plus un chemin menant systématiquement à la facilité et à l’édulcoration.

Crédit photo: Ludovic Rolland-Marcotte

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