musique contemporaine

Semaine du Neuf | Une symphonie et une première mondiale pour Tim Brady

par Vitta Morales

Le 15 mars dernier, dans le cadre de la Semaine du Neuf, le Théâtre La Chapelle accueillait Tim Brady, ses guitares et ses pédales. Un changement de dernière minute au programme a permis à Brady de jouer l’intégralité de sa pièce de quarante-cinq minutes, Symphony in 18 Parts, ainsi que la première de For Electric Guitar.

Il faut dire, pour commencer, que La Chapelle était un excellent choix de salle pour ce répertoire, car le style de la boîte noire a permis de concentrer l’attention du public sur les outils de Brady (ses pédales, ses amplis et ses guitares), ainsi que sur ses paysages sonores. Sur un fond noir, il n’y avait pas grand-chose qui puisse distraire l’auditeur ; cela, associé à un bon éclairage, signifiait que les vibrations étaient tout à fait appropriées pour les inventions électriques de Brady.

En ce qui concerne la Symphonie in 18 Parts de Brady, il se trouve que je l’avais plus ou moins fraîchement dans les oreilles, car je l’ai beaucoup consultée en préparation du concert et des entretiens que nous avons menés en amont. Ainsi, je pense pouvoir dire quels mouvements ont été plus répétés que d’autres. De temps en temps, lorsqu’un passage de notes rapides se présentait, l’exécution était un peu moins nette que celle de l’enregistrement. Cela était plus perceptible dans les moments où la distorsion et l’overdrive étaient absents. Bien entendu, je ne blâme pas Brady qui n’avait pas l’intention de jouer l’intégralité de l’enregistrement. À d’autres moments, il s’est montré à la hauteur et a réalisé de manière impressionnante des passages délicats de sweep picking et de hammer-on flurries (en particulier dans For Electric Guitar). 

Au final, un après-midi agréable de shredding, de paysages sonores éthérés et de tapping chatoyant. De plus, Brady avait un bon sens de l’humour, une attitude détendue et prenait le temps d’expliquer les sons qu’il produisait avant de laisser parler ses guitares Godin. C’est clairement la marque d’un compositeur et d’un interprète qui fait ce métier depuis des décennies.

crédit photo : Paola Benzi

jazz / jazz brésilien / jazz vocal

UdeM | Un hommage à la voix féminine sur l’impulsion du Big Band

par Michel Labrecque

Le 13 mars, les étudiantes du programme de chant jazz et les instrumentistes du Big Band de la Faculté de musique de l’Université de Montréal fusionnaient leurs efforts pour créer un concert en hommage à la voix féminine, en ce mois de mars, le mois dédié aux droits des femmes. Michel Labrecque y a assisté.

João Lenhari, le directeur musical du Big Band et lui-même trompettiste, était fébrile au moment du début du concert. Fier de présenter un hommage à la voix féminine jazz, le Brésilien d’origine, avec un charmant accent quand il parle (très correctement) français, se disait très content que six des dix-sept membres de son Big Band soient des femmes. « Un jour, elles seront 50 % » a déclaré João. Avant la première note, le ton de la soirée était donné. 

Puis, la musique a commencé, d’abord avec un instrumental brésilien, Doralice de Dorival Caymini et Antônio Almeida. On sent un peu de nervosité chez les musiciens, après tout, ce sont des étudiants. Mais très vite, l’atmosphère se détend, les doigts se décrispent et la magie de l’ensemble s’installe. 

Commence ensuite la succession des chanteuses, tantôt en solo, tantôt en duo, avec toujours l’appui indéfectible et complexe du Big Band. Margaux Deveze, Marie-Soleil Lambert, Gabrielle Nessel, Marie-Eve Caron, Maude Brodeur et Juliette Oudni sont étudiantes dans le programme de chant jazz universitaire, mais plusieurs d’entre elles ont déjà amorcé une carrière professionnelle. Vous pouvez les entendre dans certains bars et certains studios. 

Ces voix sont toutes différentes et chacune a ses forces et ses faiblesses. Mais, dans l’ensemble, les prestations sont très agréables à écouter, en particulier lors de certains duos où les harmonies ou dialogues vocaux font mouche.

Le programme musical va de Billie Holiday à Tom Jobim en passant par Cole Porter et Jerome Kern. 

À mi-chemin du concert arrive le moment le plus étonnant : les six chanteuses interprètent a cappella Central Park West, une pièce au départ instrumentale du grand saxophoniste John Coltrane. La chanteuse Gabrielle Nessel a écrit un texte et João Lenhari qui, habituellement, arrange des instruments, a fait l’arrangement vocal. 

Pendant ces trois minutes, le temps s’est arrêté. La salle a lévité. Nous avons flotté avec ces six voix totalement en harmonie. Au point que la chanson a été reprise en rappel à la fin du concert et que toute la salle est restée. 

Pour sa part, le Big Band d’étudiants affiche une bonne tenue. Chacun des membres a la possibilité de s’exprimer par de courts solos. Il faut comprendre que ces jeunes musiciens sont en train d’apprendre et que le Big Band est une formidable école d’écoute et de solidarité musicale. 

Nul doute que la plupart d’entre eux sont promis à une carrière musicale professionnelle, à l’instar de Benjamin Cordeau, le seul diplômé du programme qui était sur scène à la trompette. 

Mais surtout, ce concert a laissé place aux arrangements captivants du directeur musical João Lenhari, qui semble s’amuser à chaque moment du concert. Des arrangements indubitablement inspirés souvent pas son Brésil natal, mais pas que. 

Le 16 avril prochain, le Big Band reviendra sur scène avec un invité américain de marque : le trompettiste Marcus Printup, membre du Jazz Lincoln Center Orchestra de Wynton Marsalis. 

À suivre…

crédit photo : Nina Gibelin Souchon

classique moderne / classique occidental / musique de chambre / période classique / période romantique

Les Violons du Roy | Trios inattendus : Le charme intimiste de la musique de chambre

par Mona Boulay

C’est en tout début de soirée, dans le cadre de la « Série Apéro », que nous retrouvons cette fois-ci les Violons du Roy pour le concert Dvořák et Cie : Trios inattendus. Le concert, d’une durée plus courte que les concerts habituels des Violons du Roy, puise son répertoire dans des pièces écrites pour des cadres privés bourgeois ou nobles : réceptions, dîners… Tant d’occasions pour se divertir grâce à de plus petites formations instrumentales.

La première pièce, le Trio pour cordes en si bémol majeur de Mozart, nous donne à entendre deux violons accompagnés par la contrebasse, alliance peu commune dans les trios baroques, mais qui était sûrement pratiquée à l’époque pour porter un peu plus la basse que le violoncelle dans les soirées privées. L’« Adagio » nous donne à entendre de jolis échanges entre les trois musiciens, tandis que le  « Menuetto » est beaucoup plus rebondi. Les musiciens ont un jeu commun très agréable et toutes les variations, que ce soit dans le phrasé des croches ou dans les rallentandos, sont effectuées avec grâce. La formule trio met très à nu les musiciens, et on entend parfois de minuscules accrocs d’archet, notamment à la contrebasse, mais cela fait aussi partie du charme de ces petites formations.

Le concert continue avec le Terzetto pour deux violons et alto en do majeur de Dvořák, alternant entre passages véloces en homorythmies, très bien exécutés, et jeux de questions-réponses plus doux. L’alto est superbe dans le « Larghetto » et dynamise le « Scherzo ». La dernière section de la pièce comprend une magnifique montée en énergie et en émotion de la première partie de violon, Pascale Gagnon qui nous offre une splendide prestation. Le public est conquis. Ensuite vient la Sérénade pour deux violons et alto de Kodály, pièce bien plus moderne qui nous fait entendre des couleurs de musique hongroise mêlées à des approches plus expérimentales pour l’époque. Dès le début, la salle est subjuguée par le jeu du thème en suraigu de la violoniste Katya Poplyanski, qui m’avait déjà conquise à sa place de premier violon lors d’un précédent concert des Violons du Roy. Cette dernière possède un sens musical acéré et une maîtrise totale de son instrument, mais toujours en gardant une place centrale au phrasé émotif et aux envolées : un jeu à la fois méthodique et libre. Le « Lento » nous présente un échange entre le violon 1 et l’alto, soutenu par une texture en accords du violon 2 ; une section vraiment particulière, mais dans laquelle on voit réellement converser les deux musiciennes solistes. Le mouvement « Vivo », pour finir, est plus ludique et conclut la pièce en beauté. 

Pour finir le concert, l’alto cède sa place à la contrebasse, qui revient pour nous interpréter la Wiener Carnaval-Walzer de Strauss. Une pièce bien plus en simplicité, peut-être même trop, après les deux pièces audacieuses précédentes. Le tout est bien exécuté, amusant, sans tout autant briller.

Belle réussite musicale, ce concert est aussi l’occasion d’aborder autrement les musiciens des Violons du Roy, dans un cadre plus intimiste.

électronique / expérimental / contemporain / Musique de création / opéra contemporain

Semaine du Neuf | Baptême du Haut-Parleur… coup de circuit !

par Alain Brunet

Après avoir assisté au Baptême du Haut-Parleur jeudi, il était aisé de conclure que cette performance multimédia, techno-opéra si vous préférez, s’avérait l’événement le plus fédérateur de cette troisième Semaine du Neuf. Le plus percutant. Le plus marquant.

Pourquoi? Pour la grande qualité du fond et de la forme. Pour cet équilibre idéal, atteint entre innovation  formelle et charge émotionnelle. 

D’abord, il y a les balises : tout est facile à identifier dans cette œuvre. La trame dramatique, les référents musicaux, les décors, les projections, les enregistrements, le jeu en temps réel, les éclairages, enfin tous les éléments de ce Baptême emploient des codes connus et en ficellent une proposition contagieuse, ce que peu de performances du genre arrivent à générer.  Or, celle-ci a le potentiel des événements qui marquent l’imaginaire et débordent les cercles de l’avant-garde, voire le public présent à l’Espace Orange du Wilder dans le cas qui nous occupe.

Plus précisément, il  y a cet anthropomorphisme à la fois hilarant et dramatique qu’on colle ici à un haut-parleur devenu personnage, plus précisément le modèle Genelec 8020D. Voilà une posture magnifiquement critique sur notre dépendance quasi fétichiste face aux technologies du son et plus encore… mais puisqu’il s’agit évidemment d’une proposition multidisciplinaire dominée par la musique, tenons-nous en au fétichisme sonore.

Il y a ces décors constitués d’une sorte d’épouvantail parlant, et fournissant une part du sous-texte, il ya ces boîtes et papier d’emballage disposés pêle-mêle au fond de la scène, il y a un écran carré qui complète l’incarnation, je dirais spectrale, de la technologie.

Il y a aussi ce rapport paradoxal que nous entretenons avec les objets de haute-fidélité et la technologie en général. «… pour moi, explique Sarah Albu dans l’interview accordée à Judith Hamel, il y a un fil conducteur qui critique la surconsommation dans la société contemporaine, mais il y a aussi une histoire d’amour et d’enchantement, une phase d’engouement, puis une prise de conscience progressive du bagage complexe que porte cet objet, après que mon personnage ait développé un attachement à l’objet et lui ait déclaré son amour. »  Nuance importante, car on peut certes critiquer la consommation à outrance dans les marchés capitalistes, mais on ne peut non plus notre attachement à certains objets qui en sont le fruit… défendu ?

Il y a également cette intégration fluide et efficace des référents musicaux : chant lyrique, folklore, musique contemporaine, musique électronique (drone, techno, dark ambient, etc.) sont au service de formes simples, efficaces, faciles à intégrer. La complexité de l’œuvre  se trouve plutôt dans la nature de l’alliage de ses pratiques que dans ses charpentes musicales en tant que telles.

Ainsi, trois protagonistes sur scène se consacrent à l’existence et au destin d’un haut-parleur que l’on traite comme son enfant, à tout le moins son protégé : la chanteuse montréalaise Sarah Albu, soprano déjantée pour l’occasion, en est le personnage central, assistée de l’accordéoniste Matti Pulkki  (avec qui elle forme le duo Sawtooth) et le concepteur multidisciplinaire Charles Quevillon,  qui officie également sur scène en campant un troisième personnage aux différentes incarnations.

Pendant une heure bien tassée, quatre tableaux défilent sous nos yeux et dans nos oreilles : Délivrance, Mémoires, Souffrance, Sublimation. Ces quatre angles d’attaques ont pour objet de faire le tour de notre relation paradoxale avec la technologie. Notre fascination pour ses avancées et la genèse des nouveaux objets performants, notre propre historique à travers les objets que l’on possède, notre tyrannie avec les objets de notre consommation, et nos manières d’en sublimer la nature.

Coup de circuit (intégré) ? Je vous le donne en mille.

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installation / Musique contemporaine

Semaine du Neuf | Parcours spirituel au cœur de la matière et du son

par Alexandre Villemaire

Jean-François Laporte, artiste québécois présent sur la scène de l’art contemporain depuis le milieu des années 1990, propose des créations intégrant la performance, l’art sonore, la composition musicale, la performance, l’interprétation, l’installation ainsi que l’art numérique. Dans le cadre de la Semaine du Neuf, dans les locaux mêmes du Groupe Le Vivier, il présente Spirituel, une installation sonore dans laquelle le public est invité à s’immerger et à circuler pour « explorer les méandres de son être, à contempler ces instants uniques où le visuel et le sonore se rencontrent dans une harmonie inédite » Nous avons eu l’occasion d’assister à la performance, de même que d’en discuter avec le compositeur, au sortir de ce court voyage dans cet environnement sonore éthéré.

Quand nous entrons dans la salle de l’église St Hildas, lieu où loge maintenant le Vivier, nous sommes accueillis par une structure disposée de manière circulaire au centre de la pièce : douze bols métalliques de différentes tailles, retournés sur eux-mêmes, et un treizième surélevé, la partie creuse orientée vers le ciel. Sur ces bols, rétroéclairés par des lumières changeant de couleurs au gré de la performance, un fil pend, accroché à un trépied. À l’extrémité de ce fil, une petite hélice rotative qu’il va faire tourner autour du bol, alimenté par un moteur, pour produire du son. Voilà la base de ce qui se dévoile à nos yeux et à nos oreilles dans cette salle en bois plongée dans la pénombre. Instinctivement, on est appelé à tourner autour de cette installation, intrigué par sa forme, légèrement dubitatif quant à ce que nous allons entendre.

Progressivement, certains bols se mettent à chanter doucement, illuminés par un éclairage rouge. De plus en plus, les sons générés par les frottements réguliers et irréguliers des hélices deviennent plus nombreux, plus rapides, alors que les textures sonores et visuelles changent. Les frottements qui nous évoquent le bruit des bols tibétains font place à des frappes rapides de quelques hélices qui, disposées sur le socle de ces bols, imitent les attaques percussives des joueurs de tablas indiens avec leur sonorité unique ; quelques instants plus tard, c’est la masse sonore d’un gamelan qui est évoquée pour finalement finir par des sons rappelant ceux de nos clochers d’églises.

À être seuls dans cet environnement sonore, libres de circuler dans l’espace, de nous arrêter et de contempler le son, nous sommes plongés pendant les 15 minutes que dure l’installation dans son entier, dans un espace où le temps semble s’arrêter ou devenir élastique. L’organicité avec laquelle les différentes strates musicales s’enchaînent et gardent notre attention et notre curiosité en éveil. On reste dans l’expectative en se demandant quel élément va s’activer, où, comment et quelle sera son intensité, tant sonore que visuelle. Des réflexions nous viennent aussi dans cet espace, où l’on cherche à décoder comment la thématique de la spiritualité, outre le fait d’être présentée dans l’enceinte d’une église, s’articule musicalement. Les douze bols ne représenteraient-ils pas les douze sons de la gamme chromatique ou les 12 apôtres du Nouveau Testament ? Les référents musicaux entendus évoqueraient-ils à leur manière les grandes religions comme l’hindouisme ou le bouddhisme ? Les réponses sont multiples et personnelles, ce qui rend chaque visite et itération de l’œuvre unique pour chacun.

Alors que nous sortons de ce cocon visuel et sonore, dans lequel on aurait aisément pu se laisser emporter et bercer, nous abordons la discussion avec Jean-François Laporte en nous enquérant de son passé et de sa formation musicale.

Jean-François Laporte : Au départ, je ne connaissais rien. Je suis arrivé dans le monde de la musique à 25 ans, je ne connaissais rien de l’art. À part que j’aimais la musique depuis que je suis petit. Je suis allé en Afrique centrale quand j’avais 18-19 ans en 1988 avec Jeunesse Canada Monde, au Zaïre [aujourd’hui la République démocratique du Congo]. C’est là que j’ai découvert ce qu’était la musique. Ce que je connaissais de la musique, c’était d’être auteur-compositeur. Au départ, j’ai fait des études en génie civil et je travaillais dans le milieu de la construction et je n’aimais pas ça du tout. Même si je faisais de l’argent et que tout le monde me disait : « Tu as un bon job et un bon salaire », ce n’est pas ça qui me passionnait. À un moment donné, j’ai eu le flash que ça faisait déjà quatre ans que j’étais revenu d’Afrique, et je me disais à moi-même : tu aimes ça, la musique ? Tu devrais peut-être suivre des cours. Donc, j’ai tout lâché. Je me suis donné cinq ans et je me suis dit que d’ici mes 30 ans, si jamais ça fonctionne, je continue. Je suis entré au Cégep Marie-Victorin, qui était le seul collège à l’époque où tu pouvais entrer sans avoir de bagage en musique. J’y suis allé en voulant être auteur-compositeur et tout de suite, j’ai découvert plein de trucs. On était quatre étudiants, on s’était payé un prof de compo en quatre sessions. Je n’ai jamais fini mon DEC parce que j’ai été accepté en musique à l’Université de Montréal. À l’époque, des gens comme moi étaient obligés de faire un cursus de quatre ans et non trois, avec la première année où on faisait de l’électro et de l’instrumental. C’est là que j’ai découvert plein de mondes et plein de choses : la pièce de Varèse Poème symphonique composé pour l’Exposition universelle de 1958, la musique de Parmegiani, l’électroacoustique, etc.

PAN M 360. : Quels sont les éléments qui vous inspirent personnellement dans vos compositions?

Jean-François Laporte : Le timbre est au centre de tout ce que je fais. Ce qui m’intéressait pendant longtemps, c’était d’être dans une masse, et d’être capable de sculpter avec les oreilles, d’entendre des trucs et de vraiment aller à la rencontre d’éléments qui sont présents, mais qu’on n’écoute pas normalement. Ce qui m’intéresse dans les musiques orientales, le shakuhachi, par exemple, j’aime le vent, j’aime l’impureté, les bouts de salive que tu entends, alors qu’avec la flûte traversière, même si c’est très proche, il n’y a pas de souffle, tu as juste de belles notes. Alors que dans les autres instruments, le souffle en fait partie.

PAN M 360 : D’où vous est venue l’idée de l’installation cinétique, sonore et visuelle Spirituel ? Pourquoi avoir fait le choix d’en faire une installation plutôt qu’une œuvre performative destinée à la scène ?

Jean-François Laporte : On peut faire remonter tout ça à ma professeure de composition à l’Université de Montréal, Marcelle Deschênes, qui était une femme extraordinaire et qui a ouvert des portes à plein de monde et à plusieurs compositeurs. On était vraiment à l’écoute de chaque individu. Avec elle, on n’a jamais vraiment parlé de musique comme telle, à part après les concerts. Pour elle, la musique, ce n’était pas la partition. Sur le choix du format, j’aime beaucoup les défis. Tu viens dans une installation, tu n’es pas dans le même mode d’écoute que si tu viens à un concert. L’installation, je trouve qu’elle est chouette dans la mesure où elle permet une notion du temps qui est malléable. Des fois, un concert, tu n’y vas pas parce qu’il est arrivé quelque chose et tu ne peux pas y aller. Tandis que l’installation, ce n’est pas grave. C’est de 12h à 18h, tu peux venir quand tu veux. Tu es un peu plus relax, tu es libre. Personne ne te prend par la main. Ça permet de le vivre à sa façon.

Spirituel est présenté jusqu’au 15 mars, à l’Espace Ste-Hilda entre 12h et 18h. INFOS ICI

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musique contemporaine

Semaine du Neuf | Paramirabo/Musikfabrik : avant-garde old school rencontre post-modernisme cool

par Frédéric Cardin

Deux ensembles consacrés à la musique contemporaine et séparés par un océan, mais aussi par deux écoles de pensée, se sont rencontrés mardi soir 11 mars à l’édifice Wilder du Quartier des spectacles à Montréal. D’un côté, l’Ensemble Musikfabrik de Cologne en Allemagne, représenté par trois de ses musiciens, hautbois/cor anglais (Peter Veale), cor (Christine Chapman) et contrebasse (Florentin Ginot). De l’autre le sextuor montréalais Paramirabo, formé d’un piano, de percussions, d’un violon, d’un violoncelle, d’une clarinette/clarinette basse et de flûtes. Au-delà de la différence de timbres imposée par l’instrumentation de chaque ensemble, c’est la dissemblance marquée entre les deux ‘’langues’’ parlées qui était frappant. Disparités évidentes, même pour les plus profanes et accentuées par le programme choisi, aux niveaux de la syntaxe, du discours, de l’importance du narratif dans la trame musicale, des références au vernaculaire et bien d’autres aspects encore. 

En première partie, les trois invités de Musikfabrik ont démontré une expertise technique époustouflante dans des partitions ultra pointillistes/pointraitistes où, des instruments présents, sortaient tous les sont possibles et impossibles, sauf peut-être ceux auxquels ils ont été initialement destinés. La qualité des sons, des timbres, des textures était poussée à un très haut niveau de perfection. Le discours, stratosphériquement intellectuel, avait de quoi ravir les plus avisés des mélomanes réfléchis. À mon humble avis, c’est la pièce Blur of Lichens de Juliet Palmer qui s’est le mieux démarquée en offrant, à travers une construction hyper calculée, la plus belle impression de liberté, voire de lyrisme et de grâce. Le Canadien Gordon Williamson a offert sa vision non dénuée d’humour de la stricte abstraction avec Odd Throuple (un jeu de mot sur Odd Couple, ici en version trio), une création où il a exploré avec truculence les contrastes sonores de ce trio hors norme (un hautbois/cor anglais, un cor et une contrebasse, rappelons-le). J’ai trouvé beaucoup plus académique The Giving Sea de Dylan Lardelli, une ‘’évocation spirituelle’’ de l’océan, m’a-t-on dit. Je n’ai malheureusement pas ressentie cette élévation. C’est peut-être moi.

LISEZ L’ENTREVUE AVEC PAMELA REIMER DE PARAMIRABO AU SUJET DE CE CONCERT

Ce discours strictement atonal et abstrait est ancré dans une vision de l’avant-garde très boulézienne ou post-boulézienne (même s’il ne s’agit pas de sérialisme/dodécaphonisme strict), donc déjà âgée d’une bonne cinquantaine d’années. On peut ainsi parler d’avant-garde ‘’old school’’, un oxymoron étonnant et carrément inimaginable il n’y a pas si longtemps. 

Pour les profanes, c’est une impression de cérébralité qui restera en écho dans les esprits, une caractéristique typiquement (disons même stéréotypiquement) associée à la musique ‘’contemporaine’’. C’est de la bonne musique? Absolument! Mais la deuxième partie menée par Paramirabo allait nous montrer que la musique d’aujourd’hui est rendue ailleurs, et qu’il est important de ne pas l’oublier.

Cette partie s’est amorcé par une courte pièce du Vancouvérois Rodney Sharman, un très joli et très poétique hommage à John Cage pour cor anglais (Peter Veale de Musikfrabrik) et piano doublé de piano jouet (Pamela reimer de Paramirabo), drapé dans des atours néo-impressionnistes. Le message était lancé : cette deuxième partie allait nous offrir une tout autre expérience, moins cérébrale, plus organique voire sensitive, inclusive et éclectique dans ses amalgames. Post-moderniste, et très cool.

C’est ce qui est arrivé avec Un pont sanguin de Paul Frehner, une œuvre résolument narrative, rythmée, empreinte d’un post-minimalisme élargi et de sonorités amusantes telles qu’un synthétiseur genre Plan 9 From Outer Space. Une création qui méritera d’être reprise le plus souvent possible. Le Canadien Chris Paul Harman a fait un clin d’œil à la langue française avec Francisez-moi!, inspiré des compositeurs anciens français, et des grands écrivains et poètes de l’Hexagone. Le résultat est rempli d’humour, avec des narrations sur bande d’extraits de textes divers, dont un sur les multiples qualités des ‘’tétins’’ (les seins). Il y avait aussi une version polytonale de la Marche des Turcs de Lully, des passages post-folk, etc. Ludique, et souriant. 

Finalement, le compositeur québécois Frédéric Lebel a présenté sa création intitulée Si le Temps, l’Espace, une très belle partition teintée de néo-spectralisme, scintillante de mille feux et agréablement épanouie, voire solaire. 

Les membres de Paramirabo ont été impeccables, à la hauteur de leurs illustres invités. Le programme se déplacera en Allemagne dans les mois qui viennent. Présumons que nos cousins ‘’germains’’ seront impressionnés par la qualité de nos instrumentistes, mais aussi du genre de musique contemporaine qu’ils défendent, informée par l’Europe mais trempée dans l’Amérique. 

Paramirabo : 

Jeffrey Stonehouse, flûtes et direction artistique

Viviane Gosselin, violoncelle et direction générale

Gwénaëlle Ratouit, clarinettes

Hubert Brizard, violon

Pamela Reimer, piano

Krystina Marcoux, percussions

Paramirabo : 

Musikfabrik : 

électroacoustique / expérimental / contemporain / musique acousmatique / Musique de création

Semaine du Neuf | Les fouilles « archéosoniques » de Martin Bédard

par Alain Brunet

Les électroacousticiens présents à la Maison de la culture Marcel-Robidas de Longueuil s’entendaient lundi pour déterminer qu’il s’agissait d’un premier concert acousmatique présenté dans cette municipalité : le compositeur Martin Bédard, Longueuilois depuis 8 ans, en fut le commissaire et artiste principal, appuyé par ses collègues Pauline Patie, Louis Dufort et Antoine Lussier. L’acousmatique étant une pratique consistant à présenter des œuvres électroniques sans compléments ou autres renforts scéniques, mais plutôt au moyen d’un acousmonium, soit un orchestre de 22 haut-parleurs top niveau disposés autour du public.

Excellent programme!

Le talent de Martin Bédard doit être souligné à grands traits ici. Il a présenté lundi 3 pièces de son répertoire, composées à différentes périodes de sa carrière.

Champ de fouilles, 2008, sa première œuvre, se fonde d’abord sur un drone autour duquel un accord de fréquences se construit. Cette œuvre fut construite à partir d’une cueillette de sons anecdotiques des sons qui l’entourairent alors, composée dans le contexte du 400e anniversaire de la ville de Québec. Ce ne sont pas que des superpositions de notes, mais aussi de textures et d’interventions sporadiques d’effets plus brusques, grincements de trains sur les rails, martèlements, battement d’ailes, et autres chuintements, bref une œuvre s’inscrivant dans le long sillon de cette musique concrète initiée par Pierre Schaeffer (1910-1995) au cours des années 40, néanmoins actualisée à la manière de Martin Bédard. Nos premiers réflexes en tant que récepteurs pourraient faire en sorte que nous associerions cette œuvre à la la trame sonore d’un film noir ou un film de science-fiction, puisque la plupart d’entre nous l’ont ainsi identifiée, faute de ne pas l’écouter dans les conditions optimales d’un acousmonium. Ce serait faire fausse route, voire s’enliser dans le cliché cinématographique, car ce Champ de fouilles est fertile en rebondissements, clairement autonome lorsqu’on y consacre une attention soutenue. Ce qui m’inspire ce néologisme maison: archéosonique… excusez là.

L’œuvre suivante, Replica, implique Martin Bédard et la flûtiste/compositrice Marie-Hélène Breault, tirée de l’époque « instrumentale utopique » de Bédard, une œuvre faite essentiellement de prises de sons de flûtes tirées d’enregistrements discographiques et improvisations de Breault, ensuite filtrées, traitées, reconstruites, réorganisées, reproduites autrement, mises en abîme… « une pièce qui se replie sur elle-même dans un monde d’instruments utopiques, essentiellement flûtistiques ». Authentique labour of love conjugal (puisqu’il s’agit vraisemblablement d’un couple dans la vie), Replica est une autre version probante de cet imaginaire. Force était de noter que la deuxième œuvre était une authentique continuité formelle de ce qu’on avait écouté auparavant. La dramaturgie de Martin Bédard y implique effectivement des contrastes comparables avec des matériaux différents et ce avec une fluidité encore plus grande, preuve de maturité formelle.
Directeur artistique du festival Akousma et indéfectible amant de la nature (pour en avoir souvent causé avec lui), la pièce Monts Valin évoque cette chaîne de montagnes située dans la partie septentrionale du Saguenay. De facture ambient, cette trame linéaire est une diffraction augmentée des sons cueillis dans la nature, sons forestiers et aquatiques portés par une épaisse trame harmonique qui atteint une puissance certaine et qui finit par s’amincir au gré de légères modulations. Très zen, comme l’a annoncé Martin Bédard d’entrée de jeu.

Pauline Patie, compositrice française transplantée à Montréal, enchaîne avec la spatialisation de Surtitré, une œuvre clairement liée à la musique concrète et à ses actualisations récentes. Enchaînement d’effets surdimensionnés, assez rudement exposés, bruitisme organisé comme une succession de tensions et de détentes méticuleusement construites. Le hamster qui parcourt alors le cerveau suggère la sublimation d’une visite dans la salle des machines. Très rigoureux collage intégré de sons, peut-être un tantinet générique pour qui absorbe superficiellement une telle approche de l’évitement, du contournement et de la parenthèse, pour reprendre le commentaire de son hôte. D’autres écoutes permettront certainement d’en savoir plus long sur la patte de Pauline Patie, un nom à retenir.

Antoine Lussier, lui, a choisi de transformer, voire reconstituer en temps réel les matériaux de Choose Wwisely, une pièce plus aérienne malgré ses soubresauts parfois violents. Difficile pour le commun des mortels de départager les vertus de l’intervention en temps réel du travail de composition en studio, mais bon, il y avait assurément de la substance là-dedans.

Honey, la pièce la plus longue au programme (17’26) prévue comme conclusion « part de quelque chose de volatil… le pollen se densifie, se transforme pour atteindre un état liquide au goût puissant, un principe de densité modèle et aussi une métaphore amoureuse dédiée à ma blonde et à ma fille ».

Encore là, on observe une évolution dans la proposition de Martin Bédard. Les dimensions bruitistes et post-industrielles sont brillamment exposées. Nous nous retrouvons dans un atelier de haute technologie, chaîne de montage robotisée, chantier, les sons évoquent des activités effrénées de production humaine auxquelles on confère des éléments de composition, le tout impliquant diverses architectures sonores immatérielles et autres invisibilités résonantes, pour reprendre le titre de ce programme chargé et concluant.

PROGRAMME

Martin Bédard: Champs de fouilles  (Acousmatique) – 10’40
Marie-Hélène Breault & Martin Bédard: Replica (Acousmatique) – 14’42
Louis Dufort: Monts Valin (Acousmatique) – 11’37

Pauline Patie: Surtitré  (Acousmatique) – 10’17

Antoine Lussier: Choose Wwisely (Performance) – 11’21
Martin Bédard: Honey (Architectures from silence no.1)  (Acousmatique) – 17’26 

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électroacoustique / expérimental / contemporain / musique acousmatique

Semaine du Neuf | Vous avez dit… résolument acousmatique !

par Alain Brunet

Au Music Multimedia Room (MMR) de l’École Schulich de l’université McGill, les compositeurs belges Julien Guillamat et Annette Vande Gorne présentaient dimanche un ambitieux programme de musique électroacoustique, pas moins de 3 heures imaginées aux studios multiphoniques de Musiques & Recherches. Programme acousmatique plutôt classique d’entrée de jeu : formule qui, rappelons-le, exclut l’usage de compléments visuels au bénéfice des vertus intrinsèques de ce cinéma pour l’oreille.
Figure centrale de ce programme, la compositrice Annette Vande Gorne a présenté , présente Vox Alia, un cycle de cinq pièces construites avec comme matériau principal la voix humaine qu’a conçu la compositrice électroacoustique et aussi cheffe de choeur de longue date, pour qui « la voix est le meilleur des instruments, le meilleur communicateur des sensibilités musicales ».
Sa série de 5 pièces sous la bannière Vox Alia, dont la première, Affetti, exprime tous les affects (affetti) admis dans la musique baroque, ceci incluant la voix traitée d’un pionnier de l’électroacoustique, Pierre Schaeffer, qu’Annette Vande Gorne a jadis côtoyé et retenu les précieux enseignements.
La 2e,, Cathédrales, se déploie sur la danse sacrée d’inspiration balinaise, sur un requiem catholique, sur la transe typique des cultures anciennes, aussi sur des extraits vocaux des initiateurs des pratiques électroacoustiques, soit Pierre Schaeffer et François Bayle qui furent parmi ses mentors. La 3e, Vox intima, se fonde sur un travail accompli avec feu le poète Werner Lambersy, un texte sur la création intime et les doutes qui traversent toutes têtes créatives. La 4e, Vox Populi, évoque les lieux populaires de l’expression vocale et aussi les lieux sacrés où la voix s’exprime à travers la prière. La 5 s’intéresse aux voix animales, on y routve des singes qui chantent pour de vrai et la nature qui revient en force.
Entendu dimanche dans la meilleure salle au Canada pour ce genre d’exercice, le cycle Vox Alia révèlent de très grandes qualités. D’abord parce qu’il se fonde sur le plus vieil instrument de l’histoire humaine, la voix. La sensibilité de la compositrice et cheffe de chœur pour la voix se manifeste merveilleusement dans le traitement sensuel, circonspect et carrément brillant de son sujet. Qui cherche la voix humaine en bonne et due forme risque d’être déçu, cette charpente vocale ayant été passablement transformée, déconstruite, filtrée, reconstituée, recréée au service d’un environnement de création.
Traits puissants, voix qui chantent le sacré, crient la transe, parlent, allèguent, babillent, grichent, grondent, sifflent, ronronnent, entonnent parfois des mélodies anciennes, produisent parfois du sens. L’esthétique ici mise de l’avant correspond au bagage actualisé des pionniers de l’électroacoustique dont s’est abreuvée, mais disons aussi que la compositrice use de plusieurs référents directs et identifiables pour le commun des mortels, ce qui en démontre l’évolution au fil du temps.
Nous sommes ici dans un univers abstrait laisse se dégager peu de sens direct, peu de balises à laquelle s’accrocher, et donc un riche univers de sons dont la cohérence repose d’abord sur le ressenti de sa conceptrice et sa manière d’inviter le passé de la musique dans son présent et son avenir.
En seconde partie de ce très long programme, on a pu absorbé le travail de Julien Guillamat, artiste et professeur en électroacoustique au Conservatoire de Mons où a longtemps enseigné Annette Vande Gorne. Dans le contexte d’échange Québec-Belgique, les Montréalais David Piazza et Ana Dall’Ara-Majek ont travaillé au studio Musiques et Recherches, tout comme Robert Normandeau l’ayant visité bien avant, puisqu’on en a diffusé une œuvre de jeunesse créée en 1987, en phase parfaite avec l’esthétique de l’époque. On comprendra que ce programme résulte de ces échanges menés par les artistes et chercheurs belges. Ce qui explique aussi la diffusion, en début de programme, d’une œuvre de feu Francis Dhomont, compositeur français ayant longtemps vécu à Montréal et ayant beaucoup accompli pour l’évolution de l’acousmatique au Québec.
Ainsi, Julien Guillamat a d’abord spatialisé sa récente composition Altitudes, fondée sur les sons récoltés dans une station de ski des Pyrénées avec toutes les contradictions inhérentes à ce loisir réservé très majoritairement aux privilégiés. La trame narrative de l’œuvre ne renvoie pas systématiquement aux skis dévalant les pistes, mais joue plutôt sur cette tension/contradiction entre la nature montagnarde et les inventions humaines qui pourraient la pervertir. Encore là, il faut être mis au courant du projet de l’œuvre pour en reconnaître les matériaux et les rattacher à ce que suggère ce projet construit dans les règles de l’art électroacoustique. On aura aussi droit au deuxième mouvement de la Symphonie de l’étang, une œuvre sonore immersive du compositeur belge, paysage sonore inspiré de l’étang de Thau – sud de la France.
Enfin, on pourra dire des œuvres de David Piazza et d’Ana Dall’Ara-Majek se sont rigoureusement inscrites dans le sillon de leurs hôtes, dans la manière de recueillir, générer électroniquement, traiter et réaménager les sons. Deux œuvres très abstraites, pleines d’ébullitions, fréquences lourdement exposées, bruits maximalistes, bourdons, sons de bestiaires et autres détails infimes.
Enfin bref,un programme authentiquement acousmatique !


Programme
Francis Dhomont : Vol d’arondes (1999)
Annette Vande Gorne : Vox Alia I — Affetti (1992-2000)
Annette Vande Gorne : Vox Alia II — Cathédrales (2021)*
Annette Vande Gorne : Vox Alia III — Vox intima (2022-23)*
Annette Vande Gorne : Vox Alia IV — Vox populi (2023)*
Annette Vande Gorne : Vox Alia V — Vox naturæ (2024)*
Entracte
Julien Guillamat : Altitudes (2024)*
Julien Guillamat: Symphonie de l’étang, 2nd Mvt (2023)*
David Piazza : Clameurs et agrégats place de Ransbeck (2022)*
Ana Dall’Ara-Majek: Xylocopa Ransbecka (2017)
Robert Normandeau: Rumeurs place de Ransbeck (1987)

classique / classique occidental

Un Voyage Envoûtant à Travers Les Planètes de Holst

par Varun Swarup

Plus d’un siècle après sa création, Les Planètes de Holst demeure une pierre angulaire du répertoire orchestral, et sous la direction de François Choinière avec L’Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes (OPCM), l’œuvre a été interprétée avec une clarté et une intention qui ont mis en valeur ses textures complexes et son ampleur émotionnelle. La salle presque comble de la Maison Symphonique témoignait de l’attrait intemporel de cette suite monumentale.

Le déroulement de la performance a été marqué par une attention minutieuse aux détails, capturant le caractère distinct de chaque mouvement. De l’énergie implacable et percussive de Mars aux effluves éthérés de Neptune, l’orchestre a fait preuve d’une précision technique et d’une compréhension profonde de la vision expansive de Holst. Les applaudissements enthousiastes du public après chaque mouvement ont souligné leur connexion à la musique. La rendition de Vénus s’est particulièrement distinguée, déployant une qualité sereine et lyrique qui contrastait efficacement avec les mouvements environnants. Cependant, c’est Neptune qui a laissé l’impression la plus durable. Avec le chœur féminin positionné stratégiquement au-dessus du public, leurs voix désincarnées se sont progressivement évanouies dans le silence, créant un effet irréel qui a persisté dans la salle bien après la dernière note. Le silence collectif du public avant l’éruption des applaudissements en disait long sur l’impact de la performance.

La seconde partie du programme a opéré un changement de ton avec Gloria de Karl Jenkins, une œuvre chorale à grande échelle qui, bien que vibrante et rythmiquement engageante, a semblé quelque peu décalée par rapport à l’introspection et aux qualités cosmiques de The Planets. Malgré ce contraste de programmation, le chœur de l’OPCM a livré une performance engagée et soignée, naviguant avec précision et énergie à travers les transitions dramatiques de l’œuvre. La direction de Choinière est restée une force unificatrice tout au long de la soirée. Sa gestuelle, à la fois expressive et maîtrisée, a équilibré les extrêmes dynamiques de la partition avec une direction claire. Sa capacité à faire ressortir toute la palette de couleurs et de textures de l’orchestre était évidente, en particulier dans les passages plus délicats, où son approche nuancée a permis à la musique de respirer.

Bien que l’association de Holst et Jenkins ait mis en lumière des sensibilités musicales divergentes, la soirée a finalement démontré la versatilité de l’OPCM et le talent de Choinière en tant que chef capable de naviguer avec assurance entre le monumental et l’intime.

autochtone / chant lyrique / classique occidental / Musique de création

Semaine du Neuf | Nanatasis : une épopée musicale sous le signe du partage

par Alexandre Villemaire

Figures héroïques abénakises, animaux, insectes, esprits de la nature et marionnettes ont investi la scène du Théâtre Outremont, samedi et dimanche. Présenté dans le cadre de deux importants festivals, soit la Semaine du Neuf du Vivier (8 au 16 mars) et le Festival international de Castelliers (3 au 9 mars), Nanatasis est un opéra en trois légendes, élaboré par la conteuse et librettiste abénakise Nicole O’Bomsawin et la compositrice canadienne d’origine mexicaine Alejandra Odgers sur une commande de la compagnie Musique 3 Femmes.

S’il y avait un évènement à ne pas manquer pour parachever la semaine de relâche, Nanatasis fait incontestablement partie du lot. Le parterre du théâtre était garni de jeunes enfants, de parents et de familles, curieux de venir entendre et découvrir cette œuvre éminemment accessible.

Deux des trois légendes mettent en scène les aventures du jeune Abénaquis Klosk8ba, qui deviendra un héros après avoir traversé bien des épreuves pour sauver son peuple. Ces histoires se dévoilent devant nous en étant racontées par le personnage de Grand-mère Marmotte. En premier, c’est la création avec l’émergence des mondes matériels et spirituels qui s’éveillent aux sons d’un hochet et de ses rythmes musicaux qui amènent la vie. Le deuxième conte met en scène le héros Klosk8ba qui aide l’orignal géant Moz, dont la taille colossale menace la forêt, à devenir plus petit, alors que le troisième conte voit le même protagoniste parcourir le temps glacial de son pays, dominé par l’esprit Pebon, vers le sud afin d’y ramener l’esprit de l’été Niben pour que la nature et les animaux puissent ainsi sortir de leur sommeil.

Les contes se dévoilent devant nous sur un plateau avec une scénographie et une mise en scène inventive et astucieuse de Troy Hourie. Des structures et des projections sur toile avec des jeux d’ombres et d’éclairages créent un environnement dans lequel se meuvent différentes marionnettes représentant les différents personnages. Les chanteurs et chanteuses n’interprètent donc pas directement sur scène les personnages, mais prêtent leur voix à ces figures animées par Andrew Gaboury, Ivanie Aubin-Malo, Karine St-Arnaud et Lysanne O’Bomsawin. La basse William Kraushaar, par exemple, incarnait parfaitement le massif Moz avec une voix grave et profonde qui demeurait tout aussi agile et claire. Seule exception, le rôle de Klosk8ba incarné vocalement par le ténor Mishael Eusebio qui interagissait et actait de manière plus soutenue dans l’environnement avec son double au format de marionnettes. Son jeu, tant scénique que vocal, était tout à fait à propos. Chaque interprète (Odéi Bilodeau, soprano ; Kristin Hoff, mezzo-soprano ; Élise Bouchard-DeGonzague, mezzo-soprano) avait une partie vocale signifiante qui contribuait à l’action.

La musique d’Alejandra Odgers est de facture tonale. Le choix d’un instrumentarium percussif, incarné par l’ensemble SIXTRUM et dirigé pour l’occasion par Christopher Gaudreault, s’imbrique de manière naturelle et vivante dans l’univers de l’opéra. Tel que rapporté par la compositrice dans cette précédente entrevue, le choix d’un ensemble de percussions et d’une flûte rend hommage à l’emploi des instruments par les Abénakis et chaque conte possède son univers musical bien distinct. La création du monde s’ouvre avec le son des hochets qui s’amalgame de plus en plus, les pas de Moz sont exemplifiés par la lourdeur des tambours et les saisons par les sons des métallophones et de la flûte. Par ailleurs, le conte des saisons est celui où l’imagerie du langage d’Alejandra Odgers a été le plus riche, allant chercher des timbres et des effets instrumentaux recherchés, notamment les cloches tubulaires pour donner à l’hiver un enrobage mystérieux, la flûte, tenue par Josée Poirier, pour illustrer le vent et le chant des oiseaux.

D’une durée de 55 minutes sans entracte, le format est parfait pour offrir une vignette riche du langage musical de l’opéra, avec ses passages récités, ses airs et son emploi imagé du son des instruments. Il répond parfaitement aux personnes moins accoutumées au genre, sans pour autant tomber dans la complexité et les excès de conventions du style. Après l’avoir entendu une première fois, nous nous sommes dit, comme plusieurs dans l’assistance, que trois légendes c’est bien, mais qu’on aurait pu en prendre encore avec bonheur.

crédit photo: Claire Martin

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expérimental / contemporain / Musique de création

Semaine du Neuf | Coup d’envoi sous le thème de l’épouvante

par Alain Brunet

Tout ce qui m’épouvante est un programme inspiré d’un poème de Guillaume Apollinaire et, vous vous en doutez bien, de la sombre conjoncture qui se passe ici d’explications. Ce thème de l’épouvante chapeautait cette prestation de grande qualité, gracieuseté du quatuor de saxophones Quasar, qui célébrait du coup 30 ans de pratiques exploratoires.

Ainsi, la Semaine du Neuf bat son plein depuis samedi. Présenté à l’Édifice Wilder, le premier programme présentait en première nord-américaine trois œuvres lituaniennes Calligrammes (Kristupas Bubnelis), Trauma (Mykolas Natalevičius), Azaya (Egidija Medekšaitė) et Saxopho(e)nix für Saxophontrio de Vykintas Baltakas. S’ajoutait à ces œuvres lituaniennes The Saxophone Quartet/While Flying Up de la compositrice ukrainienne Alla Zagaykevych, qui fut en résidence au Vivier pendant la saison 2022-23.

Jouée en premier lieu, Asaya d’Egidija Medekšaitė, est une œuvre fondée sur un bourdon généré  électroniquement (évocation directe du drone militaire Predator) et appuyé par des drones produits en temps réel par les saxophonistes en guise d’introduction et de conclusion. Ces drones  constituent le lit d’un fleuve de fréquences linéaires harmonisées à quatre saxes (soprano, alto, ténor, baryton) alternant entre consonance et dissonance, sons paisibles et harmonieux brisés par le chaos et la tragédie. Une vidéo de Lukas Miceika en appuyait le propos.

Trauma, de Mykolas Natalevičius, est une évocation presque directe du syndrome post-traumatique, qui s’incarne musicalement par une succession de détentes et de tensions, consonances et dissonances appuyées par les interprètes. Il va sans dire, les techniques étendues permettent la production d’harmoniques graves ou aiguës exécutées à la manière de longues expirations continues, relayées par les interprètes. Le calme linéaire de l’œuvre en incarne l’espoir de guérison, ses dérives dissonantes en expriment évidemment le trauma. 

Saxopho(e)nix für Saxophontrio de Vykintas Baltakas, s’inspire du phénix qui renaît de ses cendres, sorte de métaphore optimiste du contexte qui nous occupe et nous préoccupe. Le sax ténor est ici exclu de l’œuvre pour trio. Cette œuvre  pour trio de saxes s’exprime d’abord comme un enchaînement de vagues qui font parfois l’unité et construisent de courts motifs harmoniques au gré d’un discours non sans rappeler la respiration circulaire. D’autres moments de l’œuvre opposent des sons continus à d’autres sons hirsutes émis par les saxos, fragments mélodiques atonaux qui en illustrent les aspérités. Intéressant, certes, malgré cette impression de déjà entendu sur le territoire de la musique contemporaine.

The Saxophone Quartet/While Flying Up, d’Alla Zagaykevych, est une œuvre richement ornée, dont le discours mélodique est parfaitement assorti aux constructions généralement atonales des sons réunis. Sans produire quelque choc esthétique parce qu’elle s’inscrit dan le vocabulaire et le lexique des sons contemporains, cette œuvre s’avère très subtile, on en observe les sonorités franches, douces ou corrosives, les lignes simples ou les passages multiphoniques. En fait, tous ces sons trouvent leur place là où il se doit et exigent une grande rigueur de la part de ses interprètes. Très réussi.

Enfin, Calligramme de Kristupas Bubnelis, compositeur lituanien transplanté à New York, résulte d’un concept où les notes escaladent et déboulent sur un champ de bataille évidemment imaginaire. Ce discours saccadé, presque sauvage, mise sur les contrastes et les extrêmes. S’y succèdent les effets percussifs des tampons sur le métal, les expirations directes, les sonorités corrosives et autres fréquences résultant du jeu « normal » ou de techniques étendues. L’œuvre se conclut sur des vrilles mélodiques vers l’aigu et le grave,  virtuoses et spectaculaires.

La Semaine du Neuf s’était amorcée samedi par la projection d’un film d’art, soit l’exécution  par le violoncelliste torontois Amahl Arulanandam  de The Holy Presence of Joan D’Arc, œuvre  composée par feu le compositeur afro-américain Julius Eastman (1940-1990). L’intérêt de cette projection réside par l’écran partagé, la superposition des cordes provenant du même violoncelle. On indique que cette manière résulte de 4  heures de séquences vidéo synchronisées et disposé sur les  multiples carrés de l’écran partagé. La compositrice Clarice Jensen a ainsi procédé à la transcription d’un enregistrement d’archives puisque la partition avait disparu. Fondée sur un discours mélodico-harmonique tout en staccato, dominant du début à la fin, entrelardé de lignes mélodiques à la fois soyeuses et dissonantes. Voilà une excellente idée pour rendre hommage à cet artiste oublié pendant des lustres, mort dans l’anonymat et dont le talent est ressuscité par plusieurs acteurs des musiques de créations, 3 décennies après sa mort.

 

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synth-punk

Dômesicle | Kap Bambino et Alix Fernz transforment le Dôme en chaos sensoriel

par Félicité Couëlle-Brunet

Il faut le voir pour le croire : après plus de vingt ans de carrière, Kap Bambino continue de se déchaîner en brûlant sur scène une énergie brute et chaotique, aussi viscérale qu’à ses débuts. Caroline Martial, la chanteuse, incarne littéralement cette fureur. Incontournable boule de feu, elle court, saute, hurle, se tord dans tous les sens, absorbée corps et âme  par la violence de la musique. Ce son, un synth-punk saturé et nerveux, ne laisse aucun répit. Chaque morceau est une décharge d’adrénaline brute, repoussant  constamment les limites de l’endurance physique, autant pour le groupe que pour le  public. 

Le Dôme de la SAT, d’ordinaire un espace de contemplation immersive, s’est transformé  en arène frénétique. C’était la première fois que j’y voyais des mosh pits. La foule,  galvanisée par l’énergie viscérale de Kap Bambino, semblait littéralement vouloir exploser.  Les visuels de TIND accompagnaient cette folie avec des esthétiques glitchées, des  textures lourdes et fragmentées, comme si l’image éclatait sous la pression sonore. Les  stroboscopes fulguraient au rythme des kicks saturés, faisant fondre la réalité dans un chaos sensoriel total.  

En ouverture, Alix Fernz avait déjà plongé la salle dans une tension poisseuse, presque  suffocante. Sa présence scénique est magnétique, teintée d’une noirceur noise punk abrasive. Contrairement à l’explosion physique de Kap Bambino, Alix Fernz exerce une emprise plus insidieuse. Les textures sonores sont lourdes, distordues, construites  comme un lent empoisonnement qui s’infiltre. Chaque battement,  chaque cri semble dissoudre la barrière entre performeur et public, jusqu’à ce que la salle  entière ne devienne qu’une masse organique pulsante. 

La transition entre les deux performances a été brutale. Alix Fernz avait laissé la foule en  état d’hypnose maladive, puis Kap Bambino est arrivé comme une détonation. Là où l’un  sature l’espace de tension, l’autre l’explose d’énergie brute. Le résultat : une immersion  totale, un sentiment d’être physiquement aspiré dans l’univers de chaque artiste. 

C’est précisément ce qui rendait cette soirée unique. Les visuels de Kaminska, plus fluides  et organiques, tentaient tant bien que mal de maintenir une forme de cohérence visuelle  face au chaos sonore. Mais la force brute de Kap Bambino l’emportait systématiquement.  C’était comme se faire écraser par un train après avoir lentement sombré dans un  marécage sonore. Une collision frontale entre deux intensités diamétralement opposées, 

mais tout aussi marquantes. La soirée s’est terminée avec DJ Raven et ses sons new wave  et funk nous a fait redescendre sur terre avec des classiques comme Kiss de Prince. 

En quittant le Dôme, il régnait une étrange sensation de flottement. Comme si ce qui  venait de se produire relevait d’un cauchemar euphorique, un moment de déréalisation  totale. Cette soirée était un rappel brutal de ce que la musique live peut encore  provoquer : un dérèglement des sens, une perte de contrôle, et cette douce violence qui  reste imprimée dans le corps longtemps après la dernière note.

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