americana / chanson keb franco / folk de chambre

Francos | Cardinal se pose aux Foufs

par Florence Cantin

D’emblée, je dois avouer ma partialité. Je ne manque pas une occasion de louanger Avec pas d’casque. Depuis leur grand retour sur scène, marqué par la sortie de Cardinal, je les ai déjà vus trois fois, mais il faut dire que vendredi soir aux Foufounes, quelque chose de singulier s’est produit. Le public — dense et attentif — semblait suspendu à une force tranquille enivrante.

Stéphane Lafleur est arrivé avec assurance dès le premier accord. Jamais la musique et sa voix ne m’avaient paru si parfaitement agencées ; l’univers d’Avec pas d’casque flamboyait dans sa plus juste plénitude. La sobriété des riffs et l’épuration des fioritures reflétaient une économie de moyens, où chacun des choix sonores était pensé pour servir le texte. C’était juste assez dépouillé pour être revêtu d’une bienveillance profonde et universelle. Ce qui saisit, c’est l’intention qui traverse chacune des chansons. D’une précision désarmante : pas un mot de trop, pas une note de trop.

Puis j’ai entendu des paroles qui m’avaient toujours échappé à l’écoute domestique. Ce genre de réalisation en concert arrive assez rarement. Le travail à la console d’Antoine Goulet y est sans doute pour beaucoup. La voix de Stéphane Lafleur était rendue avec une clarté saisissante, portée dans toutes ses nuances, jusque dans ses plus infimes fluctuations. Il chantait avec la quiétude de quelqu’un qui sait humblement que c’est bon. 

Après quelques chansons, Stéphane Lafleur a glissé, fier, qu’il suivrait le conseil de Mathieu Charbonneau — claviériste, barytoniste, genre de bruiteur à tout faire — qui lui aurait dit : « On est aux Foufounes, on joue juste des bangers !» Ceux qui écoutent depuis les balbutiements ont été gâtés. Quant au répertoire d’Avec pas d’casque, les mauvaises chansons sont difficiles à trouver, témoignant d’une loi, un principe, une constante tout à fait remarquable.

Voir des slows langoureux se danser aux Foufounes, c’est à la fois rare et bienvenu. La foule fredonnait en chœur. On aurait dit un seul souffle chaud et uni qui portait celui de l’interprète. Ils ont conclu avec Nos corps (en ré bémol), tirée d’Effets Spéciaux. Une chanson qui est plus belle que jamais : « Et ce soir dans tes bras / C’est la paix dans le monde ».

Bon, ce n’est pas le genre de chose qu’on souhaite lire dans un compte rendu de spectacle, mais fallait être là.

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ambient / classique arabe / électro arabe / expérimental / contemporain / post-rock

Suoni | Sanam, l’éloquence de Beyrouth à l’orée de tous les dangers

par Alain Brunet

Sur le seuil de la porte de la Sala Rossa, on apprenait que les USA venaient de bombarder les installations nucléaires d’Iran. Qu’adviendrait-il alors de cette région? Outre les populations iranienne et israélienne, pourraient en souffrir tous les pays limitrophes de l’Iran où se trouvent des communautés chiites comme l’Irak ou le Liban ? Leurs habitants en seraient-ils les victimes majoritairement innocentes, quelle que soit leur position sur ces conflits et leur capacité d’agir sur leur destin ? C’est dans cette profonde anxiété que les artistes du groupe beyrouthin Sanan, vivent et créent quotidiennement.

Et ça vient de monter d’un cran.

Samedi, toutefois, ces artistes ont reçu beaucoup d’amour et en ont transmis tout autant, avant de rentrer chez eux et y affronter de nouveau cette immense adversité.

Sandy Chamoun, la chanteuse de Sanam, s’avère une authentique frontwoman, racée, éloquente, théâtrale, très ancrée dans le rock (post-rock, en fait) et dans une arabité résolument contemporaine. Incantations, déclamations, chant rock, entre autres avenues de cette expression vocale. La performance de la chanteuse ne cesse d’osciller entre l’expression dramatique de ces grandes mélopées, tributaires des chants sacrés et classiques arabes que s’étaient appropriés les super divas arabes des générations précédentes. 

Derrière Sandy Chamoun, il y a des guitares  très rock et souvent très saturées (Anthony Sayoun, Marwan Tohme), il y a du bouzouk acoustique (Farah Kaddour) qui nous garde aussi scotchés aux traditions moyen-orientales et maghrébine (en plus de la voix de la soliste), il y a de la batterie solidement exécutée, puisant dans les rythmes traditionnels et dans le rock occidental, il y a aussi de riches compléments électroniques,  dont ceux d’un synthé modulaire participant aux bourdons nécessaires à l’expression du Levant dans un contexte expérimental d’attitude rock.

À peu près impossible de ne pas être subjugués dans une telle ambiance. Également impossible de ne pas applaudir cette nouvelle signature du label montréalais Constellation : troisième de Sanam, l’album Sametou Sawtan sera rendu public en septembre prochain.

Merci à notre ami Radwan Ghazi Moumneh, copropriétaire du studio Hotel2Tango, maître du projet Jerusalem in my Heart, instigateur de cette rencontre entre Sanam et son public montréalais dans le contexte des Suoni. D’entrée de jeu, il nous a balancé tout un sermon sur fond de drone, de mots scandés ou chantés, d’extrême saturation, de tradition, de passion tragique.

Nous étions là, au cœur de l’expression arabe en ce 21 juin 2025, ce soir où les choses ont sérieusement empiré là où vous savez.

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poésie / slam

Francos | Honneur au slam avec Grand Corps Malade

par Sandra Gasana

Qui a dit que le slam n’avait pas sa place sur LA plus grande scène extérieure des Francos ? Grand Corps Malade a prouvé vendredi soir qu’il est possible de faire du slam, de la poésie, du chant même par moments, et offrir un concert digne d’une rock star.

Sur la même scène que Tiken Jah Fakoly quelques jours plus tôt, celui qui a élu domicile dans notre métropole la dernière année a su charmer son public par ses mots et ainsi rassemblé plusieurs dizaines de milliers d’amoureux de la langue française. Accompagné pour l’occasion par plusieurs instruments : trombone, trompette, violoncelle, guitare, piano et batterie, l’homme de plus 2 mètres surplombait la place des arts, apparaissant sous divers jeux de lumière. Il a d’ailleurs débuté son concert avec « J’ai vu la lumière », avant d’enchainer avec « La sagesse », puis « Saint-Denis ».

Par moments, on n’entendait rien dans la foule, un silence de mort et seule la voix de GCM résonnait. Le public était pendu à ses lèvres, et buvait chaque parole.

Chaque morceau était unique et l’orchestration impeccable : sur certains la trompette servait d’introduction alors que sur d’autres, tous les musiciens débutaient en même temps, donnant une atmosphère festive à ce qui allait suivre. Le jeu d’éclairage avait toute sa place et enveloppait chaque chanson de manière originale.
J’ai particulièrement aimé « Roméo Kiff Juliette » où l’on voit clairement le talent de storyteller de l’artiste. Il sait raconter des histoires et selon le couplet, la musique suit fluidement, plus intense quand l’action est mise en avant, et plus douce au début et à la fin de la pièce.
Il prend le temps de s’adresser au public, sans se presser, surtout lorsqu’il parle de ses enfants et de leur réaction après l’écoute de son plus récent album.

Après « 2083 » qui est un peu intense en termes de rythme, il retourne vers la douceur avec
« Retiens tes rêves » où slam et chant cohabitent, sur fond de violoncelle. On aperçoit même des ombres de danseuses durant le morceau, ce qui rajoute une autre dimension au spectacle. D’ailleurs, ce procédé d’ombrages a également été utilisé pour le morceau hommage à Aznavour, « A chacun sa Bohème », qu’il a repris à sa manière.

Mais le moment le plus fort à mon goût a été durant son duo avec Camille Lellouche, qui apparaissait que sur écran, « Mais je t’aime ». Je l’ai découverte récemment grâce à mon fils. D’ailleurs, une festivalière française qui était tout près de moi et mes fils connaissait toutes les paroles par cœur et semblait ravie de voir son compatriote en spectacle.

Deux surprises sont venues agrémenter la soirée : la première, lorsqu’Emma Peters est venue sur scène pour chanter « Sauf quand je pense à toi » alors qu’elle venait de terminer son propre concert au Club Soda. Autre surprise : MCO, le plus jeune des rappeurs, qui est monté sur scène pour « C’est moi qui écris mes textes » et qui a drôlement un air de famille avec Grand Corps Malade. Est-ce son fils ? On s’en doute mais il ne le confirme pas.

Le public a apprécié « Montréal » puisque tout le monde autour de moi avait un sourire aux lèvres durant ce morceau écrit en 2009, dans un café de Montréal.

Il n’aurait pas pu terminer sans jouer « Mesdames », ce morceau dans lequel il rend hommage à la gente féminine. Mais c’est avec « Deauville » que le concert exceptionnel des événements spéciaux des Francos 2025 a pris fin, nous laissant avec une lueur d’espoir dans ce monde de brutes où poésie et slam ont toujours leur place.

Crédit photo: Victor Diaz Lamich

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électronique / expérimental / jazz contemporain / soul/R&B

Suoni | Quinton Barnes + Jason Doell & Naomi McCarroll-Butler + Liam Cole + Alex « Bad Baby » Lukashevsky

par Z Neto Vinheiras

Le festival débute dans notre triade préférée en ville : Casa del Popolo, La Sala Rossa et Sotterenea, pour une première nuit pleine de magie brassée des deux côtés de la rue Saint-Laurent. À la Casa, la nuit se mêle à l’improvisation, à l’indie-folk, au R&B et à la musique expérimentale.

Alex « Bad Baby » Lukashevsky nous accueille dans la nuit de bonne humeur avec son esprit jovial, enjoué et enchanteur, nous entraînant dans un fil d’histoires et d’inventivité. Défiant la structure et la prévisibilité, la performance de Lukashevsky est abondante et généreuse, brute à une expression très précise de sa propre musique – « (…) la musique est un rêve… » chante-t-il, et le public est d’accord.

Liam Cole apporte sur scène l’indie-folk et la chaleur de l’amitié, en interprétant son dernier album « Warm Soup At The Big Rain », sorti en mars de cette année. Accompagné par Michael Duguay, cofondateur de WTETN, avec une présence ancrée au piano ; Andrew MacKelvie, la seconde moitié de WTETN, qui nous entraîne vers les cieux grâce à son saxophone soprano ; les guitares apaisantes de Liam Fenton et les lignes de basse savoureuses de Jason Mercer, la batterie extatique donne le ton et nous emmène dans cet endroit au plus profond de la terre – plein de couleurs, de saveurs et d’oiseaux, où la voix de Liam habite.

Sur un ton plus expérimental, le duo Naomi McCarroll-Butler, qui a joué aux côtés de Sam Shalabi dans son septet le 14 juin lors de l’ouverture officielle de Suoni, et Jason Doell nous emmènent près de la transcendance avec de longues notes de cordes soutenues dans des instruments faits maison, le délire du saxophone, l’élasticité du bruit, et un peu de traitement du signal entre les deux – chacun dans sa station de travail, le dialogue est profond et significatif, hypnotisant par moments. Peut-être une version live adaptée de leur dernière cassette « FOUR FORMER MYRRH FORMED HER HORN FOR MURMURS », certainement une addition lumineuse à notre collection de cassettes, le voyage improvisé nous emmène quelque part de spécial.

La nuit est déjà bien chaude et Quinton Barnes la rend de plus en plus chaude, clôturant cette première journée avec Suoni dans la sensualité et la grâce, la libération du son et de l’âme. Avec un groupe complet sur scène, la magie est réelle, tout comme « Black Noise », l’album fraîchement sorti que Quinton Barnes et le Black Noise Ensemble nous offrent ce jeudi soir dans une performance cosmique – dans une multiplicité d’instruments, de pratiques et de styles, de l’électronique au free jazz, en passant par l’improvisation et le r&b, la synchronicité et le langage de même fréquence du groupe de Barnes sont évidents. Il émane de cette connectivité quelque chose de très beau. Caméléonesque, fervent, d’une éloquence à la Prince, on a le sentiment d’une légende, d’un mythe, là, avec nous, sur le même plan.

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Francos | Une 1ère montréalaise pour Emma Peters

par Sandra Gasana

20 heures pile poil. Le show de la Française Emma Peters débute après une première partie assurée par Passion Poire. Trois hommes l’accompagnent : un claviériste, un batteur et un guitariste. Et à son tour, Emma chante avec ou sans guitare, instrument qu’elle manie plutôt bien. Les instruments démarrent, puis une voix lointaine se fait entendre, puis une silhouette et finalement, Emma Peters apparait sur scène, en blonde, cheveux plaqués, pantalon en paillettes et t-shirt noir assorti.
Belle présence scénique, elle danse plutôt bien, et passe du mélancolique au festif sans que ça dérange.

« Je suis trop contente d’être là. C’est ma première fois au Québec, ça fait 3 ans que j’essaye de venir, on a finalement réussi », nous confie-t-elle. Elle a chanté des morceaux de son plus récent album Tout de suite, paru en 2024, comme « Juliette » et « La vie de ma mère », mais aussi de son premier album Dimanche, dans lequel figure le hit « Lové ».  Celle qui s’est fait connaitre sur les réseaux sociaux avec ses reprises de chansons en formule guitare-voix durant la pandémie n’a pas eu beaucoup de mal à remplir le Club Soda. En effet, toutes les générations y étaient représentées, notamment plusieurs ados ou pré-ados accompagnant leurs parents.

Un des moments forts de la soirée était lors du morceau « Clandestina », qu’elle a fait en formule guitare-voix. Elle a même réussi à faire chanter la foule sur le refrain, un moment de symbiose magnifique. Malheureusement, je devais partir avant la fin du concert pour aller couvrir celui de Grand Corps Malade sur la scène extérieure Rogers, mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai vu Emma Peters apparaitre sur scène aux côtés de ce slameur-poète !

Je sens que ce ne sera pas la dernière fois qu’on entendra parler d’Emma Peters. Parfois, il suffit d’une première fois, puis la magie opère et des collaborations France-Québec naissent. C’est ce qu’on lui souhaite en tous cas.

Crédit photo: Benoit Rousseau

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chanson keb franco / rap keb / soul pop

Francos | Mike Clay en solo, lentement puis sûrement

par Marilyn Bouchard

Ce jeudi 19 juin, les fans de Mike Clay ont pu se rassembler devant la scène Spotify pour y apprécier sa première prestation solo. Il n’était pas vraiment seul, en fait, puisqu’il était accompagné pour l’occasion par sa table de mixage, où se retrouvaient toutes ses consoles et interfaces lui permettant de produire live des chansons avec nous.

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À quelques reprises, il a séquencé des mélodies et ajouté quelques couches instrumentales lors d’improvisations entraînantes et faisant souvent allusion au festival. Il nous a offert un pot-pourri de ses chansons les plus connues telles que Catherine, Marilou, Bonjour ici Michal Samba, Camion de fruits et a fait de Advil et Tequila une chanson à répondre avec la foule. 

L’interprétation de Merci la vie était particulièrement sentie, avec des progressions surprises et un instant d’impro. Il a d’ailleurs pris un moment avec la foule pour parler de l’influence de son ami Félix et de sa gratitude d’être sur cette scène. Au cours de la soirée, il nous a gâtés de plusieurs petits solos de trompette, de mélodica et de guitare. Toujours à point ! 

 Bien qu’il semblait un peu esseulé sur la grande scène durant la première moitié du spectacle, il s’est ensuite dégourdi, notamment avec quelques pas de danse, et en descendant dans la foule. La température, les fans et l’énergie étaient tous au rendez-vous de cette soirée aux rythmes latins.

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comédie musicale / électronique / expérimental

Suoni | Mon jeudi au Suoni : Alex Lukashevsky, Cabaret Noir…

par Félicité Couëlle-Brunet

La soirée a commencé dans un silence qui s’est transformé en tonnerre. Seul sur scène avec sa guitare, Alex « Bad Baby » Lukashevsky a livré le genre de performance qui vous fait repenser ce qu’un concert peut être. Il n’y avait pas de setlist en vue, pas besoin de spectacle, juste la voix éraillée de Lukashevsky, des mélodies libres et un sens de la vulnérabilité ludique qui semblait aussi spontané que délibéré.

Parfois, il est difficile de savoir s’il improvise ou s’il suit simplement une carte que lui seul peut voir. « L’écriture d’une chanson peut me prendre dix ans », admet-il entre deux morceaux. Et c’est logique, chaque morceau s’est déroulé comme un moment vécu, chaque mot pesant le résidu du temps. Il s’agissait moins d’un spectacle que d’une cartographie émotionnelle, et Lukashevsky l’a parcourue avec la grâce de quelqu’un qui sait exactement à quel point ce voyage peut être étrange et beau.

Suoni décrit sa musique comme étant « turbulente et agile, endiablée et précise ». Ajoutez  » inclassable  » à la liste. Lukashevsky ne se contente pas d’interpréter des chansons, il les habite, invitant le public dans un paysage sonore à la fois profondément personnel et totalement ouvert. Ce fut le set le plus captivant de la soirée, et un rappel du type de magie que Suoni laisse s’exprimer.

Après le sort intime que Lukashevsky a jeté à la Casa del Popolo, nous nous sommes rendus à La Sala Rossa pour Cabaret Noir The Musical, un cabaret multidisciplinaire richement étagé, dirigé par Mélanie Demers et sa compagnie MAYDAY, sous la direction musicale de Florence Blain Mbaye. Inspiré par les écrits de James Baldwin, bell hooks, Frantz Fanon et Toni Morrison, le spectacle mêle la parole, le rap, la danse et la musique pour explorer la complexité de l’expérience afro-descendante.

Le format a pris la forme d’un lancement d’EP en direct et d’une revue théâtrale, avec Demers agissant en tant qu’hôte, présentant chaque acte comme une série de vignettes dans un collage plus large. L’ensemble a apporté une énergie impressionnante à la scène, avec un quatuor à cordes, une batterie, un piano et des textures électroniques se superposant aux performances vocales qui allaient de la soul au hip-hop en passant par la chanson expérimentale. Le concept était ambitieux et minutieux ; il s’agissait d’une tentative de constituer des archives vivantes par le biais d’une performance, qui soit à la fois porteuse de mémoire et d’urgence.

Si le mixage sonore a parfois empêché de saisir toute la profondeur des textes, l’émotion et la présence des artistes sont restées intactes. Il y avait une réelle générosité dans la façon dont chaque artiste prenait l’espace, puisant dans les traditions théâtrales pour construire quelque chose de vibrant et de collectif. Le Cabaret Noir ressemble moins à un objet fini qu’à un rituel en évolution, qui nous invite à l’écouter plus attentivement.

Pour terminer la soirée, nous nous sommes glissés dans la Sotterenea, doucement éclairée, pour assister à la première mondiale de Rock Dove, un nouveau projet du légendaire duo de poètes et de musiciens Cat Kidd et Jack Biswell. Nous avons assisté à la dernière partie du set, juste à temps pour voir Cat Kidd monter sur scène avec un masque de corbeau et livrer une performance lyrique, presque incantatoire, qui brouille la frontière entre le spoken word et le rituel.

Connus pour leurs racines dans la scène du cabaret montréalais des années 90, le retour de Kidd et Biswell a fait l’effet d’une capsule temporelle ouverte, un rappel d’un autre type d’expérimentation poétique. La voix de Kidd, à la limite du slam, tisse des odes à la faune urbaine, aux pigeons et peut-être à quelque chose de plus ancien et de plus alchimique sous les plumes. C’était étrange, théâtral et étrangement tendre.

L’ambiance au rez-de-chaussée était plus calme, plus introspective, une sorte d’exhalaison après les textures audacieuses des spectacles précédents. Une clôture appropriée et peu éclairée pour une nuit de contrastes tranchants et d’expériences partagées.

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Chanson francophone

Francos | Souchonneries intimistes dans l’imposante Wilfrid-Pelletier

par Michel Labrecque

La très imposante Salle Wilfrid-Pelletier, 3,000 places, était presque remplie pour ce concert essentiellement acoustique, constitué de piano, guitares et voix. Et, surtout, de mots. 

Nous étions conviés à une célébration intime du vénérable Alain Souchon, 81 ans, dans le cadre de sa tournée où il est accompagné uniquement de ses deux fils, Pierre et Ours (Charles), pour une rétrospective de sa longue carrière, constituée de plus de trois-cents chansons. 

Ça a démarré sur La p’tite Bill, elle est malade et ça s’est achevé sur Allô maman bobo, deux chansons qui datent de 1977. Dans l’intervalle, nous avons eu droit à vingt-six autres chansons et plus de deux heures de musique. Je vous l’indique tout de suite: la foule était ravie de se laisser bercer par ces souchonneries qui s’étendent sur 50 ans de carrière.

À mon humble avis, l’âme d’Alain Souchon se résume à ces vers de la chanson Ronsard Alabama, de l’album Âme fifties de 2019: « car toujours avec la liesse, la tristesse se mêle secrètement ». L’auteur-compositeur est un as du mélange des émotions, qui rejoint en cela ce que beaucoup d’entre nous ressentons. C’est aussi celui qui, avec son ami Laurent Voulzy, nommé à de nombreuses reprises au cours du concert de vendredi, a donné un coup de jeunesse à la chanson française en y intégrant magnifiquement le folk, le rock et la pop, sans trahir l’âme très « frenchie » des chansons.

Tout au long du spectacle, des vidéos d’archives donnaient du contexte et ajoutaient des émotions, notamment des moments où Pierre et Ours étaient de jeunes enfants. Aujourd’hui, ils sont âgés respectivement de 52 et 47 ans. Ils sont eux-mêmes auteurs-compositeurs, ils ont connu moins de succès que leur père et aujourd’hui, ils ont choisi la plupart des pièces de ce concert hommage. 

Bien sûr, nous avons entendu Foule sentimentale, Sous les jupes des filles, La Ballade de Jim, L’amour à la machine, Les Cadors, parmi les « tubes »les plus connus. Personnellement, j’ai apprécié certaines pièces que j’avais oubliées: la magnifique Casablanca, où Alain Souchon est né en 1944, jouée en solo au piano, Et si en plus il n’y a personne, une critique très subtile des grandes religions et la formidable C’est déjà ça, qui raconte le parcours d’immigrants soudanais à Paris. 

Nous avons eu droit également à Karen Redinger, une chanson de Laurent Voulzy qu’on voyait jouer à la guitare sur écran pendant que les trois Souchons chantaient. Aussi à la très jolie Les Montagnes de Corée, écrite par Ours et Pareil Jamais, signée Pierre Souchon.

Les deux fils étaient très présents dans plusieurs monologues, durant lesquels ils racontaient des anecdotes sur leur papa. C’était intéressant, mais parfois un peu longuet. Alain Souchon était dans une forme resplendissante pour un jeune octogénaire. Il levait du poing et scandait régulièrement « Montréal, Montréal, Montréal ! ».

Bien sûr, on peut critiquer le choix de certaines chansons. J’aurais aimé entendre Ultra moderne solitude et Rive gauche, qui comporte un couplet sur le Québec. Mais ne gâchons pas notre plaisir. Mes voisines de sièges ont quitté la salle avec un immense sourire… et avec peut-être un soupçon de tristesse. 

Un mot sur la jeune Québécoise Jeanne Côté, qui a offert une première partie très honorable et avait l’impression de vivre un rêve éveillé en précédant un grand de la chanson française dans cette salle impressionnante ! Ça vaut la peine d’écouter son disque récent Nos routes pleines de branches. 

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expérimental / contemporain

Suoni | Chik White et Ky Brooks poussent les hauts cris (mais pas Jessica Ackerley)

par Frédéric Cardin

Trois performances vastement différentes se sont succédées hier soir à la Casa del popolo pour le concert mettant en vedette Chik White, Ky Brook/Robyn Gray et Jessica Ackerley. Deux d’entre elles nous ont plongé dans le bruitisme avec force cris et décharges vocales, parfois étranges et déroutantes.

D’abord la perfo de Chik White, Darcy Spidle au civil, que des oreilles conservatrices (et même pas tant que ça) qualifieraient d’énergumène, ou de schizophrène en crise hallucinatoire. White joue de la guimbarde et de la guitare, mais disons plutôt qu’il les violente pour en faire ressortir des sons improbables, qu’il accompagne de borborygmes et de cris improvisés. Matante Rose aurait dit qu’il sonne comme le personnage animé de La Linea (googlez ça) en train de se noyer. Ou de vomir. Ou les deux en même temps. Je tiens à dire que je n’ai pas de matante nommée Rose, que je n’ai rien contre les tantes, ni contre quiconque s’appelle Rose. C’est juste pour dire que ce genre de show est tout sauf grand public. Cela dit, la désinvolture de l’artiste basé en Nouvelle-Écosse aidant, j’ai eu énormément de plaisir à le voir (et l’entendre) aller ce monsieur, fasciné que j’étais par ce qu’il arriverait à inventer la seconde suivante. Anormal et étonnant. Vive Suoni!!

La deuxième perfo était celle, un brin plus ‘’conventionnelle’’ (ne dites pas ça à matante Rose), du duo de la vocaliste et designer sonore Ky Brooks et de la guitariste Robin Gray. Les Montréalaises font dans le bruitisme charpenté par les drones. Elles déchirent ces derniers et construisent un build-up qui mène à une finale pulsative, sur laquelle Brooks se défoule en lançant des cris de rage bien sentis, mais contrôlés (si on compare avec Chik White). Inoubliable, intense et franchement cathartique. Votre humble serviteur a beaucoup aimé.

Le clou de la soirée nous a offert une tout autre sorte de performance. Et ce n’était pas plus mal, au contraire. Après les expériences précédentes qui faisaient presque passer Diamanda Galas pour une scout, la guitariste albertaine Jessica Ackerley a imposé une énergie purement instrumentale plus apaisante, faite d’impressionnisme planant et cosmique, et d’épisodes de grande finesse digitale.

Occasionnellement, quelques éruptions hard, voire métal, prouvent son savoir oécuménique en matière guitaristique. En tout et partout, la jeune dame qui poursuit un doctorat à Honolulu a marqué les esprits. Voici une interprète de très très haut niveau, tant dans le savoir et le raffinement académique que dans l’art de l’impro et l’éclectisme. Une belle découverte pour ceux et celles qui ne la connaissaient pas.

C’est ce genre de soirée qui nous rassure sur l’avenir de la créativité musicale, et qui démontre le caractère essentiel d’événements comme le festival Suoni per il popolo.

Chanson francophone / rock

Francos | Ponteix réinvente la chanson fransaskoise

par Michel Labrecque

Ponteix, alias Mario Lepage, n’a pas la notoriété de Clara Luciani ou de Sarahmée, qui étaient en vedette hier, 19 juin, sur les scènes extérieures des Francofolies. Mais celles et ceux qui étaient à la scène Loto-Québec à 18 heures ont apprécié ce concert…jusqu’à ce qu’un orage violent gâche les dix dernières minutes.
Sa prestation en direct était moins sophistiquée que celle de ses deux albums, le canadien errant (2025) et Bastion (2019), qui comportent des arrangements de claviers et de cordes très inventifs. Par contre, cette version en trio, plus simplifiée, ne manquait pas de groove et d’intensité.

Les deux accompagnateurs de Mario Lepage, le batteur Jeffrey Romanyk et surtout le guitariste électrique très polyvalent Stacy Tinant, remplissaient très astucieusement l’espace sonore. Mario Lepage jouait tantôt du clavier, tantôt de la guitare, tantôt de la basse, en plus de chanter.Ce trio originaire de la Saskatchewan francophone, aujourd’hui établi à Montréal, s’éloigne résolument de la musique traditionnelle, à laquelle on associe souvent la musique franco hors Québec. Ils ne sont pas les seuls, mais leur rock, groove très méditatif, sort de l’ordinaire. En entrevue, Mario Lepage nous a dit que c’est une musique qui incarne les grands espaces de l’ouest, mais aussi l’urbanité. Il ne cache pas l’influence de Karkwa, son album le canadien errant a été co-réalisé par Louis-Jean Cormier, mais Ponteix développe son propre son. Il en a fait la preuve, hier, dans ce spectacle trop court, mais prometteur.

Il partage avec nous, de façon encore un peu timide, son parcours de Fransaskois, les difficultés de vivre en français, la culture catholique de culpabilité, dont il raconte son affranchissement. Mais aussi la richesse du paysage, les ressemblances et différences avec le Québec. 

Pour moi, soyons clairs, Ponteix est un artiste à suivre. Il partira bientôt pour une tournée en Europe et je ne serais pas surpris qu’il s’y construise une base de fans. Je vous recommande chaudement l’écoute de ses deux albums, en attendant la suite…

Photo: Productions Novak

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Chanson francophone / électronique / indie folk / indie rock / krautrock

Francos | Il faut compter (et taper du pied) sur Odezenne

par Alain Brunet

Odezenne a embrasé la SAT jeudi soir, et ça se comprend : voilà ce que la France indie rock/folk/ électro/krautrock/dance-punk a de meilleur à offrir, voilà un quartette bordelais réclamé par une masse critique assez considérable pour remplir une salle d’importance dans cette île.

Ainsi, Montréalais de souche et Montréalais d’adoption (de souche franco-européenne) avaient de quoi communier! Belle et musclée fut l’offrande de ces mecs qui font les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux.

Leur écriture révèle une patte, une richesse, une vision du monde à la fois lucide et dérisoire. Il y a le privé qui touche aux tripes, il y a ce récit du quotidien qui nous peut aussi nous dilater la rate. Adaptée à leurs chansons, cette dégaine littéraire semble télégraphiques d’entrée de jeu. Les mots sont souvent balas comme des one liners. Ni vraiment rappés, ni vraiment dits, ni vraiment chantés et… tout à la fois.

Et on se laisse prendre au jeu.

À ces très bons textes balancé stoïquement, doucement (à la manière d’un lendemain de cuite), dérisoirement, passionnément ou même violemment par les multi-instrumentistes Alix Caillet, Mattia Lucchini ,Jacques Cormary et Stephane Luchini, se juxtaposent des sons triés sur le volet. Basses synthétiques qui portent des coulées de synthés modulaires, percussions artificielles et humaines bien garnies de testosérone, guitares sèches ou acidulées, mecs qui s’éclatent en chantant ou en scandant.

Depuis 2008, Odezenne a enregistré sept albums studio dont le récent DOULA (des couloirs des portières) sous label Universeul.

L’expérience sur scène ne fait pas de doute. S’agitant dans le clair-obscur de cette scène de nuit, ce band s’avère une machine puissante et cohésive, qui s’affirme d’abord pour la cohérence de ses formes et de son propos.

Voilà un autre trou de notre culture qui vient de se remplir, et qui restera comblé.

Photo: Frédérique Ménard-Aubin

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Afrique / reggae

Francos| Une chaleur caniculaire pour Tiken Jah Fakoly

par Sandra Gasana

C’est avec « Africain à Paris » que Tiken Jah Fakoly a décidé d’ouvrir le bal après une brève intro musicale par ses sept musiciens et ses deux choristes. C’est devant une foule immense que le roi du reggae africain est apparu, vêtu d’une tunique colorée avec capuche.

Ses interactions avec le public se font tout au long du concert, soit lorsqu’il explique le contexte de chacun des morceaux ou encore quand il fait chanter la foule sur ses refrains.
« Quand l’Afrique sera unie, ça va faire mal ! » déclare-t-il avant le morceau iconique et sans transition, il enchaine avec « Alou Maye » durant lequel il se munit d’un djembé et participe à la section percussive du morceau. C’est à ce moment-là qu’un fan monte sur scène pour un selfie avec l’artiste, mais est très rapidement contrôlé par la sécurité.

« Ce morceau parle de l’histoire du peuple mandingue », annonce-t-il avant de rendre hommage à la jeunesse africaine qui rêve de quitter le continent. Les solos de balafons ont particulièrement plu au public, alors que certains morceaux débutaient uniquement avec un solo de guitare, comme pour la chanson classique « Plus rien ne m’étonne ». C’est clairement le moment fort de la soirée, avec un ajout de rythmes nyabingi avant que tous les autres instruments embarquent au fur et à mesure. Le public s’est transformé en chorale le temps de ce morceau rempli d’émotions.
J’ai découvert de nouvelles chansons telles que « Toubabou », « Kodjougou » ou encore « Djourou », qui fait allusion au cri de désespoir d’une personne qu’on refuse de payer après avoir accompli le travail demandé.
Tout comme lors de son concert en juillet 2022, l’endurance de cet artiste est impressionnante. Alors qu’il approche la soixantaine, il parvient tout de même à sauter, danser, lancer des coups de pied dans l’air durant 90 minutes de spectacle, sans toutefois prendre de pauses.

Un autre moment fort est lorsqu’il présente le morceau « Ouvrez les frontières » adressant l’injustice face à l’accueil des Occidentaux en Afrique qui se fait dans les meilleures conditions, alors que l’inverse est loin d’être vrai.

Il prend le temps de rendre hommage à son pays d’origine la Côte d’Ivoire dans « Le balayeur » mais également le Sénégal sur « Laissez le peuple vivre », alors que le drapeau sénégalais flottait au dessus de la foule.

Il fait même chanter le public dans sa langue natale sur « Ngomi », ce qui semblait lui faire plaisir. Il finit par rendre hommage aux « Martyrs » africains tels que Thomas Sankara, Patrice Lumumba ou encore Jomo Kenyatta, pour ne nommer que ceux-là.
Et hop! Le temps d’un changement de tenue, il revient vêtu d’un t-shirt sur lequel on peut lire « Africa » pour terminer la soirée en force et en percussion sur le morceau « Massadje ». Montréal n’est sûrement pas prête d’oublier ce concert mémorable, où les conditions météorologiques étaient réunies pour accueillir le grand Tiken.


Crédit photo: Benoit Rousseau

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