Afrique / afropop / musique traditionnelle d'Afrique centrale

Nuits d’Afrique | Fulu Miziki Kolektiv, groove bidouille, groove bricole

par Alain Brunet

Après un passage remarqué au FIJM, Fulu Miziki Kolektiv a rempli le Balattou à ras-bord et a rempli sa mission : le brasier dans la place! Le buzz était plus que tangible pour cette plus récente formation de Kinshasa à envahir les Nuits d’Afrique via une armada d’instruments et costumes inventés. 

La lutherie de récupération, il faut le rappeler, est devenue une marque de commerce pour la musique de rue à Kinshasa; des groupes sont devenus célèbres et fascinent les publics non africains, on pense à Staff Benda Bilili, Kokoko! et autre Beta Mbonda.

À l’instar de ses prédécesseurs, Fulu Miziki Kolektiv mise essentiellement  sur des percussions et cordes bricolées avec des ordures recyclables : plomberie, bois, conserves, morceaux de métal et autres gugusses. Affublés de déguisements afro-futuristes taillés aussi dans les étoffes et ornements du recyclage, sorte de  Mad Max afro, ces musiciens  autodidactes ont réussi à assembler un spectacle fort en rythmes, en chants, en cris de ralliement, en motifs hypnotiques inspirés de l’électro, en accroches pop non sans rappeler le soukouss congolais mais aussi en phase avec les tubes afropop rayonnant sur le continent noir.

Cette signature Fulu Miziki Keolektiv se veut donc le prolongement spectaculaire des musiques urbaines de rue au RD Congo, avec nouvelles sonorités percussives et cordes électriques assez proches de l’idée qu’on se fait d’une basse ou d’une guitare – création du fameux luthier kinois Socklo? 

Issu du quartier Ngwaka de Kinshasa, ce Kolektiv suggère une vision en cinq blocs : eco-friendly-afro-futuristic-punk.  Musiques jouées par des artistes guerriers et conscients des enjeux environnementaux, musiques simples et cohésives, très énergiques, massives. Évidemment exotiques…

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classique arabe / jazz-rock / krautrock / Métal / Moyen-Orient / Levant / Maghreb

Nuits d’Afrique | Sarab, conversation Est-Ouest dans ta face

par Alain Brunet

Un soir de juillet à Montréal, Sarab débarquait quelques semaines à peine après Sanam. Ces deux groupes ont en commun l’arabité contemporaine et l’attitude rock.

Dans le cas de Sanam, venu de Beyrouth, on était dans le post-rock, le drone, le noize, l’ambient et la musique classique arabe. Côté Sarab, invité mardi au Ministère dans le contexte des Nuits d’Afrique, on était dans un alliage expressif de métal, krautrock, jazz-rock et chants syro-libanais classiques et contemporains.

L’expression vocale de Climène Zarkan est forte, éloquente, hypnotique, engagée corps et âme dans le contexte des profondes perturbations que subit la grande région du Levant depuis trop longtemps. 

On se trouve ainsi au cœur du dialogue entre la chanteuse, fille d’immigrants du Levant mais très parisienne à la fois, et de son collègue guitariste Baptiste Ferrandis, instrumentiste très doué et directeur musical respectueux de l’équilibre est-ouest à atteindre dans un tel exercice de fusion. 

Les mélodies de Sarab tiennent du tarab (chants d’extase), mais aussi des incantations soufies et des affects typiques de la grande pop arabe moderne (Abdel Wahab, Fairouz, Oum Kalthoum, etc.) , sans compter cette esprit rock qui les distingue en lui conférant de belles aspérités.

C’est à la fois rugueux et complexe, ça exprime l’état d’âmes parisiennes d’aujourd’hui qui absorbent la conjoncture et en font de l’art. Et c’est fait par des artistes aguerris, rompus aux formes avancées de la musique instrumentale amplifiée À l’évidence, les artistes de ce quintette sont éduqués et atteignent un niveau avancé dans leur jeu respectif – excellent batteur, soit dit en passant. 

La curiosité intellectuelle les conduit à concrétiser musicalement la rencontre de la chanson et de la poésie arabes d’aujourd’hui et de musiques parfois traversées par le Moyen-Orient mais avant tout occidentales dans leur expertise et leur exécution. 

Enfin bref, on n’est vraiment pas dans la pop rapidement consommée, un tel mélange s’impose lentement et sûrement, à condition que ses praticiens persévèrent sur cette voie d’ouverture excluant la facilité.

On le leur souhaite.

Photo : M. Belmellat

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afro-colombien / afro-électro / cumbia électro / électronique / latino

Nuits d’Afrique | KillaBeatMaker, conscience et dynamisme colombiens

par Alain Brunet

Au sortir du Ministère mercredi, il me paraissait très clair que KillaBeatMaker apportait sa pierre à l’édifice de la musique latine à l’ère numérique. En tout cas, l’édifice des Nuits d’Afrique s’en est trouvé enrichi. Mercredi soir, le résidant de Medellin a plus que comblé les attentes des festivaliers venus à sa rencontre. Deux sets bien sentis au Ministère furent balancés au plus grand plaisir de ses fans montréalais parmi les plus précoces.

Le maître du jeu est au centre d’un trio axé sur les rythmes et motifs électroniques, les rythmes émanant de la percussion acoustique, les chants, une flûte de pan synthétique. 

À sa droite, Guadalupe Giraldo aux percus, à la gaita synthétique dont le son rappelle la flûte de pan, et au chant (très belle voix!). À sa gauche, Julian Ramirez aux percussions et aux chœurs. KillaBeatMaker déclenche les sons des machines, peut les étoffer de beatbox humain, de rap, de chant. Authentique frontman, le mec sait bien chanter, bien rapper, bien beatboxer et fort bien motiver un parquet de danse.

Le dynamisme de cette exécution est contagieux, sa trame dramatique a été minutieusement conçue de manière à chauffer la foule et la mener aux paroxysmes souhaités. 

 Les références mises en relief relèvent d’une belle direction artistique, on y ressent les cultures locales, cumbia, champeta, musiques andines, musiques des côtes colombiennes du Pacifique et de la Caraïbe et aussi musiques mondiales de l’heure – afro-house,  afrobeats, reggaeton et plus encore. 

Et KillaBeatMaker s’avère plus qu’une bête de fête, il adopte une posture critique et progressiste de par les thèmes de ses morceaux – précarité de la biodiversité colombienne, injustice économique, concentration injuste de la richesse, impérialisme. 

Pas parce qu’on s’éclate que c’est drôle…

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Brésil / reggae

Nuits d’Afrique | Flavia Coelho, la femme aux multiples instruments

par Sandra Gasana

On connaissait déjà ses talents de guitariste, mais ce que l’on ignorait avant hier soir, c’est que Flavia Coelho joue également de la batterie, du clavier et du trombone. Eh oui, rien que ça, en plus d’être une excellente danseuse et une conteuse d’histoires hors pair.

Il n’aura fallu que quelques secondes pour que l’Olympia se mette debout lorsque la diva brésilienne est apparue sur scène, vêtue d’une tenue moulante, des bottes d’inspiration autochtone et deux couettes, déterminée à enflammer la salle. En effet, les places assises ne faisaient pas de sens lorsqu’on connaît l’énergie débordante de Flavia Coelho, que j’aime appeler « la plus Française des Brésiliens ».

Même son entrée en scène était dramatique : jeux de lumières, voix lointaine annonçant son arrivée et c’était parti. 90 minutes durant lesquelles l’artiste danse, chante, joue plusieurs instruments, passant de l’un à l’autre tout naturellement. « Je me suis donné comme objectif d’apprendre un nouvel instrument et c’est ce que j’ai fait », nous confie-t-elle avant de nous présenter un morceau sur lequel elle joue du trombone.

Accompagnée par son fidèle producteur et claviériste, Victor Vagh, Al Chonville, son batteur d’origine martiniquaise qui l’accompagne depuis plusieurs années et un nouveau venu, le Brésilien Caetano Malta, à la guitare, elle était bien entourée pour livrer un spectacle que les festivaliers ne seront pas près d’oublier.

Elle débute avec Sunshine, qui figure dans l’album Bossa Muffin, paru en 2009, sur lequel elle insère du rap ultra rapide, sa marque de commerce. Elle interagit avec son public à plusieurs reprises durant le spectacle, en portugais et en français, soit en leur racontant de petites anecdotes marrantes ou alors en les faisant chanter sur ses refrains.
« Je viens de sortir mon 5ème album Ginga », nous dit-elle fièrement avant Mama Santa, le tube qui rend hommage à toutes les femmes qui ont contribué à l’éducation de l’artiste, de l’enfance à l’âge adulte. Probablement un des moments forts de la soirée.

Elle a également partagé quelques chansons de l’album DNA, paru en 2019 comme Billy Django, mais aussi Mundo Meu, paru en 2014 avec Por Cima.

Par moments, on avait l’impression d’être dans une soirée haïtienne, alors que dans d’autres on était transportés à Kinshasa, au grand plaisir du public qui dansait sans cesse. Elle a très bien adapté son concert au contexte des Nuits d’Afrique en ramenant cette touche afro.
Bien entendu, le reggae est resté présent durant le spectacle, genre qu’elle affectionne particulièrement. D’ailleurs, elle laisse la place à son batteur durant quelques minutes de dub intense avec de la réverbération, pendant qu’elle le remplaçait à la batterie.

Comme souvent lors de ses concerts, Flavia invite une artiste sur scène, et c’était nulle autre que la Griotte Djely Tapa qui nous a enchanté durant quelques minutes.

En guise de rappel, nous avons eu ma chanson préférée de l’artiste Temontou, faisant allusion à son admiration pour l’auteur Dany Laferrière et son rapport à l’exil, avant de terminer avec le hit qu’elle a créé avec le producteur et DJ Poirier, Café com Leite.
C’est le Nigérien Boubé qui a assuré la première partie du spectacle en formule trio, alors qu’il figure également dans la programmation de la 39ème édition du Festival international Nuits d’Afrique avec son blues du désert. Bien entendu, Flavia a mentionne Boubé durant son concert, encourageant la relève comme elle seule sait le faire.

Crédit photo: Peter Graham

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cumbia / latino

Nuits d’Afrique | La Chiva Gantiva lance le festival avec force

par Michel Labrecque

Décidément, les amateurs de cumbia latino-américaine modernisée sont gâtés en ce début de juillet : après les prestations de Frente Cumbiero et de Empanadas Illegales au FIJM, la 39ème édition du Festival international Nuits d’Afrique démarrait avec La Chiva Gantiva, un groupe de Colombiens installés à Bruxelles, qui a très rapidement enflammé le Balattou. Comme une allumette sur du bois très sec. Le feu a crépité. Instantanément !

La Chiva Gantiva est formée de cinq musiciens polyvalents qui alternent entre les percussions, les claviers et autres séquenceurs, les guitares et basses et les flûtes tantôt normales tantôt synthétiques. Rafael Espinel mène le tout de main de maître, au chant et à toutes sortes d’autres instruments, en particulier au conga.

La Chiva Gantiva n’a rien à envier aux grands groupes de cumbia électronique de Colombie. Le groupe a trouvé un alliage de sons original, parfois éthéré, parfois percussif, avec des improvisations ludiques et intenses. Une grande partie des pièces étaient issues de leur dernière création, Ego, parue cette année. Comme nous l’a expliqué Rafael Espinel en entrevue, ce disque, certes ludique et dansant, contient aussi des textes de réflexions, notamment sur la place démesurée qu’occupe l’égocentrisme dans nos sociétés. Ainsi que sur la faim et l’avenir des indigènes.

Il y avait une invitée surprise pour accompagner le groupe pour quelques chansons. Noé Lira, la Mexicoise, Québécoise en partie Mexicaine, qui s’est parfaitement intégrée dans le groove des Belgo-Colombiens.
Et le public ? Un mélange interculturel et intergénérationnel qui a embarqué à fond. La majorité d’entre eux a dansé pendant une grande partie du concert.

Crédit photo: M. Belmellat

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baroque / opéra

Festival de Lanaudière | Le couronnement de Poppée, le triomphe d’Octavie et la maîtrise d’Alarcon

par Frédéric Cardin

Fort d’un Orfeo magistral en 2023, la Cappella mediterranea dirigée par Leonardo Garcia Alarcon effectuait un retour attendu à Lanaudière avec ‘’l’autre’’ opéra de Monteverdi, Le couronnement de Poppée. Une oeuvre différente, conçue à la toute fin de la vie du compositeur (alors qu’Orphée a été écrit une trentaine d’années plus tôt) et soumise à des diktats commerciaux inédits pour l’opéra. À ce sujet, LISEZ l’entrevue que j’ai réalisée avec M. Alarcon en prévision de ce concert

Alarcon était entouré de ses fidèles collègues, aux instruments et au chant, plusieurs étaient là en 2023. Même calibre donc, et cela en ajoutant la Lanaudoise Pascale Giguère, appelée en renfort à la dernière minute pour remplacer un violoniste malade. Chapeau à Mme Giguère, et fierté appropriée, car la musicienne a dévoilé une qualité de jeu pleinement à la hauteur de l’ensemble. 

Dans une jauge plus économe que pour Orfeo (voir encore une fois l’entrevue mentionnée plus haut), la Cappella a démontré sa parfaite adéquation avec la partition, autant dans la suggestion des affects que la précision des lignes mélodiques et accompagnatrices. Et, encore une fois, la splendeur des chanteurs et chanteuses était au rendez-vous. Le contre-ténor Niccolo Balducci dans le rôle de Néron était bien impérial, mais sans grandiloquence. Sophie Juncker, qu’on a dit indisposée par un virus, a fort bien tenu sa partie, même si on a remarqué effectivement d’occasionnelles défaillances dans la force de projection. Rien pour nous faire bouder, cela dit. Les rôles secondaires étaient tous de très belle tenue : solennel Edward Grint (Sénèque), amoureuse voire naïve Lucia Martin Carton (Drusilla), un peu pitoyable, et même loser, Christopher Lowrey (Othon, aptement ridicule avec ce t-shirt hawaïen) et truculent Samuel Boden dans une panoplie de petits rôles (une nourrice, Arnalta, Damigella…), qu’il exécutait avec humour et désinvolture, malgré le recours à une tablette sur laquelle il consultait sa partition. On ne peut qu’imaginer l’impact augmenté que sa performance aurait s’il savait s’en passer!

Mais au-delà de tout cela, j’ai été particulièrement séduit par la soprano Mariana Flores, dans le rôle d’octavie, impératrice noble et un peu hautaine, humiliée par le rejet de son empereur de mari et amenée à comploter comme une vilaine pour sauver son mariage et, surtout, son titre et sa réputation. 

Dans une robe moulante exquise, elle était désirable comme une reine se doit de l’être dans les légendes. Mais sa prestance tendance olympienne lui donnait cette distance émotionnelle appropriée, expression d’un personnage que Néron qualifie de ‘’frigide’’. Une accusation souvent teintée de misogynie, mais qui, ici, renvoie à une attitude typique d’une matrone issue d’une lignée prestigieuse et aristocratique, dont la dignité bafouée ne peut s’exprimer que par un certain mépris du monde. Mariana Flores avait, hier, la voix la plus accomplie, la plus qualitativement holistique, puissamment expressive dans la colère, poignante malgré sa réserve dans ses murmures aigus idéaux. Une voix sans faille tonale, ni approximation timbrale. Pour votre humble serviteur, la reine de la soirée, malgré sa déchéance finale dans le scénario.

Dans l’ensemble, aussi, des jeux d’acteurs impressionnants, incarnés, manifestement travaillés longuement et expertement. On y croit de bout en bout.

Leonardo Garcia Alarcon a démontré toute la profondeur de sa maîtrise du langage et du style monteverdien. Encore un triomphe pour le directeur musical. On se demande quel miracle il nous apportera la prochaine fois, mais on ne peut que l’attendre avec impatience. 

Cela dit, il faudra que le public soit digne de recevoir cette qualité artistique, en venant plus nombreux. Sinon, à un moment donné, il y a des gens qui se lasseront de proposer des programmes exceptionnels devant des parterre clairsemés. 

expérimental / jazz / jazz contemporain

FIJM | Sun Ra Arkestra Toujours dans le monde physique mais…

par Vitta Morales

Cela fait maintenant trente-deux ans que Sun Ra a quitté notre monde physique pour retourner sur Saturne. Depuis lors, son Arkestra a tenu le fort et porté le flambeau de sa marque de jazz big band afrofuturiste ; et bien que l’Arkestra soit devenu une sorte de vaisseau de Thésée avec le passage du temps, l’essence de la musique de Ra est, à mon avis, toujours vivante et atteint des audiences appréciées grâce aux efforts du groupe.

Au cours de leur set de soixante minutes, nous avons entendu des fanfares grandiloquentes, du swing méchant, quelques moments « libres » et beaucoup de plaisir dans l’ensemble. Knoel Scott, âgé de soixante-huit ans, a fait la roue, a dansé le swing, a défilé sur scène comme s’il s’agissait d’une parade, tout comme des moments de chaos contrôlé juxtaposés à des sections beaucoup plus directes. En effet, le talent de tous les cuivres, de la section rythmique, des chanteurs, des percussionnistes et des danseurs a été pleinement mis en valeur. Le point culminant pour moi a été l’interprétation par le groupe de « Enlightenment », qu’ils ont joué comme un shuffle. C’est probablement l’une de mes mélodies préférées dans le répertoire de Sun Ra.

Il y a quelque temps, un batteur m’a dit : « Depuis trente ans, les Rolling Stones sont un groupe de reprises des Rolling Stones ». C’est bien sûr le danger qu’il y a à poursuivre trop longtemps une bonne chose. Je ne dirais pas que le Sun Ra Arkestra est tombé dans ce piège. La musique elle-même est toujours jouée à un niveau trop élevé pour cela. Même s’il est vrai que l’Arkestra ne sera plus jamais ce qu’il était (la perte de Sun Ra lui-même, John Gilmore, et la retraite de Marshall Allen étant tout simplement trop importantes), l’institution qu’est l’Arkestra continue d’engager des musiciens compétents qui se soucient de la réputation. Il est probable que cela suffise à maintenir cette bonne chose pour un bon moment encore.

Photo Emmanuel Novak Bélanger

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jazz contemporain / Jazz Pop

FIJM | Esperanza Spalding entre deux chaises sur la place des Festivals

par Alain Brunet

Depuis 2006, soit depuis la sortie de compositions originales telle I Know You Know qu’elle a jouée samedi, Esperanza Spalding est une star du jazz.

Menue, petite, tellement solide, la musicienne de 40 ans possède tous les attributs des stars sans forcer. Contrebassiste et bassiste virtuose, chanteuse douée d’un organe puissant, très joli minois, elle peut aisément fréquenter les zones limitrophes de la pop en usant de formes chansons et l’enrichissant de compositions et improvisations plus complexes.

Ces formes n’excluent donc pas détours conceptuels plus recherchés, parfois même audacieux. Non, la très belle Espéranza n’a pas grand-chose à voir avec quelque avant-garde mais ne fréquente pas non plus les formes prédigérées de la pop aromatisée de jazz.

Samedi soir, on n’avait pas du tout le sentiment qu’elle tournait show de masse et… pourtant, c’est pourtant ce à quoi la place des Festivals était consacrée samedi pour le plus important des concerts gratuits de sa clôture. Or, pour qu’un tel concert puisse fonctionner à plein régime et marquer l’imaginaire, il faut plus que ce qu’on a eu.

Bien sûr, Esperanza Spalding pouvait compter sur l’excellent guitariste et compositeur torontois Matthew Stevens, proche collaborateur sur scène depuis quelques années – après avoir été un musicien crucial chez le trompettiste Christian Scott aTunde Adjuah. Ce mec féru de Fender Telacaster devrait d’ailleurs faire l’objet d’une carrière solo, vu la profondeur de son propre univers musical. Enfin… les compléments de son jeu sont absolument bienvenus chez Esperanza.

Venue en petite formation, (basse, batterie, guitare + électro), la frontwoman avait invité deux danseuses capables de se transformer en choriste lorsque l’occasion s’y prêtait. Pas sûr non plus que l’effet chorégraphique ait été déterminant.

Au fait, deux danseuses et de bons éclairages suffisent-ils pour le succès d’une telle clôture?

Présenter du jazz dans les événements grand public au FIJM est une idée à défendre bec et ongles mais il faut aussi réfléchir davantage à l’immersion audiovisuelle pour mener à bien une telle aventure.

Bravo au public pour l’effort d’écoute, bravo au FIJM pour cette prise de risque. La place des Festivals n’a pas été désertée en ce dernier soir mais on n’a pu conclure à un événement mémorable, transcendant, du calibre des concerts de The Roots ou Hiatus Kaiyote. Cela dit… on était peut-être entre deux chaises mais on était très loin, très loin de toute médiocrité.

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période romantique

Festival de Lanaudière | Bruckner et Payare : bâtisseurs de cathédrales

par Frédéric Cardin

L’un a dessiné minutieusement tous les plans d’un édifice majestueux, l’autre avait la responsabilité de le faire lever de terre, sur des fondations solides, en le parant des plus beaux atours et en l’élevant jusqu’au ciel. L’entreprise a admirablement réussi et le résultat dévoilé hier soir à l’Amphithéâtre de Lanaudière avait quelque chose d’olympien.

Je parle ici de la Symphonie n° 8 en do mineur d’Anton Bruckner, que les clichés explicatifs comparent toujours à une grande et magnifique cathédrale. Pour une fois, accordons aux clichés la part de vérité symbolique qu’ils véhiculent. L’avant-dernière symphonie du compositeur autrichien est effectivement grandiose et monumentale, qui plus est écrite dans un esprit de dévotion vibrante (Bruckner était très croyant). Cette œuvre de presque une heure et demie, réclamant un orchestre énorme, a donc tout pour stimuler une allégorie architecturale aussi impressionnante que celle d’une cathédrale. Notre-Dame? Reims? Strasbourg? Cologne? Peu importe, vous avez compris l’idée. 

Payare a donc savamment construit hier cet édifice herculéen, avec des détails et des contrastes de dynamiques renforçant le drame spirituel à l’œuvre. Drame, oui. Car même si l’on compare la Huitième à une cathédrale, même si on dit, à juste titre, qu’elle est comme une immense prière du compositeur, qui nous invite tous et toutes à partager sa dévotion avec lui, la puissance des émotions recelées dans cette partition raconte une histoire personnelle de recherche de la transcendance. 

Tout était parfait. Payare a contrôlé les élans dynamiques, sans vraiment les retenir, juste en communiquant, de toute évidence, la volonté de Bruckner. Comme un passeur spirituel. Les moments de douceur extrême étaient si peu audibles que les oiseaux à proximité résonnaient plus fortement. Le compositeur aurait été aux anges! Au contraire, les moments de magnificence emplissaient la cuvette naturelle du site comme le divin qui y prendrait toute la place. 

Et quel orchestre! Payare et nous, sommes choyés. Intonation idéale des solos, des ensembles de sections et des tutti, phrasés de l’adagio sans précipitation mais avec une énergie inhérente palpable. Cet adagio d’ailleurs, et surtout cette ascension frémissante de cordes accompagnées des trois (!) harpes, célébrissime moment (qui revient plusieurs fois) qui transporte les mélomanes tout près des portes du Paradis, avait quelque chose de purement céleste, et parfaitement réussi. La finale du Finale, quant à elle, majestueuse construction, ultime finition d’un bâtiment sublime, qui abriterait n’importe quelle divinité suprême de n’importe quel culte (Dieu, Allah, Brahma, Odin, Râ, Zeus, etc., etc.), cette finale qui vous prend aux tripes et vous élève malgré vous, était grandiose à souhait, mais sans aucune vulgarité. Que du vrai, que du ressenti, avec respect et élégance.

Oh, je pourrais chipoter sur des détails. Les trompettes du Scherzo auraient pu être beaucoup plus incisives. Je les aime ainsi, voyez-vous. Pour marquer le côté plébéien du mouvement, a contrario de la piété du précédent. Et puis, ce dernier, dont les dernières mesures invitent au recueillement, aurait pu être, justement, un brin plus ‘’recueilli’’. 

N’empêche, ce degré de qualité musicale est à porter au crédit de notre orchestre, assurément l’un des meilleurs au monde. Bravo aux solistes, impeccables, et en particulier Catherine Turner au cor. Quel travail exceptionnel, quelle justesse de ton, de sonorité, de couleur. La dame a été remarquable, maîtrisant un instrument si capricieux, et si souvent tenté par la trahison de celui ou celle qui le tient. 

Le seul véritable bémol est à mettre au compte du public : le parterre n’était que partiellement comblé. Une honte, compte tenu de la qualité du moment qui était proposé. 

chant choral / classique moderne / classique occidental / période romantique

Festival de Lanaudière | Magistrale ouverture

par Alexandre Villemaire

La 48ème édition du Festival de Lanaudière s’est ouverte avec un grand bang, aussi sonore que la première note de l’œuvre maîtresse de ce concert du 4 juillet qui inaugure un mois de musique dans la région lanaudoise. Menés par Rafael Payare, l’Orchestre symphonique de Montréal et le chœur de l’OSM ont livré une performance magistrale de l’œuvre phare de Carl Orff, la cantate profane Carmina Burana. Il s’agissait de la première fois en treize saisons que l’œuvre était interprétée au festival. Une excellente occasion pour les auditeurs et mélomanes de la découvrir ou de la redécouvrir. 

La première partie était composée de deux œuvres aux caractères imagés contrastant. En ouverture, nous avons entendu la création Icarus de la compositrice Lena Auerbach. Éminemment descriptive, l’œuvre fait bien sûr référence à la figure de la mythologie grecque qui, voulant s’approcher trop près du soleil, s’est brûlé les ailes pour finalement se noyer; exemple de la nature humaine qui cherche à repousser ces limites par vantardise et cupidité. L’œuvre oscille ainsi entre différentes atmosphères, tantôt tendues et tantôt lyriques. Une première section dresse un dialogue entre les cordes et les bois dans cet affect. Une deuxième section prend des accents plus dramatiques avec l’intervention des cuivres, suivis par un passage d’un grand lyrisme aux cordes qui évolue dans une anxiété harmonique qui culmine par une évocation de marche funèbre avec l’intervention des cloches tubulaires. Une troisième section, plus calme et apaisée, est introduite par la harpe qui dialogue avec les pizzicati des violons avant d’entendre une contre mélodie interprétée par le premier violon Andrew Wan qui progresse dans un suraigu évanescent et qui finit par se fondre dans le son aérien de verres musicaux. En sommes, une composition bien découpée à l’orchestration fine et aux effets orchestraux imagés.

Après cette pièce au style éthéré, on passe à un registre endiablé avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov. Reprenant l’œuvre déjà virtuose du violoniste et compositeur italien Niccolo Paganini, le traitement tout aussi complexe de Rachmaninov était mené par le pianiste allemand Kirill Gerstein. Il a fait la démonstration d’une grande agilité pianistique dans l’expression des différents passages, soutenu par un Rafael Payare précis. Le seul inconfort que nous ayons ressenti était que l’orchestre, même dans son rôle de soutien instrumental, était un peu trop en retrait au niveau sonore.

Œuvre maîtresse, Carmina Burana est venu conclure cette soirée avec intensité. Dès le premier coup de timbale et la première note du chœur du chante « O Fortuna », nous sommes embarqués pour un solide voyage musical. Les paroles sont claires, la prononciation et l’articulation précises et les différentes dynamiques amenées par Payare sont exécutées rondement. Le chef de l’OSM a opé pour son interprétation sur un enchaînement de chacun des vingt-cinq mouvements en attaca, gardant ainsi l’attention et l’audience et en plus de conférer à l’œuvre une direction narrative claire à ses poèmes du Moyen-Âge abordant des thèmes comme la nature constante de la fortune et de la richesse, la joie et les plaisirs de l’alcool et de la chair. Parmi les très beaux moments, le neuvième mouvement « Reie » où s’insère un superbe passage intime entre les voix. L’entièreté de la séquence In Taberna littéralement « à la taverne » a donné lieu à une mise en scène juste et à propos entre le contre-ténor Lawrence Zazzo et le baryton Russell Braun. L’unique air de ténor « Olim lacus colueram » (Jadis, j’habitais sur un lac) qui est littéralement la complainte d’un cygne qui décrit les différentes étapes qui l’amènera à être mangé était à la fois comique et perturbant, mais d’une clarté sans ambiguïté. Sans ambiguïté également était le duo entre la soprano Sarah Dufresne et Russell Braun « Tempus est iocundum », (Le Temps est joyeux) où les inflexions de la ligne vocale et l’accélération ne font planer aucun doute sur la nature du texte qui décrit une scène d’amour engagé. Tant Dufresne que Braun ont livré dans leur air respectif une interprétation sentie et vocalement saisissante.

Avec une entrée en matière magistrale pour sa 48ème saison, nous ne pouvons que souhaiter une bonne fortune au Festival de Lanaudière pour le reste de sa programmation.

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jazz moderne

FIJM | Pour le centenaire d’Oscar Peterson, le plus célèbre Montréalais du jazz

par Alain Brunet

Oscar Peterson (1925-2007) aurait eu 100 ans le 15 août prochain, sa fille Celine est montée plus d’une fois sur scène à la Maison symphonique, afin d’en souligner le programme hommage. Le 4 juillet 2025, OP était toujours le musicien montréalais le plus réputé de l’histoire du jazz. Successeur du premier supravirtuose du piano jazz moderne, le grand Art Tatum, Oscar Peterson fut à son tour le supravirtuose de sa génération, la plus grande vedette du piano jazz au cours des années 50 et début 60.

Pour ce centenaire, différentes manifestations musicales commémorent ce célébrissime natif de la Petite-Bourgogne. La plus importante est sans conteste celle de la Maison symphonique où le batteur Jim Doxas dirigeait les opérations de la première partie du programme, mais rappelons qu’il a honoré la musique d’OP plus tôt  cette semaine au FIJM , aux côtés de son frère le saxophoniste Chester (Chet), le pianiste Taurey Butler, le trompettiste Lex French et autres collègues de MTL. 

Sur la scène de la Maison symphonique, Jim Doxas était entouré de l’excellent pianiste rom Robi Botos, de la guitariste Jocelyn Gould, du contrebassiste Mike Downes. Ils ont joué Backyard Blues et When Summer Comes, on a observé la filiation directe de Robi Botos dans son jeu pianistique. Haute voltige et volupté ! Des invités se sont joints au quartette de base : Chet Doxas et Lex French ont participé à un pot-pourri de pièces emblématiques d’OP, dont la magnifique ballade The Night We Call It A Day, à écouter absolument sur un album d’OP intitulé The Trio, sous étiquette Verve.

Et l’on ne compte pas le chanteur Paul Marinaro, un proche du clan Peterson venu interpréter Taking A Chance on Love et Goodbye Old Friend – dont le texte fut écrit après la mort subite en 2005 du grand contrebassiste Niels-Henning Ørsted Pedersen, longtemps sideman du pianiste centenaire.

La deuxième partie du programme consistait à interpréter les 8 parties de la Canadiana Suite d’Oscar Peterson avec le même ensemble cette fois étoffé de 14 instruments à vent, ce qui en faisait un big band de très bonne tenue, sous la direction de John Clayton. Exécution sage, un peu monochrome, néanmoins respectueuse de l’œuvre la plus ambitieuse de feu Oscar.

Surprise à la toute fin, notre bien-aimé Oliver Jones est venu remettre le Prix Oscar-Peterson à son nouveau récipiendaire, nul autre que le directeur musical de la soirée : Chet Doxas, qui fut d’ailleurs très longtemps le sideman d’Oliver. Et le nonagénaire est encore capable de jouer! 

Bon, l’heure n’est plus aux grands sparages mais les grandes mains du pianiste montréalais, digne successeur d’OP pour les mélomanes d’ici, fonctionnent encore et répandent de très beaux accords de clavier dans le cosmos. Ce qui ne serait jamais produit si Oscar Peterson et sa sœur Daisy, qui fut son professeur de piano, n’avaient pas existé.

Photo : Emmanuel Novak Bélanger

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FIJM | Marcus Strickland et la suite du black fusion

par Alain Brunet

Vendredi soir au Studio TD, l’impétueux tenorman Marcus Strickland (Bilal, Roy Haynes, Robert Gasper, Dave Douglas, etc.) nous a ramenés à une vibration très Brooklyn avec un band entièrement black : batteur costaud et parfait dans le heavy funk et le jazz contemporain, bassiste parfait dans cette esthétique et multi-claviériste aussi typique de ce jazz contemporain fusionné avec le jazz groove des années 70 et 80.

À cette époque de plus en plus lointaine, on ne s’imaginait pas une reprise aussi groovy et aussi électrique que Pinnochio, composée par Wayne Shorter pour le quintette de Miles Davis – dans le mythique album Nefertiti. Ce qu’on a pu écouter avec ravissement. Super version !

Le quartette du saxophoniste quadragénaire est lourd, aguerri, il y a du papier sablé, des aspérités malgré la finesse et la haute virtuosité de ces exécutions typiques du jazz noir américain et new-yorkais. Car il ne s’agit pas exclusivement de grooves polyrythmiques ou de de heavy funk-jazz, on fait aussi la place belle au swing, aux alternances binaires/ternaires, aux ballades tributaires du Great American Songbook et aussi de la soul/R&B. Qui plue est , Marcus Strickland s’inspire du chant d’un oiseau, de la planète Jupiter (Sun Râ préfère Saturne !), ou encore des chants pentatoniques des griots d’Afrique de l’Ouest. Mais d’abord et avant tout, le saxophoniste s’en remet aux esprits du jazz.

Ce type de jazz que pratique Marcus Strickland a peut-être manqué de souffle un moment, on s’y est désintéressé… et on y revient car, de plus en plus on observe les signes d’un retour en force. Depuis que le hip-hop en a échantillonné les prédécesseurs, de nouveau praticiens ont émergé et font avancer la forme depuis les débuts de leur carrière.

Et qui, semble-t-il, redeviennent cool et conquièrent un jeune public fasciné par un tel musicianship, de telles compositions, de telles improvisations, une telle culture, un tel groove.

Bonne affaire!

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