musique contemporaine / post-minimaliste

SMCQ | Le meilleur « concert au chandelles »

par Frédéric Cardin

Non, ce n’est pas un vrai concert ‘’Candlelight’’ dont je vais vous parler. C’est le concert final de la saison 24-25 de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), In Memorian Jocelyn Morlock, dont il sera question. L’un des plus beaux concerts de la saison, à mon humble avis. Musicalement envoûtant, spirituellement poignant. Alors pourquoi la référence aux concerts hyper populaires joués à la lumière des chandelles? Simplement parce que, hier soir à la magnifique Chapelle Notre-Dame-du-Bon-Secours, la sobre mais efficace mise en scène utilisait également de nombreuses bougies pour éclairer la scène, et que cela rappelait ce genre d’ambiance. Cela dit, esthétiquement, artistiquement et humainement parlant, ce concert de la SMCQ surpassait par un facteur 1000 tout ce qui ne s’est jamais donné dans la (vraie) série Candlelight (j’en ai vu quelques-uns). 

Memoriam Jocelyn Morlock par Frederic Cardin

Tel qu’indiqué par le titre, In Memoriam Jocelyn Morlock était un hommage à la compositrice vancouvéroise décédée subitement, et bien trop jeune, en 2023. L’esthétique musicale de cette femme a conquis une large portion du monde musical contemporain et continuera assurément d’influencer bien d’autres artistes dans les années à venir. Généralement consonante sans bouder les coloris saillants qui sortent du cadre et qui titillent savamment les oreilles, sa musique est extraordinairement agréable à écouter autant pour les profanes que pour les personnes plus aguerries au langage moderne. Autrement dit, Morlock fait l’unanimité autant sur le plaisir que sa musique procure que sur sa valeur intellectuelle. 

La qualité et l’intelligence de la construction du programme d’hier est à souligner : une heure et demie environ de musique lui rendant hommage, qu’elle soit de sa plume ou de celle d’autres compositeurs et compositrices dans un lent crescendo/decrescendo d’intensité et de volumétrie sonore. On est passé d’un très touchant soliloque pour hautbois solo nouvellement écrit par Samy Moussa (Jocelyn Morlock in memoriam – c’est toujours un plaisir de revoir Samy de retour à la maison, lui qui est installé à Berlin), à des pièces pour flûte, alto et harpe de Luis Ramirez (Volador) et Morlock (The uses of solitude), un arrangement pour quatuor à cordes de Sivunittinni de Tanya Tagag (le pic d’intensité sonore de la soirée, une pièce remarquable dans la justesse de ses évocations de chants de gorge inuit), la transcendante you are a vessel for joy de Rita Ueda, une nouvelle création pour cor anglais, quatuor à cordes et choeur, puis le très poignant Exaudi de Morlock, pour violoncelle et choeur (magistrale Chloé Dominguez!), le tout se terminant par une reprise du soliloque de hautbois de Moussa, dans la noirceur, tel un symbole du départ final de l’artiste célébrée (Mélanie Harel au hautbois, qui a imprégné son jeu d’une immense tendresse). 

LISEZ L’ENTREVUE DE MON COLLÈGUE ALAIN BRUNET AVEC SIMON BERTRAND, DE LA SMCQ, À PROPOS DE CE CONCERT

En est ressorti un sentiment de très forte communion spirituelle et humaniste, bienfaisante en ces temps de stress social et politique. 

Tous les musicien.ne.s sont à saluer dans cette performance artistique inoubliable : Voces boreales dirigé par Andrew Gray, le Trio Kalysta (Lara Deutsch à la flûte, Emily Belvedere à la harpe Marina Thibeault à l’alto, une combinaison à trois dont j’adore la finess technique, velours sonore et l’infinie capacité de coloration), les cordistes Robert Margaryan et Daphnée Sincennes Richard aux violons, Marie-Louise Ouellet à l’alto et Chloé Dominguez au violoncelle, Mélanie Harel au hautbois et cor anglais (excellente). 

Dans un monde bien plus idéal, un petit organisme comme la SMCQ aurait eu les moyens de filmer et enregistrer cet exceptionnel spectacle en haute définition, pour ensuite le diffuser le plus largement possible. Nous ne sommes pas dans ce monde, malheureusement, et il faudra se résigner à ce que seulement quelques 150-200 personnes (présentes et très attentives à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours) restent imprégnées de façon mémorable par l’événement. À moins qu’on ne réussisse à porter ce concept ailleurs. Ce serait souhaitable. Si ça arrive près de chez vous, ne ratez pas votre chance. 

Oui, l’un des plus beaux concerts de l’année. 

classique moderne / classique occidental / musique traditionnelle sud-africaine

L’OSM et Abel Selaocoe : de ces soirées où l’on aimerait suspendre le temps

par Judith Hamel

L’OSM nous offre parfois des cadeaux. Des moments de communion inattendue comme c’était le cas le 22 mai dernier. Le programme du concert mettait avant tout de l’avant la pièce conclusive Roméo et Juliette, mais c’est surtout le voyage pour s’y rendre qui fut porteur de sens. 

Le concert s’est ouvert avec Ma mère l’Oye de Maurice Ravel, sous la direction expressive et précise de la cheffe Xian Zhang. Cette suite de contes musicaux a permis à plusieurs musicien·nes d’être mis de l’avant en tant que solistes. Dans Les entretiens de la Belle et de la Bête, le fameux solo de contrebasson, incarnant la Bête maladroite, a été brillamment interprété par Michael Sundell avant que le glissando désenchanteur de la harpe le transforme en prince. 

Puis, est entré en scène Abel Selaocoe pour interpréter Four Spirits qui évoque la communauté de Sebokeng où il a grandi, accompagné de l’orchestre et du multipercussionniste Bernhard Schimpelsberger. Selaocoe est un violoncelliste et chanteur d’origine sud-africaine apportant avec lui un bagage musical impressionnant. 

Par un recours inventif aux techniques de jeu étendues, il explore en profondeur les potentialités rythmiques, mélodiques, mais surtout timbrales de l’instrument qu’il met au service de l’expressivité. Avec son violoncelle, Selaocoe parvient à convoquer une pluralité de timbres et de fonctions : l’instrument devient tour à tour l’écho rythmique de sa voix, un double vocal, ou se rapproche d’un luth ou d’une guitare. Il se fait tantôt accompagnateur, tantôt porteur d’envolées lyriques, et assure le prolongement sensible de son corps. 

Pour sa voix, que dire… Déjà, que l’amplification bien dosée dans la Maison Symphonique met de l’avant l’étendue de ses jeux vocaux et permet d’assurer la grandeur de sa créativité et de ses expressions dynamiques. Encore là, il mélange plusieurs traditions, en insérant dans un solide contrôle vocal des doux chants de langues sotho du sud et en zulu et des chants gutturaux qui emplissent acoustiquement la salle. Ensemble, le violoncelle et la voix permettent d’exprimer les textes inspirés avec une gamme d’émotions dédoublée. 

Du quatrième mouvement, célébrant l’esprit de collectivité, sont sortis un timide murmure puis un chœur composé du public. Après une longue ovation, Selaocoe est revenu sur scène pour offrir un dernier air dédié à l’instant présent. Il nous rappelle que si nous n’avons pas su faire ce qu’il fallait hier, il est encore temps de le faire aujourd’hui. Et un dernier chœur se forma… 

En deuxième partie, retour aux classiques avec des extraits des deux premières suites de Roméo et Juliette de Prokofiev. Une œuvre qui on l’imagine a été jouée des centaines de fois par les musicien.nes, mais qui ne manque pas d’être agréable à entendre. Si l’interprétation n’a pas été la plus marquante de la soirée, elle n’en demeurait pas moins efficace. Entre les solides éclats de Pierre Beaudry au trombone basse et les envolées dramatiques portées par Zhang, le public y a trouvé son compte. 

Une soirée où la nouveauté et le déjà connu s’alterne et permet au public de ressentir les émotions sincères. En espérant que Selaocoe nous revienne vite ! 

Il y a des soirs comme celui-là qu’on aimerait déjà revivre bientôt. 

crédit photo : Antoine Saito

période romantique

Atteindre le ciel : le défi de Francis Choinière pour finir la 10e saison de son OPCM

par Frédéric Cardin

Il y avait finale et première d’un seul tenant hier soir à la Maison symphonique de Montréal : l’Orchestre Philharmonique et Choeur des Mélomanes (OPCM) terminait sa saison (la dixième de son existence) avec une première interprétation à vie d’une symphonie de Mahler, en l’occurrence la deuxième, ‘’Résurrection’’. Le chef Francis Choinière l’avait choisie pour sa beauté et sa magnificence, lui permettant ainsi de mettre en relief les capacités de son orchestre. La soprano Sarah Dufresne et la mezzo Allyson McHardy se joignaient à l’ensemble pour les courtes mais belles lignes lyriques des quatrième et cinquième mouvements de l’œuvre.

REGARDEZ L’ENTREVUE AVEC FRANCIS CHOINIÈRE À PROPOS DE LA SYMPHONIE RÉSURRECTION DE MAHLER. 

Francis Choinière dirige de façon posée, sans les effluves de ses collègues montréalais, Rafael Payare et Yannick Nézet-Séguin, ou encore l’historique Bernstein, un modèle en soi. Cela induit une attention à la clarté presque cristalline des lignes et des contrastes, nombreux, de la partition. Là où un Bernstein crée une viscéralité prenante, Francis dessine des portraits précis et plus réfléchis. Ce qui n’empêche pas l’atteinte de tutti impressionnants et efficaces lorsqu’ils sont nécessaires. 

J’ai particulièrement apprécié la caractérisation qu’il a donnée aux cordes, très belles et riches de tempérament. Chapeau à la première chaise de l’orchestre, la violoniste Mary-Elizabeth Brown, qui a effectué des solos vibrants et très chantants. 

Le deuxième mouvement, andante moderato, avait une belle tenue pastorale et débonnaire. Même chose pour le Scherzo (troisième mouvement), avec un ‘’allant’’ de danse bien tenu. 

Urlicht, ce moment de grâce (quatrième mouvement) nous a donné l’occasion d’apprécier la mezzo McHardy dans une projection sonore un tantinet sombre pour les besoins de la partition, mais donné dans un très agréable raffinement tonal et esthétique. 

Le mouvement final et ses nombreuses pauses dynamiques est un redoutable morceau à attacher, car il faut s’assurer que la fluidité de la ‘’montée’’ vers la lumière finale, qui s’amorce ici et se termine au mouvement suivant, ne s’en trouve pas diminuée et rendue moins pénétrante par ces fréquents arrêts. Ceux-ci doivent apparaître comme de simples respirations dans une ascension spirituellement continue, et ce malgré les changements de textures et d’affects. Je dois rapporter que, en écoutant furtivement quelques commentaires du public après le concert, cet aspect de l’œuvre n’a peut-être pas été parfaitement compris par tous. Si je n’ai pas senti, moi-même, l’irrémédiabilité de cette ascension pendant le déploiement du mouvement, la finale chorale a fini par réconcilier le propos avec l’objectif. En effet, Francis Choinière a mené ses quelque 200 musiciens à une apothéose qui a (encore des commentaires glanés dans le public) donné des frissons à bien des personnes présentes, votre humble serviteur compris. Ça valait la peine de s’y rendre car ce grand tutti avait du panache! Le ciel a été atteint, même s’il a bien failli attendre. 

Je souhaite noter, en bon critique qui doit chipoter sur des détails techniques, le manque de finition technique et esthétique des trompettes et des cors dans plusieurs passages délicats. Si on veut rejouer du Mahler, il faut absolument fignoler cet aspect. 

En tout et partout, une belle incursion chez Mahler par un très jeune orchestre qui montre son aptitude à jouer ce répertoire exigeant. Il aura tout le temps de peaufiner les détails et d’en offrir d’autres bientôt à son public, souvent nouveau venu à ce répertoire. Celui-ci, considérant sa réaction, a apprécié l’expérience et reviendra dans l’avenir.

Merci Francis et l’OCPM pour construire le public de demain de si belle façon. 

classique occidental / période romantique

OSL | Feher et Chang mènent une soirée de découvertes engageante

par Alexandre Villemaire

On nous annonçait une soirée de concert sous le signe de la découverte pour le dernier concert de l’Orchestre symphonique de Laval. Et, découverte nous avons eu tant au niveau du répertoire que de la direction. Pour conclure sa saison 2024-2025, l’OSL présentait le très peu connu et joué Concerto pour violoncelle de Marie Jaëll avec le violoncelliste Bryan Cheng comme soliste invité et le jeune chef Andrei Feher au podium. Tous deux ont offert dans cette pièce centrale du programme une performance toute en synergie et en complicité.

Née Trautmann en 1846 au nord de l’Alsace, l’éducation musicale de Marie Jaëll est marquée à la fois par l’Allemagne et la France. On ressent effectivement à travers cette œuvre à la fois la légèreté de la musique française et l’intériorité de la musique allemande. Le premier mouvement s’ouvre par un tapis de cordes au-dessus duquel se dresse un thème pastoral porté par le violoncelle vers une véloce ligne chromatique. Après un passage en mineur qui amène un élément de contraste typique de l’écriture avec une dose d’énergie dramatique presque wagnérienne, le mouvement se conclut par un retour au caractère pastoral avec les flûtes évoquant la légèreté de l’air et le vol des oiseaux. Le deuxième mouvement expose un lied dansant sur un rythme de valse.  Le caractère y est noble avec un dialogue serein entre le violoncelle et les cordes et des passages où les cuivres confèrent un écrin royal. Le dernier mouvement, énergique et vif, presque anxieux par moment, se conclut par une cadence frénétique. Bryan Cheng l’a interprété avec aplomb et une aisance naturellement musicale.

Il faut le dire, le concerto n’est pas novateur ou révolutionnaire dans la forme ou sur le plan de l’esthétique. Mais il est d’une finesse d’écriture tant dans les lignes mélodiques et l’orchestration que dans le traitement de l’instrument soliste au sein de celle-ci. Ce dernier n’est pas en proie à des traits virtuoses faits pour épater la galerie. Il met en valeur le son chaleureux du violoncelle en communion avec les autres instruments de l’orchestre. Le concerto était précédé de l’également peu joué Ouverture Genoveva de Robert Schumann qui, à l’image de la personnalité de son compositeur, alterne entre moments de bravoure et de mélancolie ponctués d’accents colériques aux cuivres.

C’est surtout dans la Première symphonie de Brahms que la direction d’Andrei Feher se deploie. Le chef, qui est également le directeur musical et artistique de l’Orchestre symphonique de Kitchener-Waterloo, construit une architecture sonore cohérente et bien définie, relevant les éléments importants de chaque mouvement avec justesse. Sa gestique est calquée sur les mouvements des cordes, dont il va puiser toutes les ressources. Il danse pratiquement avec des musiciens, indiquant des intentions claires avec précision et une intensité soutenue, que ce soit dans les moments de grandes intensités que les moments plus lyriques, comme dans le deuxième mouvement où Feher fait chanter les lignes des cordes ou encore dans le choral final du quatrième mouvement qui gagne en intensité. Feher incarne la musique fougueuse de Brahms autant que les musiciens l’interprètent. Il leur rend bien les intentions de celle-ci par une direction précise et centrée sur la forme et l’expression musicale.

Une performance remarquable donc d’une grande intensité chaudement applaudie qui est venue mettre un point final à cette saison. Il nous tarde d’entendre ce que l’orchestre lavallois prépare pour sa prochaine année et de voir à nouveau Andrei Feher au podium, ce dernier nous ayant laissé une forte impression.

crédit photo : Gabriel Fournier

électronique

Plafonds mystiques et architectes soniques : deuxième soirée d’Exposé Noir avec Helena Hauff, Wata Igarashi & Polygonia

par Félicité Couëlle-Brunet

La nuit de dimanche à lundi a révélé une nouvelle facette d’Exposé Noir. Alors que nous pensions avoir compris et intégré le paysage, le Hangar est apparu. Structure squelettique construite pour les intempéries et les raves, il n’offrait aucun mur, juste le toit d’un stationnement extérieur, suspendu au-dessus des corps, de la fumée et du son. On avait l’impression d’un passage. Quelque part entre la terre et le ciel, où la lumière ne se contente pas d’éclairer l’espace, mais fait partie de l’horizon. Helena Hauff a investi cet horizon et l’a ouvert pour nous.

La légende hambourgeoise a donné une classe de maître en matière de révolution sonore. Débutant avec une chaleur industrielle et une insistance percussive, elle a tissé des échos de la techno de Détroit – l’âme et la lutte derrière la machine. Son set était un voyage à travers le BPM et le terrain émotionnel, une montagne russe de tempos et de changements tectoniques. Brut, urgent, extatique, elle a donné le genre de set qui semble physiquement historique. Comme elle l’a dit un jour à Glamcult, « Rave est révolutionnaire ». Et ce soir-là, c’était vraiment le cas.

Ce qui a rendu le choc encore plus fort, c’est le cadre. Le brouillard s’est installé à l’air libre ; les lumières – audacieuses, intelligentes et non filtrées – semblaient faire partie du ciel. Elles ont élargi l’architecture au-delà de son échafaudage, encadrant la foule comme des silhouettes dans un orage électrique. La fumée n’obscurcit pas, elle révèle. Le set de Hauff ne fut pas seulement le point culminant de la soirée, il en fut la colonne vertébrale.

De retour au Belvédère, Wata Igarashi créait un enchantement d’un tout autre type. Le producteur japonais se produisait devant une foule de plus en plus nombreuse entre deux énormes haut-parleurs coniques, placés face à face, presque sculpturaux. Le résultat est une chambre d’écho immersive où chaque son semblait suspendu dans l’air. C’était ludique et hypnotique, terrarium de lumière verte et d’amphibiens dansants. Rythmé, précis, mais plein de joie, ce set avait un côté jazzy, une sorte d’élégance ludique. Il était facile de danser, mais encore plus facile de s’y perdre.

Puis vint Polygonia et le Belvédère se transforma. Une fois le set d’Helena terminé, la salle s’est remplie. Artiste pluridisciplinaire formée aux arts visuels, à la conception sonore et à la pensée écologique, Polygonia ne se contentait pas de jouer, elle construisait des écosystèmes sonores complexes. Sa prestation en direct nous a donné l’impression d’entrer dans un jardin sonore biodiversifié : riche en textures, polymorphe en rythmes et vivement spatial. Il n’était pas nécessaire de bouger sauvagement ; le son lui-même nous traversait et nous entourait. Tactile, immersif et intellectuellement sculpté, son set était à la fois méditatif et cinétique, une architecture sonore que l’on pouvait habiter.

Ensemble, ces trois artistes ont tracé l’arc final d’Exposé Noir, non seulement avec des rythmes, mais avec une vision. La deuxième nuit a confirmé ce que la première nuit avait déjà laissé entrevoir : c’était plus que du commissariat ou de la médiation. C’était de la composition, voire de la recherche fondamentale. Une étude sur les contrastes – la finesse et la grâce, la vitesse et l’immobilité, le corps et l’espace.

classique / musique traditionnelle arménienne / période classique / période moderne

Frangin et frangine d’Arménie aux sources de la grande musique et de leurs racines culturelles

par Alain Brunet

Le dernier programme montréalais de la saison Pro Musica réunissait le tandem frère-sœur Sergey et Lusine Khachatryan, respectivement violiniste et pianiste de même famille arménienne, ont misé sur des contrastes entre les périodes classique et moderne, c’est-à-dire deux sonates pour piano et violon de Ludwig Van Beethoven, chacune suivie de pièces plus récentes, moderne du côté de Claude Debussy et moderne/contemporaine du côté du compositeur arménien Arno Babadjanian.

La Sonate no 1 pour violon en  ré majeur op.12, de Ludwig van Beethoven avait été composée à la fin du 18e siècle par le jeune Beethoven dans un esprit classique qui ne laissait pas encore sa grande singularité s’exprimer avec l’autorité révolutionnaire qu’on lui connaît. L’exécution de dimanche fut impeccable, tant côté cordes que côté clavier. La maîtrise de ces excellents interprètes impliquent une suavité dans le jeu, sans sparages inutiles, sans transgressions aucune. On a observé encore plus de douceur dans le jeu de la pianiste alors que le violoniste témoignait d’une fermeté élégante et d’une grande précision par rapport à la partition. On a aussi observé que le public, dont une vaste part était d’origine arménienne, ne connaissait pas les codes du concert classique, applaudissant entre les mouvements… jusqu’à ce que le violoniste lui fasse comprendre d’un coup de tête, lors de la deuxième exécution au programme, soit la Sonate pour violon et piano en sol mineur de Claude Debussy. Un bond d’un peu plus d’un siècle (1916-17) et nous voilà sur le seuil de la modernité avec des harmonies nouvelles, des rythmes nouveaux et de nouvelles exigences techniques par voie de conséquence. Le finale du troisième mouvement est particulièrement éloquent à ce titre. Jouer Debussy n’est pas une mince tâche!

Nous étions aux oiseaux et prêts pour la seconde partie et la seconde Sonate de Beethoven, c’est-à-dire la no 4 en la mineur op 23. Toutefois, on a noté un petit problème de synchronisme entre le violon et le piano sur quelques mesures du dernier mouvement, ce qui a visiblement irrité les interprètes. Mais bon la vie est ainsi faite et les meilleurs peuvent parfois trébucher… sans que les mélomanes s’en rendent compte pour la plupart.

Le reste du programme, ceci incluant le rappel, fut exclusivement arménien. Arno Bagbadjanian a vécu au 20e siècle et son approche, du moins ce qu’on en a observé dimanche, chevauche les périodes moderne et contemporaine du répertoire, le tout aromatisé de référents traditionnels arméniens. L’atonalité peut parfois s’inviter mais le langage tonal moderne reste proéminent dans cette Sonate pour piano et violon en si bémol mineur. Il va sans dire, l’exotisme caucasien est le bienvenu dans un tel contexte, et consommé avec modération puisqu’il constituait le quart de ce programme somme toute réussi.

électronique

Velvet Fog & Hard Techno : Une nuit à Exposé Noir avec Yazzus, Tiga et DJ Tool

par Félicité Couëlle-Brunet

Nous sommes arrivés juste après la tombée de la nuit, accueillis par une nappe de brouillard et la douce lueur des lumières stroboscopiques. Exposé Noir était en pleine action. Les caméras des téléphones étaient scellées, volontairement oubliées, remplacées par un étrange sentiment d’intimité et de confiance. C’était plus qu’une fête. On avait l’impression d’entrer dans un microcosme étudié, un monde construit sur le rythme, le souffle et la sueur, où le respect mutuel faisait place à la joie simple.

Sur la Terrasse, Tiga est déjà en pleine effervescence. Légende montréalaise ayant un long héritage dans la musique électronique mondiale, il a traversé les époques sans effort apparent. Les lignes de basse disco bouillonnaient sous les textures vocales à la Björk. C’était élégant, surprenant, presque cinématographique. La vue du Belvédère en accentuait le surréalisme, Habitat 67 et la Biosphère se profilaient sur l’eau sombre comme les accessoires d’un rêve. Il y a eu un moment, juste après qu’un rythme soit tombé dans le silence, où nous avons regardé autour de nous et réalisé que les gens n’étaient pas en train de documenter cela. Ils le vivaient. On pouvait sentir l’intention dans la conception de l’espace : immersif, généreux, protecteur.

Mais c’est à côté, à l’intérieur du Belvédère, que le charme opérait. Le travail d’éclairage était époustouflant : doux, net, atmosphérique. Le brouillard enveloppait la pièce de velours. Les lumières s’y réfractaient, sculptant les corps en mouvement. Cela ressemblait à une cérémonie, comme si l’on entrait dans une transe collective.

Yazzus, la DJ britanno-ghanéenne issue de l’underground queer berlinois, a pris les commandes et a propulsé la soirée dans une autre dimension. Son set était radieux : rapide, sexy, explosif. Elle a puisé dans le ghettotech, la jungle et la nostalgie des raves du début des années 2000, mais le résultat était indubitablement le sien. Avec chaque drop et chaque build, elle créait un espace à la fois extatique et vulnérable. Très énergique mais joyeuse, elle nous a donné la permission de nous laisser aller. La salle a réagi de la même manière. Comme on nous l’a dit plus tôt dans la soirée, « c’est une question d’intensité, mais c’est aussi une question d’attention ».

Puis est arrivé DJ Tool, qui nous a plongés encore plus profondément dans l’obscurité. Membre du collectif berlinois Mala Junta , il est connu pour sa techno rapide et chargée d’émotions, d’une précision chirurgicale. Son set était implacable, industriel, physique et inébranlable. Si Yazzus nous a donné des ailes, Tool nous a enfermés dans le tunnel et a accéléré. Mais même ici, dans les moments les plus durs, il y avait un sentiment de contrôle et de confiance, celui d’être emmené quelque part dans un but précis.

Cette soirée à l’Exposé Noir ne s’est pas contentée de présenter trois DJ. L’événement a honoré l’architecture émotionnelle de la vie nocturne : comment la bonne énergie, le bon son et le bon cadre peuvent faire passer une salle de l’évasion à quelque chose de plus profond. Elle nous a rappelé à quel point il est bon d’être complètement, pleinement présent.

électronique / hyperpop

Piknic 1 : formule magique

par Loic Minty

Année après année, la formule Piknic prouve qu’elle fonctionne.

Il nʼest pas facile de répondre aux attentes liées à une telle réputation, mais une fois que vous avez franchi les portes et pénétré dans la foule, vous comprenez rapidement pourquoi ce festival continue d’attirer les gens. La toile de fond fluorescente, associée à une foule encore plus vibrante se déhanchant sur des rythmes contagieux et sautant d’une scène à l’autre, donne à l’événement un air de débauche ludique. C’est la crème de la crème des fêtes d’été, où les artistes se montrent sous leur meilleur jour.

Hommage à la diversité montréalaise, le Piknic offre un spectre complet de vie nocturne condensé dans les microcosmes de ses deux scènes. À la Scène Banque Nationale, aménagée comme une séance intime dans une chaufferie, nous avons eu droit à une soirée hyperpop trépidante. Pendant ce temps, de l’autre côté du ravin, sur la scène Fizz, l’ambiance était à l’hommage aux classiques des clubs. Chloé Lallouz a captivé la foule avec son mélange de genres délicieusement imprévisible. S’ouvrant sur un morceau de bachata, la salle en plein air s’est momentanément transformée en une fête tropicale décontractée.

À partir de là, elle a offert des aperçus de sons du monde entier – Inde, Maroc, Brésil et États-Unis du début des années 2000 – tous superposés sur un groove afro house régulier qui s’est transformé en baile funk et en amapiano. Des cercles de danse se sont formés, des bâtons de limbo se sont frayés un chemin à travers la foule et, surtout, son spectacle a mis en lumière l’essence multiculturelle de Montréal, rassemblant tout le monde dans un rythme commun.

Au fur et à mesure que la nuit se prolongeait, Stryv reprenait là où Lallouz s’était arrêté, transportant l’énergie collective et l’élevant à des sommets euphoriques. Producteur expérimenté, Stryv est passé maître dans l’art de l’anticipation, tenant les danseurs en haleine grâce à un équilibre subtil entre les accords et les textures vocales fantomatiques. Ses rythmes sont hypnotiques, évoluant de manière transparente sans jamais nous submerger. C’était comme regarder une tempête entrer et sortir, subtile mais puissante. À l’approche de la dernière heure, le ciel s’est métaphoriquement dégagé, libérant une vague d’énergie positive. Même trempée, la foule a refusé d’accepter la fin de la soirée, scandant « encore une chanson ! ».

Dans un univers parallèle, à cinq minutes de marche, ZORZA redéfinissait la techno avec une présence froide et posée. Naviguant aux confins de l’hyperpop et de la rave underground, sa tranquillité renouvelle sans cesse l’élément de surprise. Avec une oreille pour les trouvailles obscures d’Internet et les échantillons pop accélérés, l’inventivité de Zorzaʼs était une bouffée d’air frais. Avec des samples distordus qui donnaient l’impression que le système était sur le point de s’effondrer, les gens perdaient la tête. Tout autour de la scène et dans l’herbe boueuse, les gens sautaient, criaient et frappaient l’air. Partout, on sentait la libération et l’excitation de ce que cela signifie d’être ici au Piknic. C’est l’arrivée officielle de l’été, et le fait que, qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil, la vie nocturne montréalaise est toujours vivante.

Le Piknicnʼest pas seulement un festival demusique, cʼest un baromètre culturel de la vie nocturne montréalaise en constante évolution . Que vous soyez attirés par la nostalgie, les rythmes mondiaux ou les DJʼs émergents, il y a de la place pour vous au Piknic. Et c’est peut-être là toute la magie du festival : dans une ville aussi éclectique que Montréal, ce festival trouve le moyen de faire danser tout le monde ensemble.

Balkans / klezmer / psychédélique

Le Yiddish’n’roll de Kallisto

par Frédéric Cardin

Je vous ai déjà parlé de Kallisto, quintette de klezmer folk-yiddish rock-psychédélique-turc swing-balkanique, etc. qui m’avait titillé les oreilles lors des Sylis d’or 2023 au club Balattou (LISEZ L’ENTREVUE QUE J’AVAIS RÉALISÉE ICI). J’ai eu l’occasion de les revoir live dimanche soir, 18 mai 2025 au Balattou, et l’impression initiale demeure : voici un band très solide, esthétiquement et musicalement, appuyé sur des bases de musique juive mais métissé de multiples influences qui s’amalgament organiquement et très festivement. Les sous-genres mentionnés plus haut se retrouvent tous, peu ou prou, insérés dans l’une des pièces du groupe, standard ou compo originale. 

Cela dit, le groupe n’est plus le même que celui de 2023, sauf pour la leader (manifestement, l’âme créative de l’ensemble) Jossée McInnis, également clarinettiste. La Montréalaise est une instrumentiste avec une science musicale béton, technique et précision tonale classiques, de toute évidence. Mais elle swingue bien et manipule les couleurs et les inflexions de la musique klezmer avec une parfaite aisance. La dame s’est entourée d’autres bonnes pointures, peut-être même meilleures que dans la version Sylis 2023 : Antoine Bensoussan à la guitare (habile surf-styler, entre autres), Jefferson Perez au violoncelle (brillant autant dans sa beauté tonale que dans ses capacités improvisatrices), Patrick Lebrun à la basse et Edward Scrimger à la batterie. 

Kallisto joue régulièrement dans de bonnes petites places, de Montréal à Sherbrooke en passant par Toronto, alors surveillez l’agenda de vos bars à musique live préférés. S’ils passent par chez vous, trempez-vous l’oreille. Ça passe super bien la soirée. 

Prochaines dates confirmées : 

9 juillet 2025 – Quai des brumes, Montréal

19 juillet 2025 – Duluth en Arts, rue Duluth, Montréal

SITE DE KALLISTO

pop orchestrale

OSM | Le retour magistral de Half Moon Run à la Maison… symphonique

par Marilyn Bouchard

Les 15 mai à la Maison symphonique avait lieu la dernière de 3 représentations de ce retour de Half Moon Run auprès de l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction d’Adam Johnson.

La soirée a commencé sur Everyone’s Moving Out East, richement accompagnée par la totalité de l’orchestre. La planante 9beat  a suivi au rythme des percussions brillamment enrichies, auxquelles se sont ajoutées délicatement les chœurs féminin et les violons, amplifiant la lumière de l’épopée musicale, qui s’est terminée nettement au moment du climax, sous les acclamations de la foule. 

On est redescendus pour Goodbye Cali, avec les gars qui se promenaient sur la scène avec de grandes enjambées au rythme de la promenade et qui s’est terminée sur les partitions de piano qui s’entrelaçaient, versant dans le jazz.  Crawl Back In a ensuite ouvert, tout en douceur, seulement à la guitare sèche et à la voix appuyés par les violons, évoluant rapidement vers plus de complexité. On s’est retrouvé suspendus pour un moment dans le temps avec eux.

Tout de suite après, moment fort de la soirée, How Come My Body, une de mes préférées, est devenue complètement déchaînée avec les percussions et les contrebasses qui alourdissaient l’atmosphère et les chanteuses venant densifier les refrains. 

Razorblade et Loose Ends ont été présentées de manière entraînante et rythmée où les cuivres et plus particulièrement le trompettiste solo Paul Merkelo, pouvaient investir tout leur espace.  You won’t (look me in the eyes)  était vraiment bien accompagnée par les violons, nous surprenant avec un magnifique solo de Marianne Dugal notamment, et enveloppée par les harmonies vocales féminines alors que l’atmosphérique Another Woman s’est presque rapprochée du rock progressif/alternatif de Muse avec l’orchestre et une abondance de staccatos. On a une droit à une version riche et profonde d’ It’s true, sur laquelle les contrebasses ont décuplé le potentiel dramatique de la chanson, ainsi qu’à celles de Grow Into Love et Then Again ornées de violons qui se superposaient, entre pizzicatos et legatos qui remplissaient les airs.

L’attendue Full Circle s’est amorcée au rythme des percussions savamment exécutées par Serge Desgagnés, il faut dire que c’était la chanson parfaite pour mettre en lumière cet angle de l’arrangement orchestral et a vite progressé vers une des orchestrations les plus magistrales de la soirée.Call me in the afternoon, accueillie chaleureusement par le public, s’est quant à elle distinguée par son duo de guitares électrisant au devant de la scène. Se sont ensuite enchaînées  I can’t figure out what’s going on  et She wants to know you can let go, débutant sur une introduction de flûtes et de hautbois, rapidement accompagnés par les autres vents, qui n’était pas sans rappeler Tchaïkovsky. Le rappel,  Sun leads me on ,  a terminé magnifiquement la soirée en commençant avec Devon, Conner et Dylan qui sont montés trouver le chef sur la plateforme centrale afin de livrer en choeur, autour du même micro, la dernière chanson. Ils ont progressivement été joints par les chanteuses, les flûtes, haut-bois et clarinettes pour un crescendo final qui nous a laissé avec la tête remplie de musique.
Tout au long du spectacle, les arrangements sensibles et remarquables de Blair Thompson ont délicatement fait briller les points forts des compositions d’Half Moon Run. Un spectacle senti, bien calculé et extraordinairement bien exécuté, conduit de main de maître par Adam Johnson. Si vous n’y étiez pas, vous avez manqué un MOMENT

Crédit photo : Antoine Saito

Balkans / chant choral

Envoûtante Croatie chorale au Centre des musiciens du monde

par Frédéric Cardin

Je fréquente assidûment les Concerts intimes du Centre des musiciens du monde (CMM), depuis le tout premier en janvier dernier. Ils sont tous excellents, présentant chaque fois des artistes de grande qualité, installés à Montréal pour sa vitalité culturelle et, ce faisant, enrichissant cette dernière de manière exceptionnelle, grâce aux sonorités traditionnelles et raffinées venues du Rwanda, de la Syrie, de la Mongolie, de l’Iran, du Pérou, etc. Si je connais assez bien tous les artistes jusqu’ici présentés (et à venir) dans la série, une exception était sur scène hier soir : l’ensemble vocal Sava, dont je ne supposais pas l’existence jusqu’à tout récemment. J’ai été tellement séduit que je devais vous en parler.

Sava est un quatuor vocal entièrement féminin consacré aux chants polyphoniques traditionnels des Balkans. Pour ce concert, Sava a traversé une partie du répertoire issu spécifiquement de la Croatie, avec des chants profanes et religieux. Cette performance, derrière l’autel de l’église Saint-Enfant Jésus (dans une jauge hyper intime, donc) m’a totalement bouleversé. La faute à l’effet de surprise, de un, mais aussi à l’exceptionnelle qualité vocale des quatre interprètes, Antonia Branković, Dina Cindrić, Sara Rousseau et Sarah Albu (cette dernière également l’une des plus excitantes voix récentes en musique contemporaine et avant-gardiste de la métropole). Dans l’acoustique parfaite de l’endroit, les séduisants frottements de tierces, de quartes et de quintes des quatre voix ont produit un effet vibratoire bienfaisant sur le public réuni, et sur votre humble chroniqueur, comme transporté dans le temps et l’espace, dans une Dalmatie ancienne et parfaitement authentique. 

Je ne sais pas si les dames se produisent souvent en concert, mais elles ont intérêt à le faire! Et si jamais la chose vous intéresse, sachez que l’ensemble est issu des cours de musique de toutes sortes disponibles au CMM! 

ÉCOLE DE MUSIQUE DU CENTRE DES MUSICIENS DU MONDE

classique occidental / musique contemporaine

Nouvel Ensemble Moderne : un vif éloge aux textures réussi

par Alexandre Villemaire

Pour conclure sa première saison comme directeur artistique du Nouvel Ensemble Moderne, Jean-Michaël Lavoie a présenté un programme axé sur deux figures incontournables de la scène internationale en musique contemporaine, Kaija Saariaho (1952-2023) et Pierre Boulez (1925-2016), complété par une création du compositeur québécois Nicolas Gilbert.

Contextualiser des œuvres de musique contemporaine peut parfois s’avérer périlleux hormis pour les aficionados et les habitués de ces ensembles et de ces concerts. Pour rendre plus accessible et préparer l’auditeur à ce qui allait être présenté dans la salle Pierre-Mercure, une activité de médiation était offerte avant le concert, pendant l’entracte et à la fin. Le public était invité respectivement à écouter des extraits des trois œuvres aux programmes tout en touchant à l’aveugle différents objets aux textures diverses et à l’associer à l’œuvre de leur choix, s’interroger sur ce qu’est l’appel intérieur et à la fin de la soirée, comparé leur première impression et revenir sur celles-ci s’il en sentait le besoin.

L’appréciation des œuvres ne passe donc plus uniquement par une écoute stricte, mais par une mise en relation, une question ou une interrogation sur la perception. Un moyen ludique et sans prétention qui ne demande pas une compréhension approfondie des formes, du langage ou des techniques, mais qui fait appel au ressenti et au sens des personnes. À voir le certain engouement et la participation honorable du public, ce type d’activité, qui marque depuis déjà quelques années les débuts de concert, est à conserver.

Le concert démarre donc dans l’intime avec Cendres de la compositrice finnoise Kaija Saariaho. On y retrouve Francis Perron au piano, Julie Trudeau au violoncelle et Jeffrey Stonehouse à la flûte. La pièce tresse un dialogue entre les trois instruments, chacun essayant à différents moments de coexister. Saariaho travaille avec les textures des différents instruments, notamment par l’emploi de techniques de jeu étendues (sul tasto, flatterzunge, etc.) L’œuvre s’ouvre sur un grondement sourd de violoncelle qui se fond dans le timbre des cordes du piano qui ont été grattées. Les trois instruments se rejoignent par moment dans des points d’ancrage texturaux, pour ensuite reprendre leur dialogue exprimé sous différentes formes idiomatiques.

Commande initiée par la prédécesseur de Jean-Michaël Lavoie et fondatrice du NEM Lorraine Vaillancourt, L’appel intérieur de Nicolas Gilbert se présente comme un concerto pour cor solo et ensemble. Ici encore, on assiste à un jeu de texture et de timbre avec des échanges entre le cor et l’orchestre et un développement musical dynamique et engageant où le soliste Jocelyn Veilleux rivalise de virtuosité technique avec son instrument. 

Comme œuvre maîtresse occupant toute la deuxième partie du concert Dérive 2 de Boulez est une des œuvres les plus connues du compositeur, dont l’année 2025 marque son centenaire. C’est aussi une des plus exigeantes, tant pour le chef que pour les musicien·ne·s. S’en est une aussi qui est symbolique pour Jean-Michaël Lavoie, lui qui a été chef assistant de l’Ensemble intercontemporain de 2008 à 2010, et qu’il souhaitait faire avec l’ensemble montréalais. Programmé du Boulez dans un concert relève toujours d’un pari relativement audacieux, tant le langage structurel de Boulez est dense et les formes complexes. Mais, c’est un pari qui a été relevé avec brio, dynamisme et élégance. Jean-Michaël Lavoie a la très grande qualité de rendre par sa gestique le matériel musical signifiant et digeste pour le public et clair pour les instrumentistes. 

Le cadre dans lequel il bat ses mesures demeure rigide et calculé; les multiples rythmes irréguliers et les dynamiques changeantes l’exigent. Mais, alors qu’il pourrait se contenter d’une battue pratique et ergonomique – qu’on associe à d’emblée à Boulez -, celle de Lavoie est musicale, pleine d’élan, de portée et d’énergie. L’œuvre est clairement découpée en différents blocs texturaux, où dès qu’une séquence mélodico-rythmique est entamée, celle-ci devient cyclique et se répète. Cette régularité identifiable crée un point d’ancrage auditif et un repère familier auquel on s’accroche naturellement pendant le déroulement de la pièce. Combiné au spectacle visuel qu’est la performance des musiciens et de la direction signifiante de Jean-Michaël Lavoie, un œuvre que l’on pourrait qualifier d’aride, devient soudainement accessible.

En concluant la première saison de sa nouvelle direction artistique d’une telle manière, on peut sans aucun doute dire que le NEM est entre de bonnes mains.

crédit photo : Dominic Blewett pour Tam Photography

Inscrivez-vous à l'infolettre