Antilles / Caraïbes / dancehall / reggae

Nuits d’Afrique | Blaiz a mis le « Fayah » sur la grande scène TD

par Sandra Gasana

Il porte bien son nom. Fayah, ou encore fire prononcé à la jamaïcaine, n’a pas été choisi au hasard à mon avis puisqu’à peine arrivé sur scène, la température qui était déjà élevée, a explosé. Nous avons eu droit à du shatta pur et dur, ce dancehall martiniquais qui a son succès.

Le DJ officiel de cet artiste était instrumental puisqu’il a réussi à préparer la foule, pour la mettre dans les meilleures conditions pour accueillir Blaiz. Tout comme Mo’Kalamity, et plusieurs artistes interviewés pour cette édition, il en est à son tout premier séjour au Canada. Il est venu accompagné de ses deux danseuses et avec tous les musiciens, guitariste et batteur, ils avaient un « dresscode » : blanc et bleu, aux couleurs du drapeau fleur-de-lys qu’il portait sur lui par moments. En effet, on pouvait voir des ailes sur le dos de son t-shirt, celui dont la carrière est en plein envol depuis plusieurs années déjà.

La foule était en feu lorsque le guitariste s’est mis à jouer des rythmes kompa, qu’il semblait très bien maîtriser. Le DJ et Blaiz se sont même mis à danser avec les danseuses, imités par plusieurs festivaliers. Probablement un des moments forts de la soirée, tout comme lorsque l’artiste et son DJ ont pris un bain de foule en fin de concert.

« C’est ma première fois ici, je veux qu’on s’en rappelle toute notre vie », dit-il en mettant un peu la pression à son nouveau public.

On a eu droit à quelques pull-ups, qui vise à interrompre la chanson quelques secondes après son début, pour revenir en arrière et la refaire jusqu’au bout cette fois-ci.

On a eu droit à tous ses succès, et il y en a plusieurs, notamment Money Pull Up, Gimme This, LifeStyle ou encore Best Gyal, sur lequel les danseuses ont livré tout un spectacle. Plusieurs morceaux de son plus récent album Shatta Ting étaient à l’honneur mais pas que.

Il prend le temps de remercier les fans qui étaient nombreux à ma grande surprise, reconnaissant que c’est grâce à eux qu’ils existent.
Ce qui est impressionnant avec cet artiste, c’est qu’il peut chanter dans les aigus et dans les graves, passe parfois de l’un à l’autre dans la même chanson. C’est ce qui arrive sur Bubble and Wine, dans lequel le refrain est dans les aigus alors que les couplets sont dans le grave.

Mon coup de cœur de la soirée : la seule chanson que je connaissais vraiment, Propaganda, sur laquelle il est tout simplement impossible de rester assis. Elle est arrivée juste après One Life, qu’il a fait en reggae calme, sur fond rouge, avec guitare.

À la fin du concert, Blaiz Fayah avait conquis son public, qui était prêt à faire tout ce qu’il demandait, même quand il leur demandait de « reculer, avancer, sauter et crier ».

Non seulement les festivaliers ont apprécié le spectacle mais ont également dansé du début à la fin, puisqu’ils ne pouvaient tout simplement pas faire autrement. La soirée était fayah, au sens propre et figuré.


Crédit photo: Production Luna

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reggae / roots reggae

Nuits d’Afrique | Loin d’une calamité, Mo’Kalamity a été une bénédiction

par Sandra Gasana

Malgré une chaleur caniculaire, Mo’Kalamity a tout de même réussi à réchauffer la scène Loto Québec lors de sa toute première performance montréalaise. Pour l’occasion, elle était accompagnée par deux guitaristes, un flûtiste stylé qui faisait également les chœurs, un batteur, un bassiste et un claviériste. Et c’est toute vêtue de rouge qu’elle est apparue sur scène, avec son fameux foulard sur la tête, devenue sa signature.

Tout au long du concert, elle dansait, sourire aux lèvres, visiblement heureuse de rencontrer son nouveau public montréalais, qui devenait de plus en plus nombreux au cours de la soirée. Nous avons eu droit à plusieurs morceaux de son plus récent album Shine, mais également d’autres classiques de l’album Warriors of Light paru en 2007 ou encore Freedom of the Soul, paru en 2013.

« Bonsoir Montréal ! Etes-vous prêts pour un voyage à Kingston ? », nous demande-t-elle, juste avant Gotta Get Away. Elle s’adresse au public en français mais également en anglais, tandis que l’intensité augmente d’une chanson à l’autre, parfois sans transition. Le morceau What A Time a reçu un bel accueil, probablement parce qu’il tombe à point dans le contexte actuel.

Bien entendu, une chanson en portugais devait figurer dans la set list et c’est Cima Vento qu’elle a choisie, de l’album Freedom of the Soul. Elle en profite pour mettre à l’honneur son guitariste en l’invitant en avant de la scène pour un solo électrisant. Elle fait de même avec son flûtiste, qui nous a servi un bon dancehall très apprécié par le public. On aurait gagné à avoir plus de moments de ce genre. D’ailleurs, la flûte se mariait parfaitement bien avec les effets de guitares électriques dans le morceau Shine. Elle a même fait chanter la foule sur ce dernier morceau, un pari plus que réussi.
Le micro a eu un petit souci technique en plein milieu du concert mais heureusement, cela n’a duré que quelques secondes.
C’est peut-être un premier concert à Montréal mais ça ne me surprendrait pas qu’elle revienne très vite, maintenant que sa carrière est relancée après une trop longue pause à mon goût.

Crédit photo: Mark Lachovsky

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afro-funk / afro-pop

Nuits d’Afrique | Sahad : l’étoile de Dakar brille sur le Balattou

par Frédéric Cardin

On dit qu’il incarne le renouveau de la musique sénégalaise, un honneur que le chanteur et guitariste Sahad porte comme une responsabilité assumée, afin de faire rayonner l’art et la culture de son pays. 

LISEZ L’ENTREVUE AVEC SAHAD

Hier soir, au club Balattou, et à l’occasion du Festival Nuits d’Afrique 2025, l’artiste énergique et diablement efficace sur une scène a fait vibrer le célèbre bar montréalais, avec son mélange enlevant d’afrobeat, parfois tendance pop, du funk en masse et bien cuivré, puis de rares échos de mbalax, car si Sahad ne fait pas dans le mainstream de la musique pop sénégalaise, il nM’en est pas non plus complètement détaché. Il propose plutôt une fusion étroitement ficelée et propulsée par un chant vif et des mélodies simples mais efficaces. Un band archi coordonné répondait au doigt et à l’oeil de la star sénégalaise. Ils méritent d’être nommés, exceptionnels qu’ils étaient : Rémi Cormier (trompette), Lou Gael Koné (basse), Raphael Ojo (batterie), Louis Plouffe (sax alto) et David Ryshpan (claviers). Sahad est en famille à Montréal, si bien qu’il a invité des amis locaux comme Vox Sambou, le chanteur Freddy Massamba (qui a fait lever le plafond avec un Funk excitant), Afrotronix, Seydina Ndiaye et le duo Def Mama Def. Un tour des albums existants a constitué le premier set et le début du deuxième, mais la fin de celui-ci nous a permis d’apprécier quelques titres du prochain, African West Station, prévu pour l’automne. Funky Nation, We Can Do, des titres qui nous ont fait chanter et déhancher, et qui promettent un opus assez relevé merci. Oui, Sahad est véritablement l’une des voix les plus attachantes et irrésistibles du firmament artistique sénégalais. 

chant choral / classique occidental / musique contemporaine

Festival de Lanaudière | Une performance du tonnerre pour Chanticleer

par Alexandre Villemaire

D’emblée, il faut le dire, ce n’est peut-être pas le cadre de performance le plus idéal auquel le public lanaudois et les chanteurs de l’ensemble vocal a capella américain Chanticleer se seraient attendus pour leur première apparition au Festival de Lanaudière. La nature s’était effectivement invitée de manière plutôt audible sur le terrain de l’Amphithéâtre Fernand-Lindsay qui n’a pas échappé aux fortes averses qui ont balayé le sud du Québec ce dimanche 13 juillet. Imperturbables, d’une bonne humeur contagieuse et avec une grande maestria, les douze voix de l’ensemble ont bravé les éléments pour offrir une performance enlevante.

Tel que raconté dans l’entretien que nous avons réalisé avec le directeur musical de Chanticleer, Tim Keeler, le programme proposait un voyage aux sources de la polyphonie, mais surtout une synthèse de la manière dont cet art musical a façonné l’écriture de la musique pendant plus de cinq siècles. Des sources véritables de la polyphonie, le programme n’en a donné que quelques exemples, avec notamment l’extrait du « Gloria » de la Messe de Nostre-Dame de Guillaume de Machaut, qui s’insérait dans un segment la mettant en relation avec l’arrangement de la prière Our Father par le compositeur afro-américain Julius Eastman. La pièce d’Eastman fait usage d’harmonies ouvertes à la quinte, agrémentées de passages vocaux chromatiques au même titre que l’extrait de Guillaume de Machaut, dont la parenté surprend par son langage harmonique tendu. Ces deux pièces étaient précédées de pièces contemporaines, dont l’intéressante Hee-oo-oom-ha de Toby Twining, une mélopée vocale texturée, bourrée d’onomatopées, de rythmes irréguliers portée par un solo de yodel interprété par le ténor Andrew Van Allsburg qui fait preuve d’une grande maîtrise vocale dans le basculement entre la voix de poitrine et la voix de tête. Parmi les autres pièces « classiques » interprétées, mentionnons aussi Musica Dei donum optimi d’Orlando di Lasso, Cantate Domino de Giovanni Gabrieli et Finlandia de Jean Sibelius qui est venu clore la première partie.

La seconde partie du concert a continué de mettre en valeur des compositions classiques contemporaines ainsi que des œuvres du répertoire américain et afro-américain. L’interprétation du traditionnel African-American Spiritual Poor Pilgrim of Sorrow a donné lieu à un moment transcendantal, porté par la voix de contre-ténor du soliste Cortez Mitchell. L’autre spiritual de l’après-midi, Wade in the Water, était très à propos alors qu’un véritable rideau d’eau s’abattait autour de l’espace couvert de l’amphithéâtre. Les douze chanteurs sont demeurés en contrôle dans leur performance, enchaînant avec la suite Not an End of Loving de Steven Sametz et la composition d’Ayanna Woods Future Ones, une douce pièce qui s’interroge sur l’héritage que nous laissons aux générations futures.

Charismatique, énergique et s’adressant régulièrement au public, avec quelques mots en français, Chanticleer a ostensiblement fait bien plus que donner un concert de musique. Ils ont créé un moment d’unité et d’apaisement avec le public par l’entremise de leur interprétation solide, techniquement maîtrisée et engagée. Je trouve qu’il est parfois un peu cliché de mettre de l’avant le pouvoir quasi mystique de la musique d’unir les êtres comme étant une manne positive universelle. La réalité est parfois plus complexe. Mais, comme les membres du groupe l’ont mentionné, alors qu’il y a beaucoup de bruit discordant dans le monde actuellement, ce type de moments musicaux, aussi petits soient-ils, constitue des instants précieux dont on ne saurait se passer. Dans cette optique, Chanticleer a éprouvé une grande joie à venir partager cette passion avec leurs sympathiques et gentils voisins du Nord. Une parole qui, tout comme l’entièreté du concert, a été accueillie par un tonnerre d’applaudissements.

Afrique / folk / jazz / musique traditionnelle ouest-africaine

Nuits d’Afrique | Yawo transforme le Balattou en désert festif

par Michel Labrecque

Yawo est un musicien togolais expatrié depuis de nombreuses années aux États-Unis. En ce dimanche soir, dans un Montréal rescapé de pluies diluviennes et encore sous une canicule humide, il est venu jouer avec son trio dans un Balattou pas trop rempli. Mais ça n’allait en rien l’empêcher de dévoiler sa toile musicale festive. Il a même dit: « Ce n’est pas si mal pour un dimanche soir, merci d’être venus », avec son sourire contagieux. 
Yawo était accompagné d’un claviériste-pianiste enthousiaste et d’un batteur subtile. Lui-même a alterné entre la basse et la guitare. Il aime beaucoup la basse « slappée » et en use de façon intelligente. Par contre, le fait que cet adepte de l’afro-beat à la Fela Anikulapo Kuti se présente sur scène sans section de cuivres nous privait un peu de profondeur musicale. 

C’est un compromis à faire dans le cadre de festivals à petits budgets, mais qui, en contrepartie, offrent des concerts à des prix bien plus accessibles.

Yawo nous a plongés dans son univers musical, qui mélange les rythmes africains au jazz ou au folk. Il nous a parlé du Togo, de ces villages paisibles de sa tribu Éwé, mais également de la dictature qui l’a forcé à l’exil. Passant constamment du français à l’anglais, le musicien qui vit maintenant à Chicago nous a aussi parlé de l’actuel président, qui risque d’entraîner son pays d’accueil dans une nouvelle dictature. « Trump est mauvais, Trump is bad », s’est-il exclamé.

Mais Yawo nous a aussi raconté qu’il était « tombé amoureux en sol majeur ». Beaucoup de chansons parlent d’amour et de liberté, de rassemblement des différents peuples. Il a aussi rendu hommage au groupe sénégalais Touré Kunda en chantant, Em’Ma ainsi qu’à la grande chanteuse togolaise des années 60 et 70 Bella Bellow.

Et là, un moment improbable s’est produit : après avoir demandé à l’auditoire si quelqu’un connaissait la chanson de Bella Bellow, il a convié une spectatrice à chanter avec lui. Ce fut une fête. Cette jeune béninoise, fan de la chanteuse togolaise, a complètement assuré.

C’est ça la magie des concerts.

Puis, sur des rythmes tribaux éwés, Yawo s’est mis à slammer-raconter, puis il a quitté la scène pour danser en compagnie de quelques spectatrices.

Bref, malgré la foule parsemée, Yawo nous a donné un concert éclectique, pacifique et festif.

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Afrique / musique traditionnelle ouest-africaine

Nuits d’Afrique | La kora, de maître en maître

par Alain Brunet

Assister annuellement à cette Nuit de la kora que présente le Festival international Nuits d’Afrique au Gesù, cela implique un désir franc de bien saisir d’où proviennent les grandes musiques d’Afrique de l’Ouest. Et si on y retourne encore une fois avec ce désir de connexion, la rencontre de virtuoses s’avère nourrissante : Zal Sissokho, excellent joueur de kora, et son maître venu à sa rencontre, Toumany Kouyaté.

Depuis les années 80, les amateurs de musique non occidentale écoutent la kora, instrument central de l’Afrique de l’Ouest, dont la science du jeu est assurée par les griots de père en fils depuis des siècles et des siècles. 

Toumany Kouyaté fut formé par son père et d’autres maîtres pour en devenir un lui-même et enseigner son savoir profond à d’autres générations subséquentes dont celle de Zal Sissokho, authentique griot et Montréalais d’adoption, aussi formé par le paternel et autres maîtres rencontrés sur sa route, Toumany Kouyaté dans le cas qui nous occupe.

Ainsi, nous avions deux générations de griots passés maîtres de la kora, cet instrument à 21 cordes, mi-harpe mi-guitare. Il permet de produire une étoffe mélodico-harmonique qui permet au griot de s’accompagner et de chanter l’histoire et la destinée de la culture mandingue.

Depuis les années 80, on a vu se succéder des générations de griots de plus en plus virtuoses et compétents. Certains sont devenus des réformateurs du style  traditionnel, faisant exploser les standards techniques. 

Mais il existe aussi des interprètes rigoureux dont les réformes affinent un langage traditionnel déjà riche et complexe. C’était le cas dimanche pour Toumany Kouyaté, dont les modulations harmoniques révèlent des bijoux d’interprétation. On comprend l’admiration et l’amitié entre ce maître et son disciple Zal Sissokho, qui lui fait honneur au Québec en perpétuant une tradition dynamique, de plus en plus ouverte sur le reste du monde.

Le dialogue entre les deux musiciens a parfaitement témoigné de cette belle relation entre deux hommes de même souche, qui vivent désormais à des dizaines de milliers de kilomètres l’un de l’autre. Les retrouvailles constituent toujours un bon concept, n’est-ce pas?

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musique actuelle / musique contemporaine

Festival de Lanaudière | Soirée heureusement atypique avec Collectif9

par Alain Brunet

Le Festival international de Lanaudière a pris le risque de présenter le programme Folklore contemporain de l’ensemble montréalais Collectif9. Choix courageux? De prime abord, on peut certainement répondre OUI, car Lanaudière présente rarement dans son magnifique amphithéâtre Fernand-Lindsay des œuvres composées à notre époque.

Ce qui explique assurément ce parterre clairsemé de « braves » pour reprendre le qualificatif du directeur artistique Renaud Loranger, attribuant cette bravoure à la chaleur caniculaire plutôt qu’à la nature atypique du programme dont il était question samedi.

Sous la direction de Thibault Bertin-Maghit, contrebasse, Collectif9 regroupait Chloé Chabanole, violon, Scott Chancey, violon, Robert Margaryan, violon, TJ Skinner, violon, Cynthia Blanchon, alto, Marilou Lepage, alto, Juan Sebastian Delgado, violoncelle, Andrea Stewart, violoncelle, Steve Cowan, guitare. Plusieurs d’entre elles/eux se sont d’ailleurs illustré.e.s en cette soirée du samedi 12 juillet.

Collectif9 a choisi de jouer d’abord Sonnets et Rondeaux (2007) du compositeur et violoncelliste italien Giovanni Sollima, suite de six mouvements inspirés par les musiques celtiques, anciennes, médiévales. Les deux premiers mouvements de l’œuvre, soit un sonnet placide et jovial enchaîné d’un rondeau frémissant et rapide, ont été servis à titre d’apéritif. Ainsi, les motifs celtiques que l’on reconnaît d’emblée servent une musique répétitive dont l’harmonie module progressivement au gré de changements rythmiques conçus en séquences successives, processus compositionnel inspiré du minimalisme américain.

S’ensuivit Dig the Say, une œuvre en 4 mouvements du pianiste américain (d’origine indienne)  Vijay Iyer, inspirée par nul autre que James Brown, le Soul Brother No 1. Les jazzophiles connaissent la vision exceptionnelle de Vijay Iyer en tant que compositeur de notre temps, improvisateur, concepteur pianistique, au tour de Lanaudière de savourer son immense talent. Cette œuvre écrite de Vijay Iyer se veut  « ancrée dans la polyphonie et la virtuosité excessive », évidemment beaucoup plus liée à un ensemble de musique de chambre qu’à une formation de jazz. Et le résultat est tout à fait probant, bien qu’il s’agisse somme toute d’une évocation assez lointaine de la musique de James Brown. Le dernier mouvement de Dig the Say semblait d’ailleurs une sorte de jazz-fusion transcrit pour un ensemble à cordes. Réussi ? Oui oui.

Composée il y a 10 ans par la Montréalaise Nicole Lizée, Isabella Blow at Somerset House s’inspire de cette figure emblématique de la haute couture, Isabella Blow (1958-2007) , reconnue ici pour son inclination à la transgression et dont l’exposition posthume présentée à la Somerset House à Londres. Nicole Lizée, qui fut guitariste métal et DJ/productrice avant de se mettre à la composition « sérieuse ». Elle doit sa réputation singulière à ses emprunts et  brillants à la pop culture des années 60, 70, 80 ou 90. Cette matière remodelée a marqué son art, absolument unique. Cassures, glitchs, citations modifiées et autres reconstitutions sonores s’intègrent ici à ces 16 minutes d’un discours orchestral parfois consonant, simple et soyeux, très beau en fait, exploitant à souhait le potentiel des cordes. Voilà carrément l’œuvre centrale de ce programme, du moins en ce qui me concerne.

Modern Hearts, aussi de Nicole Lizée, est exécutée par le guitariste Steve Cowan. Ce qui est ici intéressant, c’est que les potentialités de la guitare sont différemment exploitées, à travers ces figures mélodico-harmoniques qui incarnent «  la fusion de la technologie  avec l’expérience corporelle humaine ».

En dernier lieu pour la première partie, Garzanal de John Zorn (qui se passe de présentation), œuvre composée pour trio de cordes et inspirée une fois de plus par le jazz contemporain, la musique classique européenne et les musiques hébraïques, sacrées ou profanes. 

Les 4 autres mouvements de Sonnets et Rondeaux seront servis après l’entracte et poursuivent sur leur lancée avec les mêmes caractéristiques formelles.

La fin du programme sera constituée de deux œuvres de Nicole Lizée et des mouvements 1 et 3 du Concerto Grosso du compositeur, violoniste et altiste George Meyer, originaire de Nashville.  Voilà un autre musicien d’envergure puisant autant dans le legs classique européen que dans les formes folk ayant suivi leur cours en Amérique du Nord. Ce Concerto Grosso est justement une interaction dynamique de ces deux mondes musicaux, et fort bien dosé pour les cordes de Collectif9.

Entre ces deux segments, Collectif9 nous a servi Jupiter Moon Menace de Nicole Lizée,  évocation directe des trames sonores craignos des vieux films de science-fiction, cordes assorties cette fois de séquences électroniques. Très réussi, une fois de plus. La dernière pièce de Mme Lizée au programme, Keep Driving, I’m Dreaming (2017) « puise des sonorités du cinéma néo-noir des années 1980 et 1990 », road trip musical à la David Lynch, pour cordes qui veulent bien la suivre. Ce qui s’est effectivement produit avant que l’on ferme les livres avec George Meyer au terme d’un programme fort bien dosé.

À n’en point douter, le festival de Lanaudière devra trouver le moyen de répéter cette expérience concluante pour en faire croître l’affluence. Car il s’agit là d’excellente musique.

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Afrique / afro-rock / afro-soul / folk-rock / musique traditionnelle ouest-africaine / pop de création

Nuits d’Afrique | Daby Touré redémarre sa machine

par Alain Brunet

On aurait pu craindre le rendez-vous raté d’un has been. Daby Touré n’a pas fait d’albums depuis une décennie. Il avait beau affirmer avoir composé assez de matériel pour trois albums neufs, on ne pouvait en témoigner puisque jamais écouté ces chansons inédites. Ces doutes étant énoncés, force est d’admettre restait assez d’aura à l’artiste ouest-africain pour redémarrer et recréer le buzz à son endroit.

Avoir été pris sous l’aile de Peter Gabriel, un quart de siècle plus tôt, demeure une carte maîtresse, en tout cas assez puissante pour attirer les médias traditionnels et ajouter des fans à celles et ceux qui n’avaient pas oublié son talent.

Talent évident. Je n’ai aucune idée des capacités de travail de Daby Touré, mais son intelligence aiguë et sa vision singulière du monde me semblent indéniables.

Ainsi on a pu reprendre contact avec ses « classiques » tirés d’albums sortis des zeroties à 2015, on a pu se rappeler qu’il était un mélodiste aguerri, un riffer inspiré, un percussionniste pour caisse de résonance de guitare (la Godin n’avait qu’à bien se tenir, son proprio s’en sert comme un tambour sur cadre!), un communicateur charismatique, un chanteur naturellement doué, et un improvisateur allumé qui sait prolonger les grooves avec ses musiciens, tous des locaux. Guitares, basse, batterie/percussions, chant : tous les membres de ce nouveau quartette sont originaires d’Afrique, Côte d’Ivoire, Cameroun, Sénégal, Mauritanie, tous sont des professionnels de très bon niveau.

Ce qui nous intéresse d’autant plus chez Daby Touré, c’est son alliage de musiques africaines modernes de l’Ouest (soninké, peulh, maure, etc.) et de folk-pop-rock plus occidental. Chez lui nous sommes ici et là-bas en même temps. Un peu plus là-bas d’entrée de jeu mais aussi chez soi, car les musiques de chez soi gravent aussi les pierres de cet édifice habité par les esprits de la musique.

Que Daby Touré ait retrouvé l’énergie de repartir la machine, et d’offrir déjà plus de deux heures de concert à un public multigénérationnel des Nuits d’Afrique, est une excellente nouvelle en soi.

Photo: M Belmellat

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hip-hop / jazz-rock / soul-jazz

Nuits d’Afrique | Stogie T, arc-en-ciel sud-africain, hip-hop, soul, rock, jazz

par Michel Labrecque

STOGIE T est une vedette du hip-hop en Afrique du Sud. De son vrai nom Tobi Molekane, il est devenu connu grâce au groupe Tumi and the Volume, qui a réinventé la scène rap sud-africaine. Aujourd’hui dans un parcours solo, il s’est présenté sur la scène du Balattou entouré d’un véritable groupe musical, ce qui devient une tendance dans l’écosystème rap international. 

Certes, on trouvait sur scène un beatmaker, mais aussi un guitariste, un claviériste, un batteur et une chanteuse. Ce qui a donné lieu à un spectacle rap hors-normes. Bien sûr. Stogie T nous donne du flow et des textes parfois très politiques; mais les musiciens ont beaucoup de place pour improviser. Et plusieurs ont une expérience  jazz, un forte de la culture sud-africaine. Quand à la chanteuse surnommée Bonj, elle possède une voix soul et gospel pas piquée des vers.  

Cette musique rock-jazz-soul avec un soupçon d’influences africaines se marie très bien à la prose de Stogie T. Certains puristes pourraient arguer que le son d’ensemble ne sonne pas particulièrement sud-africain… Par contre, les textes de Tobi Molekane le sont. Profondément. Il parle de violence, des fantômes de l’apartheid qui sont toujours présent. Mais aussi de bonheurs quotidiens et de beauté.

Autre note: ce groupe représente vraiment la nouvelle Afrique du Sud arc-en-ciel. On y trouve des noirs, des blancs et des métis qui ont l’air de s’entendre comme larrons en foire. Ça envoie un message non équivoque. Et les spectateurs présents ont apprécié ce mélange inédit. Dommage: le Balattou était moins rempli que dans des spectacles antérieurs de Nuits d’Afrique. Il y a peut-être un travail à faire par les organisateurs pour mieux rejoindre le public potentiel pour ce genre de concert.

Retenez donc ce nom, Stogie T, afin d’être présent la prochaine fois qu’il viendra sur nos terres. Vous ne le regretterez pas. 

Photo : M. Belmellat

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Antilles / Caraïbes / haïtien / reggae / soul-pop

Nuits d’Afrique | Jean Jean Roosevelt et la chanson afro-réaliste

par Alain Brunet

Il y a l’afrofuturisme, nous sommes ici dans l’afro-réalisme. Difficile de faire de la chanson plus réaliste ! Auteur, compositeur, guitariste , chanteur, Jean Jean Roosevelt est un troubadour haïtien modèle 2025.

Par ses rimes il expose ses valeurs, ses aspirations, sa vision du vivre ensemble, son sentiment d’exilé, son libre arbitre sur sa destinée, sa souffrance d’une mère absente, son humanisme planétaire ou même sa perception hilarante de l’hiver québécois qu’il doit subir depuis sa migration montréalaise – relativement récente, semble-t-il.

Ainsi, les textes de Jean Jean Roosevelt sont très proches de la réflexion directe mise en rimes, de l’opinion, d’une pensée citoyenne, d’une posture morale… peut-être moins de la poésie.

Musicalement, cependant, le mec fait de l’art. Très bon chanteur, bon guitariste d’accompagnement, il sait s’entourer de très solides musiciens, sax, claviers, batterie, basse, choriste de qualité, et je retiendrai le jeu exceptionnel de Ronald Nazaire, authentique maître tambourineur haïtien.

On a donc saisi que Jean Jean Roosevelt mobilise d’abord son auditoire dans la communauté afro-antillaise sans qu’on puisse parler de fièvre ou de buzz, du moins pour l’instant. Il sait fort bien malaxer les styles troubadour, rasin, konpa-soul, reggae-soul, power ballade, bref des courants dominants dans la Caraïbe avec une approche chansonnière.

On imagine qu’il existe un vaste marché pour Jean Jean Roosevelt et ses bons sentiments. Ce marché le trouvera, on le lui souhaite, ce qui n’est pas encore tout à fait clair à Montréal, en tout cas cette semaine aux Nuits d’Afrique – le Théâtre Fairmount était loin d’être plein. Question de timing…

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Afrique / afropop / musique traditionnelle d'Afrique centrale

Nuits d’Afrique | Fulu Miziki Kolektiv, groove bidouille, groove bricole

par Alain Brunet

Après un passage remarqué au FIJM, Fulu Miziki Kolektiv a rempli le Balattou à ras-bord et a rempli sa mission : le brasier dans la place! Le buzz était plus que tangible pour cette plus récente formation de Kinshasa à envahir les Nuits d’Afrique via une armada d’instruments et costumes inventés. 

La lutherie de récupération, il faut le rappeler, est devenue une marque de commerce pour la musique de rue à Kinshasa; des groupes sont devenus célèbres et fascinent les publics non africains, on pense à Staff Benda Bilili, Kokoko! et autre Beta Mbonda.

À l’instar de ses prédécesseurs, Fulu Miziki Kolektiv mise essentiellement  sur des percussions et cordes bricolées avec des ordures recyclables : plomberie, bois, conserves, morceaux de métal et autres gugusses. Affublés de déguisements afro-futuristes taillés aussi dans les étoffes et ornements du recyclage, sorte de  Mad Max afro, ces musiciens  autodidactes ont réussi à assembler un spectacle fort en rythmes, en chants, en cris de ralliement, en motifs hypnotiques inspirés de l’électro, en accroches pop non sans rappeler le soukouss congolais mais aussi en phase avec les tubes afropop rayonnant sur le continent noir.

Cette signature Fulu Miziki Keolektiv se veut donc le prolongement spectaculaire des musiques urbaines de rue au RD Congo, avec nouvelles sonorités percussives et cordes électriques assez proches de l’idée qu’on se fait d’une basse ou d’une guitare – création du fameux luthier kinois Socklo? 

Issu du quartier Ngwaka de Kinshasa, ce Kolektiv suggère une vision en cinq blocs : eco-friendly-afro-futuristic-punk.  Musiques jouées par des artistes guerriers et conscients des enjeux environnementaux, musiques simples et cohésives, très énergiques, massives. Évidemment exotiques…

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classique arabe / jazz-rock / krautrock / Métal / Moyen-Orient / Levant / Maghreb

Nuits d’Afrique | Sarab, conversation Est-Ouest dans ta face

par Alain Brunet

Un soir de juillet à Montréal, Sarab débarquait quelques semaines à peine après Sanam. Ces deux groupes ont en commun l’arabité contemporaine et l’attitude rock.

Dans le cas de Sanam, venu de Beyrouth, on était dans le post-rock, le drone, le noize, l’ambient et la musique classique arabe. Côté Sarab, invité mardi au Ministère dans le contexte des Nuits d’Afrique, on était dans un alliage expressif de métal, krautrock, jazz-rock et chants syro-libanais classiques et contemporains.

L’expression vocale de Climène Zarkan est forte, éloquente, hypnotique, engagée corps et âme dans le contexte des profondes perturbations que subit la grande région du Levant depuis trop longtemps. 

On se trouve ainsi au cœur du dialogue entre la chanteuse, fille d’immigrants du Levant mais très parisienne à la fois, et de son collègue guitariste Baptiste Ferrandis, instrumentiste très doué et directeur musical respectueux de l’équilibre est-ouest à atteindre dans un tel exercice de fusion. 

Les mélodies de Sarab tiennent du tarab (chants d’extase), mais aussi des incantations soufies et des affects typiques de la grande pop arabe moderne (Abdel Wahab, Fairouz, Oum Kalthoum, etc.) , sans compter cette esprit rock qui les distingue en lui conférant de belles aspérités.

C’est à la fois rugueux et complexe, ça exprime l’état d’âmes parisiennes d’aujourd’hui qui absorbent la conjoncture et en font de l’art. Et c’est fait par des artistes aguerris, rompus aux formes avancées de la musique instrumentale amplifiée À l’évidence, les artistes de ce quintette sont éduqués et atteignent un niveau avancé dans leur jeu respectif – excellent batteur, soit dit en passant. 

La curiosité intellectuelle les conduit à concrétiser musicalement la rencontre de la chanson et de la poésie arabes d’aujourd’hui et de musiques parfois traversées par le Moyen-Orient mais avant tout occidentales dans leur expertise et leur exécution. 

Enfin bref, on n’est vraiment pas dans la pop rapidement consommée, un tel mélange s’impose lentement et sûrement, à condition que ses praticiens persévèrent sur cette voie d’ouverture excluant la facilité.

On le leur souhaite.

Photo : M. Belmellat

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