baroque / chant choral / chant lyrique / classique occidental / musique sacrée

Ensemble Caprice | Une belle soirée sous le signe de la Passion

par Alexis Desrosiers-Michaud

À deux semaines près, l’Ensemble Caprice et Matthias Maute préludaient les célébrations pascales avec la présentation de la Passion selon saint Jean de Johann Sebastian Bach. Dans son discours d’ouverture, Maute raconte que cette œuvre a beaucoup de liens, surtout dans les airs, avec l’art opératique. Comme il nous l’a mentionné plutôt en entrevue, « La Passion selon saint Jean alterne récitatifs, airs et chœurs pour porter le récit avec intensité. Les récitatifs racontent l’histoire, les airs expriment les émotions des personnages, et les chœurs incarnent la foule, renforçant le drame. L’orchestre soutient l’ensemble avec une écriture expressive qui souligne les moments clés. » La preuve nous en fut faite vendredi.

En l’absence de mise en scène, caractéristique de l’oratorio, il faut un narrateur, dans ce cas-ci, l’Évangéliste, pour décrire les scènes. Soutenant toute l’œuvre sur ses épaules, le ténor Philippe Gagné réussit haut la main le défi d’interpréter ce rôle ingrat, mais ô combien important. On voit clairement son intention de raconter réellement une histoire, avec une diction allemande impeccable et laissant les phrases textuelles dicter son interprétation, au lieu de suivre la partition, prêtant une confiance absolue envers le continuo.

L’autre découverte de la soirée est le choriste-soliste William Kraushaar – dont la composition nous avait subjuguées au dernier concert de Caprice -, dans le rôle de Jésus.  Non seulement sa voix est claire, mais Dieu qu’elle porte ! Nous avons déjà hâte de l’entendre comme soliste lors de la prochaine saison. Bien qu’ils interviennent peu, le contre-ténor Nicholas Burns et la soprano Janelle Lucyk livrent leurs arias avec beaucoup d’émotion. Burns est très émouvant en duo avec la larmoyante viole de gambe dans Es ist vollbracht (« Tout est achevé »). Quant à Lucyk, sa voix est quelque peu retenue, mais se fond bien avec les flûtes dans l’ariaIch folge dir gleichfalls (« Je te suis »). Ces deux solistes livrent non seulement leurs arias avec musicalité, mais également avec une présence scénique envoûtante et émouvante.

Le chœur est très bien préparé, et les articulations sèches qui lui sont conférées cadrent bien avec le rôle qu’il occupe, soit la plèbe qui ordonne et acclame l’action du récit biblique. Le meilleur exemple est le morceau « Kreuzige » (Cruxifiez-le! ») où les articulations courtes et accentuées sont incisives.

À la toute fin de l’œuvre, il y avait quelque chose de solennel de voir les solistes (sauf Jean l’Évangéliste) rejoindre le chœur pour entonner un Rut Wohl dansant, et le choral final, en guise d’accompagnement, de remerciement et de célébration de la vie du Christ.

crédit photo : Tam Lan Truong

chant lyrique / musique contemporaine

Nouvel Ensemble Moderne |Des airs nouveaux pour une nouvelle ère

par Judith Hamel

Le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) écrit les premières pages d’un nouveau livre en cette saison 2024-2025 séparée en trois chapitres et portée par le vent de renouveau de Jean-Michaël Lavoie qui succède à Lorraine Vaillancourt après 35 ans à la barre de l’orchestre de chambre. Pour ce deuxième chapitre de trois cette saison, le NEM nous invite à la Cinquième salle de la Place des arts pour un concert en collaboration avec l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. 

Intitulé Chapitre 2 – Des airs nouveaux, ce concert d’après-midi proposait un répertoire paritaire, mettant de l’avant trois compositeur·rices du Québec ainsi que la compositrice coréenne Unsuk Chin. Dès l’entrée dans le foyer, le public était accueilli par une équipe de médiation dirigée par Irina Kirchberg, professeure invitée à l’Université de Montréal, qui proposait notamment un dispositif d’enregistrement permettant de superposer les voix des spectateur·rices ainsi qu’un panneau interactif sous forme de jeu de mémoire qui invitait à en découvrir davantage sur les œuvres au programme. 

Puis, le concert s’est ouvert avec Vision de José Evangelista, une pièce pour petit ensemble et mezzo-soprano à l’aura mystique. La chanteuse brésilienne Camila Montefusco a brillamment interprété cette œuvre qui met de l’avant les origines espagnoles du compositeur ainsi que ces multiples influences.

Suivait ensuite Bouchara de Claude Vivier, une longue chanson d’amour entièrement chantée dans une langue inventée. La soprano Chelsea Kolić, portée par l’expressivité de l’écriture, nous donnait l’impression de comprendre son message, alors même qu’il nous échappait. Comme quoi, nous n’avons pas besoin de parler la langue pour comprendre l’amour. 

En deuxième partie, Orpheus on Sappho’s Shore (Sur le rivage de Shappo) de Luna Pearl Woolf a impressionné avec la riche voix du contreténor Ian Sabourin qui naviguait habilement entre ses multiples registres. 

Enfin, le NEM a offert Cantatrix Sopranica de Unsuk Chin, seule pièce hors Canada du programme. Écrite pour deux sopranos, un contreténor et ensemble, elle était ici portée par Chelsea Kolić, Ariadne Lih et Bridget Esler, trois sopranos dont les timbres s’entrelaçaient parfaitement dans cette œuvre qui fascine par ses textures. Chin y explore l’acte même de chanter, convoquant des échauffements vocaux, des jeux de rôles et des renversements inattendus entre chanteuses et musicien·nes. Son écriture éclatée en fait une œuvre hyper-vocale où l’ensemble orchestral prolonge et magnifie les voix. Accessible et complexe à la fois, mêlant virtuosité, humour et émotion, cette pièce s’accorde avec la nouvelle direction du NEM.

La collaboration entre l’Atelier lyrique et le NEM a été un succès. L’engagement des jeunes chanteur·ses aux voix expressives et précises s’allie très bien avec l’esprit du NEM. 

Jean-Michaël Lavoie dirige avec une telle fluidité. Lorsque les lumières éclairent le travail des musicien·nes, on peut parallèlement arriver à décortiquer chaque petite intention du chef, voir avec clarté les variations de souplesse dans ces gestes. Ainsi, le NEM est entre de bonnes mains. 

Pour leur prochain concert, on a la chance de ne pas avoir à attendre trop longtemps. Le 10 mai prochain, c’est un rendez-vous à la Salle Pierre-Mercure où ils présenteront le Chapitre 3 – Dérive 2 Pierre Boulez

autochtone / électronique

Centre PHI / Habitat sonore | Après-midi Totalement sublime avec Moe Clark et Pursuit Grooves

par Léa Dieghi

Un bain sonore qui nous envahit complètement. Une vague de sonorités qui caresse notre esprit : plongés dans l’habitat sonore, une des uniques salles d’écoute spatialisée de Montréal, au Centre PHI.

C’était un jeudi après-midi ensoleillé. Entre mes deux cours du matin et de la fin d’après-midi, en plein milieu de semaine. Un peu comme tout le monde, c’est la frénésie du quotidien: école, boulot, rencontres, métro. Les mouvements de l’habituel au cœur de l’agitation citadine. On y pense rarement, aux tumultes de la ville, à tous nos sens en exergue, constamment.
Puis, un jour, on fait le choix: inconsciemment, ou consciemment. On s’arrête. Et aujourd’hui, cette interruption du banal s’est déroulée au Centre PHI.
J’y ai ainsi découvert une de leurs nouvelles expériences interactives: Habitat Sonore.
Dans cette salle d’écoute intimiste, où nos corps se déposent sur des coussins à billes dans une quasi-obscurité, on est projeté dans un nouvel univers. Le quotidien se transmute en une réalité uniquement composée de musique. Ici, pas de téléphone, de conversation, de lumières, de mouvements, pas de distraction extérieure aucune.
Seules demeurent les compositions musicales, et les quelques lueurs colorées et tamisées des néons. C’était la première fois que je faisais l’expérience de me plonger au sein d’une telle salle d’écoute. Avec cet « orchestre » de 16 haut-parleurs dispersés dans la salle, la musique semblait venir de nulle part. Et de partout à la fois. Elle était un peu en moi, et un peu hors de moi, aussi. Une véritable maîtrise de la spatialisation sonore.
Bien sûr, cette écoute active offerte par le Centre PHI n’aurait pu être possible sans le travail de différents artistes, qui pendant plusieurs mois, ont eu l’opportunité de retravailler certaines de leurs productions musicales. Accompagnés par les techniciens du centre, Totalement sublime, Moe Clarke et Pursuit Grooves ont aussi pu maîtriser la production spatialisée musicale, créant leurs propres décors auditifs.
Après quelques minutes d’attente, et seulement trois personnes autour de moi (un cadre plutôt intimiste) , la programmation 2 démarre. C’est Totalement Sublime, avec des reprises de l’album Albedo, qui ouvre la danse. La performance est sûrement la plus longue des trois, et la plus progressive. Elle démarre tout en douceur, avec des sonorités éparses de synthétiseurs et de petits glitchs analogiques. Je reconnais leur musique 760KM, qui pourtant s’étire bien plus longtemps que dans mes souvenirs.
Une ouverture en légèreté, qui nous ancre dans nos coussins, et qui est pourtant bientôt brisée par des bruits cassants de cordes de guitares. Leur composition suit une trajectoire linéaire, bien que parfois chaotique, avec les différents bruits et notes qui se déplacent d’une part et d’autres de la pièce.
Si Totalement Sublime nous a offert un voyage glitch dans la matière sonore, Moe Clark, de son côté, nous fait circuler dans les tréfonds des montagnes canadiennes et des mythes autochtones. Entre l’utilisation de paysages sonores (des arbres au vent, le courant d’une rivière, des feuilles et branches qui crépitent sous le poids des pas d’un animal…), et ses “spoken words” – sa poésie -, on s’envole au rythme du battement des ailes d’un colibri, des tambours d’eau, des crécelles en corne et en courge, des chants de gorge.
Sa voix qui chante en crée est perçante dans piyêsiwak ahkohtowin, et Montréal me semble soudainement bien loin.
La programmation se termine avec une dernière composition de l’artiste productrice ontarienne Pursuit Grooves. Elle nous offre ainsi une composition expérimentale, entre le downtempo et l’abstract, pour nous faire redescendre en douceur de ce voyage sonore d’une heure.

INFOS et BILLETS

minimaliste / musique contemporaine

Les quatuors de Steve Reich à Bourgie : une mécanique minimaliste parfaitement huilée

par Frédéric Cardin

Pour la première fois à Montréal étaient donnés, le mardi 1er avril, l’ensemble des quatuors à cordes de Steve Reich, trois au total. Quand je dis quatuors à cordes, je veux dire en vérité quatuors à cordes ET bandes sonores, car tous ont recours à cet ajout. Joués en ordre chronologique décroissant par le Quatuor Mivos, les trois œuvres sont emblématiques de l’univers sonore de l’États-Unien, un pionnier du Minimalisme et, pour plusieurs artistes des générations suivantes, le grand-père de la musique techno et de la technique du sampling (échantillonnage). 

LISEZ L’ENTREVUE RÉALISÉE AVEC L’ALTISTE DU QUATUOR MIVOS, À PROPOS DES QUATUORS DE STEVE REICH

En effet, deux des trois quatuors utilisent l’échantillonnage sonore (sons concrets, bribes de voix, etc.) dans une perspective rythmique et mélodique. Si l’utilisation de sons concrets en musique ne date pas de Reich (Schaeffer, Henry, Stockhausen sont passés par là avant), sa façon instinctive et rythmiquement accrocheuse d’en décliner la répartition a été inspiratrice d’un mouvement créatif dont le hip hop est le dernier genre en date à en reprendre, souvent sans le savoir, certains impératifs. 

Le plus récent, WTC 9/11, utilise des sons tirés de la tragédie du 11 septembre 2001 à New York, alors que le premier, ‘’Different Trains’’ (qui reste le meilleur de tous), fait un parallèle entre les trains voyageant entre New York et Los Angeles (que Reich a souvent utilisés à une époque), et ceux qui transportaient les Juifs vers les camps d’extermination pendant la Seconde guerre mondiale (Reich est Juif, et l’allégorie lui est venue à l’esprit avec force). Entre les deux, le Triple Quartet requiert une bande sur laquelle deux autres quatuors jouent chacun une partition pendant que l’ensemble interprète la sienne live sur scène. 

Le Quatuor Mivos a enregistré ces trois mêmes quatuors pour Deutsche Grammophon. Ses musiciens sont donc bien trempés dans les exigences de cette musique. Il reste malgré tout qu’une performance de ces partitions sur scène est extrêmement exigeante. Il faut une concentration de tous les instants pour réagir précisément à ce qui se passe dans la bande sonore et chez les collègues, en plus de ne pas perdre le fil de toutes les répétitions, régulièrement ponctuées de petits changements aussi subtils que fondamentaux dans l’énergie dynamique de la musique. Comme on dit, c’est facile de se perdre là-dedans. 

Chapeau bas aux quatre excellents musiciens de l’ensemble new yorkais (en première visite chez nous!) Olivia de Prato et Adam Woodward aux violons, Victor Lowrie Tafoya à l’alto et Nathan Watts au violoncelle. Leur lecture a été épatante de précision et de coordination. 

C’est presque un rendez-vous annuel de grands noms du Minimalisme que nous propose la programmation de la salle Bourgie (dans les dernières années nous avons eu Glass et Missy Mazzoli), et nous le saluons avec enthousiasme. On espère que cela continuera et, pourquoi pas, qu’il y en aura même plus. 

baroque / classique / période romantique / post-romantique

Jaeden Izik-Dzurco, plus qu’impeccable

par Alain Brunet

Chaque année, sinon chaque semestre de cette ère, nous apprécions un supravirtuose émergent, force est d’observer que les meilleurs sur Terre sont plus nombreux, que le nec plus ultra est plus considérable que jamais. Il y a quelques semaines,  par exemple, une adolescente montréalaise électrisait la petite salle Claude-Léveillée, les capacités hallucinantes de Sophia Shuya Liu étaient dévoilées à son public précoce, ceci incluant des agents internationaux ayant eu vent de sa technique et de son jeu d’exception,

Dimanche après-midi, l’organisme Pro Musica nous ramenait Jaeden Izik-Dzurko, un jeune homme bardé de prix importants dont le Leeds, le Maria Canals et le Concours de musique international de Montréal (CMIM), frise la perfection.

Nous avons pris la pleine mesure de ce prodigieux musicien canadien de 26 ans, établi en Allemagne. 

Côté JS Bach, l’exécution de la  Partita no.4 en ré majeur BWV 828,  est tout simplement idéale. Izik-Dzurko respecte impeccablement la partition, aucun affect inutile, aucune exagération repérable. Justesse et limpidité exemplaires, point barre. L’interprète est ici soucieux de respecter les intentions exactes du compositeur, sans pour autant faire dans l’austérité technique, dans l’obsession clinique – ce qui est souvent le cas des excellents… techniciens. Cette fine ligne entre virtuosité et musicalité sera honorée de la première à la dernière mesure de cet excellent concert.

De JSB, on passe aux Préludes op.23 de Rachmaninov, imaginés par le pianiste virtuose et compositeur au tournant du 20e siècle (1901-1903), dont le no. 5 en sol mineur est passé à l’histoire. Là encore, l’interprète est éblouissant de raffinement, de tonus et d’exactitude. Les enjeux de virtuosité sont exceptionnels ici, tout pianiste de concert se doit de maîtriser ce répertoire, alors que Izik-Dzurko arrive à le transcender sans débordement aucun.

Après l’entracte, la Fantaisie en en si mineur de Scriabine, composée également à l’aube du siècle précédent (1900), génère aussi cette impression de perfection, de compréhension absolue de la partition et d’un rendu à la fois sobre et profondément musical, même dans ses moments les plus enchevêtrés.

Pour un musicien qui se dit moins naturellement enclin à maîtriser Chopin dont il a joué la Sonate no.3 en si mineur op.58, on ne peut en relever des irritants, crispations et autres excès de zèle, même durant la phase la plus vertigineuse de la sonate à sa conclusion. Encore là, c’est du pur bonheur mélomane. 

À 26 ans, donc, Izik-Dzurco atteint cette très grande maîtrise et il a un long chemin tracé devant lui.  Bien sûr, la vie devrait engendrer chez lui les aspérités lui permettant de préciser davantage sa personnalité artistique et le rendre encore plus pertinent. De surcroît, plus touchant.

art numérique / expérimental / immersion

Sight + Sound | Fili Gibbons et ses fées

par Loic Minty

Vendredi soir, à Eastern Bloc, nous avons assisté à une soirée de pratiques joyeuses et ludiques qui font appel à l’enfant et aux émotions du cœur. Du cœur sont sorties des voix, puissantes et provocantes dans leur équilibre, qui ont parlé et chanté des histoires. Des histoires sur la passion, sur les nuages et la pluie à venir. Des mythes pratiques pour une vie agréable, qui s’étendent bien au-delà de la scène. Comment les porter ?

Fili Gibbons, accompagné de ses fées, a dissous toutes les frontières entre le public et l’artiste. Les sons ont recouvert un flux de discussions enregistrées de manière décontractée entre les artistes et ont créé un espace de réflexion introspectif. De temps en temps, cet espace s’ouvrait et invitait le public à partager ses propres pensées. « Qu’est-ce que le bonheur pour vous ? »

Entre eux, les artistes souriaient et riaient en arrangeant un jardin d’amour post-numérique éclectique. Par moments, la voix de Fili semble être une conduite de lumière qui ouvre un portail vers d’anciennes traditions folkloriques. Sorte de symphonie du printemps, les mélodies jouaient sur des thèmes qui auraient pu être entendus dans une partition de Ryuichi Sakamoto et leur violoncelle avait une profondeur mystique similaire à celle d’Arthur Russel alors qu’il se tissait dans une ambiance électronique.

Alors que les visuels maintenaient une ligne de continuité dans leurs textures colorées et glitchy, la performance s’est segmentée en une série de courts poèmes et de scènes. L’amitié, l’amour, la passion, le travail, la fatigue. Chaque thème se tient dans une intimité qui rend les sujets honnêtes et accessibles, rien n’est laissé de côté ou caché au public. Depuis la dernière fois que j’ai vu Fili au Centre PHI, leur pratique du son a évolué vers une utilisation plus poussée de l’échantillonnage et des boucles, tout en conservant le même style calme et sensible. Il s’agit sans aucun doute d’un artiste à surveiller et j’ai hâte de connaître ses prochaines réalisations.

Dans l’ensemble, j’ai été très impressionnée par le soin que Sight+Sound a apporté à l’organisation d’une exposition sur le thème de l’attention. Les éléments sous-jacents de la connexion astrale et des mythes de l’amour relient les pièces de Fili Gibbons à Deep Gazing.

Cette dernière représentation a fait sourire la foule jusqu’au bout, les personnages exagérés se regardant longuement dans les yeux. Les sœurs de l’Ordre céleste ont envoûté la foule en lisant leur livre sur une nouvelle pratique appelée « deep gazing » (regard profond). Comme si elles écoutaient des mystiques, elles ont lentement et soigneusement expliqué la forme des nuages de manière humoristique et poétique.

Leur philosophie s’est lentement infiltrée dans notre imagination alors que nous partions en regardant le ciel  » Skry ! « . Sight + Sound est un rappel de l’importance de l’art dans nos vies, c’est ce qui vous laisse plein et accompli à la fin de la journée.

PLUS D’INFOS SUR SIGHT + SOUND

art numérique / électronique / expérimental / contemporain / immersif

Sight + Sound | Un rituel de la pluie sous anticipation 

par Félicité Couëlle-Brunet

Le concept des teru teru bōzu, ces petites poupées artisanales suspendues aux fenêtres  pour conjurer la pluie au Japon, est porteur d’une riche symbolique oscillant entre soin,  espoir et contrôle. Teru Teru, présentée en première mondiale au Festival Sight + Sound 2025 présenté au Eastern Bloc, s’empare de cette tradition pour proposer une exploration chorégraphique et sonore  de la gestion du soin dans un monde en perpétuelle incertitude. Hanako Hoshimi-Caines  et Hanako Brierley puisent dans ces symboles pour créer une performance où l’intime  rencontre le rituel, où le passé dialogue avec l’imaginaire. 

Dès les premiers instants, la scène est habitée par une ambiance à la fois douce et  spectrale. Le dispositif scénique, où deux poupées teru teru bōzu de tailles géantes sont  placées au sol au milieu de la salle, compose un paysage visuel évocateur. Ce décor,  oscillant entre le jeu enfantin et une certaine présence fantomatique, devient le théâtre  d’une exploration sensorielle captivante. Pourtant, sous cette douceur apparente se  cache une tension latente : l’acte d’accrocher un teru teru bōzu est une prière empreinte  d’espoir, mais aussi une promesse tacite de sanction. Si la poupée échoue à faire  apparaître le soleil, elle est condamnée à être décapitée. 

Un jeu vocal entre douceur et tension 

Le travail sonore de Brierley accentue cette tension. Par un usage subtil du looping vocal,  elle déconstruit la comptine traditionnelle teru teru bōzu, répétée et superposée pour en  révéler des nuances insoupçonnées. Cette boucle sonore, où la voix devient un instrument  hypnotique, insuffle une légèreté ludique tout en laissant planer une menace diffuse. Ce  traitement sonore, d’abord enfantin et rassurant, se transforme progressivement en une  litanie abstraite, presque mécanique, vidée de son affect. 

Le dialogue vocal entre Hoshimi-Caines et Brierley s’inscrit dans une dynamique  organique où les voix se croisent, s’entrelacent et se répondent. Par moments, leurs voix  se fondent dans une harmonie douce, évoquant un chant incantatoire où le soin prend une  dimension collective. Mais cette douceur est souvent interrompue par des silences  abrupts ou des décalages vocaux qui créent des espaces de tension. Ces interruptions,  loin d’être de simples pauses, deviennent des respirations chargées d’incertitude. 

Le silence comme espace de rupture 

C’est surtout dans ces silences que la performance trouve sa profondeur. Lorsque les voix  s’effacent, un espace vide s’ouvre, invitant à une écoute plus attentive du corps et de  l’environnement. Ces silences, loin d’être des absences, deviennent des moments de  suspension où le spectateur est confronté à l’attente, à la vulnérabilité et au risque  d’échec inhérents au rituel. Ce dialogue entre le plein et le vide donne une résonance particulière aux gestes chorégraphiques, où chaque suspension semble amplifier la  fragilité des mouvements. 

Un rituel vidé d’émotions, porteur de tensions 

Teru Teru explore la tension inhérente au rituel, là où la répétition des gestes et des sons  ne fige pas la performance dans une mécanique rigide, mais lui insuffle une vitalité  organique. La simplicité du rituel — accrocher une poupée en espérant conjurer la pluie — se vide progressivement de son affect pour devenir un automatisme, une répétition où  l’émotion s’efface pour laisser place à une tension sourde. Ce dépouillement émotionnel,  loin d’apaiser, rend la charge dramatique plus intense, confrontant le spectateur à  l’incertitude d’un espoir suspendu à un fil. 

Avec Teru Teru, Hoshimi-Caines et Brierley offrent une œuvre d’une rare délicatesse, où le  soin devient un rituel vivant, oscillant entre espoir, contrôle et abandon. Dans cette danse  infinie de répétitions, de silences et de renouveaux, la gestion du soin se transforme en un  espace d’attente où la tension, née de l’absence d’émotions manifestes, devient la   véritable force motrice de la performance.

INFOS SIGHT & SOUND

baroque / chant lyrique / classique occidental / opéra

Opera McGill | Imeneo ou l’art du « less is more »

par Alexis Desrosiers-Michaud

Opera McGill donnait vendredi soir la première de sa série de représentations de Imeneo de Georg Friedrich Handel, au Théatre Paradoxe, une ancienne église située rue Monk, transformée en salle de spectacle, le tout dans une formule cabaret, où les convives sont invitées à déguster un verre pendant la représentation. 

Des cinq interprètes principaux, c’est la ténor Patricia Yates dans le rôle-titre qui se démarque. À la fois par l’interprétation scénique de son personnage, un peu trop fier et par l’amplitude de sa voix, elle assure une présence qui dépasse le cadre du Paradoxe, et qui marcherait tout autant dans une salle d’opéra plus conventionnelle. Dans le rôle de Trinto, son opposant, le contre-ténor Reed Demangone, ne vend pas sa place non plus, mais pour des raisons contraires. Plus effacé, timide, Demangone fait preuve d’agilité et de délicatesse dans ses arias, tout comme dans son jeu de celui qui se fera piquer sa promise. 

Chez les dames, Elizabeth Fast en met plein la vue en Clomiri dans la première moitié de l’opéra, voulant séduire Imeneo qui l’a sauvée d’une attaque de pirates, en compagnie de Rosmene. Cette dernière jouée, par Patricia Wrigglesworth, prend du galon dans la seconde partie, s’affirmant de plus en plus, ce qui lui donne de la crédibilité dans son choix de mari à la toute fin. Au final, Fast et Wrigglesworth offrent une performance égale, chacune sachant quand et comment prendre le dessus sur sa rivale. 

Mis à part des costumes « à la Romaine », rien dans ce qui nous a été présenté nous indique avec précision l’époque ou le lieu dans lequel l’action se déroule. À ce titre, la mise en scène simple et efficace de Patrick Hansen tient la route. Le décor ne tient qu’à quatre bandes verticales descendant du plafond et une roche gigantesque ayant l’air d’un grain de popcorn éclaté, suspendu en plein centre. Une roche qui ne semble qu’à servir à rediriger les éclairages et à obstruer les surtitres, nécessaire étant donné que l’opéra est chanté en italien. 

Également, puisqu’il n’en est pas obligé, il n’y a aucun changement de décor ni de costumes. De ce fait, Hansen élimine le risque que l’auditeur se pose des questions à savoir « on est rendu où ? » ou « qui est qui maintenant ? » et peut se concentrer sur l’action. Bref, cette mise en scène est tellement efficace qu’on ne se rend pas compte tout de suite de sa simplicité, sans être ennuyante non plus. En voulant faire trop, parfois, on passe à côté de l’essentiel… Ce n’est pas le cas ici et c’est fort bien mené. Il est intéressant de noter que chaque personnage a un double, comme il est coutume dans les productions estudiantines; la distribution « B » chantera en solistes demain et le « A » sera de retour dimanche. Sauf que dans cette production, la notion de la doublure est finement et judicieusement exploitée. Les dix artistes font partie des trois concerts, mais ceux « en congé » interviennent comme choristes, mais dans leurs costumes de personnages. Le paroxysme de ce jeu du double arrive à la fin du premier acte, lorsque les doubles exécutent leur homonymes, tels des émotions qui déchirent l’âme, plongeant la salle dans un rouge macabre. 

crédit photo: Stephanie Sedlbauer

Alternative / post-punk / rock alternatif

Shunk fait tomber le marteau

par Stephan Boissonneault

Jouer un spectacle en milieu de semaine peut s’avérer difficile en raison d’un tas de facteurs atténuants, mais l’air à l’intérieur du sous-sol de La Sotterenea était absolument bourdonnant mercredi dernier pour le lancement de l’album de Shunk. Il s’agissait, bien sûr, de Shunkland, le premier album merveilleusement loufoque de Shunk, dont nous avons parlé ICI. Les esprits étaient en ébullition, illuminés par une pile de canettes de bière vides avant la première partie de Born at Midnite (communément appelé BAM).

Born at Midnite (BAM) I Stephan Boissonneault

Ce duo de l’étiquette Arbutus (composé du vocaliste/sampler Amery Sandford et du guitariste/chanteur David Carriere) est en quelque sorte un héros méconnu de la communauté électro montréalaise, partageant environ un million de streams mais n’ayant donné qu’une poignée de concerts depuis ses débuts en 2020. Si vous écoutez les enregistrements de BAM, vous sentez immédiatement la touche professionnelle du mixage, et cela ne se perd heureusement pas pendant le concert : les voix sont repoussées quand il le faut, la basse martelante est épaisse quand il le faut, les lignes de guitares principales sont tranchantes. C’est un mélange musical brumeux qui vous donne l’impression d’être dans un club, mais pas le genre où l’on s’étrangle de façon abominable. C’était un spectacle amusant et léger qui a parfaitement préparé l’énergie pour Shunk.

Shunk monte sur scène et se lance immédiatement dans l’ouverture rêveuse et bientôt cauchemardesque de Shunkland, « Sated ». Le guitariste Peter Baylis utilise deux amplis, l’un pour les aigus et l’autre pour les graves. La guitare basse et l’arpège de la guitare à réverbération s’infiltrent dans la pièce, et la chanteuse Gabrielle Domingue chante avec un falsetto digne de l’opéra, à la Hounds of Love. Shunk a pour but de vous mettre dans une transe étrange et fantaisiste, puis de vous asséner un coup de marteau. Et ce n’est pas seulement avec de la distorsion lourde comme tant d’autres groupes. Vous aurez des moments de grande énergie où l’instrumentation est complètement propre, mais staccato et retardée. C’est une ambiance post-punk très années 80, mais aussi très chic. Je veux dire par là que la chanson « Clouds » donne l’impression d’un bal de fin d’année transpirant et vibrant vers 1983.

Certaines de ces chansons sont absolument hilarantes dans leur sujet ; nous en avons une qui parle de gobelins, de mignonnes petites tenues de tennis, d’un serpent diabolique et sulfureux, et d’un « roi des rats » nommé Stew, qui devient une entité unique qui fait grogner Domingue, « Donnez-nous votre argent / donnez-nous votre enfant en bas âge !!! ». Une personne de la foule a crié avec joie : « Prenez-le, s’il vous plaît ! ». Pas sûr qu’elle parlait de l’argent ou de l’enfant en bas âge…

Il existe un certain facteur de coolitude avec les groupes locaux. Certains choisissent de se montrer distants, vêtus de couleurs sombres, et de ne pas se faire remarquer, tandis que d’autres se mettent en valeur lors de leurs concerts. Shunk est un mélange des deux. Le guitariste Peter Baylis (vêtu d’une chemise à boutons orange et de cheveux bouclés) et le batteur Adrian Vaktor (portant un tee-shirt d’Alexisonfire) ont l’air d’un slacker sans prétention. Puis il y a la bassiste (bien qu’elle crie chaque parole sans micro) Julia Hill, qui est habillée dans un style grunge-90s chic avec une jupe à carreaux et une ceinture en grand O, et la chanteuse principale Gabrielle Domingue qui est parée d’un costume complet à rayures, avec un seul bouton, révélant un peu de peau et ce qui semble être un haut en cuir à mailles losangées.

Bien sûr, la veste du costume de Domingue s’enlève pendant le charnel « Snake », qui parle de quelqu’un qui vous consomme, os et tout. Il est impossible de détourner le regard du spectacle lorsque Domingue, ne portant que le haut (qui s’avère être un soutien-gorge en cuir avec des chaînes), plonge dans la foule et hurle avec frénésie, poussant la foule dans un mosh. C’est ce même type d’énergie hardcore qui me rappelle son défunt groupe Visibly Choked (RIP). Pendant l’outro de « Snake », Hill se tient au bord de la scène, hurlant chaque parole, et derrière elle, Baylis et Vaktor se tapent la tête en rêvassant. On peut facilement dire que Shunk est un groupe dont chaque membre prend plaisir à faire ce qu’il fait.

Pour le rappel, nous avons droit à une nouvelle chanson de Shunk, sur laquelle Hill joue de l’archet avec sa basse et qui, rien qu’au niveau du son, aurait pu figurer sur Shunkland. Mais pour l’instant, nous les laissons préparer un autre lot de chansons.

expérimental / contemporain / Musique de création

Semaine du Neuf | Conclusion amoureuse et cosmique

par Alain Brunet

La Semaine du Neuf, présentée une troisième année d’affilée par Groupe Le Vivier, s’est conclue dimanche au Music Media Room (MMR) de l’École de Musique Schulich de l’Université McGill. Au programme, propulsion vers l’amour et le cosmos!

Un opéra pour une seule voix, rien d’autre. Opéra soliloque, chanté, dit, sussurré, grogné, chuchoté, crié, plus encore. Amour débridé, tendre, protecteur, perdu, retrouvé, passionnel, mûr, stable, serein, on en passe. Une centaine de langues déclinées.  Discours mélodiques, diatoniques, chromatiques, atonaux, bruitistes, texturaux. Les thèmes principaux de l’œuvre signée Ana Sokolović sont introduits par des mouvements symboliquement incarnés par des chants de colombes sur des déclarations d’amour exprimées en 100 langues, sauf pour le thème de la perte. 

En bref, tous les angles, toutes les facettes, tous les états de l’amour sont ici passés en revue par la compositrice et interprétés devant public par la mezzo-soprano Kristin Hoff. Cette dernière s’est approprié l’œuvre depuis une douzaine d’années, inutile d’ajouter qu’elle en maîtrise les détails les plus infimes, qu’elle en communique l’expérience avec une expérience consommée. 

Authentique performance, prouesse physique de 40 minutes ! Les exigences de l’œuvre sont élevées pour cette interprète seule avec elle-même, qui doit aussi exhaler une théâtralité de l’amour tout en relevant les défis techniques de l’œuvre. 

La seconde partie du programme était new-yorkaise: Star Maker Fragments, composée en 2021. L’Américain Taylor Brook compose pour la musique instrumentale et/ou la musique électronique, aussi  pour la robotique, pour la musique générative, aussi pour la vidéo, le théâtre ou la danse. Féru de l’approche microtonale, il s’applique à intégrer tous les outils et pratiques sonores représentatives de notre époque. 

L’ensemble new-yorkais TAK travaille avec Taylor Brook depuis les débuts de sa carrière, au tournant de la décennie précédente. L’œuvre Star Maker Fragments, dont c’était la clôture de La Semaine du Neuf, se nourrit du roman Star Maker de l’écrivain britannique Olaf Stapledon, considéré aujourd’hui comme un classique de la science-fiction. Le narrateur du roman est « transporté » hors de son corps et se voit explorer l’espace intersidéral. Son esprit fusionne alors avec ceux d’êtres issus d’autres mondes et voyagent à travers les galaxies. Ainsi un esprit collectif se constitue et finit par rencontrer le Star Maker, un être suprême ayant créé l’univers. Le narrateur réalise que son univers n’est qu’un univers parmi d’autres, qu’il n’est pas le plus grand de ceux qui existent, et que chaque univers est une œuvre d’art.

Ainsi, cette œuvre tente d’incarner la suspension dans l’espace infini. Les parties instrumentales (flûte, clarinette basse, violon, percussion) demeurent relativement simples, fluides et continues, sans exigences élevées dans l’articulation. Le chant et la narration sont assurés par la soprano Charlotte Mundy, nous voilà dans l’espace pendant une heure de microvariations et d’effets électroacoustiques complémentaires produites par le compositeur et déclenchées par le percussionniste Ellery Trafford.  On comprendra que les interventions individuelles en temps réel sont peut-être moins importantes que leur alliage intersidéral. Planant, cosmique, assurément dans l’air (et l’espace) du temps. Voilà le point final de la 3e Semaine du Neuf.

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musique contemporaine / pop de chambre

Semaine du Neuf | Le ‘’groove de chambre’’ de collectif9 et Architek Percussions

par Frédéric Cardin

Cinq œuvres contemporaines, autant de compositeurs.trices. Le fil conducteur? Outre des mots tissés par l’auteur Kaie Kellough, le groove. En effet, cet élément d’ordinaire si peu associé à la musique de création s’est retrouvé l’élément central de la soirée du 15 mars 2025 à l’Espace Orange du Wilder dans le Quartier des Spectacles, à Montréal. C’est à l’occasion de la Semaine du Neuf organisée par Le Vivier qu’avait lieu la présentation d’un spectacle intitulé Quelque part, mon jardin / My Backyard, Somewhere, spectacle fusionnant les univers créatifs de deux des ensembles les plus originaux et dynamiques de la scène montréalaise/canadienne : collectif9 et ses neuf cordes et Architek Percussions et ses quatre géniaux tapeux et piocheux.. Pour en savoir beaucoup plus sur l’origine de ce concept, lisez l’entrevue réalisée par le collègue Alain Brunet ICI. 

Gracieuseté Semaine du Neuf – Le Vivier crédit photo : Philippe latour par Frederic Cardin

La stratégie d’interprétation adoptée par les artistes est tout à fait originale : les cinq œuvres sont charcutées en diverses parties, et ensuite mélangées entre elles pour offrir une trame continue d’environ une heure quinze minutes. Un peu comme si l’on prenait cinq modèles de blocs Lego et qu’on les ré-assemblait en une seule nouvelle construction, entièrement cohérente. 

Ainsi, le fil sonore de la soirée était parcouru de contrastes entre les esthétiques glitch/syncopes de Nicole Lizée, post-minimaliste/dissonant de Luna Pearl Woolf, chamber pop de Eliot Britton, presque muzak de Brett Higgins et néo-impressionniste/rock de Derek Charke. Les paroles de Kellough, parfois scandées ou déclamées par l’artiste lui-même, façon spoken word et très urbaine, parfois pré-enregistrées et altérées, marquaient le coup et offraient une couleur très street à l’ensemble du concert. 

Quelque part, mon jardin / My Backyard est une proposition contemporaine dont l’actualité est ancrée dans le brouillage qu’elle fait entre les univers savants et pop multi-tendance. Elle est surtout une démarche d‘inclusion de la pulsation chaloupée des musiques noires, plutôt que celle, métronomiquement régulée, du Minimalisme, autre école stylistique basée sur l’affirmation rythmique. Pour les amoureux de la modernité harmonique, voir de l’avant-garde, il faudra repasser, car on est ici en territoire presque totalement consonant. 

Le résultat final est résolument contemporain tout en étant très accessible même pour un public profane en matière de musique de création. Peut-être même un peu trop ‘’poli’’ pour certains, si je me fie à quelques commentaires entendus?

Qu’à cela ne tienne et en ce qui me concerne, ainsi que l’ami Alain Brunet présent à mes côtés, Quelque part, mon jardin / My Backyard est l’un des très bons projets de collectif9 et Architek.

Luna Pearl Woolf: But I Digress… (2018) – 19 min

Bret Higgins: among, within, beneath, atop (2018) – 8 min

Derek Charke: the world is itself a cargo carried (2018) – 15 min

Eliot Britton: Backyard Blocks (2018) – 17 min

Nicole Lizée: Folk Noir/Canadiana (2018) – 14 min

musique contemporaine

Semaine du Neuf | Quatuor Bozzini : effusions d’amitié dans un calme onirique

par Alexandre Villemaire

Pour célébrer ses noces d’argent, le Quatuor Bozzini s’est entouré de trois compositeurs d’exception : Martin Arnold, Linda Catlin Smith et Michael Oesterle. Un programme qui mettait l’accent sur l’amitié et les liens étroits qui unissent depuis 25 ans les musiciens du quatuor avec ces compositeurs de l’avant-garde. Musicalement, ce sentiment d’amitié s’est traduit par des sonorités éthérées dans des œuvres traversées par une esthétique essentiellement douce et calme.

La première œuvre présentée était 3-Way Cotillon de Martin Arnold, dont c’était la création montréalaise. Pour l’occasion, les membres du Quatuor Bozzini (Isabelle Bozzini, violoncelle; Stéphanie Bozzini, alto; Alissa Cheung, violon et Clemens Merkel, violon) ont été joints par l’altiste Elisa Trudel et la violoncelliste Audréanne Filion, dans une formation en sextuor. L’environnement harmonique est essentiellement diatonique. Parmi les multiples influences qui caractérisent le langage d’Arnold, c’est l’emploi de matériel d’inspiration folklorique et l’inspiration de musique ancienne qui nous a marqués. Les inflexions musicales du cotillon, danse populaire en Europe et dans l’Amérique du XVIIIe siècle, portent à certains égards la marque sonore d’un Aaron Copland. La pièce évolue avec des interventions sporadiques de traits de cordes qui sont joués de manière dispersée par les instrumentistes. Il y a ainsi une évolution générale de la texture et du timbre de la pièce qui se dessine, partant de l’aigu pour tranquillement se rendre dans le grave des cordes tout au long de la pièce. Plus l’œuvre progresse, plus le matériel pêle-mêle et espacé se contracte dans le temps pour finir par se rencontrer et créer un tout cohérent et interrelié.

La pièce Reverie de Linda Catlin Smith, composée expressément pour l’occasion, reprenait ce même esprit de plénitude, mais avec une construction mélodique plus stable et définie par des sections thématiques claires à nos oreilles. On commence par de longs coups d’archet exposant des notes pures, alors que les sons se fondent les uns dans les autres au niveau timbral. À mi-parcours, un tapis harmonique soutient, dans un caractère en demi-teinte expressif et inquiétant, des passages mélodiques dissonants joués au-dessus de celui-ci.  Plus loin, dans un calme tonal à l’atmosphère mélancolique, est exprimé un thème modal récurrent qui sera répété plusieurs fois, créant un sentiment d’apesanteur et d’élasticité temporelle. Nous comprenons tout à fait le choix artistique qu’était celui de faire suivre ces deux œuvres, étant donné leur différence avec la dernière pièce du concert et leur forte similarité au niveau de l’esthétique. Mais, à un certain point au niveau du traitement sonore, on avait l’impression d’entendre une sorte de continuation de la pièce de Martin Arnold dans celle de Linda Catlin Smith, malgré un traitement musical et un langage narratif très différents. Garder attentif les sens de son auditeur est un défi et peut s’avérer une arme à double tranchant dans un tel agencement. La dernière œuvre de la soirée était le Quatuor à cordes no4 de Michael Oesterle et était, au niveau de la texture, l’œuvre la plus variée. Elle venait ainsi balancer le caractère onirique des œuvres de la première partie.

Après une introduction digne d’une ligne musicale du XIXe siècle, les parties centrales de l’œuvre explorent différents timbres instrumentaux, avec des techniques de jeu étendu pour créer des sonorités éclatées, allant de frottements de cordes dans l’aigu. Mentionnons à cet effet, dans le quatuor d’Oesterle, l’interaction entre les motifs véloces des violonistes Clemens Merkel et Alissa Cheung au-dessus desquels des interventions énergiques en pizzicato étaient brossées, ou encore la superposition thématique qui amorce la conclusion de l’œuvre qui réintroduit le thème d’ouverture.

L’acoustique, très focalisée du MMR à l’Université McGill, faisait en sorte que le son ne voyageait pas énormément, mais restait ancré. Pour le répertoire joué, cette salle était tout indiquée, car elle nous donnait à apprécier de manière détaillée l’interprétation de chacun des instrumentistes, dont l’acte de venir soutenir ces pièces avec ces lignes musicales à long développement demande une constance sonore et une maîtrise du son en plus d’une écoute sensible et précise des différents changements de dynamique. Une écoute qui fait écho aux liens amicaux qui unissent également les musiciens entre eux.

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