alt-folk / musique du monde / musique traditionnelle mexicaine

FIJM | Natalia Lafourcade enflamme une Place des Arts devenue mexicaine

par Michel Labrecque

C’est devenu un cliché, mais parfois, les clichés s’imposent. Il suffisait de se promener dans les couloirs de la Salle Wilfrid-Pelletier pour comprendre et entendre que la majorité des 3,000 spectateurs étaient hispanophones, pour la plupart Mexicains, venus écouter une de leurs artistes qui incarne le mieux l’âme de ce grand pays.

Natalia Lafourcade était de retour au FIJM pour une deuxième année d’affilée, mais avec un concert radicalement différent. En 2024, elle présentait son album De Todas Las Flores, accompagnée d’un groupe de musiciens brillants. Cette fois, pour sa tournée Cancionera, du titre de son plus récent album, elle s’est présentée toute seule, avec une guitare classique amplifiée et une bouteille de mezcal sur une petite table, pour juste être une chanteuse. 

Natalia Lafourcade est une artiste exceptionnelle. Elle emprunte toujours des chemins imprévisibles. L’album Cancionera, que j’ai critiqué dans nos pages, est un album hyper léché, avec une quinzaine de musiciens, qui modernise des styles traditionnels mexicains et latins de façon très subtile. Mais, dans ce concert ultra-intime, Natalia laisse largement tomber ce disque, pour en conserver tout au plus deux pièces, et nous offre en échange  un mélange de chansons qui résument sa carrière, ainsi que des chansons traditionnelles de son pays.

J’avoue: au début, ça m’a surpris, car j’aime beaucoup les arrangements très sophistiqués que Natalia et son réalisateur, Adan Jodorowsky, font en groupe. Mais, comme la grande majorité de la salle, j’ai été conquis par ce concert dénudé, qui laisse la place à la voix, à l’âme, aux émotions de cette artiste hors du commun, à qui on a décerné Prix Antonio-Carlos Jobim du Festival de Jazz pour sa contribution aux Musiques « du monde » à la fin du concert. 

Que ce soit avec les chansons De Todas Las Flores, Pajarito Colibri, La Soledad y el Mar, Mexicana Hermosa, ou avec ses réinterprétations de La Llorona, La Bamba et Cucurucu Paloma, Natalia Lafourcade nous a fait plonger au plus profond de la culture mexicaine et de sa région de Veracruz. Et l’a partagé avec la foule, encourageant tout le monde à chanter avec elle. Plus le concert avançait, plus ça chantait autour de moi. 

Son jeu de guitare classique me rappelait parfois le Texan Willie Nelson ou l’Uruguayen Jorge Drexler, avec qui elle a souvent collaboré. Ce jeu meublait très correctement l’espace musical. Et cette voix! Il me semble qu’elle est de plus en plus assurée, assumée, émotive. 

Natalia Lafourcade nous a aussi parlé, très largement en espagnol, de son amour pour le Mexique, de la mer et de la solitude, « qui donne parfois des idées formidables, mais aussi des pensées terribles ». Cette tournée est aussi une façon pour elle de célébrer ses quarante ans, une sorte d’heure des bilans. 

Natalia Lafourcade adore son pays, sa culture, ses paysages, mais elle est aussi consciente de ses problèmes et de ses inégalités. Elle nous l’a rappelé en terminant son concert en force avec El Derecho de Nacimiento, une chanson écrite en 2012 en appui à un mouvement étudiant pour plus de justice sociale. 

Natalia Lafourcade est entière et intégrale. Un concentré d’âme! Et le public lui a bien rendu. 

La suite ce soir pour un second concert.

crédit photo: Émanuel Novak-Bélanger

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expérimental / contemporain / grindcore / jazz / Métal

FIJM | Clown Core : le théâtre des extrêmes, entre Grippe-Sou et Krusty

par Frédéric Cardin

Clown Core est un duo de musiciens anonymes, portant des masques de clowns et qui a atteint depuis 2010 le statut de culte. Malgré seulement trois albums, dont le plus long fait 17 minutes, les vidéos homemade totalement truculentes (dans une toilette chimique, dans une van, etc.) et surtout le mélanges des genres qui s’entrechoquent violemment ont rendu Clown Core célèbres dans une frange de l’underground. 

Les deux gars (on suppose) du Nevada ont enflammé le M Telus hier soir. Comment décrire le produit CC? Niveau musical, on passe du grindcore infernal additionné de free jazz à la muzak cheapo, du growling profond à la ritournelle post-polka enfantine, sans aucune transition et dans des envolées qui ne durent pas plus de quelques dizaines de secondes, pour les plus étendues. On dirait des héritiers spirituels de Mr. Bungle, moins intellos. Tout cela avec un saxophone, une batterie, et de l’électro.

Mais un show Clown Core, c’est bien plus. Le visuel et la mise en scène tiennent de l’art trash-absurdiste, façon happening. Un écran géant projette des images à une vitesse époustouflante, de l’épique cosmique au morphing de parties génitales et de porn 3e âge en passant par des écoeuranteries organiques ou de bouffe malsaine. Quelques pauses dynamiques nous emmènent dans une banlieue états-unienne, ou dans des récifs numériques de morceaux de steak sur une mer étrange. 

La crowde, essentiellement issue du métal, était ravie, bien que parfois impatiente devant l’intro très lente qui a mené, finalement, au show en tant que tel. Clown Core est un peu provoc’, voyez-vous. Exemple : pendant une vingtaine de minutes avant leur entrée (elle-même introduite par de longues minutes de rien pantoute sur fond d’images astronomiques de planètes), un type masqué (qu’on voit dans leurs vidéos) s’asseoit devant le public, fume une clope et écoute des tounes planantes sur son téléphone….

Cela dit, l’attente a été récompensée par une prestation qui défonce autant les tympans que les conventions. Le public a crié très fort (de joie). Le band montréalais Karneesh a chauffé adéquatement la salle auparavant, mais c’est surtout une photo de quatre mignons chatons blancs-roux qui a excité tout le monde avant l’arrivée des clowns (une erreur de bonne foi, ou stratégique?). Tellement que quand on l’a enlevée, tout le monde a voulu la ravoir et s’est mis à crier ‘’Les chats, les chats, les chats’’! Qui a dit que le cœur des métalleux était dur comme l’acier? 

Clown Core est inclassable et surtout mémorable. N’y amenez jamais votre grand-mère, sauf si c’est la plus cool de l’Histoire. 

jazz contemporain / jazz moderne

FIJM | Wynton & JLCO : quelque chose d’une cérémonie d’ouverture

par Harry Skinner

Le Festival de jazz de Montréal débutant officiellement le 26 juin, la prestation du 25 juin du Jazz at Lincoln Center Orchestra (JLCO) pourrait être considérée comme une sorte de cérémonie d’ouverture. C’est tout à fait approprié, compte tenu de la stature d’ambassadeur que Wynton Marsalis et ses collègues ont acquise au fil des ans.

Dès le début du programme, il était clair que le répertoire avait été choisi délibérément pour faire allusion au climat politique actuel aux États-Unis – l’orchestre a commencé par trois œuvres notables de la musique de protestation noire : Black Codes from the Underground de Marsalis, Fables of Faubus de Charles Mingus et Alabama de John Coltrane. Cette dernière a été bien servie par un arrangement quelque peu minimaliste qui a laissé beaucoup de place à l’interprétation de la mélodie de Coltrane par le saxophoniste baryton Paul Nedzela. Les doux accords en sourdine joués par le reste de la section de cuivres ont contribué à créer un paysage sonore magnifique et obsédant. Le message politique le plus direct est cependant apparu pendant Fables of Faubus. Les trombonistes Chris Crenshaw et Vincent Gardner ont chanté les paroles originales de Mingus, qui critiquent explicitement les nazis, le fascisme et le KKK – un sentiment poignant compte tenu de la montée actuelle de l’extrémisme de droite aux États-Unis et dans le monde entier.

Le groupe a ensuite présenté des compositions de plusieurs de ses membres : Carlos Enriquez, Chris Crenshaw, Elliot Mason et Vincent Gardner, avec en point d’orgue Bearden (The Block) de Crenshaw. Cette pièce influencée par le gospel passe par plusieurs grooves contrastés, tout en restant ancrée dans un langage harmonique cohérent. Il comporte l’un des moments forts du concert – un solo de saxophone ténor de Chris Lewis, de bon goût mais discret – et se termine par une section vocale d’appel et de réponse où l’ensemble s’adoucit progressivement, d’une manière qui rappelle la fin d’un disque en fondu enchaîné.

En fin de set, l’interprétation de March Past, le septième mouvement de la Canadiana Suite d’Oscar Peterson, arrangée par Vincent Gardner, a été chaleureusement accueillie.

Cette année étant celle de son centenaire, le public montréalais était particulièrement enthousiaste à l’idée de montrer son appréciation d’une telle légende locale, et cette énergie s’est retrouvée dans la performance. Le groupe a ensuite conclu son set avec une pièce originale de Gardner, intitulée Up From Down. Marsalis n’avait que peu de mots à dire sur ce morceau, se contentant de déclarer : « Il s’agit de l’époque actuelle ». Le morceau présente de nombreuses harmonies dissonantes et des rythmes discordants qui se chevauchent, avec de brefs moments de légèreté dans la résolution, ce qui pourrait être considéré comme une illustration de la pratique consistant à trouver de la joie dans les moments difficiles.

Le Jazz at Lincoln Center fait souvent l’objet de débats sur l’opposition entre l’ancien et le nouveau dans le domaine du jazz, et il est souvent considéré comme un défenseur de la tradition – un commentaire souvent formulé à l’encontre de Marsalis lui-même. S’il y a du vrai dans ce sentiment, il semble que ce soit une perspective étroite, car l’ensemble apporte constamment de nouvelles idées lorsqu’il joue la musique des grands noms du jazz disparus. Leurs interprétations de Mingus, Coltrane et Peterson ne donnent pas l’impression d’être exposées dans un musée ; elles sont remplies d’idées et d’interprétations contemporaines. Cela se voit dans la composition du groupe, où plusieurs jeunes musiciens se mêlent harmonieusement aux membres plus expérimentés, soulignant l’importance de garder un pied dans le passé et un autre dans l’avenir.

expérimental / groove / hip-hop / soul/R&B

SUONI | Kalmunity : grooves curatifs et manières dissidentes

par Z Neto Vinheiras

Actif depuis 2003, le plus ancien et le plus grand collectif d’improvisation au Canada, Kalmunity, nous présente STARS SHINE DARLKY – une nuit entière de mots puissants, de mots d’amour et de rugissements rageurs, de grooves curatifs et de manières dissidentes. L’âme du projet, Jahsun, a organisé une soirée spéciale de solos, duos et trios de musiciens, poètes et créatifs pour se réunir et improviser toute la nuit. Une nuit qui a ressemblé à cette communauté, une nuit qui a fait écho à la gratitude et à la résistance.

Dans un monde où les « dirigeants » et les gouvernements ne cessent de nous décevoir, où les génocides sont diffusés en direct, où le racisme et les déportations fissurent la terre, séparent et traumatisent les familles, la poétesse D-na nous rappelle l’ancienneté de cette blessure collective – « Avez-vous fini maintenant ? », demande-t-elle à plusieurs reprises, accompagnée par le saxophone tourbillonnant d’Aaron Leaney, tandis que Stella Adjokê nous rappelle le pouvoir de la poésie, confessant pourquoi elle a décidé de devenir poète – « la poésie est un moyen d’expliquer viscéralement l’explosion », – suivi d’un poème curatif en forme de prêche sur l’amour et la peur, au son des saxophones d’Aaron Leaney et d’Eric Hove.

Le pianiste loquace Zach Frampton et le poète et improvisateur inspiré et inspirant Zibz BlacKurrent ont fait claquer le piano et les mots dans une conversation sur la nostalgie, la gratitude, qui vous êtes et où vous allez, – BlacKurrent ne nous laisse pas partir sans exiger de « arrêtez tout ça à Gaza, au Soudan et au Congo ».

Jahsun et Fred Bazil s’unissent pour un set explosif, avec une batterie bien ancrée mais parfois frénétique et un saxophone rugissant ; Engone Endong nous embarque dans le voyage riche et savoureux de la texture, de l’échantillonnage et du design sonore et Jason « Blackbird » Selman partage avec nous ses sentiments d’homme caribéen, ainsi que son poème « 8 things that make a black man cry », un échange très sincère accompagné par les lignes de basse les plus groovy du légendaire Mark Alan Haynes.

Plus près de la fin, mais pas tout à fait, Skin Tone, Jairus Sharif et Mustafa Rafiq se retrouvent non seulement dans un voyage musical, mais aussi spirituel, avec toutes ses belles rencontres et ses virages tortueux, où le bruit fusionne avec le drone, le free jazz et l’électronique – les sons de l’espoir, de la liberté et de la vision.

Pour le troisième et dernier set, la bassiste autodidacte bruxelloise Farida Amadou, qui a joué en solo sur la même scène le lendemain, rejoint Jahsun et Engone Endong dans une performance débridée, jusqu’au groupe emblématique Dark Maatr’ et un dernier moment d’improvisation qui laisse Casa inondée d’ondes sonores électrisantes et d’une énergie sacrée.

L’improvisation n’est pas seulement un moment de jeu, mais un espace intentionnel et plutôt émotionnel, intime, propice à la communauté, à l’alimentation et aux soins ; à la remise en question des structures et des systèmes, et pas seulement musicaux ; à l’écoute, au don et à la prise d’espace, à la libération de soi et d’autrui – Kalmunity est le projet qui fait sonner à l’unisson le très musical et le très politique sur la scène et en dehors ; qui transforme la réalité de la vie et de la lutte en espoir, en célébration, en amour, en gratitude et en résistance.

avant-garde / expérimental / contemporain / free jazz / musique contemporaine

Suoni | Farida Amadou ++ : apothéose de l’in’’ouïe’’

par Frédéric Cardin

Je ne suis pas allé à tous les concerts de ce Suoni 2025 (il me faudrait posséder le don d’ubiquité pour ça), mais ma menue expérience de shows de toutes sortes me permet d’affirmer que la soirée d’hier était probablement l’une des plus mémorables de cette édition du festival de musiques d’avant-garde et expérimentales. 

Étaient présents (et pas à peu près) sur scène : le duo albertain de Jairus Sharif et Mustafa Rafiq, le quartette montréalais Egyptian Cotton Arkestra et la bassiste bruxelloise Farida Amadou. L’intensité, ou plutôt les intensités musicales offertes ont dessiné un large sourire sur les mélomanes de la Casa del popolo (nombreux). 

Jairus Sharif et Mustafa Rafiq Suoni 2025 cr.: Pierre Langlois

Sharif et Rafiq (saxo et guitare + modulations électroniques) ont amorcé la soirée avec leurs vagues d’abstraction moléculaires, s’amplifiant vers une marée de saturation timbrale enveloppante. Ont suivi les quatre membres du Egyptian Cotton Arkestra (James Goddard, saxophone, Lucas Huang, percussion, Markus Lake, basse, et Ari Swan, violon) et leurs constructions lentes mais irrémédiables, et surtout irrésistiblement excitantes, façon gros build-up qui part de presque rien pour atteindre un déchaînement de puissance free. Ce groupe est au jazz ce que Godspeed est au rock. 

Farida Amadou, seule avec sa basse, ne s’en est pas laissé imposer. La dame extrait une remarquable force de frappe sonore de son instrument, qu’elle joue de façon totalement originale, souvent comme un instrument de percussion (posé à plat sur ses genoux, et frappé de toutes les manières et avec toutes sortes de baguettes). Ses architectures sonores, sculptées avec soin, sont faites de saturation et de drones rythmiques à travers lesquels se faufilent quelques motifs thématiques. Du bruitisme pulsatif inspirant et addictif!

ÉCOUTEZ L’ALBUM WHEN IT RAINS IT POURS DE FARIDA AMADOU, SUR BANDCAMP

Et puis, comme un gros bonus pour le public attentif et participatif, Jairus, Mustafa et les quatre acolytes de l’Egyptian Cotton Arkestra sont venu rejoindre Farida et ont jammé ensemble deux décharges d’adrénaline jouissives, véritables tsunamis sonores de liberté et d’incandescence créative. On en aurait pris une autre heure, facile. On se permettrait même de suggérer à Jairus, Mustafa et Farida de s’installer à Montréal juste pour les réentendre régulièrement nous offrir ce genre de catharsis holistique et libératrice. C’est vache pour l’Alberta et pour Bruxelles, mais quand c’est bon comme ça, on est justifié d’être égoïste. 

Encore! Encore!

avant-garde / expérimental / contemporain / post-minimaliste

Suoni | Bozzini + Sarah Hennies : chocs et contrastes dans le post-minimalisme

par Frédéric Cardin

Sarah Hennies est une percussionniste et compositrice états-unienne qui enseigne actuellement au Bard College dans l’État de New York. Suoni per il popolo l’accueillait hier soir dans une proposition en deux temps fortement marqués par des post-minimalismes contrastés. 

En première partie, elle était accompagnée de son collègue Tristan Kasten-Krause à la contrebasse, dans une pièce au déroulement lent et à la construction en arche dynamique. Des drones exécutés par frottement, tant à la contrebasse qu’au vibraphone (Hennies frotte les touches de l’instrument avec l’archet) amorcent la pièce, laquelle est perturbée éventuellement par l’utilisation d’objets tels une barre de métal, des cloches à vache et autres instruments résonnants. Puis retour aux frottements dans l’extrême-aigu, plongeant la Sala Rossa dans un bain d’acouphène intense. Si minou et pitou avaient été là, ils auraient fait une crise d’épilepsie. Cela dit, j’ai bien aimé cette proposition, sorte d’étude de timbres autant fusionnels que entrechoqués. 

En deuxième partie, Hennies a laissé toute la place au Quatuor Bozzini, qui a interprété sa partition Borrowed Light, dont c’était la création canadienne. Une œuvre substantielle et exigeante d’une durée d’une heure, où une concentration soutenue est nécessaire afin de saisir les subtilités des transformations opérées dans des motifs inlassablement répétés. 

La première moitié m’a semblé manquer de souffle et de propos discursif. De séduction aussi. J’en aurais coupé une bonne partie. Dans ce genre, Morton Feldman fait mieux, et surtout de façon plus poétique. J’allais déclarer forfait quand la deuxième demie heure a pris de l’élan, et son développement s’est fait plus intéressant, avec des constructions architecturales plus dynamiques, soutenant mieux l’attention. Une amie présente sur les lieux, habituée de l’avant-garde et possédant des oreilles aguerries, a pensé le contraire : la première moitié lui a plus, la deuxième beaucoup moins. Je n’ai bien entendu aucune prétention à la vérité. 

Au final, une soirée de musique de qualité et suscitant des plaisirs mitigés, mais néanmoins d’une qualité impressionnante. 

classique occidental

Festival de musique de chambre de Montréal | C’était un joli concert…

par Frédéric Cardin

L’avant dernier concert du Festival de musique de chambre de Montréal, samedi dernier, soulignait deux journées associées au 21 juin : le 40e anniversaire de l’Ordre national du Québec et la Journée nationale des Peuples autochtones. Après une bénédiction du leader spirituel Kevin Deer, le thème ‘’officiel’’ de l’Ordre, une miniature neo-romantique composée par Steve Barakatt, a été jouée par un quatuor à cordes, ce qui a été suivi de quelques airs chantés par Elisabeth S-t-Gelais, en grande forme. Deux mélodies de Ian Cusson, compositeur d’origine Métis, baignaient dans une écriture post-mélodie française, et ont été logiquement suivies par deux exemples (mélodiquement supérieurs) de Cécile Chaminade, Villanelle et Infini, que la soprano innue a d’ailleurs enregistrées sur son album paru l’an dernier (un bijou, dont vous pouvez LIRE LA CRITIQUE ici). Une courte pièce pour violon et piano de Andrew Balfour enchaînait (Karakett Nitotem) avant de passer au répertoire ‘’classique’’ de la soirée : la Sonate pour violon et piano en sol mineur, L. 140 de Debussy et la Sérénade pour cordes de Dvorak. La violoniste mohawk Tara-Louise Montour a offert une prestation caractérisée du Debussy, et les cordes du Festival ont joué le Dvorak avec élan. 

C’était un joli concert, même si la cohérence du programme laissait dubitatif. Votre humble serviteur a eu l’impression qu’on avait ‘’collé de l’autochtone’’ artificiellement, comme pour cocher l’élément sur une ‘’to-do list’’. Mais ce concert baignait surtout dans un sentiment de tristesse infinie car le public de la salle Bourgie était famélique, et je pèse le mot. Environ 50 personnes étaient présentes (et combien d’entre elles avaient reçu des entrées gratuites?). Bourgie peut en accueillir 450. C’est 10% de la salle. 10%. Je me suis renseigné : la saison 2025 a été ‘’difficile’’, question fréquentation. Pas autant que ce 10%, qui était la pire performance, mais des moyennes autour de 50%, ce qui est décevant. Le concert final du lendemain à la Maison symphonique a fait mieux, le violoniste Kerson Leong exerçant son fort tirant bien sûr, mais dans une jauge particulière et réduite (public sur scène et dans les gradins arrière). 

Que se passe-t-il avec le Festival de musique de chambre de Montréal? Mise en marché? Marque de commerce de l’événement? Personnalité? Programmation? Si l’on compare avec le Festival Montréal Baroque, qui se déroulait (et se terminait, car beaucoup plus court) le même week-end, la différence est frappante : ce dernier donne une impression de dynamisme, de jeunesse et d’incarnation dans la communauté. Plusieurs concerts font salle comble (mais dans des salles plus petites, certes), la plupart sont remplis à des niveaux appréciables (LISEZ MES CRITIQUES DE DEUX CONCERT DE MONTRÉAL BAROQUE ICI et ICI). L’un a de l’énergie, l’autre semble en panne. 

Bref, un travail de réflexion s’impose pour assurer l’avenir du Festival de musique de chambre. Une ville comme Montréal ne peut pas ne pas avoir un événement d’envergure et rassembleur lié à cette musique, ce serait une honte. Or en ce moment, on se demande combien de temps cela pourra durer. 

baroque

Montréal Baroque 2025 | 4 saisons : bienvenue au 21e siècle et dans la crise climatique, M. Vivaldi

par Frédéric Cardin

Des quatre saisons de Vivaldi, il semble que l’on puisse tirer toutes sortes de concepts expressifs et de symboliques contemporaines. C’est en vérité la marque d’un chef-d’œuvre bien vivant que tant d’artistes y puisent des signifiances multiples, n’en déplaise aux puristes constipés. 

Le concert final du Festival Montréal Baroque 2025 présentait une version accrochée à notre modernité climatique des fameuses Quatre saisons. Sur scène, en plus de l’ensemble Pallade Musica, des personnages évoquant la Nature et des humains qui la salissent. Entre chacune des saisons, une composition de Mathias Maute rappelant les thèmes de celle-ci, mais triturés afin de souligner le dérèglement de la nature. Les quatre partitions pour flûte à bec solo, souvent d’une redoutable virtuosité, ont été impeccablement rendues par Vincent Lauzer. 

La chorégraphie/mise en scène a eu la bonne idée de ne pas abuser de la présence des personnages. En effet, le problème que je constate parfois dans les ‘’collages’’ de chorégraphies sur de la musique classique existante, c’est l’insuffisance d’idées pour accompagner sans arrêt la musique. Ici, les apparitions étaient occasionnelles, bien que nombreuses, laissant suffisamment de pauses pour revenir à la musique seule. Le personnage de Dame Nature était continuellement présent, mais souvent en retrait, comme un observateur. Bref, l’équilibre était réussi. 

Côté musique, soulignons le jeu rugueux, voire violent, de Pallade Musica, qui a construit des Saisons caractérisées par une rare intensité émotionnelle et physique, déviant souvent du principe du ‘’beau son’’ pour aller au bout de sa vision incendiaire. Sur certaines notes, la justesse était parfois escamotée, ce qui ne devrait pas être sous-estimé ou négligé (à corriger, donc), mais au-delà de ce détail, nous avons eu droit à une vision post-punk 21e siècle, et une démarche qui, en vérité, ne détonne absolument pas avec la Crise climatique en cours.

Évidemment, ce genre d’attitude peut déplaire souverainement à des professeurs-du-bon-goût autoproclamés, du genre de ceux qui officient dans un quotidien montréalais bien connu. C’était à prévoir. Une critique récente du personnage en question fait la comparaison avec les mêmes Quatre saisons présentées par le festival de musique de chambre de Montréal à la Maison symphonique, avec le génial Kerson Leong en tant que soliste (lien vers l’article en bas de page). Inutile de mettre les deux versions dos à dos : leur nature est totalement différente. 

En effet, Leong est souverain en tant que soliste, et ce tout du long (chez Pallade Musica, un.e soliste différent.e était à l’œuvre pour chaque saison). C’est l’un des plus éclatants violonistes de sa génération. Lui et son ensemble ont effectivement construit un édifice lumineux et parfaitement équilibré, tonalement idéal et techniquement sans accroc. Des saisons pures et inspirantes. 

Mais l’argument, sous-entendu, de ce critique bien connu est que c’est l’unique façon de concevoir ce chef-d’œuvre. Encore une fois, je souligne la médiocrité argumentaire manifestée par monsieur, comme je l’avais déjà fait précédemment sur un autre sujet (LISEZ L’ÉDITORIAL La diversité n’est pas un punching-bag). 

Un chef-d’œuvre qui ne pourrait stimuler diverses interprétations, et justement les plus extrêmes, serait condamné à l’empoussiérage. Libre à chacun d’apprécier ou pas, bien sûr, mais l’insinuation qu’une façon de faire est justifiée et l’autre pas est ridicule. 

En fin de compte, ces Quatre saisons de la Crise climatique offrent un commentaire original et particulier du monument vivaldien, troquant ‘’perfection plastique’’ pour incarnation symbolique provocante et mémorable. 

Lien vers l’article mentionné plus haut:

https://www.ledevoir.com/culture/musique/894091/critique-concert-deux-fois-quatre-saisons-cloture-festivals

baroque

Montréal Baroque 2025 | Zarzuela, mon amour

par Frédéric Cardin

C’est la toute première fois que j’assistais à un concert dans l’atrium des Grands Ballets canadiens. En m’y installant, un doute m’a assailli : du béton, un mur de brique, quelle sorte d’acoustique allait-il en résulter? Eh bien, comme un petit miracle exaltant, le résultat a été emballant. Une acoustique parfaite pour des instruments peu résonants tels un clavecin et des cordes en boyaux, mais surtout pour des voix, ici une soprano et une mezzo. 

C’est l’ensemble espagnol Harmonia del Parnàs, en format réduit à deux violons et un violoncelle baroques, et un clavecin, qui a offert un programme consacré à l’art lyrique ancien de la péninsule ibérique. Au menu, donc, des extraits de zarzuelas (des opérettes espagnoles), d’opéras et de cantates de compositeurs aussi peu connus, mais méritoires tellement ils savaient manier la mélodie accrocheuse et les rythmes enlevants, que de Castro, Corradini, Duron, de Nebra, Hernández y Llana et Castel. Rien à envier à Vivaldi, Corelli ou Handel ces messieurs. 

Ç’aurait déjà été un moment agréable même avec un jeu musical correct. Mais c’était heureusement bien plus que cela. Une leçon de précision, d’énergie participative et de qualité tonale a été offerte par les Espagnols (et Argentins, a-t-on précisé), qui ont soutenu des performances vocales hors norme de la soprano Ruth Rosique et de la mezzo Marta Infante. Celles-ci, manifestement, se délectaient de ce répertoire parfois pétillant, parfois trempé dans une mélancolie poignante. Des incarnations engagées, voire truculentes, des personnages évoqués (femme jalouse, amante éplorée, etc.) ont complété une expérience qui restera imprimée dans la mémoire des spectateurs présents. 

Ne reste plus qu’à espérer que ces chanteuses et cet ensemble instrumental reviennent très bientôt. 

Ruth Rosique, soprano

Marta Infante, mezzo-soprano

Hiro Kurosaki et Lucía Luque, violons baroques

Hermann Schreiner, violoncelle baroque

Marian Rosa Montagut, clavecin et direction

expérimental / contemporain

Suoni | Impro contemporaine, découverte latino-américaine

par Alain Brunet

En plat de résistance en cette soirée dominicale des Suoni, soit un 22 juin 2025, le clarinettiste, compositeur et improvisateur François Houle ramenait une pièce substantielle de son ouest adoptif (Colombie Britannique) : The Secret Lives of Color est une suite inspirée de l’autrice Kassia St.Clair au sujet de la couleur.

Les liens avec la musique y sont ici explorés, et l’équipe de recherche ne compte que des musiciens de grande réputation,du Canada, de France et des USA :  Gordon Grdina (oud), Myra Melford (piano), Joëlle Léandre (contrebasse) et Gerry Hemingway (batterie). On y observe un très bel équilibre entre la délicatesse des cordes (oud et contrebasse), les subtilités pianistiques et le jeu très libre des percussions, sans compter évidemment du jeu impressionniste de François Houle dans ce contexte.

Avant quoi un tandem féminin nous a suggéré un dialogue riche et soutenu entre piano et trompette. La pianiste manitobaine Marilyn Lerner est une incontournable du jazz canadien et on peut désormais en dire tout autant de la trompettiste Nicole Rampersaud, ces musiciennes d’expérience maîtrisent parfaitement les codes les plus récents de l’improvisation à la fois libre et structurée à travers un lexique des plus élaborés.

De Melbourne, Australie, le quatuor Open Thread regroupait précédemment la violoncelliste canadienne Peggy Lee, le saxophoniste Julien Wilson, le guitariste Theo Carbo et le batteur Dylan van der Schyff ont offert un set très jazz de chambre. Les rythmes y furent solidement exécutés, on était dans le binaire-ternaire et dans les mesures composées. La guitare était plus contemporaine que jazz moderne le suggère et jouait un rôle de coloriste dans ce contexte, alors que les thèmes était souvent servis en tandem saxo-violoncelle, unisson ou contrepoint, improvisations tonales, atonales ou finement bruitistes, pour constituer un tout cohésif.

En fin de soirée, il fallait descendre au sous-sol de l’édifice, soit la Soterrenea où se produisait le tandem Mestizx, constitué de la chanteuse et multi-instrumentiste bolivienne Guardia Ferragutti et le batteur Frank Rosaly. Renforcés par des musiciens locaux (basse, trompette, électronique), Mestizx infuse dans sa théière des racines latines et autochtones (Bolivie, Brésil, Puerto-Rico) dans un folk-jazz-rock-latino-expérimental pas piqué des vers. Il faudra désormais suivre la trajectoire de ces artistes des plus créatifs. Vraie découverte!

Chanson francophone / pop

Francos | La candeur et la gentillesse d’Aliocha Schneider

par Marilyn Bouchard

Pour le dernier soir des Francos, le MTelus était plein à craquer pour accueillir la coqueluche franco-québécoise Aliocha Schneider. 

Sous un tonnerre d’applaudissements et de cris, il a souri, un peu timide de l’accueil si chaleureux, et qui a offert sa première chanson seul à la guitare sèche. Il a ensuite parcouru habilement son répertoire, passant par les incontournables telles que Ensemble, Feu de paille, Avant elle, Paradis et L’océan des amoureux, avec candeur et gentillesse, ponctuant le spectacle de petites anecdotes montréalaises et de courtes blagues qui étaient toujours à propos. 

Un concert charmant,  intime, sans prétention, dont l’artiste a su mettre en lumière sa simplicité et sa sensibilité tout en nous entraînant dans un univers musical à son image : rempli de douceur.

Billie du Page avait amorcé la soirée en présentant énergiquement avec ses musiciens un pot-pourri des chansons de son premier EP, mêlées à quelques nouveautés surprises, dont Not Your Princess, Et si et Sorry, sur fond d’une projection de son nom qui fonctionnait malheureusement la moitié du temps.  Cette première partie a su dégourdir efficacement l’assistance pour l’arrivée d’Aliocha Schneider.

Une finale en salle des Francos 2025 qui valait le détour!

Photo: Émanuel Novak-Bélanger

Hip Hop / rap / rap français

Francos | Retour dans le temps avec Saïan Supa Celebration

par Sandra Gasana

Même si la fête de la musique n’est pas officiellement célébrée le 21 juin à Montréal, comme c’est le cas en France, Saïan Supa Celebration tombait à point pour l’occasion. Alors qu’ils n’étaient pas au complet, deux des membres du collectif s’étant retirés, ils ont tout de même réussi à recréer l’atmosphère festive à laquelle ils nous avaient habitué il y a 20 ans.

Un batteur et un clavier, c’est tout ce dont ils avaient besoin en termes de musiciens, puisque le reste se faisait à travers le chant, le rap et le beat box. Des enregistrements de voix se faisaient entendre par moments, comme au tout début du concert, mais il n’en a pas fallu plus pour que la foule se mette à hurler. Ils débutent avec « Raz de marée », un de leurs plus gros succès qui figure dans leur premier album KLR paru en 1999, classique du rap français.

Leur énergie sur scène n’a pas changé, certains ont pris un petit coup de vieux, alors que d’autres se sont maintenus bien en forme. D’ailleurs, ils ont voulu voir si leurs fans étaient tout aussi en forme en les faisant danser, mais surtout en leur demandant de se baisser et se relever sur un de leurs morceaux. La moyenne d’âge dans la salle tournait autour de 45-50 ans mais j’étais surprise de voir autant de jeunes dans la vingtaine et trentaine.

De petites chorégraphies, du breakdance, des pas de danse saccadés, et une maitrise totale de la scène. Avec quatre membres, ce n’est pas toujours évident de trouver sa place et de l’occuper sans que ça fasse trop chaotique. Parfois, l’un d’eux était seul sur scène, puis en duo, puis en trio pour revenir au complet. Bref, on a eu droit à tous les scénarios possibles, mais à chaque fois, la complicité entre les artistes était palpable, notamment dans « Soldat », lorsque l’un chante, l’autre poursuit avec du rap.

Ils ont lancé un défi à la foule afin de « voir si on a de la voix à Montréal », pari relevé avec brio. Ils s’amusent sur scène, se taquinent, interagissent avec humour mais c’est clairement Sly Johnson qui a volé la vedette ce soir-là. Avec sa voix soul qui donne des frissons, il a fait une courte reprise de Sexual Healing de Marvin Gaye, ce qui n’a laissé personne indifférent. Il maitrise également l’art du beatboxing, utilise l’humour sur scène.

Bien évidemment, ils n’ont pas joué que leurs hits, mais on a eu la chance de découvrir des morceaux moins connus, en plus d’un morceau inédit « Étranger » qu’ils ont voulu tester sur le public montréalais. Nous avons même eu droit à un dialogue entre beat box et batterie, une pépite de la soirée alors que sur « À demi-nue », de l’album x raisons, ils ont reçu un très bel accueil du public.

Il a fallu attendre le rappel pour entendre LA chanson que j’attendais toute la soirée : « Angela », et qui a rendu ce groupe légendaire. Pourquoi a-t-on remplacé Crew par Celebration ? C’est d’ailleurs une question qu’on aurait aimé poser au groupe mais la demande d’entrevue n’a pas donné suite. Une prochaine fois peut-être ? D’ici là, on se contentera de se replonger dans nos années de jeunesse en se faisant un retour dans le temps en musique.

Crédit photo: Frédérique Ménard-Aubin

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