Fontaines D.C. delivered the goods, but we wanted more desire

par Ann Pill

Fontaines D.C. did exactly what they needed to satisfy their sold-out MTelus show, no more maybe slightly less. Since the release of their fourth album, Romance, the Irish post-punk band has absolutely exploded. Between blowing up on TikTok, opening for Arctic Monkeys, releasing their most sonically cohesive album to date, and a ringing endorsement from none other than Elton John, I and most of the 2,300 people were crammed into the venue long before the opener started. 

The night started with the New York band Been Stellar. Their atmospheric, early ’90s Smashing Pumpkins-esque sound made perfect sense to gear the crowd up for a very Romance-heavy set. Though they looked like recent winners of their high school’s battle of the bands (I have since learned they are older than I am), they played a tight and beautiful set. The crowd was an absolute sea of teenagers. And as annoying as it was to witness them try to inorganically force a mosh, it is beautiful to watch teenagers absolutely shit their pants over something. And at 9:01 when Fontaines D.C. emerged, that’s exactly what they did. 

Been Stellar

Now, don’t get me wrong—our Irish rock saviours, Fontaines D.C., played well. It was incredible to watch some of the more orchestral songs from Romance replicated perfectly live, and it was so fun to see Dogrel songs I’ve been listening to for five years. But there was certainly something missing. I was so ready to freak out to the punchy and powerful songs from their early albums and weep to beautiful melodic songs from Skinty Fia and Romance, but they lacked the energy to deliver what I was hoping for. 

Fontaines D.C. consists of Conor Curley, Conor Deegan III, Tom Coll Carlos O’Connell, and Grian Chatten. But they also tour with Cathal Mac Gabhann and Chilli Jesson. Even with seven people on stage, it really was all about the frontman Grian. He came out in sunglasses, a hat, and a coat and hardly even looked at the crowd let alone speak to them. One of the following things was happening: either he was doing a whole “rockstar” act where he was pretending he didn’t really care, he genuinely hates his newfound teenage fanbase, or they’re tired. Or considering how different this album is from the previous three, they’re just trying something new they aren’t as good at yet.

Whatever the reason, the set lacked connection and character. The strength of Fontaines D.C. is the band’s simple but powerful sound with the poetry of Grian’s lyricism. But very little of that translated to me at the show. People weren’t really dancing, though they did know all the words, and there was never a threat to my glasses. 

Fontaines D.C.

At one point, Grian stood with his arms outstretched in a way that said “I know you love me.” And I’ll take it a step further to say it meant he knew people would devour whatever they did on stage so they didn’t have to try that hard. It does feel rich for me to complain about them not putting on more of a show. Like when your boss is mad that you did the task you were assigned but weren’t happy while doing it. But here I am begging for any evidence that they wanted to be there. 

Fontaines D.C.

From a technical standpoint, seven people switched instruments in nearly every song on stage. It sounded good but there were points where the sound person just couldn’t keep up with the literal musical chairs and things got a little wobbly. And other than the ever-present lights, which I can now call “brat green,” there was very little visual interest on stage. 

It’s not all their fault. I was standing between a kid who learned “I love you” in sign language that day and a Gen X woman trying to film the show with her flash on. But it certainly didn’t help.

I’m sure Fontaines D.C. will catapult even further into superstardom, and they deserve it. I just hope the next time I see them they have the charisma and stage presence their music warrants. 

Photos by Julia Mela

baroque / classique

Arion Orchestre Baroque et SMAM | Et la royauté fut comblée !

par Alexis Desrosiers-Michaud

L’orchestre baroque Arion et le Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM) unissaient leurs forces samedi soir à la Maison Symphonique pour le lancement de leur saison respective. Pour l’occasion, un programme dédié aux œuvres composées pour différents souverains britanniques de l’époque. Soulignons que 2024-2025 marque la 50e saison du SMAM. 

Afin d’être équitable, les deux chefs respectifs dirigeront chacun une moitié de concert et c’est Andrew McAnerney (SMAM) qui s’occupe de la première partie. Malheureusement, le Zadok the Priest de George Frideric Handel qui ouvre le concert manque de direction. Les 22 mesures qui précèdent l’entrée du chœur doivent être interminables de par leur lente progression harmonique, au point que ladite entrée se présente comme une véritable révélation. Or, il y a peu de mouvement et le chœur, malgré une bonne puissance, ne réussit pas à combler le manque. God save the King (à ne pas confondre avec l’hymne national du même nom) est la meilleure partie de cette pièce, grâce à l’agilité démontrée par les choristes dans leurs vocalises, réalisés dans une vitesse rapide. 

Ensuite vint deux anthems a capella, dans lequel il a été possible d’admirer les prouesses vocales des choristes. D’abord, dans O Lord, may Thy servant Elizabeth our Queen de William Byrd, la justesse fait frissonner et par la douceur de leur timbre alors que dans le magnifique O Lord, grant the King a long life de Thomas Weelkes, la direction appliquée à chaque longue note permet aux sept voix de se faire entendre aisément et de dicter le phrasé. 

Il incombe aux directeurs musicaux de nos institutions de décider quelles œuvres s’accrocheront aux fleurons du répertoire pour compléter un programme. Parfois, il appert que l’on subisse une œuvre peu intéressante, manifestement placée pour « faire du temps ». Mais heureusement, et ce fut le cas ce soir, on a droit à une découverte totale d’un bijou que l’on se dit qu’il faudrait revoir en présentiel au moins une autre fois dans sa vie. Les trois anthems pour le couronnement de George III de William Boyce font maintenant partie de cette liste. Le premier anthem est vif, la partie lente pleine de douceur et la fin flamboyante et se termine avec un super beau retard dans la cadence. Le deuxième est sublime, avec comme seul accompagnement le continuo, laissant toute la place au chœur. Me souviens plus du 3e.

L’anthem qui termine la première partie tombe à plat, malheureusement. Dans My Heart is inditing de Handel, la direction de McAnerney est discrète et manque un peu d’énergie. Il dirige surtout le chœur, qui répond avec beaucoup d’aplomb, mais laisse trop souvent l’orchestre à lui seul. 

Au retour de l’entracte, c’est Mathieu Lussier qui prend la direction dans Music for the Royal Fireworks du même Handel. Sa direction est beaucoup plus engagée et démontre bien les articulations voulues. Dans l’ouverture, les cuivres mènent le bal avec des crescendos francs. On lève notre chapeau aux hautbois et bassons dans la bourrée et le premier menuet pour leur légèreté et l’équilibre sonore.

Dans les deux derniers anthems, Lussier dirige les deux ensembles comme un seul. On remarque les mêmes articulations chez les musiciens et les choristes, plus que dans la première partie. Par exemple, dans Let justice and judgment, deuxième extrait du Let thy hand be strengthened, on sent tout le poids qui est mis sur chaque premier temps de chaque mesure, tant dans l’introduction que dans chaque entrée du chœur. 

En guise de rappel, les chefs McAnerney et Lussier ont offert le célébrissime Hallelujah du Messiah, invitant le public à chanter avec les artistes. Le rapport avec la royauté ? La petite histoire raconte que c’est directement en lien avec la tradition que le public se lève à dans les représentations du Messiah. Lors de la première londonienne, le roi George II se serait levé à ce moment précis lorsqu’il entendit les paroles répétées « King of kings, and Lord of lords ». 

Et quand le roi se lève, tout le monde se lève.

baroque / chant lyrique

Les Violons du Roy | Émotions et plaisir avec une voix tranchante pour Bach

par Alexandre Villemaire

Le public a remplit la salle Bourgie le vendredi 11 octobre pour venir assister au concert des Violons du Roy, le premier de la saison 2024-2025 de l’ensemble dans la métropole qui marque le début des célébrations de son 40e anniversaire.

Dans leur discours d’introduction, tant Caroline Louis qu’Olivier Godin, les dirigeants de la salle Bourgie ont souligné l’apport important de l’ensemble et rappelé le long partenariat qui unit la salle et les Violons du Roy, notamment par l’interprétation de l’intégrale des cantates de Bach, qui a occupé leur programmation respective durant les huit dernières années et fait vivre des moments musicaux d’une grande intensité. Le programme de la soirée y faisait d’ailleurs un petit clin d’œil. Bernard Labadie, fondateur et directeur musical de l’orchestre de chambre de 1984 à 2014, s’est également adressé au public pour souligner cette grande aventure folle et ce « petit miracle » que sont les Violons du Roy. Le chef a également remercié une des membres fondatrices, la violoniste Nicole Trotier, qui prenait sa retraite après ce concert qui se conclura par une autre interprétation au Palais Montcalm le 12 octobre. La table était donc mise pour une soirée riche en émotion et en plaisir. Et c’est exactement dans cet esprit que les musiciens des Violons du Roy ont donné ce concert. 

Divisée en deux parties, chacune était introduite par un concerto grosso de Händel. Exécutées avec énergie et vivacité, ces interprétations d’œuvres instrumentales concertantes, en plus de démontrer le jeu des musiciens et la palette de couleur sonore de l’orchestre, ont servi de préludes aux deux cantates pour alto de Bach qui mettaient en vedette le contre-ténor britannique Hugh Cutting. Ancien élève du St. John’s College de Cambridge, le jeune artiste lyrique est le premier contre-ténor à remporter le prix Kathleen Ferrier (2021) et à obtenir le titre d’artiste de la nouvelle génération de la BBC (2022 à 2024). Un des défis d’une voix comme celle de Cutting réside dans la projection et on peut dire qu’à ce niveau, le jeune chanteur s’illustre particulièrement avec une grande puissance vocale, contrôlée et qui vient compléter l’amplitude du son de l’orchestre. Il s’illustre notamment par la clarté de ses exécutions. Sa prononciation allemande est précise et le discours, tant musical que textuel, qu’il tresse est limpide. Son agilité vocale a été mise de l’avant dans le deuxième aria de la cantate Geist und Seele wird verwirret [L’esprit et l’âme sont confondus]. L’air “Gotte hat alles wohlgemacht” [Dieu a tout fait parfaitement] propose un dialogue entre l’orgue et la voix, soutenu par le continuo. La ligne vocale rivalise avec des vocalises de haut vol que Cutting livre avec une performance sentie et admirable, mais où l’on sentait parfois qu’il arrivait à la fin de ses phrases légèrement au bout de son air, donnant l’impression que la phrase est incomplète et éclipsant les finales de certains mots. La projection des surtitres en fond de scène venait pallier ces légères imperfections qui, dans l’ensemble, ne sont jamais venues altérer le sens de la performance. Le jeu de Mélissande McNabney à l’orgue est également à souligner pour la dextérité de son interprétation dans des lignes tout aussi exaltées que celles interprétées par Cutting.

D’un caractère serein et pastoral, la deuxième cantate de la soirée Vergnüte Ruh, beliebte Seelenlust [Bienheureuse paix, bien aimée béatitude] a mis en valeur le timbre feutré et cristallin de Hugh Cutting. Moment particulièrement expressif, l’aria “Wie jammern mich doch die verkehrten Herzen” [Qu’ils me font donc pitié, ces cœurs dévoyés] est un dialogue épuré exempt de toute basse continue où les instruments à cordes (violons 1-2 et alto) jouent à l’unisson avec la voix et un orgue à deux claviers. Bourgie ne possédant pas un tel instrument, deux orgues positifs ont été requis sur scène pour cette pièce. Assurée par Mélissande McNabney et Tom Annand, ce jeu de claviers distinct a permis de mettre en valeur l’intrication des lignes vocales et instrumentales, pétri d’accords tendus, accentuant le caractère plaintif et d’affliction de cet air. 

Les Violons du Roy et Bernard Labadie ont trouvé en ce jeune Britannique la voix de Bach idéale pour leur programme. Investi sur scène, intelligent dans son interprétation avec une voix agile, ample et sonore, Hugh Cutting a fait une première apparition remarquée empreinte d’émotion, de clarté et de raffinement ; des éléments que le public de la salle Bourgie lui a rendus par une longue ovation.

crédits photos: Pierre Langlois

baroque / classique

Ensemble Caprice | JSB, humour, pertinence, vrai et faux intrus…

par Alexis Desrosiers-Michaud

Vendredi à la Maison symphonique, L’Ensemble Caprice et leur chef Matthias Maute présentaient  le premier de leurs quatre programmes de l’année 2024-2025. Il y avait dans ce concert beaucoup de Johann Sebastian Bach et d’humour, des démonstrations pertinentes, un faux et un vrai intrus.

Les trois Concertos brandebourgeois joués furent chacun précédés de transcriptions Maute de Préludes et fugues de… Dimitri Chostakovitch ! Surprenant, mais on comprend par la suite pourquoi il se trouve dans un concert baroque. 

Avant le concert, le chef explique qu’au retour de Leipzig où il a jugé un concours de piano, Chostakovitch eut l’idée d’écrire à son tour des Préludes et fugues, à l’image du cantor. Même s’ils sont écrits dans un style ancien, celui de Chostakovitch apparaît rapidement.

Les transcriptions de Maute sont très bien réalisées, collant même les orchestrations à celles des concertos auxquels les Préludes étaient jumelés. 

Dans le 4e concerto, on perçoit bien le dialogue entre le violon et les deux flûtes solistes. Le meilleur moment et le mouvement, où le contrepoint est remarquable. Vient ensuite le 1er concerto, plus dense. On n’a pas affaire ici à des solistes, mais à des groupes de solistes; il y a bien le violino solo (le « bébé violon » selon Maute), mais trois hautbois et deux cors naturels. 

Afin de démontrer comment Bach superpose tout musicalement, le chef demande à chaque section de jouer la première mesure du concerto séparément avant l’exécution. Le public part ainsi avec de solides points de repères pour suivre. En guise de cerise sur le gâteau, pour démontrer ce qu’est précisément un menuet, le premier violon Olivier Brault y va même d’une démonstration de danse, fort appréciée. 

Musicalement, c’est réussi, malgré le fait que l’on perde souvent le violino dans la densité. Les cors ponctuent le rythme des mouvements et les hautbois anciens apportent une couleur ambrée, moins nasillard que le hautbois moderne. Le mouvement lent met particulièrement en valeur ce pupitre dans une équilibre des voix parfait où l’on distingue clairement les trois instruments. 

Tout s’enchaîne ensuite jusqu’à la fin du dernier mouvement, où l’orchestre s’arrête net pour laisser ces mêmes pupitres dans un fantastique duo (ou duel?), où certains se mettent à danser pendant qu’ils jouent. Ce qui fait rire avant de conclure. 

Au retour de l’entracte, autre démonstration de Matthias Maute, celle-ci illustrant la différence entre orchestre symphonique moderne et orchestre baroque. On a droit à un simple accord, avec (moderne) et sans (baroque) vibrato, sur lequel on laisse la note diminuer après l’attaque. 

Vient ensuite une très bonne exécution du symbolique 3e Concerto brandebourgeois. Symbolique car pour le concerto #3, il y a 3 parties de violons, 3 parties d’altos et 3 parties de violoncelles, donc beaucoup de voix.

La direction de Maute insuffle beaucoup d’énergie et incite les musiciens à aller vers les premiers temps des phrases musicales. 

Celles-ci coulent d’elles-mêmes et s’enchaînent sans relâche. Les rythmes des danses sont habilement soulignés. Maute prend une vitesse juste assez pour garder l’esprit Allegro, tout en gardant le contrepoint clair. Il suffit de suivre le chef pour comprendre où sont les thèmes dans les deux principaux mouvements.

Pour le second mouvement, « le plus court de toute la musique de Johann Sebastian  Bach. Deux accords! », Caprice ne joue que les deux accords, au lieu de laisser un musicien improviser brièvement une cadence, comme c’est souvent le cas. La Musette BWV Anh 126 qui part ensuite est une musique de party tellement envoutante qu’on doit se retenir de taper des mains. Les musiciens se promènent et dansent sur scène. 

Pour introduire la 3e Suite pour orchestre de Bach, Caprice joue une transcription par Maute de l’Adagio de Tomaso Albinoni, le vrai intrus. D’ailleurs, on désigne dans programme faussement Albinoni comme étant le compositeur de cette pièce, mais en réalité, c’est Remo Giazotto qui, en 1950, composa l’œuvre en se basant sur des morceaux de différentes ébauches d’autres pièces d’Albinoni. Honnêtement, nous cherchons toujours la raison de pourquoi cette pièce faisait partie de ce concert. En plus de ne rien avoir avec la musique de Bach, elle casse l’ambiance entre la Musette et la Suite. Puis, ce ne fut pas une interprétation qui passera à l’histoire. Adagio signifie lentement, ce qui n’est pas le cas chez Caprice, qui prend un tempo plutôt Moderato
Pour terminer le concert, la Suite est très appropriée. Maute souligne l’apparition des timbales et des trompettes baroques, qui ponctuent par la suite les rythmes des différentes danses. Dans l’Air, connu pour pouvoir être joué sur la corde de sol, les violons se surpassent dans un phrasé et un soutien, sans vibrato, des notes impeccables. On sent l’appui de l’orchestre sur les dissonances qui contribuent au lyrisme de la mélodie. Bref, on va là où on n’est pas allé dans Albinoni/Giazotto.

Crédit photos: Tam Lan Truong

minimaliste / musique contemporaine / post-minimaliste

FLUX | Architek Percussions : super musique, maudite technologie!

par Frédéric Cardin

Jeudi soir était donné le dernier concert du nouveau festival FLUX. Au programme, deux œuvres d’un génie injustement oublié du Minimalisme/Post-minimalisme, Julius Eastman, ainsi que Angel’s Share de la jeune compositrice Andrea Young. 

Un destin sordide que celui de Julius Eastman, compositeur noir et queer né en 1940, incapable de trouver sa place dans le monde artistique des années 1970-1980. Le monde classique contemporain était encore difficilement accessible pour les artistes non-Blancs, et son identité sexuelle était porteuse de préjugés tenaces, surtout en période de pandémie de SIDA. Imaginez qu’il est mort abandonné, sans un sou, sans logis. Ça a pris neuf mois pour que le monde de la musique remarque sa disparition! Et pourtant, quel vision! À une époque ou ça ne se faisait pas encore vraiment, il osait fusionner les principes du Minimalisme répétitif avec des techniques liées à l’avant-garde et la musique expérimentale, mais aussi le jazz et la pop. Il était pianiste, chanteur et danseur. Si vous écoutez Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies sous étiquette Nonesuch, la voix du Mad King, c’est lui. Son militantisme personnel pour affirmer son identité noire et gaie fait figure de combat d’avant-garde. 

Plusieurs de ses compositions portent des titres sans équivoque comme Gay Guerilla (entendue hier, j’y reviens) ou Nigger Faggot. En ce sens, si son talent de créateur était apprécié, ce combat identitaire lui a valu pas mal d’incompréhension et de fermeture. Il a finit par sombrer dans l’addiction de substances narcotiques et dans l’itinérance, incapable de trouver suffisamment de contrats professionnels pour vivre. Sa course s’est terminée en 1990. 

Le Minimalisme répétitif de Eastman contient des éléments qu’on associe volontiers au Post-minimalisme actuel. Sur des pulsations continues, Eastman développe des couvertures mélodiques chromatiques, allant parfois jusqu’à l’atonalisme. Une fusion de Reich et Boulez (je caricature, mais vous comprenez) totalement unique à l’époque, et encore peu rencontrée aujourd’hui. 

Deux œuvres de Eastman étaient donc au programme. Commençons par la déception (en partie seulement) : The Holy Presence of Joan D’Arc. J’attendais avec beaucoup de fébrilité la performance de cette pièce de caractère puissant pour 10 violoncelles, construite sur une pulsation irrémédiable et rageuse, sur laquelle Eastman dessine des lignes mélodiques qui vont, effectivement, vers l’atonalisme. Il n‘y avait pas 10 violoncellistes sur scène. Ce qu’on nous offrait était plutôt la performance du seul violoncelliste torontois Amahl Arulanandam, enregistré en multipistes et en multiplans visuels, le tout projeté sur écran. Bon, l’impression de regarder une vidéo YouTube en gang m’a traversé l’esprit, mais il faut dire que dès les premières notes, Arulanandam est impressionnant, et le montage vidéo assez dynamique pour rendre le tout assez captivant (surtout grâce à la musique bien entendu! Un vrai chef-d’œuvre d’intensité émotionnelle). J’étais aspiré par dans la trame narrative viscérale de la pièce, tout allait pour le mieux, lorsque le plafond s’est écroulé. Pas littéralement, plutôt technologiquement. La vidéo s’est mise à ‘’draguer’’, comme quand on regarde un film ou joue à un jeu sur laptop/ordi table et que le réseau ne fournit pas. Heureusement, le son est resté limpide, mais la relation images/musique qui m’avait initialement happé devenait saccadée. J’ai passé le restant de la pièce (oh, les bons deux tiers) à attendre que ‘’ça revienne’’, frustré, bouillant d’envie de pitcher ledit laptop sur un mur (ça vous est déjà arrivé, non?). J’aurais pu fermer les yeux, vous avez raison. Mais je n’y arrivais plus. Le mal était fait. Était-ce la même chose pour les autres spectateurs? Je ne sais pas. Mais je suis certain que l’effet souhaité initialement par cette pièce en entrée de programme n’a pas été atteint. Les applaudissements ténus semblent en témoigner. C’est tellement dommage.

Pour une excellente performance de l’oeuvre : Novarumori dirigé par Isak Goldschneider à Suoni per il popolo 2017

Je ne suis pas du genre à oublier la forêt pour ne regarder que l’arbre mort. Ce genre de guigne arrive. Et puis, la musique de Eastman est restée entendue tout du long, et m’a confirmé quel chef-d’œuvre porteur il a écrit avec The Holy Presence of Joan D’Arc (une partition perdue, et reconstruite à l’oreille à partir d’un enregistrement). Je ferai cette demande aux organisateurs cependant : offrez-nous encore cette pièce dans un avenir pas trop lointain, avec dix violoncellistes en chair et en os, pour que l’on puisse lui donner une nouvelle chance, qu’elle mérite entièrement, et qu’on puisse triper comme il faut. Merci d’avance.

Le programme suivait avec une pièce de Andrea Young, de Montréal, pour quatuor de percussions. Angel’s Share est une exploration synesthésique. C’est-à-dire qu’elle cherche à combiner des affects associés à un sens avec ceux d’un autre. Ici, la musique en trois mouvements est inspirée des arômes riches et complexes d’autant de Scotchs de qualité, trois rares single malts de la distillerie Ardbeg en Écosse. Sans lesdits arômes à notre disposition (quelle belle option ç’aurait été!), il est difficile, voire impossible de rendre compte pleinement de la réussite ou non de l’aventure. Même si ce n’est finalement pas le but, et que la compositrice a souhaité en faire une expérience strictement auditive, la curiosité nous emporte et on a bel et bien l’impression de rater quelque chose. D’autant plus que les trois mouvements de cette musique très fine, construite comme une dentelle abstraite et fragile, semblent plutôt interchangeables. C’est le danger de ce genre de proposition : on ne peut évoquer une synesthésie et laisser le spectateur avec une seule moitié de l’équation sensorielle. Qu’à cela ne tienne, Angel’s Share est une composition éthérée de belle facture, remplie de belles touches texturales, comme la présence de deux scies musicales.

La dernière pièce ramenait Julius Eastman à l’avant-plan avec Gay Guerilla pour quatuor de percussions et deux pianos. On pense immédiatement à Steve Reich et Music for 18 Musicians! De nombreuses similitudes rapprochent les deux pièces, mais on constate assez vite la différence fondamentale des harmonies utilisées par l’un et l’autre. Chez Reich, des harmonies ouvertes, tonalement pleines. Chez Eastman, des harmonies serrées, chromatiques, mais qui ne glissent jamais vers l’atonalisme comme dans The Holy Presence of Joan D’Arc . Gay Guerilla, malgré son titre, est finalement une pièce plus ‘’facile’’ que l’autre, mais son énergie débordante et ses marées dynamiques ascendantes et refluantes créent un discours narratif qui captive et retient l’attention. Très très plaisante et, encore une fois, un immense bijou de Minimalisme qui mérite d’être redécouvert.

La performance des musiciens était en général très bonne, même si j’ai détecté ici et là quelques écarts de synchronisation rythmique dans les épisodes les plus linéaires et groupés. Mais je chipote. 

Ce dernier concert d’un nouveau festival a été rempli de très bonne musique et nous laisse désireux d’en avoir une autre édition l’an prochain. 

crédit photos : Pierre Langlois

Publicité panam
électronique / expérimental / contemporain

FLUX | Phew, prestation de maître

par Alain Brunet

Cette artiste hors du commun fut de la vague punk au Japon, fin des années 70, après quoi elle n’a cessé d’élever ses propositions artistiques. Quatre décennies plus tard, Phew offrait sa première prestation à Montréal devant un public restreint. À l’évidence, sa réputation internationale n’avait pas atteint Montréal avant sa venue. Souhaitons aux mélomanes qu’elle revienne car ce qu’on a pu entendre au festival FLUX, mercredi à la Sala Rossa, fut une prestation de maître.

Cette femme sans âge (officiellement 65 ans) nous a convié à un récit sonore amorcé par de douces vocalises couchées sur fond électronique. Cette amorce ambient, fantômatique, spectrale, onirique, nous a doucement menés vers une intensification des fréquences sonores et vers l’introduction de rythmes de synthèse puisés la culture populaire (techno, reggaeton, jungle, drum’n’bass) et transformés par la compositrice de manière à ce qu’on n’établisse pas de lien direct. Voilà la marque des meilleurs qui savent transformer les citations.

Des rythmes de plus en plus appuyés ont alors ponctué les constructions mises en place. En temps réel, la surimpression simultanée de plusieurs sources (beats et préenregistrements traités) impliquait un son global de plus en plus intense, maelstrom ponctué d’une pétarade de klaxons, voix d’outre-tombe, mitrailles percussives, sons industriels. Cette fascinante chappe de sons s’est alourdie et atteint un pic au son d’un réacteur avant de faire marche arrière. Allègement, élévation, évaporation, presque silence. Le rythme devient minimaliste, le tempo devient plus lent qu’un battement cardiaque, des sons relativement discrets s’invitent, des mélopées de cordes flottent au-dessus, la voix de Phew réémerge. La descente se poursuit par des clapotis de notes de claviers traités, puis de percussions légères exécutées sur des métriques minimalistes, le tout à nouveau enrobé de sons fantômatiques.

Pour la finale, elle avait prévu une remontée d’intensité, un retour à des rythmes plus forts, plus complexes et plus rapides, à des sons vents orageux qui culminent en tornades. Contre toute attente, des accords de piano (synthétique) accompagnent la voix de Phew, la machine volante se pose sur le sol au son d’une balade proche de la complainte.

Du grand art, assurément.

Publicité panam
bossa nova / Brésil

Florence K : un spectacle tout en douceur et … en humour

par Sandra Gasana

Après un court hommage à sa maman Natalie Choquette en début de spectacle, Florence K nous plonge directement dans l’univers du grand maître de la bossa nova, Antônio Carlos Jobim, accompagnée par son excellent guitariste et compositeur Carlos Jimenez, récemment Docteur en musique.

Dès le premier morceau, Água de Beber l’atmosphère dans la salle se détend, elle joue quelques notes au piano et fait même chanter le public qui est familier avec ce classique.
« J’ai toujours peur d’être démasquée dans mon complexe en parlant portugais, un peu comme le syndrome de l’imposteur », nous avoue-t-elle entre deux chansons, en citant Freud.
En effet, elle fait plusieurs allusions à la psychologie durant le spectacle, (ses études de doctorat en psychologie y sont sûrement pour quelque chose) mais elle prend également le temps d’expliquer le contexte de chaque chanson, avec une touche d’humour très appréciée du public. C’est ce qu’elle fait avec Vivo sonhando ou encore Desafinado, deux classiques de Jobim. Elle échange également avec son guitariste à plusieurs reprises, l’invitant à se dévoiler à son tour, mais sans succès.

Faisant un effort pour ne pas croiser les jambes durant le show, c’est surtout lorsqu’elle joue du piano qu’elle semble complètement dans son élément. Elle ferme les yeux, chante parfois par-dessus ses notes, et se laisse aller.

Elle échange également avec son mari, qui était dans la salle, dans un anglais impeccable, l’incluant dans le spectacle, toujours avec la même touche d’humour. « Quand tu m’as rencontré, savais-tu que tu allais souffrir toute ta vie ? », lui demande-t-elle, avant d’introduire le morceau Eu sei que vou te Amar.

Dressant un portrait de la bossa nova des années 60, elle semble avoir fait beaucoup de recherche en préparant l’album « Brésil mon amour » paru en 2023, nous apprenant d’ailleurs que Bossa Nova signifie « Nouvelle vague ».  Elle poursuit avec Chega de saudade et Só Danço Samba, toujours avec des passages au piano remplis d’émission. « Pendant mes 20 ans de carrière, je n’utilisais jamais de lutrin mais là, ma charge mentale est telle que je n’ai plus d’espace pour retenir toutes les chansons par cœur », nous confie-t-elle. Cela dit, cela n’enlève en rien à la justesse de sa voix soyeuse, ni à l’émotion qu’elle transmet à la salle.
Un moment fort du spectacle était lors de la chanson La quiero a Morir, une demande spéciale faite par un spectateur pour sa femme. La chanson était loin d’être parfaite étant donné les circonstances mais c’est justement cela qui a plu à l’audience. Cette authenticité. Elle a d’ailleurs suggéré à son mari de faire la même chose que ce monsieur lors du prochain concert de Paul McCartney, suivis d’éclats de rire dans la salle.

Ses morceaux en espagnol ont beaucoup plu au public, notamment à mon amie colombienne avec qui j’étais, et qui ne s’attendait pas à entendre des classiques tels que Lagrimas negras, entre autres. On a parfois l’impression qu’elle chuchote dans le micro, donnant l’impression qu’un voile entoure sa voix.

Triste de ne pas avoir de « Charles » dans la salle, avant le morceau Take it easy my brother Charles, elle prend le temps de remercier Nick Petrowski qui a réalisé l’album et qui a eu l’idée d’inclure ce titre « intrus » dans l’album.

Un autre moment phare était sans aucun doute la participation de sa fille de 18 ans Alice Khoriaty sur deux morceaux : Vol de nuit, écrite lors de la naissance de cette dernière et Águas de Março, que Jobim a chanté avec Elis Regina. Cette complicité mère-fille était palpable et de toute beauté, pendant que Carlos faisait quelques percussions sur sa guitare, tout en jouant. C’est donc un spectacle de famille auquel nous avons eu droit en cette soirée d’automne.

Elle ne pouvait pas terminer la soirée sans chanter Garota de Ipanema, que toute la salle connaissait, surtout les Brésiliens qui étaient en face de la scène. J’ai d’ailleurs aperçu la grande chanteuse brésilienne Bïa dans la salle, ainsi que l’équipe derrière l’organisation des Journées brésiliennes.
« Après 20 ans de carrière, ça fait plaisir de savoir qu’on a encore des gens qui se déplacent pour venir me voir sur scène », conclut-elle avec gratitude.

indie rock / italo-disco / post-punk

Yard Act est une bouffée d’énergie nécessaire avec une endurance de 100 %

par Stephan Boissonneault

Je dois admettre qu’il m’a fallu un certain temps avant de prendre le train en marche de Yard Act, et même après avoir écouté leur premier album, The Overload, en 2022, je n’étais pas totalement convaincu. Non pas parce que l’album n’était pas bon, mais parce qu’il y avait un déluge constant de groupes post-punk adjacents en provenance du Royaume-Uni qui envahissaient systématiquement les ondes et les médias musicaux nord-américains. Pour moi, Yard Act était donc à ranger parmi des groupes comme Dry Cleaning, Fontaines D.C., Shame, Black Midi, Black Country New Road, Squid, etc.

Omni

De l’autre côté de l’océan, du côté américain, il y a peut-être un groupe comme Omni, qui a ouvert le spectacle de Yard Act Montréal au Théâtre Fairmount avec un set ridiculement serré. Omni frappe fort et vite, mais il donne parfois l’impression d’être un groupe de post-punk qui se contente de faire de la peinture, si cela a un sens. Si vous cherchez sur Google un groupe post-punk américain moderne, vous verrez qu’ils sont là. Les chansons en live ont semblé se mélanger à certains moments, mais les gars d’Omni ont gardé l’intensité pour l’événement principal de la soirée, un petit groupe appelé Yard Act.

Même en tant que journaliste musical dont le travail consiste à se tenir au courant des groupes les plus récents, il est parfois difficile de suivre lorsqu’il y a un déversement constant de nouveaux groupes. J’ai donc rapidement écouté The Overload de Yard Act; J’ai immédiatement ressenti l’influence de groupes comme The Fall, mélangée au côté plus sombre et plus expérimental des Arctic Monkeys, mais je n’ai pas eu le temps de m’arrêter. Les paroles, l’esprit sarcastique et l’autodérision du chanteur James Smith m’ont quelque peu échappé à cause de ma propre surcharge… Je me suis dit que je reverrais l’album, et je l’ai fait… mais je ne l’ai jamais vraiment écouté. J’ai laissé les autres journalistes le chroniquer pour moi et c’est tout. Deux ans plus tard, l’album suivant de Yard Act, Where’s My Utopia ? est sorti et j’ai écouté quelques chansons. Ils semblaient plonger dans une danse Italo disco bizarre mélangée à un univers post-punk et cela semblait amusant, mais comment cela se comparerait-il en live ? S’agirait-il d’un autre groupe post-punk à quatre blancs ? Je suis heureux de vous annoncer que non, ce n’est pas le cas.

Yard Act

Yard Act est surtout un groupe de scène, à la fois hilarant et astucieux. Ils sont montés sur scène à sept, le noyau dur étant constitué de Smith au chant, du bassiste Ryan Needham, du guitariste moustachu Sam Shipstone, du batteur Jay Russell et des choristes Lauren Fitzpatrick et Daisy J.T Smith (qui ont pris autant de place que Smith avec leurs mouvements de danse délirants et leur voix brillante), ainsi que d’un percussionniste, d’un joueur de synthétiseur et d’un saxophoniste.

Dès le début de « Dead Horse », le concert a pris la forme non seulement d’un spectacle post-punk, mais aussi d’une extravagance dansante. Parfois, on avait l’impression de voir un groupe de soul Motown synchronisé, qui donnait à chaque membre du groupe ses propres petits moments : les solos frénétiques et bourdonnants de Shipstone, les riffs de basse doux et trop cool de Needham, et bien sûr l’esprit poétique et ivre de Smith – qui donne parfois l’impression de lire des vers de Yeats, mais non, c’est son propre esprit fou qui choisit de marmonner 100 mots par minute que la langue anglaise est en train de se démoder. Je me suis sentie secouée par l’endurance de ce groupe qui ne s’est jamais arrêté jusqu’à ce qu’il le fasse, mais qui est revenu avec le rappel autoréférentiel du single « The Trench Coat Museum ». Le nouvel album ne rend même pas justice à ce groupe. C’est un groupe qui demande à être vu en concert.

musique de la Renaissance

Jordi Savall | Les larmes coulent, le feu consume, les âmes sont nourries

par Martial Jean-Baptiste

Les larmes et le feu des muses, voilà le titre évocateur d’un splendide concert du gambiste et maestro catalan Jordi Savall. Programme qui, dès les premières notes, a séduit un public attentif et respectueux.

En lever de rideau, nous avons été choyés par la belle interprétation d’une cantate de Samuel Scheidt, un contemporain de Claudio Monteverdi interprété de main de maître par l’ensemble Hespèrion XXI.

L’entrée en douceur de la troupe La Capella Reial de Catalunya fut un magnifique moment où les voix d’une soprano, d’une mezzo-soprano, d’un ténor, d’un baryton et d’une basse se mariaient parfaitement avec l’acoustique de la Maison Symphonique et nous plongeaient dans la Renaissance.

La suite fut tout aussi réussie avec la musique de John Dowland, Anthony Holborne. Mais, durant cette première partie d’un programme  sans entracte, on pouvait sentir clairement l’influence de Monteverdi et le soin qu’a pris Jordi Savall de marier voix et violes.

Pas un seul temps mort dans cette célébration de la joie, de la peine et de l’amour ! 

Le jeu des interprètes était en général très bon, la présence sur scène du ténor Ferran Mitjans était tout simplement remarquable, j’ai aussi  beaucoup apprécié Anna Piroli, magnifique soprano. Un moment fort de ce concert fut d’ailleurs,  à mon avis, le duo avec Anna Piroli et le baryton Mauro Borgioni. Le seul bémol fut  la présence de la mezzo-soprano que je trouvais un peu effacée.

La fin du programme fut marquée par une très longue ovation avec des bravos lancés de partout dans la salle.

Prenant la parole avant le rappel, Jordi Savall a souligné le plaisir qu’il avait de jouer dans cette magnifique salle avec un public si chaleureux.  En anglais, il s’est dit triste de voir des jeunes mourir au lieu de faire de la musique dans le conflit au Moyen-Orient. Surtout qu’en ce 7 octobre, on soulignait le premier anniversaire de l’attaque du Hamas en Israël et la réplique israélienne aux attaques terroristes dans la Bande de Gaza. 

Après d’autres  applaudissements bien sentin, Jordi Savall nous a fait voyager un peu plus loin de l’Italie de Monteverdi. Il nous a même emmenés  à Lima au Pérou en 1780, alors qu’un évêque ordonnait aux musiciens de recueillir tous les chants et danses  observés autour de la cathédrale de la ville. Le résultat : deux chansons et danses exprimées dans une langue indigène inspirées de la Passion du Christ.

Ce fut une fin de concert formidable,  qui m’a permis d’apprécier le talent de Savall à la viole de gambe et celui de ses gambistes acolytes d’Hespèrion, sans compter les voix superbes de la troupe La Capella Reial De Catalunya.

Photo : Adam Mlynello

expérimental / contemporain

FLUX | Conversation brève et polie entre Wadada et Sylvie Courvoisier

par Alain Brunet

Bien évidemment, on ne peut exiger d’un trompettiste de 82 ans qu’il embrase son public de charges explosives. De Wadada Leo Smith, on doit plutôt s’attendre à un jeu sage et circonspect, ce qui n’exclut aucunement l’accueil de l’inspiration en temps réel… et même quelques pétarades insoupçonnées.

Dans une salle remplie à capacité, les adopteurs précoces du festival FLUX ont eu droit à une performance d’une cinquantaine de minutes, sobre performance incluant quelques allocutions ad lib du notre hôte sur le contexte de ce duo et le sens de la vie en général. Tant qu’à y être!

En interview il y a quelques jours, le vénérable musicien afro-américain avait promis la recréation d’un enregistrement réalisé en tandem avec la pianiste afro-américaine Claudine Myers, soit l’album intitulé Central Park Mosaiks of Reservoir, Lake, Paths and Gardens, inspiré de ses expériences contemplatives dans ce vaste parc urbain achevé en 1873 sous la gouverne de l’architecte paysagiste Frederick Law Olmsted – le même ayant créé le parc montréalais du Mont-Royal (1876), aussi l’un des plus beaux sur le continent nord-américain.

Ainsi donc, on peut parler d’une conversation courtoise, polie et relativement brève entre Wadada Leo Smith et son interlocutrice, l’Helvète Sylvie Courvoisier.

Quant au soliste principal, ce pourquoi nous étions là, il est encore capable d’atteindre beauté, nul doute. Oui, il est difficile de déterminer clairement si ses notes longuement tenues cassent involontairement ou bien s’il s’agit d’un effet de style volontairement exécuté, mais bon… l’impression générale de ce discours demeure intéressante, il faut réagir spontanément à cette approche n’obéissat à aucune loi sur la meillleure manière de jouer la trompette selon les critères classiques ou jazz.

Il y a certes un discours propre de Wadada Leo Smith, le vénérable souffleur a encore cette capacité d’accéder avec puissance aux fréquences élévées et autres effets techniques relativement exigeants. La vaste expérience du musicien compense largement son déclin technique à peine amorcé.

Dans ce contexte subtil et délicat, la pianiste suisse Sylvie Courvoisier se trouvait à camper l’autre moitié du tandem. Elle a opté pour un accompagnement minimaliste et respectueux du jeu de son aîné. Visiblement, ce n’était pas pour elle l’occasion de déployer l’articulation dont est capable. La lenteur de l’exécution en tandem menait plutôt cette excellente musicienne à l’exposition d’accords complémentaires au discours mélodique de Wadada, mais aussi à la production d’effets brillants via les notes pincées sur les cordes – de cet instrument plutôt ingrat qu’est le piano de la Sala Rossa. Néanmoins on a pu observer toute la subtilité de la musicienne, experte dans l’art du piano préparé et de son usage en temps réel.

On en aurait pris davantage mais bon… restons polis face a un octogénaire qui a décidé que les choses seraient ainsi.

Publicité panam

expérimental / contemporain

FLUX | Orchestre de gongs: dans la catégorie « il fallait y être »

par Laurent Bellemare

Au sol, une batterie minimaliste, petite et vieillie, était entourée d’objets métalliques et de baguettes de toutes sortes. En guise de cymbales, deux grands gongs chinois détachés de la batterie s’imposaient à la gauche du percussionniste. Sans introduction, c’est sur le plus grand des deux gongs que Tatsuya Nakatani a démarré sa prestation à la Sala Rossa dans le contexte de FLUX, en cette soirée du 6 octobre.

À coup d’archet faits maison, il s’est mis à faire résonner ledit instrument dans toute la richesse inharmonique de son timbre. Nakatani s’aidait souvent de sa main libre pour toucher divers points de pression du gong, permettant d’en faire ressortir les partiels harmoniques. Immédiatement, on découvrait l’artisanat d’un musicien ayant travaillé avec ces objets presque toute sa vie. 

Son jeu imprévisible, même pour lui, a fait évoluer ce début lent et résonant vers la batterie. Assis derrière ces peaux graissées au colophane, Nakatani laisse exploser une  créativité débridée. Dans un jeu nerveux, il  déplaçait et fracassait brusquement ses accessoires entre eux sur sa caisse claire et son floor tom. Cymbales molles, bols chantants de tailles variées et autres objets scintillants avaient tour à tour leur chance d’altérer aléatoirement le son de la batterie, s’entrechoquant au passage et créant des textures spontanées. Par moment, Nakatani empoignait ses baguettes et improvisait des phrasés rythmiques sur cette batterie préparée. 

Durant la demi-heure qu’a duré cette improvisation, Nakatani est fréquemment passé de sa batterie aux gongs suspendus à ses côtés. Les yeux fermés, tout en sueur, il a maintenu une énergie et une tension constante, ce qui n’enlève rien à sa maîtrise remarquable des dynamiques et des effets surprises dramatiques. 

On se souviendra notamment des deux gongs joués en simultané, un archet dans chaque main, qui laissaient percer des notes insoupçonnées à travers les sommets d’intensité. Il y a également eu un moment d’accalmie intéressant lorsque Nakatani fut derrière sa batterie. Avec quatre petits bols chantants placés sur sa caisse claire et jouée à l’archet, il a installé une séquence mélodique de quatre notes. Toujours entrecoupé d’autres explosions percussives, le motif revenait toujours créer cet effet d’apesanteur qui contrastait à merveille avec le reste de la performance. Ce soir-là, Nakatani a démontré à nouveau sa pertinence dans le paysage de la percussion contemporaine ainsi que le langage unique qu’il a façonné depuis des décennies.

Notes de soirée

Avant que tout commence sur scène, une file d’attente s’était déjà dessinée dans les marches menant à la salle de concert, et elle s’allongeait petit à petit. Comme amuse-gueule, l’installation ARTS CARE de Jesse Stewart qui réagissait de façon un peu maladroite aux mouvements via un iPad. Huit plateaux de métal découpés en forme de lettres étaient disposés sur un cadre avec mécanisme de frappe déclenché par le senseur de mouvements (le système AUMI, développé par la compositrice américaine Pauline Oliveros). Ces “gongs-lettres”, ainsi définies par l’artiste, étaient donc thématiquement appropriées pour cette soirée où les gongs chinois étaient à l’honneur. 

La soirée s’est ouverte sur une présentation de Raphael Foisy-Couture, directeur des Mardis Spaghettis. Il a d’abord souligné l’apport des divers organismes coproducteurs de l’événement: Arts in the Margins, Mardis Spaghettis, Réseau Canadien pour les Nouvelles Musiques, Innovations en concert ainsi que les radios CKUT et CJLO. Il a ensuite fait un rappel nécessaire de la guerre qui frappe toujours la Palestine et nous a invités à réfléchir sur le privilège qui est celui d’avoir des espaces communautaires et sécuritaires de créativité. C’est sur ce ton engagé que l’entièreté du festival semble se présenter, un contraste bienvenu à la neutralité qui persiste dans les milieux plus académiques de la musique nouvelle.

photo : Elaine Graham

Nakatani Gong Orchestra

Après une courte pause, les 16 artistes locaux constituant l’orchestre de gong dirigé par Nakatani se sont placés dans l’espace. Tout ce beau monde avait passé l’après-midi en atelier avec le percussionniste afin de préparer cette performance. Nakatani, face à son propre gong ainsi qu’à son orchestre, s’était doté d’un minuteur ainsi que d’un schéma papier de la séquence des événements sonores. Grand contraste avec le jeu pointilliste du batteur en solo, l’orchestre de gong s’est attelé à développer des masses sonores, pour les oreilles et pour le corps, qui atteignaient parfois des volumes sonores perçants. 

Nakatani dirigeait l’ensemble en prescrivant diverses configurations selon deux modes de jeu principaux: archet et mailloche. Sa compréhension du comportement des gongs lui permettait de faire changer fluidement la texture d’une masse inharmonique et bruyante à un bain de son plus nuancé où certaines hauteurs sonores pouvaient créer des intervalles et injecter une couleur plus mélodique à toute l’affaire. Quand il ne jouait pas lui-même du gong, Nakatani dirigeait de ses deux mains, à l’aide d’un système de symboles quelque peu énigmatique. Le moment le plus spectaculaire demeure celui où il a provoqué des vagues sonores parcourant un côté de la pièce à l’autre. Également, des fenêtres sonores étaient découpées dans l’espace selon les limites pointées par les mains du percussionniste. À ces moments, le lien entre la direction et le résultat sonore apparaissait très clairement, et on aurait dit que la gestuelle relevait du sortilège.

Cet oorchestre de gong, comme l’a souligné Nakatani, est le résultat de toute une vie de travail. Chaque prestation est différente, un fait qui s’est bien fait sentir au festival FLUX, alors qu’on assistait à une collaboration inédite entre le percussionniste et 16 membres de la communauté artistique locale. À la fin du spectacle, Nakatani nous a suggéré de garder nos vibrations près de nous et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce concert risque de résonner encore longtemps dans l’imaginaire de l’auditoire. Dans la catégorie “il fallait y être”.

Publicité panam

Brésil / samba

Jorge Aragão n’a pas déçu les Montréalais

par Sandra Gasana

Jorge Aragão a peut-être quelques années de moins que Marcos Valles, qui était également de passage à Montréal cette semaine, mais il est tout aussi populaire auprès des Brésiliens de Montréal, voire plus. Accompagné de ses sept musiciens, dont une femme qui semble être directrice musicale, il a charmé les Montréalais malgré le retard important avant le début du spectacle. Mais à peine a-t-il fredonné ses premières notes, encore dans les coulisses, que la frustration s’est transformée en excitation, accompagnée de cris, pour accueillir ce géant de la samba et du pagode.

Un pandeiro, une guitare, un surdo, plusieurs tambours, une batterie et un cavaquinho, voici les instruments qui l’accompagnaient alors qu’il se contentait de chanter avec sa voix grave reconnaissable. Tout vêtu de noir, il s’adresse à la foule : « Je vais chanter de très vieilles chansons ce soir ». Il commence par le classique Eu e você sempre, et c’est parti pour les cellulaires sortis et la foule entière qui chante à l’unisson. Sa voix est toujours aussi reconnaissable mais on sent qu’elle perd un peu de sa vigueur. Et sans transition, il enchaine avec un autre classique Lucidez, qu’il a joué en live avec son ancien groupe Fundo de Quintal, dont il est l’un des membres fondateurs. Ont suivi Novos tempos, De Sampa a São Luis, pour ne nommer que ceux-là.

Il avait une machine devant lui, sur laquelle il tapait par moments, tout en faisant quelques pas de danse mais en toute subtilité. Il a aussi parfois tendance à mimer ses paroles, prenant le temps de connecter avec son audience qui est en admiration.
Une bonne amie brésilienne était en larmes durant certaines chansons, tellement la saudade (la nostalgie made in Brazil) était omniprésente au National.

« À présent, je vais vous chanter de la samba », nous annonce-t-il, avant Malandro, qui a connu un succès phénoménal notamment grâce à Elza Soares, qui l’a popularisé. En effet, en plus d’être chanteur et multi-instrumentiste, Jorge Aragão est également compositeur et parolier.

Il invite le public à frapper des mains sur certaines morceaux pour qu’il contribue à l’ambiance festive. La recette magique de ce grand artiste est bien son talent à raconter des histoires de la vie quotidienne, avec une touche romantique, sur des rythmes rapides ou lents, selon le cas.

Après une heure debout sur la scène, il a demandé une chaise, la fatigue se faisant ressentir. Et c’était propice pour le morceau qui allait suivre, beaucoup plus calme mais sur lequel on pouvait danser à deux.

Il a poursuivi son enchainement de succès tels que Loucuras de uma paixão, Feitio de paixão, Doce amizade ou encore Conselho, une de mes préférées.

On n’a pas eu droit à un rappel cependant on a eu droit à un retour sur scène de la talentueuse danseuse de samba, Daniela Castro. Cette dernière avait fait quelques pas de danse durant la première partie, qui était assurée par Roda de Samba Sem Fim. Ce qui nous avait mis dans les bonnes conditions pour accueillir ce géant de la musique brésilienne.

Crédit photo: Monica Kobayashi

Inscrivez-vous à l'infolettre