Les avancées informatiques sur le web révolutionnent le partage des droits des créateurs et interprètes de la musique. Irréprochables et impartiaux dans leur application, c’est-à-dire parfaitement conformes aux dispositions des ententes conclues entre les parties, ces contrats intelligents sont désormais envisageables dans un environnement numérique. L’avènement de la blockchain sur le web en facilite désormais les répartitions complexes.
D’où l’avènement de Smartsplit, un nouveau service mis au point par une entreprise dont Guillaume Déziel est le fondateur. Grâce à ce nouveau service, les créateurs et interprètes des œuvres de l’esprit pourraient améliorer sensiblement l’efficacité du partage des profits générés par leur travail.
Cette idée de contrat intelligent a fait son chemin depuis que le groupe Misteur Valaire, avec lequel Guillaume Déziel avait des liens d’affaires, et l’Orchestre Métropolitain de Montréal ont imaginé une entente originale. En 2014, 59 musiciens de l’Orchestre Métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, flanqués de 200 jeunes choristes de l’École Joseph-François-Perrault, jouaient devant public les adaptations symphoniques de vingt pièces signées Misteur Valaire et incluant le groupe dans ces exécution arrangées par Olivier Hébert. Présenté à l’Église Saint-Jean-Baptiste, le concert fut enregistré par une équipe de la Société Radio-Canada. Récemment mis en marché, un album en fait état.
Au terme de la représentation de 2014, l’enregistrement du concert fut cédé à l’Orchestre Métropolitain,Yannick Nézet-Séguin et les Valaire qui choisirent d’en partager les droits et revenus. Pourquoi un tel arrangement, cette fois économique ? Les Valaire n’ayant pas les moyens de payer des cachets d’enregistrement et les droits de suite aux 66 musiciens mis à contribution, il fut proposé de partager collectivement les revenus de la coproduction. Avec l’aval de la Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec, un contrat intelligent vit le jour.
Plus précisément, l’arrangeur et compositeur Olivier Hébert eut droit à une part du droit d’auteur de sa version symphonique de l’œuvre. Les droits voisins des interprètes de l’œuvre durant l’enregistrement sonore furent divisés à parts égales entre tous les interprètes sur scène. Ces mêmes interprètes furent désignés coproducteurs de l’enregistrement sonore, à parts égales. Enfin, le chœur des 200 jeunes accepta un pourcentage symbolique des bénéfices, cette fois destiné à la Fondation de l’École Joseph-François-Perrault. L’histoire ne dit pas si tout ce beau monde a rempli sa tirelire avec les revenus de cet enregistrement, mais la nature de l’entente était annonciatrice d’une petite révolution dans la répartition des droits.
« La grande particularité de Smartsplit, explique Guillaume Déziel, réside dans son expérience utilisateur (UX). Ce n’est pas conçu par et pour des administrateurs de droits, mais bien pour les artistes. Dès le départ, ceux-ci doivent se demander qui a créé quoi sur la pièce musicale ? Qui a joué quoi sur l’enregistrement sonore? Qui possède l’enregistrement sonore, c’est-à-dire qui a payé pour que ça se produise ? Lorsque les créateurs, auteurs, compositeurs, interprètes et coproducteurs se sont entendus sur le partage des droits, on fait deux choses : primo, on leur fait une belle entente en PDF prête à signer; secundo, on publie l’entente sur une blockchain pour la figer dans le temps, pour que la trace soit indélébile. »
Hum… Et si on essayait de comprendre davantage la mécanique du contrat intelligent ?
« Nous utilisons des technologies communes centralisées comme toute bonne plateforme web sait le faire. Cependant, dès qu’il y a une entente entre les ayants droit, on se sert de technologies décentralisées pour rendre possible l’application automatisée du contrat intelligent, soit pour cristalliser l’entente et procéder au partage des droits. Nous utilisons alors des tokens de type ERC-998 pour écrire l’entente (en code Solidity) sur la blockchain d’Ethereum. »
Tokens ? Blockchain ? Ethereum ? Qu’est-ce que ça mange en hiver ?
Ethereum est un protocole d’échanges décentralisés permettant la création par ses utilisateurs de contrats intelligents. Ces contrats se fondent sur un protocole informatique permettant de vérifier ou de mettre en application un contrat mutuel. Ils sont déployés dans une blockchain qui en permet la consultation. Une blockchain, en fait, est une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle. Les informations fournies par les utilisateurs et les liens internes sont vérifiés et groupés à intervalles de temps réguliers en blocs, constituant ainsi une chaîne. Le protocole d’échange Ethereum utilise une unité de compte dont l’objet est d’appliquer les dispositions du contrat intelligent et de payer les ayants droit.
Acteur de l’industrie québécoise de la musique, Guillaume Déziel a vu dans l’avènement de la blockchain un solide modèle de développement pour l’évolution de la propriété intellectuelle dans un environnement numérique. Est-il besoin de rappeler que la propriété intellectuelle en a pris pour son rhume depuis une vingtaine d’années; la domination écrasante des géants du web a considérablement affaibli les créateurs de contenus et les alternatives mettent du temps à émerger pour que les artistes, très majoritairement précarisés dans un environnement numérique, puissent retrouver le chemin de la prospérité.
« Seule une blockchain ouverte, affirme Guillaume Déziel, peut permettre à plusieurs joueurs, indépendamment de leur nature, leur allégeance politique ou de leurs intérêts commerciaux, d’interagir. On a assez vu de guerres de clocher dans l’industrie de la musique qu’on a pensé y aller pour jouer au-dessus de la mêlée. »
Ainsi, Smartsplit favorise le partage des droits. Les services offerts par l’entreprise consistent à rendre concrètes les ententes conclues entre les ayants droit des œuvres : rédaction, liens avec les sociétés de gestion collective des droits, publication au dépôt légal, publication des métadonnées sur les œuvres (crédits, etc.) pour en maximiser la découvrabilité, protéger les œuvres, fournir toutes les informations nécessaires aux ayants droit sur les dispositions de leurs ententes et l’application de leurs contrats intelligents. On en passe…
« Une de nos grandes forces, soulève le porte-parole de Smartsplit, est d’offrir une expérience utilisateur (UX) qui respecte la courbe d’apprentissage des artistes et artisans. On ne vient pas au monde en sachant ce qu’est une « clé de répartition » ou une « exécution publique ». Ainsi, nous nous efforçons d’utiliser des termes compréhensibles par tous, bien au-delà des comptables, avocats ou éditeurs. »
Et quelle est la clientèle de Smartsplit ?
« Avant de lancer GarageBand, rappelle Guillaume Déziel, Steve Jobs s’était inspiré d’une étude de marché révélant que la moitié des ménages comptait au moins un musicien. Notre clientèle est là. Selon les données publiées par la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), 6572 nouveaux membres ont été accueillis en 2016 par la société de gestion de droits, la croissance annuelle est de 6,1 %. Toujours en 2016, 124 472 nouvelles œuvres ont été déclarées à la SOCAN, au Canada seulement. Ces œuvres s’ajoutent à un catalogue mondial de 27 millions de compositions disponibles. Dans un autre type de marché, CD Baby distribue plus de 9 millions de pistes en format numérique, sa division Pro Publishing administre plus d’un million d’œuvres et en accueille plus de 25 000 nouvelles par mois. Enfin, Bandcamp, un service B2B de vente en ligne, compterait à ce jour 13,9 millions de pistes disponibles en téléchargement, avec une croissance annuelle moyenne des revenus de 174,94 % par année. Cette croissance de la création alimente forcément la réflexion sur les partages de leurs droits. »
Et la concurrence de Smartsplit ?
« Au domaine des contrats intelligents en musique, fait observer Guillaume Déziel, il n’y a actuellement que de beaux projets avec des millions derrière; rien de lancé encore. À ce titre, nous sommes en avance sur la parade. Selon Gartner, qui publie annuellement son « Hype Cycle », l’adoption massive des technologies décentralisées comme la blockchain est prévue de 2022 à 2027. Nous serons là. Nous serons prêts. »