classique occidental

Concours de composition de l’OM : le carré d’as (troisième partie)

par Frédéric Cardin

Le premier concours de composition de l’Orchestre Métropolitain consacre quatre créateurs, voilà l’occasion de les découvrir sur PAN M 360. Voici Francis Battah.

 Crédit photo : Denis Cloutier

L’Orchestre Métropolitain a choisi quatre lauréats pour son premier Concours de composition, inspiré par l’œuvre de Beethoven : Marie-Pierre Brasset, Cristina Garcias Islas, Francis Battah et Nicholas Ryan. Lancée en mars dernier, cette compétition vise à commémorer le 250e anniversaire du fameux compositeur allemand. L’an prochain, les œuvres des lauréats seront créées par l’Orchestre Métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Le présent dossier vise à vous faire découvrir ces compositeurs et leurs œuvres, interviews de PAN M 360 à l’appui.

Rencontre avec Francis Battah, jeune compositeur montréalais né en 1995. C’est sa pièce intitulée Prélude aux paysages urbains qui lui a permis d’être choisi parmi les lauréats du concours de composition.

Francis a étudié avec Alan Belkin, Ana Sokolovic et Denis Gougeon, et poursuit en ce moment sa maîtrise à McGill avec Denys Bouliane. Il a déjà quelques honneurs prestigieux à son actif, entre autres au Concours de composition Antonin Dvorak à Prague, à la Société de concerts de Montréal, des compositions interprétées par Serhiy Salov, Nicolas Ellis et l’Orchestre de l’Agora, une collaboration avec l’actrice Monique Miller et plusieurs résidences de composition (dont une avec l’Orchestre de la Francophonie canadienne).

PAN M 360 : Salut Francis ! Comment as-tu réagi quand tu as reçu la nouvelle de ta nomination ?

FRANCIS BATTAH : Disons que ce fut assez excitant car c’est Yannick Nézet-Séguin qui m’a appelé pour me le dire. Ça ne pouvait pas être annoncé d’une meilleure manière !

PAN M 360 : Comment vois-tu ce défi dans les prochains mois, jusqu’à la création en mai ou juin 2021 ?

FRANCIS BATTAH : En vérité, la pièce est déjà toute écrite ! Ce sera moins stressant qu’une commande où l’on part de zéro. Disons que le gros du travail est derrière moi.

PAN M 360 : Reste-t-il tout de même quelques détails à régler ?

FRANCIS BATTAH : Assurément, mais assez mineurs. Ce sont des détails qui seront abordés directement avec Yannick quand il aura la partition complète. Il s’agit surtout de questions de tempos, des corrections d’erreurs, etc. Mais quand l’orchestre aura la musique, nous n’aurons qu’une seule répétition de 40 minutes pour tout placer. C’est tout ! Nous n’aurons pas le temps de changer des éléments trop précis comme des rythmes ou des notes. Et les erreurs techniques, ou de typogaphie, mettons, sont à proscrire absolument. Si un musicien lève la main parce qu’il bute sur quelque chose d’imprécis, ce sont de précieuses minutes perdues, et dans ce cas, elles sont rares !

PAN M 360 : Retournons au tout début si tu le veux bien. Comment es-tu devenu compositeur ?

FRANCIS BATTAH : Quand j’ai reçu un clavier électronique à l’âge d’environ six ans, la première chose que j’ai faite avec, c’est une petite composition ! Ensuite, j’ai suivi des cours de piano, mais j’ai fini par me rendre compte que j’avais de meilleures chances de me démarquer en étant compositeur plutôt que pianiste.

PAN M 360 : Ton parcours a-t-il toujours été classique ?

FRANCIS BATTAH : Non, j’ai fait pas mal de jazz aussi. C’est une musique qui colore assurément mon langage musical.

PAN M 360 : T’identifies-tu à une tradition musicale ? 

FRANCIS BATTAH : Je m’identifie comme indépendant. Bien sûr, si on veut faire la généalogie des sources fondamentales qui m’abreuvent, on doit parler de la tradition classique « traditionnelle » (Rires, c’est un pléonasme, mais bon), comme Mozart, Beethoven et la suite habituelle. Mais il y a aussi le jazz et un peu de prog rock, avec la musique contemporaine pour combler le tout.

PAN M 360 : Parlant de musique contemporaine, y a-t-il une esthétique précise à laquelle tu te rattaches plus volontiers ?

FRANCIS BATTAH : Celle de Ligeti m’habite fortement. Je me reconnaît dans son intérêt pour le rythme, dans sa recherche de sonorités inusitées, dans son indépendance aussi. Il ne faisait partie d’aucune « école » précise. Pour moi, il est un modèle.

PAN M 360 : Trois termes qui décrivent bien la musique que tu aimes écrire ?

FRANCIS BATTAH : 1- Souci de l’harmonie, qu’elle soit consonante ou dissonante; 2- Utilisation de formes qui permettent à l’auditeur de bien comprendre mon message. Je ne recherche pas la complexité à tout prix. J’essaie plutôt de communiquer le plus directement et le plus simplement possible des idées qui peuvent être très complexes et raffinées; 3- Diversité. J’aime toucher à toutes sortes de choses, à exprimer des caractères très différents les uns des autres selon les œuvres. 

PAN M 360 : Pour toi, qu’est-ce qui prime : le son ou l’harmonie ?

FRANCIS BATTAH : Je pense aux notes et à leur organisation harmonique avant le son brut. C’est mon point de départ. Cela dit, après je travaille toujours la finalité sonore de l’œuvre. Et là, je reviens à Ligeti : il avait la faculté de naviguer entre les deux, entre l’harmonie et le son vierge, brut. J’aime ce type d’entre-deux, cette recherche de liens entre deux prémisses opposées.

PAN M 360 : Que préfères-tu, une musique qui exprime des idées musicales ou une musique qui exprime des émotions ?

FRANCIS BATTAH : Je tends vers les émotions, mais il faut nuancer. Je ne cherche pas à les mettre à l’avant-plan. Une fois le processus inévitablement abstrait de la composition musicale achevé, je pense qu’on doit ressentir quelque chose, malgré la complexité de la construction.

PAN M 360 : Selon toi, y a-t-il une différence entre les compositeurs formés académiquement aujourd’hui et ceux du passé ?

FRANCIS BATTAH : Oui ! Les compositeurs précédents n’avaient pas un accès aussi large et facile à tout ce qui se fait autour d’eux. Aujourd’hui, nous sommes baignés d’influences innombrables, venant du monde entier, et presque en temps réel. C’est parfois même difficile de canaliser tout le bruit ambiant. Pour certains, la solution est de se faire un cocon qui ne comprend que la lignée traditionnelle, musique classique (Renaissance, baroque, etc.) jusqu’à la musique contemporaine pure et dure.

PAN M 360 : Comment te positionnes-tu face à cela, toi ?

FRANCIS BATTAH : Je n’ai pas grandi avec la musique classique. Je l’adore, mais je ne peux renier que j’ai appris à aimer et apprécier autre chose aussi. J’ai des amis qui font du jazz, de l’électro, de la pop, ça m’inspire indirectement.

PAN M 360 : Comment vois-tu le mouvement de la musique contemporaine « accessible », dite néoclassique, comme celle de Ludovico Einaudi, pour en nommer une très évidente ?

FRANCIS BATTAH : Je ne me sens pas en guerre contre ça. Au contraire. On doit se demander « qu’est-ce qui fait que cette musique sonne contemporaine ? » car, malgré ses harmonies très simples et consonantes, elle n’aurait pas pu être écrite comme cela il y a 100 ans. Il y a clairement une manière qui est d’aujourd’hui, la construction des accords, leur relation au rythme, les arpèges, etc. Dans une pièce, j’ai eu envie de prendre ces idées ultra simples, presque primitives, et de les développer plus amplement. Je m’en suis donc inspiré.

PAN M 360 : De quelle œuvre déjà écrite es-tu le plus fier ?

FRANCIS BATTAH : Une série de six préludes, réalisée avec le pianiste Philippe Prud’homme. J’en suis très fier.

PAN M 360 : Y a-t-il un projet global, à long terme qui t’anime en tant que compositeur, un héritage que tu aimerais laisser ?

FRANCIS BATTAH : J’aimerais fonder mon propre ensemble, réunir des musiciens de divers horizons comme celui de l’improvisation, du jazz, du classique et des instruments inventés. J’aimerais mélanger tout ça, ajouter des synthétiseurs, de l’électro et essayer de faire une symphonie du 21e siècle. Car ce n’est pas avec l’orchestre symphonique traditionnel que ça pourra se faire. Il faut ajouter pleins d’instruments pour bien représenter la créativité d’aujourd’hui. Et il faut plus que 40 minutes de répétition pour être créatif là-dedans !

PAN M 360 : Décris-nous Prélude aux paysages urbains, la pièce qui sera jouée par l’Orchestre Métropolitain.

FRANCIS BATTAH : Je me suis inspiré de la 6e symphonie, la Pastorale. Mon idée a été de faire la même chose mais pour un paysage urbain. Quel caractère représente la ville moderne ? Je me sers du thème principal du premier mouvement, je le percute, je le fragmente, je lui donne un autre rythme, parfois haletant. 

PAN M 360 : J’ai hâte d’entendre ça en mai ou juin 2021 ! Merci pour cette belle rencontre et bon succès !

FRANCIS BATTAH : Merci à toi !

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