L’Orchestre Métropolitain a choisi quatre lauréats pour son premier Concours de composition inspiré par l’oeuvre de Beethoven : Marie-Pierre Brasset, Cristina García Islas, Francis Battah et Nicholas Ryan. Lancée en mars dernier, cette compétition vise à commémorer le 250e anniversaire du fameux compositeur allemand. L’an prochain, les œuvres des lauréats seront créées par l’Orchestre Métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Le dossier qui suit vous fera découvrir ces compositeurs et leurs œuvres, interviews de PAN M 360 à l’appui.
Nous poursuivons avec Cristina García Islas, jointe à Mexico.
Compositrice, conférencière et pédagogue mexicano-canadienne, elle a participé à des festivals internationaux et des symposiums. Elle a été invitée en tant que professeur à l’IRCAM (Paris), à l’Université Laval et au Consulat général du Mexique à Montréal (Canada). García Islas est titulaire du doctorat en composition de l’Université de Montréal et d’une maîtrise et d’un baccalauréat du Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec (Montréal). Elle a été animatrice de radio pour Contemporary Musique au CISM 89.3 FM à Montréal et a participé à des panels et des jurys dans le monde entier. García Islas enseigne actuellement à l’Université UNAM et à l’Université Anáhuac México.
PAN M 360 : Où avez-vous grandi et qu’est-ce qui vous a menée à la musique ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : J’ai grandi dans la ville de Mexico. Comme chacun sait, cette ville est l’une des plus grandes au monde avec une ambiance cosmopolite, reconnue pour ses échanges culturels. Ainsi, j’ai commencé à jouer du piano à l’âge de cinq ans. Quand j’avais trois ans, je prenais un bâton (crayon, etc.) et je jouais à diriger un orchestre devant mes toutous au salon. En autant que je me souvienne, j’ai toujours aimé Beethoven et Mendelssohn. Grâce à l’intérêt porté par mes parents médecins, j’ai commencé mon parcours dans la musique. Ils voulaient que je développe une forte sensibilité envers l’art. Mes premières études musicales ont commencé à l’Académie Yamaha, soit à une époque où les Japonais voyageaient à Mexico pour y rester quelques mois et nous y soumettre des examens importants. J’ai passé toute mon enfance à étudier dans ce contexte.
PAN M 360 : Quel a été votre parcours académique ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : J’ai fait l’école primaire à Mexico, tandis que mes études secondaires se sont partagées entre Ottawa et Mexico. Mes parents voulaient que j’apprenne l’anglais d’abord et de cette façon j’y suis allée plusieurs fois, et un jour je suis restée au Canada. J’ai fait des études musicales à l’Escuela Superior de Música (México) avant de partir à Montréal où j’ai fait mon baccalauréat et ma maîtrise au Conservatoire de musique de Montréal. Après quelques années, j’ai fait mon doctorat à l’Université de Montréal en échange interuniversitaire avec l’École de musique Schulich de l’Université McGill. En 2015, je suis allée à Tel Aviv pour travailler dix jours avec des musiciens de l’ensemble Meitar et de l’Ensemble Intercontemporain à l’Israel Music Conservatory. Cet échange n’a pas été seulement académique, pour cela je le considère comme un moment très important pour ma carrière musicale.
PAN M 360 : Vous identifiez-vous à une tradition compositionnelle ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : Je ne suis pas très sûre d’appartenir à une tradition. Ma musique a toujours été très mélodique, je cherche l’expressivité avant l’expérimentation. La musique classique me touche beaucoup et la musique romantique encore plus, mais le chant – qui va plus loin que la tonalité ainsi que les textures – sont autant de choses primordiales pour moi. Alors, je me demande si le bruit et les textures appartiennent à la tradition dans ce siècle. Si oui, je suis totalement traditionnelle et sinon je suis probablement une espèce d’hybride musical.
PAN M 360 : Dans quelle esthétique vous inscrivez-vous ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : Je considère que je n’appartiens pas à une seule esthétique. Cependant, la musique spectrale française, les musiques de l’Italien Fausto Romitelli, du Mexicain Silvestre Revueltas et du Danois Per Nørgård sont des piliers importants dans ma création.
PAN M 360 : Quels sont les traits principaux de votre travail, en musique instrumentale et en opéra ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : Ma musique exprime cette nécessité pour moi de chercher l’équilibre entre l’expression liée au chant (et la recherche d’une mélodie) et l’exploration texturale qui n’ont pas précisément à voir avec l’héritage traditionnel classique. Je suis motivée par l’exploration sonore qui va au-delà de l’harmonie et du discours musical graduel et vertical, lié à une relation de tension et détente harmoniques. Je recherche un traitement plus horizontal, guidé par des échos sonores contenus dans des mélodies chromatiques qui résultent parfois d’un mouvement libre, inspiré par des explorations coloristes, imitatives ou purement résonnantes qui cherchent à s’imposer dans des sonorités longues et pleines. Dans le monde des créateurs se reflètent toutes sortes d’émotions et cela inclut l’acceptation de soi-même. J’ai intégré la fusion de différentes cultures tout au long de mon développement en tant que compositrice et être humain, qui dans mon cas se trouve entre les influences canadiennes et mexicaines. J’aime aussi chercher une union entre l’être et la nature.
PAN M 360 : Quelle est pour vous la différence entre un compositeur éduqué dans études supérieures en 2020 par rapport aux compositeurs issus des générations précédentes ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : Je trouve que l’éducation des générations précédentes a bénéficié d’une grande recherche et développement de l’acoustique musicale. Les compositeurs étaient plus proches des partitions sur papier et l’écriture faite à la main était beaucoup plus présente qu’aujourd’hui. Par contre je trouve que le développement de la formation auditive, les compétences théoriques et pratiques requises en composition étaient très différentes. Aujourd’hui, de nombreux compositeurs se concentrent sur l’apprentissage du mixage et du traitement sonore. Des progrès ont été réalisés dans l’étude de l’amplitude des spectres sonores artificiels et non seulement acoustiques. Il est plus nécessaire d’amalgamer la technologie avec l’acoustique et de générer principalement des mélanges électroacoustiques ou mixtes. La création des nouvelles générations se reflète principalement dans l’ordinateur et dans l’exploration de nouvelles formes d’expression, mélangeant la machine et l’interprète. En outre, il me semble que l’utilisation de la technologie a ouvert au cours de ce siècle un large éventail de possibilités pour les éditeurs de partitions.
PAN M 360 : Quels sont vos goûts musicaux en tant que mélomane ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : J’aime beaucoup la musique orchestrale de l’Europe du Nord (particulièrement Jean Sibelius et Per Nørgård), aussi la musique de Kurt Weill, et j’ai développé un goût particulier pour le swing électronique italien. Quand je suis très fatiguée, j’aime écouter Bach plutôt que Haendel. J’aime la musique du Moyen Âge pour méditer et nettoyer mes pensées, spécialement la musique de la compositrice Hildegard von Bingen. Mais, lorsque je me sens stressée ou déprimée, je préfère écouter de la musique pop des années 80. J’aime aussi les chansons francophones avec accordéon.
PAN M 360 : Croyez-vous avoir un projet global de composition qui vous distingue de vos contemporains en tant que compositrice ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : J’espère que oui ! (haha !). Je crois que le public sera le plus pertinent à répondre à la question et pourra le constater un jour. Actuellement, je pense à la création comme l’intégration des grands cycles un peu comme Stockhausen faisait avec ses opéras. Depuis récemment, je travaille sur un projet qui me prendra trois ans, car c’est exactement un cycle pour musique orchestrale, vocale et de musique de chambre avec un seul sujet. Je veux que toutes les pièces qui résultent de ce cycle soient connectées par une sonorité très proche, un caractère semblable, et qu’elle se nourrissent entre elles, peu importe la dotation.
PAN M 360 : Quel est le projet de l’œuvre lauréate de l’Orchestre métropolitain ?
CRISTINA GARCÍA ISLAS : L’écriture d’une pièce orchestrale inspirée de la 8e Symphonie de Beethoven. Cette œuvre m’a fait penser au titre Ré-silience en considérant le mot anglais silience qui se réfère au type d’excellence ou d’un talent passé inaperçu et qui est quasi incontestablement inconnu. D’autre part, le fait d’ajouter le préfixe « ré » nous invite à penser que nous sommes de nouveau exposés au passage de l’inaperçu, inconnu ou peu compris. Aussi le mot résilience se réfère à la capacité de surmonter les moments critiques et de s’adapter après avoir vécu une situation inhabituelle ou inattendue. Personnellement, je pense que la huitième symphonie est peut-être une sorte de beau fantôme qui reprend avec honneur ses douces mélodies depuis l’arrière de la salle. Enfin, le message ou l’objectif principal que je voudrais refléter dans mon œuvre est axé sur l’intégration d’éléments plus traditionnels et d’autres plus texturaux dans la recherche d’un langage inspiré par la force expressive du grand génie de Ludwig van Beethoven.