Antoine Corriveau rentre d’un vol de nuit

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Antoine Corriveau a 40 ans et survole toujours la nuit. Près de 5 années séparent la sortie de cet Oiseau de Nuit et Pissenlit, aussi sous étiquette Secret City Records et qui marquait alors un changement substantiel de sa facture orchestrale. Des concerts marquants précédèrent et succédèrent la sortie de Pissenlit et puis…

Au terme de transhumances existentielles, voire dépressives, l’artiste a fini par s’extirper de la pénombre et redémarrer le moteur de sa création, pour ainsi inviter une quinzaine de musiciennes et musiciens issus de différents horizons, évoluant pour la plupart au champ gauche de la culture montréalaise –  Stéphane Bergeron (batterie et co-réalisation), Marc-André Landry (basse), Simon Angell (guitare, saxophone), Sheenah Ko et François Lafontaine (claviers et synthétiseurs), Cherry Lena, VioleTT Pi, Rose Perron (voix), Taurey Butler (piano), Éveline Grégoire-Rousseau (harpe), Pietro Amato (cor), Émilie Fortin (trompette), Kalun Leung (trombone), Laurie Torres (piano), Mat Vezio (batterie), Ariel Comtois (saxophone).

Pour la sortie de ce cinquième album studio, Antoine Corriveau accorde cette interview à PAN M 360, menée par Alain Brunet.

PAN M 360:  Cet album  s’inscrit vraiment d’un changement déjà observé en 2019, peu avant la sortie de l’album Pissenlit (2020). Tu avais alors commencé à travailler avec Simon Angell (Thus Owls), Stéphane Bergeron (Karkwa), Pietro Amato (Bell Orchestre). Cette fois,  ils sont toujours là mais une quinzaine de musiciens ont collaboré à Oiseau de nuit, on pense notamment à Sheenah Ko,  Depuis cinq ou six ans, donc, on observe que ta culture musicale a vraiment changé.

Antoine Corriveau: Tu as raison.  Pendant la pandémie, mon ami Marc-André Landry avait  créé un petit groupe d’écoute quand on ne pouvait pas sortir de chez soi, le confinement était à son plus intense. Un de nous sélectionnait deux albums qu’on écoutait ensemble via What’sApp, puis on commentait ce qu’on écoutait. Ça m’a fait découvrir beaucoup de choses.

PAN M 360: J’observe dans ton profil biographique que vos découvertes étaient assez poussées, par exemple Makaya McCraven et Georgia Ann Muldrow.

Antoine Corriveau: Je les ai découverts là-dedans, en effet 

PAN M 360 : Je suis de ceux qui croient que le cadre musical, les arrangements, la réalisation, font la différence entre une chanson générique et une chanson musicalement visionnaire. Il y a plein de monde qui peut pondre de bonnes mélodies et de bonnes progressions d’accords, c’est un univers limité alors que le reste d’une chanson tient d’une créativité infinie. Et toi, Antoine, tu as bien compris ça c’est-à-dire que ta musique a évolué depuis le début. 

Antoine Corriveau: Je trouve quand même que cette approche est  dangereuse, parce qu’il est facile justement de tourner le dos à l’idée qu’une chanson doit se tenir dans sa plus simple expression. J’ai mon propre studio, c’est pour moi devenu facile de tomber dans l’arrangement, dans la production. Ça peut être facile des fois, je trouve, de faire un trip de production lorsqu’il n’y a pas de chanson derrière, ipas de texte qui se tient, il n’y a pas de musique qui se tient, il n’y a pas de progression (d’accords) qui se peut.

PAN M 360: Effectivement, il faut trouver l’équilibre, il faut éviter le dogmatisme, il faut que ça se tienne. Une chanson qui ne se tient pas ne peut compter sur un bel enrobage.

Antoine Corriveau: Ben c’est ça, je vous dirais que l’arrangement ne se peut pas si la chanson s’effondre en cours de route. C’est ben excitant mais…

PAN M 360: Quel fut le noyau créatif au centre de l’album?

Antoine Corriveau: C’est beaucoup moi et Stéphane Bergeron, qui a coréalisé. Ça fait dix ans qu’on joue ensemble. Dans les dernières années, il s’est mis à jouer beaucoup avec l’enregistrement, ajout des pédales, usage des compresseurs,  production de beats. Il me disait, envoie-moi des affaires, puis il gossait de son bord. Je l’ai alors impliqué parce qu’il travaillait beaucoup sur mes chansons. Au cours des dernières années, il a énormément évolué, il continue de chercher de nouvelles affaires. On a fait des trucs ensemble, on a fait de quoi de cool avec ce nouvel album. 

PAN M 360: Méthode de travail pour Oiseau de nuit ?

Antoine Corriveau: Une subvention du Conseil des arts et des lettres m’a permis d’inviter plein de monde en studio que j’enregistrais afin de me créer de la matière au début du processus. 

Au départ, j’avais envie de faire un disque de samples, j’avais mis la main sur une collection de vinyles. J’ai commencé à m’amuser avec ça mais mais je me suis senti un peu limité, n’étant pas un vrai beatmaker.  Je  me suis dit que ce serait peut-être cool de faire mes propres samples sur mesure; un accord une tonalité enregistré me permettait de poursuivre avec des instrumentistes et chanteurs.

Puis il fallait réutiliser ces enregistrements dans les chansons. Après ça, on enregistrait avec Stéphane, Simon et  Marc-André Landry, avec qui on a aussi enregistré une semaine de jams. Plusieurs chansons sont nées de ces séances où j’arrivais avec un riff autour duquel on a construit.

PAN M 360: Plusieurs anglophones ont travaillé, ce n’est pas strictement la famille indie-keb, il y a aussi mélange interculturel et multi-genres dont le hip-hop instrumental et le jazz qui sont très importants dans le résultat final.

Antoine Corriveau: Ouais, ça traduit un peu mes habitudes d’écoute des dernières années.

PAN M 360: Passons en revue quelques chansons d’Oiseau de nuit.On commence par Suzo, qui construit sur un motif de piano. C’est une déclamation proche du rap ou du slam, c’est à peine chanté.

Antoine Corriveau: Oui, la première portion de la chanson se rapproche des productions de rap. J’aimais l’économie de moyens, de choisir au plus trois ou quatre éléments. Ça a été un défi, tu sais; des fois, j’ai des chansons extrêmement touffues avec des gros arrangements, mais des fois aussi il s’agit d’assumer des parties assez minimalistes; au lieu d’ajouter il faut couper. C’était un peu ma petite fierté sur ce disque-là au niveau de l’arrangement, on le voit dans cette chanson. 

PAN M 360: Parlons du texte de Suzo. On se retrouve à Palerme, Suzo est le personnage dont tu fais le récit.

Antoine Corriveau:  Ce personnage m’est venu en tête un matin, je ne sais pas exactement pourquoi. Ça n’allait pas super bien dans ma vie, j’étais dans un genre de crise existentielle. Je m’imaginais fuir dans un autre pays, avec  l’idée d’effacer ma vie et en provoquer le recommencement à zéro.

PAN M 360: Un jardin est très influencé par le jazz. 

Antoine Corriveau: Oui, c’est ça. C’est une chanson où j’ai pigé ces mots dans un livre, des fois, je fais ça pour m’aider à écrire. Cette fois, ça m’a mené à mes souvenirs d’enfance parce qu’on avait un gros jardin chez nous. Dans l’ordre des chansons, d’ailleurs, il y a quelque chose de chronologique. Suzo était  une espèce de mise en place de ce qui vous attend, puis là, je pars avec la chanson qui traite peut-être un peu plus de mon enfance, de souvenirs d’enfance. Musicalement, j’avais envie justement de quelque chose de plus, vraiment plus doux que Suzo et finalement le groove de drum et de contrebasse est proche du jazz, notamment Makaya McCrevin. Ça s’entend. Puis, il y a un très long solo de guitare de Simon dans cette chanson-là. C’est drôle parce que Simon et moi sommes guitaristes, et on trouve ça parfois « boring », la guitare. Puis là, quand il a enregistré ce solo, on enlevait une pédale d’effet, à chaque nouvelle prise. Finalement, c’est le son complètement clean qu’on voulait, super naturel.

PAN M 360: Effectivement, il y a des moments « roots » comme celui-là, même si cet album est très produit dans l’ensemble. Et on observe beaucoup d’impro !

Antoine Corriveau: Comme j’enregistre beaucoup d’improvisation, c’est présent, même s’il y a beaucoup de traitement et de collage des sons. Quelque chose de profondément instinctif et humain.

PAN M 360: dans Moscow Mule, il est question de répression, ET ça ne va pas bien pour le narrateur !

Antoine Corriveau: Non, ça ne va pas bien. (rires) 

 Ben, ça, c’est un jam. Toute la première portion de la chanson, c’est l’enregistrement original du jam. J’ai juste commencé à jouer un riff de guitare, le band est embarqué, puis on a tenu ça pendant un bout. J’aimais beaucoup, beaucoup cette énergie.

Oui, j’ai écrit cette espèce de récit en ne sachant pas trop ce que j’écrivais. Mais j’avais beaucoup de plaisir ! J’écrivais cette narration,  j’avais des idées, ça sortait, je ne me cassais pas la tête avec ce dont je parlais. Une amie à qui j’ai fait lire la première version  m’a dit « On dirait que dans ce texte que tu racontes à quel point tu peux te mentir dans ta vie mais pas en art. » J’ai trouvé ça extraordinaire comme commentaire,  ça m’a permis de finir l’écriture du texte. C’est une chanson où il y a beaucoup d’idées qui font écho à des choses que j’ai vécues pour de vrai, notamment un personnage de la Côte ouest américaine. Après quoi, je parle de traverser vers l’Est et j’ai effectivement  vécu un moment dans l’Est américain. Je cherchais quelque chose, je n’allais pas bien et je roulais pour aller mieux. Fait qu’il y a plein d’éléments vrais et d’autres qui se mettent au service de l’histoire, qui mettent de la viande autour de l’os.

PAN M 360: Et ce titre?

Antoine Corriveau: J’avais le mot mule en tête et suis tombé sur un article racontant qu’un bar San Francisco avait retiré le mot « Moscow » dans sa liste de drinks,  en soutien à l’Ukraine. Alors là je me suis imaginé qu’arriver dans un bar et commander un Moscow Mule, comme s’agissait d’un mot de passe pour accéder au sous-sol où quelque chose se passait. Underground, un peu caché, ce qui correspondait à cette idée : ce qu’on dévoile de soi et ce qu’on cache. 

PAN M 360:  Pastoral , ça part d’un riff de blues et puis ça devient orchestral.

Antoine Corriveau: Oui, un grand jam qui a duré 30 minutes et que j’ai resserré, resserré, resserré jusqu’à en faire 9. C’est super bouillonnant et c’est tout le temps le même riff. C’est simple et ça dure 9 minutes pendant lesquelles il se passe quand même beaucoup de choses. Il y a quelque chose d’unique  et de beau dans cette affaire un peu cacophonique, ambitieuse aussi.

PAN M 360: Lorsqu’on pense à Pastoral, on pense à la symphonie no 6 de Beethoven, la Pastorale, ce qui n’a rien à voir avec cette chanson.

Antoine Corriveau: Pastoral est un mot auquel j’ai pensé il y a peut-être deux ans, que je trouvais qu’il était beau, je l’ai même envisagé comme titre d’album. Puis j’ai fait des recherches et la première association était la religion et le chant choral, un truc qui avait rapport avec ma jeunesse. Et puis il y a cette notion de campagne ou de nature avant l’intervention humaine. Que serait-elle si elle n’était pas altérée par la société humaine. Que serait-on sans altération sociale ? Des animaux sauvages ?   

PAN M 360: Et ainsi de suite. On ne fera pas la revue complète mais on a déjà une excellente idée du projet.Antoine Corriveau: Cet album est un mélange de vies imaginées  et de réels souvenirs. Des fois, j’ai même l’impression que mes souvenirs appartiennent à d’autres, et je franchis cette limite entre fantasme et réalité et tout se mélange.

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