Quelqu’un commence, une guitare presque nue s’offre au musicophile, puis les caisses claires claquent (cinq batteurs tiennent ici le rythme concurremment, selon nos sources, dont l’auteure-compositrice-interprète Salomé Leclerc). Les amplis sont bien chauds, ça gagne en puissance, on retrouve le chant caractéristique d’Antoine Corriveau : paroles intelligibles malgré un phrasé légèrement indolent, comme si Antoine ne voulait pas engager complètement ses muscles masticateurs, et grain de voix qu’on dirait obtenu par l’hybridation des cordes vocales de Daniel Lavoie et d’Arno.
Cette première chanson se termine dans un chaos de guitares, le musicophile se sent projeté dans une pièce d’Elliott Sharp qui pourrait s’intituler Distorsions, discordances et dissonances. Cette finale apocalyptique illustre bien le premier des deux changements que l’on remarque, en écoutant Pissenlit, quatrième album complet de Corriveau : sa musique s’ouvre aux accords agressifs et incongrus, aux textures audacieuses, aux secousses sonores, au piano préparé et aux décharges électroniques, à l’orée du bruitisme. Ça marche bien, ça marche même fort. Ce qui nous amène au deuxième changement, qui découle directement du premier : les chansons sont plus fluides qu’avant, on a le goût de se trémousser. Sauf peut-être sur Peut-être, délicate et émouvante ballade. Pas de somptueux arrangements pour violons et cuivres sur Pissenlit, comme sur Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter; il n’en subsiste qu’un peu de saxo, en fait.
Les paroles de Les sangs mélangés ont été écrites par Erika Angell – qui chante d’ailleurs magnifiquement son texte – et Corriveau avec, à la fin, des mots inspirés du roman Taqawan d’Éric Plamondon : « En Amérique – On a tous du sang indien – Si ce n’est pas dans les veines – C’est sur les mains ». Ironique, quand on sait qu’Antoine a enregistré cet album au studio Van Horne, qu’il a créé. Van Horne comme l’avenue, c’est-à-dire comme Sir William Cornelius Van Horne, magnat des chemins de fer qui participa à l’écrasement de la révolte des Métis, en 1885, et s’appuya ensuite dessus pour faire fructifier ses affaires. Personne n’échappe à l’Histoire, comme on dit.