On définit une fable comme étant un court récit, en vers ou en prose, généralement symbolique qui cherche à instruire son lecteur au moyen d’une morale. S’il y a bien une morale que l’on peut retenir de ce récent album du pianiste canadien Philip Chiu, c’est qu’élégance et ludisme vont de pair et sont partie intégrante du matériau sonore des œuvres que l’interprète s’emploie à dépeindre, pour faire ressortir leur histoire et leur riche palette de couleurs.
Le cœur de la thématique de l’album réside dans le cycle Mnidoonska (Une multitude d’insectes), une commande de Chiu à la compositrice anichinabée de la nation outaouaise Barbara Assiginaak, ainsi que dans le recueil de cinq pièces enfantines de Maurice Ravel, Ma mère l’Oye (transcription pour piano de Jacques Charlot, révisée par Chiu), qui prend son inspiration dans les contes littéraires du XVIIe siècle français. Les langages musicaux d’Assiginaak et Ravel se répondent et se complètent, dans leur recherche de l’expressivité du sens sonore. Après une introduction au timbre de Ravel avec une transcription pour piano (Lucien Garban, révisée par Chiu) de son fameux Quatuor à corde en fa majeur, l’auditeur est plongé dans un univers miniature, fruit d’une réflexion personnelle de Barbara Assiginaak sur la relation de son enfance avec la nature et comment, en particulier les mnidoonsaks, ces créatures insectoïdes de la tradition anichinabée, aussi minuscules soient-elles, ont leur importance dans le cycle de la vie. Les courtes pièces très imagées de ce premier livre sont remplies de délicatesse et d’évocations rêveuses, où résonnent les sons d’un monde indicible. À la tradition autochtone succède l’imaginaire des contes de fées de Perreault, Madame D’Aulnoy et Madame Le Prince de Beaumont, où l’écriture picturale de Ravel prend vie par le jeu passionné de Philip Chiu, des mystérieux accords de la Belle au Bois dormant en passant par le jeu de séduction entre la Belle et la Bête, jusqu’à l’apothéose d’accords triomphants dans un jardin féérique.