La Symphonie no 5 op. 81 de Jacques Hétu est une très rare œuvre de cette envergure dans le panorama canadien de la musique symphonique, peut-être même la seule. Il s’agit d’une construction ample et expansive, donnant du compositeur québécois tour à tour des airs de Sibelius, de Mahler, de Chostakovitch et de Debussy, mais avec une indéniable palette personnelle. C’est un véritable chef-d’œuvre, dont l’inspiration est la ville de Paris sous l’occupation nazie. Prenons l’exemple du deuxième mouvement, L’invasion, un scherzo puissant qui est d’une très haute teneur stylistique et n’a rien à envier à ses équivalents européens. Certains évoquent Chostakovitch. Je pense plutôt à l’Anglais Robert Simpson pour le foisonnement instrumental et l’activité rythmique ou au Suédois Allan Pettersson pour l’intensité émotionnelle. J’ose également évoquer un lien avec l’États-unien Walter Piston.
Chaque mouvement est magistralement construit et narrativement poignant. Le premier mouvement, un Prologue amplement déployé comme un somptueux canevas debussyste est suivi du deuxième mouvement, mentionné ci-haut, un tour de force tempétueux. Le troisième mouvement, un remarquable adagio chostakovitchien dense et chargé, évoque l’Occupation, alors que l’Andante final, intitulé Liberté, est le plus long mouvement de l’œuvre avec une vingtaine de minutes. Il est aussi le plus transcendant dans ses affects. Inspiré du poème éponyme de Paul Éluard, Hétu utilise le chœur tel un devin qui évoque ce mot (il ne le prononce qu’une fois, à la toute fin) comme un chant d’espoir plutôt que comme un Graal finalement obtenu. Car, le poème ayant été écrit en 1942, l’essence de son message est bien une espérance plutôt qu’une certitude. Harmoniquement, il y a d’ailleurs une ambiguïté qui se dégage de l’écriture du Québécois. La partie chorale rappelle Fauré et Duruflé, mais le chromatisme des fourmillements de bois qui la parcourent amplifient l’impression d’incertitude, à tout le moins d’extrême pudeur face à la perspective de la libération. On imagine les futurs ‘’libérés’’ être déchirés entre un soulagement à bout de force et l’horreur de la dévastation, anticipant le titanesque travail de reconstruction à venir.
C’est là la grande intelligence, même la sagesse de Hétu, que d’avoir évité toute grandiloquence triomphaliste. Il pose un constat lucide : la liberté est parcourue d’écueils dangereux et est un perpétuel exercice d’équilibrisme, ce qui la rend d’autant plus fragile. On peut aussi lire ce dernier mouvement de diverses autres façons : la véritable liberté n’est jamais acquise, et celle que l’on acquiert recèle les semences de sa propre destruction. Un constat on ne peut plus d’actualité. Hétu ne pouvait pas avoir vu venir l’état actuel de la démocratie, mais c’est la marque d’une très grande oeuvre que de permettre ce genre de réflexion.
L’Orchestre du Centre national des Arts, l’Orchestre symphonique de Québec et le Choeur Mendelssohn sous la direction de Jean-Sébastien Vallée offrent une lecture définitive et historique de ce très grand monument de la musique canadienne et québécoise. Essentiel.