La culture musicale pop (très) commerciale rencontre la culture savante contemporaine. Wow. Et c’est avec la plus improbable source d’inspiration pour une démarche d’avant-garde qu’est lancé cet album : Justin Bieber. Le Yummy World du Torontois MC Maguire (bien sûr basé sur Yummy de Bieber, un succès de 2020) est une pièce électro-orchestrale épique de quelque 23 minutes construite comme un Thème et variations frénétiques. Sur quelques fragments mélodiques de la chanson d’origine, Maguire redistribue 12 motifs qu’il entrelace et juxtapose dans un maelstrom continu de va-et-vient thématiques et texturaux. Le résultat est une sorte d’agitation post-minimaliste agrégée avec force loops et parfois de surprenant glissements harmoniques. Vous n’aurez probablement jamais eu autant envie d’écouter quelque chose associé à Justin Bieber.
La deuxième et dernière pièce du programme est un autre fleuve sonore, plus long encore que le premier avec presque 30 minutes de durée. Another Lucid Dream est un hommage à la chanson Lucid Dreams de Juice Wrld, mais plus encore. Le compositeur identifie la tristesse liée à cette pièce, sachant qu’elle est devenue un hymne hip hop à la tragédie que fut la vie de l’artiste, mort très jeune. MC Maguire va plus loin encore en dénichant à travers la progression harmonique de la chanson des liens avec la musique du compositeur baroque anglais Henry Purcell. Je le laisse expliquer lui-même sa démarche :
Il existe un lien musical/historique fort avec le Dido’s Lament de Purcell (et les arias du XVIIe siècle en général) dans l’utilisation d’une basse descendante sur des fragments mélodiques brefs et émotifs, fragments mélodiques. Cette pièce est également centrée sur une
basse continue de forme passacaille, que j’ai mise en boucle 93 fois (comme ‘’un rêve lucide récurrent’’) sur 8 mouvements en étirant la longueur de la passacaille. Inutile de dire que les mouvements se terminent dans des grooves binaires ou ternaires, souvent dans des contradictions étonnantes par rapport à la noire régulière = 84.
- MC Maguire
Le résultat, surprenamment, est assez léger, bien que chargé, et surtout plus limpide et lumineux que le concept ne le laisse entendre. Another Lucid Dream nous transporte, dans une envolée stratosphérique et remarquablement fluide, ondoyante et absorbante. Un trés bel hommage.
Voici un album raffiné qui sait transcender son matériau de base, sans jamais laisser croire que cela l’améliore, mais plutôt qu’il s’agit d’une démarche entièrement basée sur le respect et l’inspiration, et sur l’absence de préjugés envers la culture commerciale. On pourra en conserver quelques-uns, bien sûr, mais, assurément, ne plus jamais douter que même dans ce que la marchandisation extrême de l’art musical a de plus capitaliste et superficiel, peut se trouver la source d’un art sublimé, du moment qu’un esprit humain créatif décide de s’en emparer.