Les Études pour piano de Ligeti sont désormais des incontournables de la musique savante contemporaine et même des portes d’entrées idéales pour les mélomanes qui souhaitent tenter une exploration de la musique classique de notre temps. Ce sont des pièces à la fois accessibles par leur tempérament (elles sont ultra expressives, souvent rythmiquement vivifiantes et inspirées d’éléments extra-musicaux évocateurs, comme le prouvent leurs titres pour la plupart suggestifs) et exigeantes par leur modernité sonore.
György Ligeti était (et demeure aujourd’hui, à travers sa musique) un électron libre de la musique contemporaine. Comme un Spoutnik dans une volée de bernaches, il a toujours ouvertement manifesté son éclectisme esthétique, dans un univers académique qui ne professait presque exclusivement que la rectitude dogmatique du tout atonal-sériel-boulezien sans compromis et ultra condescendant vis-à-vis d’à peu près tout ce qui n’en découlait pas. Dans son monde sonore, il y a de la place pour les polyrythmies africaines, le jazz de Monk et Evans, les folklores d’Europe de l’Est, le gamelan balinais, les polyphonies médiévales et de la Renaissance, et encore plus.
On entend tout ça dans ses Études, d’une manière ou d’une autre. Désordre lance les hostilités avec conviction et volontarisme. Ça vous rentre dedans sans s’excuser et on en redemande. Et puis après on navigue entre poésie et brusquerie, entre ombre et lumière, entre introspection et extravagance, toujours en appelant une multiplicité d’influences soit extra-musicales ou extra-musique savante contemporaine. Tout est bon, mais voici quelques perles : L’escalier du diable, une ascension en spirale démoniaque vers un sommet éclatant, Galam Borong, inspirée du gamelan balinais, Automne à Varsovie, magique.
C’est tout bonnement génial. Si vous avez la moindre estime pour la musique, pas contemporaine, ou indie, ou avant-gardiste, ou ceci ou cela, juste la musique, la bonne, l’intelligente, vous devrez une fois dans votre vie écouter ce cycle fondamental de notre temps.
Et vous l’écouterez dans cette version, car Danny Driver en réalise ici une lecture définitive de subtilité, de compréhension, d’expression, de couleurs, de textures et d’émotions. Voilà, c’est dit.