Quatre continents sont reliés sur cet album pourtant résolument afrocentré, tirant son nom d’une bibliothèque doublée d’un centre consacré aux arts médiatiques à Johannesbourg, où Coldcut – les grands-pères du hip-hop exploratoire et fondateurs de Ninja Tune – était censé réaliser un album bénéfice au profit de l’association In Place of War. Les choses semblent avoir mal tourné, pour le mieux.
Dès les premières secondes du premier titre, le robuste et énergique Future Toyi Toyi, on reconnaît la touche du regretté batteur Tony Allen, architecte rythmique de l’afrobeat. Le style féroce, sinueux et riche en cuivres du Nigérian est en évidence tout au long du disque. Les participations d’Allen et de Dele Sosimi, autre musicien du groupe de Fela à l’époque, ont été enregistrées à Londres après les séances de Soweto avec divers musiciens sud-africains. Parmi eux figurent le guitariste Sibusile Xaba (porte-drapeau de la musique malombo zouloue), le percussionniste Thabang Tabane, la bassiste Gally Ngoveni, la chanteuse Nono Nkoane et les rappeurs Yugen Blakrok et Soundz of the South.
La connexion nigériane fait de ce disque une affaire transafricaine, mais les séances de Londres ont également mis à contribution des talents locaux comme les saxophonistes Shabaka Hutchings, Ed « Tenderlonious » Cawthorne et Tamar Osborn (des formations Sons of Kemet, 22archestra et Collocutor, respectivement), représentants de la formidable scène jazz londonienne qui gravite autour de l’incubateur artistique qu’est le Total Refreshment Centre.
Après l’Europe, l’Amérique du Nord. Avec le collectif brooklynois Antibalas, Freedom Groove, essentiellement afrobeat, se transforme par moments en un puissant soul-funk américain et porte les textes tranchants des vénérables poètes protestataires de Los Angeles, les Watts Prophets. L’Asie est également de la partie. La province indonésienne de Papouasie occidentale vit en ce moment sa propre période Black Lives Matter et sur la groovy Papua Merdeka, les Lani Singers (Benny et Maria Wenda) expriment leur détresse par des paroles implacables.
Fier, fort et sans compromis, Keleketla! comporte des passages plus tendres, comme la céleste pièce instrumentale Swift Gathering, une conversation émouvante entre le saxophone baryton musclé d’Osborn et le piano de sa compatriote Eska Mtungwaz sur fond de violons. Mais même là, comme sur la pièce pop un brin sirupeuse 5 & 1, c’est simplement la thématique centrale de l’album, la solidarité et la résistance organisée, qui s’exprime plus subtilement.