Vers la fin du premier mouvement, nous pouvons entendre des chants d’oiseaux interrompus par des coups de feu. Dès ma première écoute de ce passage de ce nouvel album de Godspeed You! Black Emperor, me sont venus à l’esprit les derniers mots prononcés par la poétesse Huguette Gaulin avant qu’elle ne s’immole sur la Place Jacques-Cartier de Montréal en 1972 : « Vous avez détruit la beauté du monde ». Cette ultime accusation que lançait l’artiste tourmentée alors âgée de vingt-sept pourrait très bien servir de leitmotiv politique au collectif de rock instrumental montréalais dont chaque parution est une charge dirigée contre tous ceux qui, appâtés par le gain ou le pouvoir, deviennent à leurs façons des destructeurs de beauté.
Le manifeste qu’a émis le groupe à l’annonce de la parution de cette nouvelle galette démontre bien que ses membres sont toujours animés par les idéaux anarchistes hérités du mouvement punk dont ils se sont toujours réclamés, rejetant du même coup l’étiquette post-rock qui leur a été accolée depuis leurs tous débuts à la fin du siècle précédent. Il est vrai qu’à l’écoute de ce G_d’s Pee AT STATES’ END, cette dénomination se révèle une fois de plus réductrice. Oui, les habitués reconnaîtront par moments les intenses crescendos qu’on associe à la musique post-rock, mais les compositions de ces noirs troubadours post-modernes sont beaucoup plus ambitieuses, plus riches. Particulièrement sur cette nouvelle œuvre qui renoue avec la splendeur de leurs premiers albums parus il y a deux décennies. Sur deux longues plages d’une vingtaine de minutes et deux pistes plus courtes qui les entrecoupent, on croise les influences les plus diverses : classique, country, tzigane, ambient, psychédélique, bruitiste, free jazz. Les instrumentistes brassent tous ces styles afin de nous servir des musiques apocalyptiques que le violon de la fabuleuse Sophie Trudeau illumine de l’intérieur. Le travail de Jace Lasek (Besnard Lakes) à la réalisation doit également être mentionné puisque les textures des guitares sont particulièrement goûteuses. Sans nous dépayser totalement, Efrim Menuk et sa bande nous livrent une offrande vitale pleine de bruit et de rage célébrant la beauté du monde qui, grâce aux artistes qui veillent sur elle, n’a pas encore été complètement assassinée.