C’est bien connu : on ne connaît que trop peu les compositrices en général. Cela est encore plus vrai en ce qui concerne les femmes qui ont écrit de la musique aux époques de la Renaissance et du Baroque. Les dernières années nous ont apportées de très belles redécouvertes à la fois d’artistes, oubliées par l’histoire officielle essentiellement masculine, et aussi d’œuvres de très grande qualité. L’ensemble La Cigale participe ici de superbe façon à ce travail de rééquilibrage musical entre hommes et femmes en nous proposant un programme impressionnant par sa qualité.
Exception faite de Barbara Strozzi que l’on connaît un peu plus depuis quelques années, toutes les compositrices ici interprétées seront probablement des révélations pour la plupart des mélomanes. On est immédiatement séduit par les phrases habiles et fluides, les mélodies attachantes, l’intelligence des constructions et le pur talent représentés par des compositions qui, jusqu’à récemment, dormaient encore dans des bibliothèques centenaires en Europe.
C’est une toute nouvelle vie que les instrumentistes de La Cigale donnent à la musique d’Isabella Leonarda, Vittoria Aleotti, Francesca et Settimia Caccini (soeurs) et, ci-haut nommée, Barbara Strozzi. Leonarda et Aleotti étaient religieuses et ont (heureusement) défié l’interdit des autorités quant à la pratique musicale des moniales. Leur musique témoigne d’une recherche de raffinement harmonique et polyphonique. Les sœurs Caccini venaient d’une famille musicale, mais c’est aussi l’encouragement du papa Giulio qui a compté, car ce ne sont pas tous les hommes de l’époque (même des époques subséquentes!) qui ont eu l’ouverture d’esprit de stimuler ce talent chez les femmes, mêmes celles de leur famille. Francesca est même présumée être la première femme à avoir écrit un opéra complet!
Barbara Strozzi est mieux connue, car on retrouve sa musique sur des enregistrements de plus en plus nombreux, et ce depuis environ une vingtaine d’années. Elle a probablement été la plus publiée des femmes des 16e, 17e et 18e siècles, et pour cause : sa renommée était immense, et ses partitions, excellentes. Son Hor che Apollo n’a rien à envier en intensité dramatique à Purcell.
Deux hommes s’immiscent dans cet aréopage féminin : Giulio Caccini (le papa de Francesca et Settimia) et Vivaldi (avec la sonate en trio La follia), qui a écrit certains de ses plus célèbres chefs-d’oeuvre (comme Les quatre saisons) pour les jeunes filles du fameux Ospedale della pieta. Ces demoiselles étaient tellement bonnes et tellement appréciées que leur renommée dépassait largement l’Italie. Un clin d’oeil, donc, à un homme qui a su défier les conventions misogynes de son époque pour permettre au talent brut de s’épanouir, peu importe le genre dans lequel il était en gestation!
L’ensemble La Cigale est à la hauteur des demandes de ces compositions fines et sophistiquées. Délicatesse, brio, élan, dignité, sobriété, tout le programme est construit avec beaucoup d’équilibre des affects et des expressions. Tout cela avec une coordination d’ensemble impeccable et un souci manifeste de musicalité.
On retiendra la superbe performance de Myriam Leblanc, jeune soprano acclamée et de plus en plus présente sur nos scènes. Son timbre lacté quoique scintillant dans les aigus convient idéalement à ce répertoire.
Un album important et irrésistible. Merci Analekta.