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En deux albums, Y et For How Much Longer Do We Tolerate Mass Murder, The Pop Group a posé, sans le savoir, les bases du post-punk. Influencé par le côté anarchique et agressif du punk mais les oreilles tournées bien plus vers le funk, le reggae et le dub, la formation de Bristol a influencé durant sa courte carrière un impressionnant nombre de musiciens, du Birthday Party à Sonic Youth en passant par Bauhaus, St-Vincent et bien sûr toute la cohorte trip-hop de la ville portuaire britannique.
Tout juste après le 40e anniversaire de Y, The Pop Group, qui s’est reformé en 2010, a fait appel au producteur visionnaire Dennis « Blackbeard » Bovell afin qu’il reprenne son rôle aux commandes et reconstruise en version dub l’album qu’il avait enregistré avec le groupe sur une ferme de la campagne anglaise en 1979. À l’image des titres présents sur Y, Y In Dub est une collection de 9 versions dub poids lourds reflétant l’intensité prodigieuse du matériel de base ainsi que l’originalité entreprenante de la musique dub et reggae qui a inspiré The Pop Group.
Avec Y In Dub, The Pop Group et Bovell explorent Y, amplifiant les ombres et les échos, accentuant intensément la résonance de chaque élément. Le matériel original est submergé et parfois prolongé, brisé, éclaté et sculpté en des formes turbulentes et contrastées qui s’écartent des pistes originelles de manière imprévisible. Sur ce nouvel OVNI, Dennis Bovell, connu pour ses nombreux albums, la trame sonore de Babylon et son travail auprès de Linton Kwesi Johnson, Fela Kuti, Madness, The Slits et tant d’autres, ajoute ici une étape inventive à son illustre carrière.
Afin de nous parler de cette expérimentation agitée et déroutante, nous avons rejoint le chanteur et parolier de la formation Mark Stewart. Iconoclaste de première, doux dingue fort sympathique mais qui n’est pas toujours facile à suivre, l’homme possède une feuille de route impressionnante, que ce soit avec son groupe Mark Stewart & The Maffia ou en compagnie des New Age Steppers, de Tackhead et de la bande du On U Sound System d’Adrian Sherwood.
PAN M 360 : Pourquoi avoir choisi de faire une version dub de Y et non pas de For How Much Longer Do We Tolerate Mass Murder ?
Mark Stewart : J’ai toujours été très intéressé par les techniques du dub, j’ai en quelque sorte dubé ma vie. Le dub pour moi, c’est la musique du hasard, On ne sait pas, quand on éteint soudainement, tout ce qu’on va trouver en dessous, ce que la grosse caisse va soudainement nous révéler, par exemple. C’est juste que c’est une expérience tellement intéressante, encore et encore. Quand je suis assis avec Adrian (Sherwood) ou avec Dennis Bovell, je dis simplement coupez tout, et on se retrouve au bord du précipice; puis soudainement un violon flotte, un violon dont tu n’avais même pas réalisé l’existence. C’est vraiment cathartique. Et ce n’est pas planifié. Il y a cette chose en Angleterre appelée psycho géographie où vous vous promenez dans la ville, mais vous allez délibérément à gauche au lieu de droite. C’est un peu ça le dub. Et toute cette procédure est pour moi une sorte de nettoyage, à tous les coups. Parce que ce qui s’est passé, c’est que tout d’un coup nous avons récupéré les bandes maîtresses et moi et Gareth (Sager, guitariste et claviériste de la formation) sommes dans notre bureau avec cette boîte et nous l’ouvrons et nous avons ces bandes avec notre écriture dessus. On n’avait pas vu ces bandes depuis 1978. Et j’ai dit à Gareth qu’on devrait les duber. Parce que nous expérimentions avec le dub et qu’on était influencés par la musique concrète quand on faisait Y. Donc on a proposé à Dennis de les duber mais d’utiliser exactement ce qu’il y a sur les bandes originales. Sans rien ajouter de nouveau, juste des effets comme King Tubby ou comme Dennis l’aurait fait à l’époque. Évidemment, ce n’est pas un truc rétro. Pour moi, c’était quelque chose d’assez hérétique parce que c’est devenu une sorte de totem ce disque, et j’ai pensé que c’était plutôt bien de le revisiter.
PAN M 360 : Parlez-moi un peu de Dennis Bovell. Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec lui en premier lieu pour le Y original ?
Mark Stewart : Donc, nous étions encore à l’école et nous jouions dans ces clubs. Et puis soudain, ces rédacteurs musicaux du Melody Maker et du NME ont commencé à s’intéresser à nous très sérieusement et à faire ces interviews avec nous. Je lisais Apollinaire et bla, bla, bla, bla, bla, bla, bla. Et je pensais que j’étais une sorte d’intellectuel. Mais soudain, ils ont commencé à dire : « Oh, c’est trop bizarre. On dirait Captain Beefheart ». Je ne savais pas vraiment qui était Captain Beefheart. Et en lisant toutes leurs théories… The Pop Group est le groupe parfait pour que les journalistes utilisent leur essai universitaire comme une critique. Je fréquentais donc beaucoup les sound systems et les boîtes de nuit à Bristol, qui sont en fait des clubs de reggae, des sound systems ou des clubs de dub, et j’adorais les versions bien barrées des morceaux classiques de reggae et de deejay (ou toaster, à ne pas confondre avec DJ) qui se produisaient à l’époque : U Roy, I Roy, Aggrovators… J’étais immergé dans le reggae. Là où ma mère a grandi, c’est là où tous les Jamaïcains sont venus vivre quand ils sont arrivés sur le (MV Empire) Windrush. Mais à Bristol, on ne voit pas vraiment la couleur. On est juste des Bristoliens, d’accord ? Quoi qu’il en soit, nous avions un gars vraiment cool, Andrew Lauder, qui dirigeait le label UA (United Artists), qui nous a signé. Et il était très ouvert d’esprit. Il disait : « Avec qui voulez-vous travailler ? ». Et nous avons dit, « nous ne voulons pas vraiment travailler avec quelqu’un ». Et il nous a dit « Vous savez, les gens utilisent des producteurs ». Et donc on a tous dit John Cale tout de suite à cause de son travail avec Nico, on a adoré Marble Index. Et il a travaillé avec les Stooges. Et il y a des arrangements jazzy assez libres pour le saxophone et tout ça… Ils ont donc fait venir John par avion et nous avons eu une réunion avec lui dans notre école pendant la pause déjeuner, et John n’arrêtait pas de s’endormir. Il était peut-être victime du décalage horaire, mais nous ne comprenions pas ce qu’il se passait. Donc ensuite, parce que nous étions tellement intéressés par les rythmes, le reggae, le funk et les sections rythmiques, nous n’arrêtions pas de dire que nous voulions travailler avec King Tubby, mais nous avons appris que King Tubby s’était fait descendre. À partir de l’âge de 13 ans, je séchais souvent l’école et je traînais, lorsqu’il pleuvait, dans ce magasin de disques appelé Revolver. Tous les vendredis, quand ce qu’on appelait « le van de Zion » arrivait avec les pré productions de la semaine en provenance de Jamaïque, les petits 7 pouces, je leur demandais toujours « joue la version, joue la version ». Je les achetais tous avec l’argent de mon dîner. Je ne mangeais pas. Et il s’est avéré qu’Adrian Sherwood était un livreur qui conduisait le van depuis Londres… Quoi qu’il en soit, juste avant nos réunions avec le label, il y avait un disque qui me plaisait beaucoup, Feel Like Making Love d’Elizabeth Archer et The Equators. Mais il y avait une version intitulée Feel Like Making Dub et elle était ralentie et il y avait des éclairs et des sortes de coups de tonnerre là-dessus. C’était vraiment à fond. Tu sais, le dub que j’aime est messianique. C’est juste à fond et ça donne des frissons. C’est comme un éclair ! Qu’est-ce qu’ils disent ? La ligne de basse est dans ta colonne vertébrale ou quelque chose comme ça ? En tout cas, c’est ce qui m’excite, le dub biblique à fond. Puis ils nous ont mentionné Dennis Bovell et je savais que Dennis était dans Matumbi, parce qu’ils jouaient en Angleterre à l’époque. Et donc j’ai juste dit « voyons si ce gars peut le faire ». Et nous l’avons contacté et nous avons eu une réunion avec lui. Et dès que nous l’avons rencontré, il est juste comme un gros ours en peluche, comme un personnage de Sesame Street. Tu sais, j’ai ce dicton, « ne grandit pas, c’est un piège ». J’étais toujours dans mon pyjama de kung fu que je portais depuis l’âge de 12 ans. Tu vois ? Et Dennis était juste si enjoué, naïf et excitable. Alors il nous a donné l’excuse d’être des idiots. Je ne vais pas appeler ça de l’art, mais c’est une question de jeu. Quand tu joues, tu juxtaposes et des trucs arrivent. Il nous a juste encouragés. Et il était très enjoué. Et soudain, on a fait 50 prises d’un morceau appelé Blood Money. Et il y a un morceau appelé :338, qui était comme Beyond Good And Evil à l’envers, et qui s’est avéré très bon sur cet album dub. Ça sonne comme une sorte de morceau fou de Neu! ou quelque chose comme ça. Encore une fois, c’est juste quelque chose qui a commencé comme une sorte de chanson punk 1, 2, 3, 4, quand nous étions gamins et que nous faisions I Wanna Be Your Dog ou autre, et ça devient soudainement un truc complètement différent. Il n’y a pas eu beaucoup de réflexion à ce sujet. Si tu retournes quelque chose, si tu le fais tourner à l’envers ou si tu l’ouvres, tout à coup, tu es dans un autre univers.
PAN M 360 : Vouliez-vous vous éloigner de l’album original ou en rester proche ?
Mark Stewart : Je ne me lance pas dans ces choses avec des idées préconçues. Nous pensions que certaines des politiques punk étaient non hiérarchiques. Nous ne disons pas à quelqu’un ce qu’il doit faire, nous prenons juste ce que quelqu’un fait et nous le retournons pour essayer d’écraser cette énergie avec une autre énergie. Je ne sais pas comment l’expliquer. On ne savait pas ce qu’il allait se passer. Et c’est ce que j’aime; tu vas quelque part, tu en sors le lendemain à sept heures du matin, et quelque chose d’autre s’est produit. Il faut garder son troisième œil ouvert, tout au long de la vie.
PAN M 360 : Et pendant ces sessions de dub, était-ce seulement Dennis qui travaillait dessus ou tout le groupe y participait aussi ?
Mark Stewart : En fait, Gareth était souvent là. J’étais impliqué à distance, je lançais des trucs déconcertants au téléphone et je faisais des blagues stupides. Et nous faisions des sortes d’allers-retours, on dépouillait et on éteignait et j’invoquais quoi que ce soit et j’ai été un peu mis de côté, parce que j’arrivais avec des tas de bruits de ferme et des trucs comme tous ces enregistrements de Joe Gibbs avec des coqs… J’aurais commencé à toaster sur Old MacDonald Had A Farm ! Ce qui est vraiment intéressant pour moi, c’est d’éteindre des choses et de les ouvrir, surtout en tant que parolier. Je m’intéressais au cut up, en remontant jusqu’à Brion Gysin. Et mes textes sont comme des collections de morceaux que j’ai assemblés parce que j’étais excité par ces lignes ou autre chose. J’ai écrit certains de ces trucs quand j’avais 13 ou 14 ans. J’appelle ça de l’archéologie psychique, il s’agit de retourner dans ces enregistrements. Philosophiquement, mon jeune moi m’a aidé l’année dernière et l’année précédente avec ce genre de messages. Ces lignes m’ont été transmises, ce qui m’a aidé dans des situations assez lourdes que je vivais ou que j’essayais de gérer dans mon esprit à ce moment-là, c’est assez bizarre.
PAN M 360 : Cet exercice dub vous a-t-il permis de redécouvrir l’album ?
Mark Stewart : J’ai redécouvert l’énergie, c’était comme une séance de spiritisme. Je déteste utiliser le mot rituel, mais nous avons en quelque sorte conjuré quelque chose, nous avons embouteillé une énergie, nous avons réussi à mettre cette énergie sur de l’oxyde ferrique. Dennis, avec sa façon de faire du dub, était comme celui qui frotte la lampe de Sinbad, et la chose a ressurgi, mais c’est une sorte de Golem différent. Ils m’ont demandé son nom, mais je ne peux même pas le prononcer. C’est vraiment long. Je pense que c’est amical. Qu’en penses-tu ?
PAN M 360 : Pensez-vous que la version dub jette une nouvelle lumière sur l’album ?
Mark Stewart : Oui. Pour moi, le génie que nous avons mis en bouteille et les idées que j’avais pour cet album étaient figées dans la chambre forte du label. Elles apportent une nouvelle lumière sur la situation dans laquelle je me trouvais l’année dernière. Donc la lumière rayonne du passé vers le futur. Tu sais, ma grand-mère était une voyante et mon père était obsédé par le pouvoir des choses paranormales. Mais je pense que peut-être ces messages viennent du futur. Pourquoi pensent-ils constamment que ça vient du passé ou de personnes décédées ? Qui sait d’où viennent ces choses ?
PAN M 360 : Vous rappelez-vous comment Y a été conçu et enregistré à l’origine ?
Mark Stewart : Totalement. Totalement parce que nous sommes allés dans cette ferme, cette ferme vraiment bizarre s’appelle Rich Farm. On a travaillé dans une grange pendant un mois avec Dennis. Et c’était une folie, c’était l’une des premières fois que je m’éloignais de la maison pour une si longue période, à part quand j’étais chez les scouts, et on s’est tellement amusé. Rester debout toute la nuit à marcher dans la neige en pyjama… tu sais, on était hors de contrôle. Sauvage, absolument sauvage. Les Slits y sont allées environ deux ans plus tard parce que nous avons commencé à aider les Slits et nous tournions et travaillions avec elles. Elles ont aussi demandé à Dennis de les produire et elles ont fait Cut là-bas. Vous pouvez voir l’effet que ça a eu sur elles sur la couverture de l’album : elles étaient nues, couvertes de ce qui ressemble à du fumier.
PAN M 360 : J’ai lu que vous étiez influencés par bien plus que la musique au début du groupe.
Mark Stewart : Tout à fait. Les films nous ont beaucoup influencés. Et puis Patti Smith nous a emmenés en tournée avec elle quand on faisait ce disque, le Y original. Et son pianiste s’appelait Richard « Death in Venice » Sohl. Les gens ne réalisent pas que les films ont été aussi influents que la musique, tu vois ? Et le truc, c’est que quand le punk rock a commencé, on ne pouvait porter que des vêtements de fous dans ce genre de bars de centre d’art. Il y avait deux centres d’art : un endroit appelé Dr. Finney et un autre appelé l’Actual Art Center. C’était les seuls endroits où les gens ne voulaient pas se battre avec toi. Vous pouviez y aller et porter votre pantalon de pompier en caoutchouc acheté dans un magasin de surplus de l’armée. Les vêtements sont évidemment le plus important, pour un gentleman comme toi.
PAN M 360 : Hahaha ! J’étais à fond dans ce genre de choses. Et à un moment donné, je me suis dit, c’est quoi cet uniforme que je porte ?
Mark Stewart : Eh bien, c’était le but du Pop Group. Parce que nos meilleurs amis étaient dans un groupe punk local appelé The Cortinas, et on allait dans ce club punk où tout le monde jouait, le Roxy, à Londres. Et on s’est dit : « formons un groupe ». Mais le punk n’était déjà plus le punk. On pensait que le punk, c’était expérimenter et défier les choses, mais c’est devenu bizarre. C’était un peu comme du pub rock. Il y avait de l’attitude, mais c’est devenu très vite traditionnel.
PAN M 360 : Le punk plus audacieux s’est en quelque sorte transformé en no wave. Et c’était plus intéressant et plus, je ne sais pas… expérimental ?
Mark Stewart : Ma chronologie n’est pas la même. J’ai toujours écouté du funk à l’origine, et puis du reggae en sortant dans les clubs et tout ça à Bristol. Je n’ai jamais dit que nous étions un genre ou quoi que ce soit, mais nous sommes passés directement de l’école à New York. Tu sais, à l’époque de Y, on était là, nous et les Gang of Four. On était très populaires à New York. Et j’y suis demeuré pendant des semaines et des semaines. Et j’étais dans ces clubs à côté de Keith Haring, tu sais, c’est juste fou. Et la façon dont la no wave a démarré à New York, nous n’étions pas vraiment au courant. On connaissait Patti Smith, mais c’était bizarre de découvrir James Chance et d’autres trucs comme ça. On était si jeunes, 17 ans !
PAN M 360 : C’est fou de voir à quel point le groupe a été influent. Je me suis plongé dans Y, un album que je n’avais pas écouté depuis un moment, et j’ai été frappé de voir à quel point The Birthday Party a été influencé par le groupe.
Mark Stewart : Ouais, Nick (Cave) dit ça. Je n’aime pas parler de ça tu sais… C’est un cercle… qui a influencé votre influence ? Nous avons été totalement influencés par Ornette Coleman et par des gars du free jazz comme Derek Bailey et d’autres trucs. Pour nous, c’est quiconque sort des sentiers battus ou prend des risques et se met en péril. Nous avons eu toute cette histoire de déconditionnement et de remise en question par rapport à ce que nous faisions, et autant concernant le processus de réalisation de Y avec Dennis aux Rich Farm Studios, dont Y in Dub est la suite. Pour moi, c’est très difficile de résumer les choses et je ne comprends pas pourquoi un disque signifie ceci et un autre disque signifie cela. Tu sais, un autre disque que j’ai fait, As The Veneer of Democracy Starts To Fade, a peut-être donné le coup d’envoi de la musique industrielle, je ne sais pas. Qui sait ? Je puise mes idées dans le R&B, dans les expériences qu’ils font avec les grosses caisses et tout ça, ou dans le crunk, tout ce qui se fait dans le style chop and screw, tu vois ?
PAN M 360 : Le groupe s’est reformé en 2010. Vous avez fait deux nouveaux albums, Citizen Zombie en 2015 et Honeymoon On Mars l’année suivante. Y a-t-il de nouvelles choses à venir ?
Mark Stewart : Oui, nous sommes toujours en activité. Et on vient de faire Y In Dub en live. Terry Hall des Specials nous a demandé de faire quelque chose. Il était responsable de l’événement Coventry City of Culture. Une expérience vraiment, vraiment intéressante. Parce que pendant les répétitions, on coupait le morceau, on jouait tous les trois temps. C’était vraiment bizarre. C’était comme passer par une sorte de formation de Marines ou quelque chose comme ça, s’empêcher de jouer des morceaux provenant de sa propre âme. C’était une expérience assez intense, comme quand les batteurs attachent un bras à leur jambe pour essayer de devenir plus ambidextres. Peux-tu imaginer les chansons que tu as souvent jouées et que tu connais intrinsèquement et tu dois juste faire ching au lieu de ching, ching ching. C’était vraiment intéressant. Donc Dennis avait de l’espace pour duber en direct.
PAN M 360 : Vous envisagez de le refaire ?
Mark Stewart : Ouais ! C’était une expérience très, très intéressante pour nous. Je ne savais pas ce qu’il allait se passer. Encore une fois, c’est une sorte de déconditionnement, c’est un nettoyage. Je ne peux pas comparer ça à quoi que ce soit. Mais c’était vraiment, vraiment très bizarre.
PAN M 360 : Les chansons It’s Beyond Good And Evil et :338 ont-elles été enregistrées en direct pour l’album Y In Dub ?
Mark Stewart : En fait, ce qu’il s’est passé, c’est que lorsque nous avons eu les bandes originales, nous avons eu cette idée d’un salon Y avec de l’art performance, des amis poètes et tout ce que tu veux, et juste faire ces vieux trucs bizarres dans ces magasins de disques, sans aucune sorte d’événement, juste pour lancer Y. Et j’ai dit, nous avons les bandes originales, pourquoi ne pas demander à notre ingénieur de les apporter et à Dennis de les doubler sur une table de mixage en direct ? C’est ce que Dennis a fait. Et je me tenais à côté de lui, je lui criais dessus et je le harcelais. J’étais en train de danser à côté des enceintes de basse dans le magasin Rough Trade avec tous ces grands fans, tu sais ils sont pratiquement copains maintenant, et c’était vraiment très bon et c’était une expérience brillante. C’était comme entendre mes trucs sur un très bon système de son, c’était comme un rêve devenu réalité.
PAN M 360 : Avez-vous l’intention de faire une version dub du deuxième album ?
Mark Stewart : Maintenant que tu le dis ! Je pense faire un single de Noël. Gareth et moi avons travaillé sur Silent Night, qui va très bien avec le confinement et le couvre-feu ici. Je travaillais avec Lee Perry sur certains de mes morceaux solo juste avant sa mort. J’ai fait une émission de radio avec lui, le gars de Wire et Cosey Fanni Tutti. Donc j’ai demandé à Cosey mais je n’ai pas encore eu de nouvelles d’elle, mais je viens de contacter David Thomas de Pere Ubu. J’aime ces histoires de « versus », comme la chanson de Noël du Pop Group contre la chanson de Noël de Pere Ubu, ou quelque chose comme ça. On est constamment en train de faire des trucs.
PAN M 360 : Quelle est votre définition du dub ?
Mark Stewart : (long silence)… J’essaie de duber ma vie. Le dub est la musique du hasard, et duber quelque chose, c’est le renverser. Les post-modernistes appellent ça la déconstruction ou quelque chose comme ça, mais encore une fois c’est très ouvert. Le dub, c’est comme être sur les rives de mondes infinis. C’est un index de possibilités, comme un Rubik Cube, tu vois ? Et j’adore ça. J’écoutais justement des trucs de Don Carlos tout à l’heure. Mon problème, c’est que lorsque je vais dans des sound systems, j’entends un morceau mais je ne peux jamais le trouver parce que je ne connais pas tous les noms. J’avais l’habitude de discuter avec les vieux chanteurs de reggae, ils me racontaient qu’ils faisaient la queue et cinq personnes différentes faisaient cinq versions différentes sur le même riddim, dans la même journée.
PAN M 360 : À choisir, quel est votre album dub préféré ?
Mark Stewart : Ce ne sont pas vraiment des albums, mais des morceaux. Il y a un titre qui s’appelle Stone de Prince Alla, avec tous ces éclairs et ces trucs (il chante) « I man saw a stone just come to mash down Rome », ou la version dub de Jahovia par les Twinkle Brothers… C’est sans fin, je pourrais t’en parler pendant des heures et des heures ! Chaque fois que je vais sur YouTube, les gens mettent en ligne ces versions dub folles de morceaux que j’ai entendu. Il y a cet endroit à Bristol appelé le Bamboo Club où j’ai vu I Roy, The Revolutionaries, Style Scott… Tu sais, c’est l’amour de ma vie le dub. Mon ami de Primal Scream dit que les épouses vont et viennent mais que ton équipe de football reste pour toujours. C’est la même chose avec le dub. Je pense que je jouerai encore des morceaux de dub quand je serai dans une maison de retraite pour vieux punks.
(photo : Chiara Meattelli)