Ta réalité artificielle, Ellemetue !

Entrevue réalisée par Louise Jaunet

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Créé pendant la première vague de la pandémie, le nouvel album Les crucifiés figuratifs du duo Ellemetue semble venir à nous depuis l’étrange pays lointain du temps du confinement, cet espèce de mauvais rêve qu’on préfèrerait plutôt vite oublier. Ayant cette immersion numérique en tête, Ellemetue nous revient avec 14 morceaux ficelés le long d’une escapade qui, avec le recul, nous apparaît quelque peu chaotique et incertaine. 

A travers ce nomadisme virtuel, la chanteuse et poète Nunu Métal dresse le portrait moderne d’une nouvelle cyber génération au langage non-binaire codé qu’elle surnomme les crucifiés figuratifs.

Qui sont-ils ?

Des sauveurs marginaux, des torturés de l’esprit, des anges déchus dans le virtuel ? Ce sont en tout cas des communautés qui naissent d’elles-mêmes dans le cloud puis qui réussissent à atterrir sur terre, telles des cyber-créatures venues de tous les bords d’un arc en ciel virtuel.

Dans le contexte actuel d’une expansion numérique démesurée, on imagine avec peu de difficulté l’embryon bêta de ce futur métavers queer, un espace virtuel qui saurait être potentiellement plus alternatif et plus libre qu’un métavers moyen … Une sorte de renaissance à travers le monde virtuel que Nunu semble bien avoir pigée. 

PAN M 360 a pu s’entretenir avec Nunu Métal et Mingo l’Indien, deux artistes à l’état naturel et à l’attitude dans le champ, mais prêts à tout pour préserver la poésie de la liberté.

PAN M 360 : Ellemetue s’est formé en 2016. Pouvez-vous nous dire deux mots sur cette rencontre ?

Nunu Métal : Pendant un tournage, on s’est rencontrés dans un bar de motel lors d’une session karaoké. Rendu à Montréal, on s’est mis à échanger et on a commencé à faire de la musique ensemble.

PAN M 360 : À travers vos trois albums, on sent une certaine esthétique garage DIY. Est ce qu’on peut dire que votre approche est de faire de l’art avec les moyens du bord ?

Mingo l’Indien : Je viens de cette école avec Les Georges Leningrad, c’est pas mal DIY dans la vie en général aussi.

Nunu Métal : On ne veut pas trahir nos racines. C’est bien important pour nous de ne pas être handicapés dans le processus.

PAN M 360 : Nunu, tu te définis comme artiste multidisciplinaire. A part la musique, quelle autre forme d’art pratiques-tu ?

Nunu Métal : A la base, j’ai un baccalauréat en communication, je suis maintenant en maîtrise à l’UQAM en recherche-création en média expérimental. Je touche pas mal aux vidéos et à la pellicule. D’habitude, je m’implique plus dans la conception visuelle, je l’ai cette fois ci laissée à notre amie Alix Roederer et son chum. Je touche un peu à tout, aux arts visuels, au théâtre, à l’écriture poétique. Je pense que tout cela contribue à l’imaginaire d’Ellemetue.

PAN M 360 : La moitié de l’album est faite de morceaux de moins d’une minute trente, ce qui donne comme résultat un collage un peu dada à l’album. Comment est venue l’idée ?

Nunu Métal : Je dirais que nous n’y avons pas vraiment pensé. Au début, le focus était plus sur la religion digitale mais on a divergé. On voulait faire les 14 tableaux de la déambulation biblique mais finalement on s’en est juste servi comme trame de fond pour faire complètement autre chose. On voulait utiliser le format rock. 

Mingo l’Indien : Ce n’était pas vraiment pensé. On voulait des pièces courtes “rentre dans ta face”. 

PAN M 360 : Pour ce nouvel album, vous avez choisi un titre aussi poétique que marquant : Les crucifiés figuratifs. De qui s’agit-il ?

Nunu Métal : Concrètement, il s’agit de personnes qui se retrouvent sur les réseaux sociaux, autant les influenceurs que les influencés. C’est en fait une métaphore par rapport à la religion et à la résurrection sous une autre forme. Les plateformes comme Instagram et Tik Tok nous permettent en quelque sorte de se réinventer. Il y a un côté qui permet une certaine émancipation mais il y a aussi un côté pernicieux. Il y a les deux forces du yin et yang en même temps.

Mingo l’Indien : Chaque personne peut aussi créer sa propre interprétation de cette image. Elle doit rester ouverte, la réponse ne doit pas forcément être homogène. Il y a aussi une critique dans ce qu’on fait, il y a un côté sarcastique et beaucoup d’humour noir. C’est du hara kiri à l’envers.

PAN M 360 : Nunu, c’est toi la plume du groupe. Quelles sont tes influences en matière de poésie ?

Nunu Métal : J’aime beaucoup Denis Vanier, Josée Yvon, les beatniks, Patti Smith. Je m’intéresse aux processus d’écriture spontanée qui gardent la qualité de la langue. Quand je commence à écrire, j’essaie de ne pas trop réfléchir, le sens se crée tout seul. Il y a beaucoup de second degré dans ce que j’écris aussi.

PAN M 360 : Dans quel univers as-tu baigné pour écrire les paroles de cet album ?

Nunu Métal : Je suis allée chercher dans le jargon cyber-slang, le franglais, les acronymes et les abréviations pour être proche d’un langage parlé par ma génération. Je trouve que tout ça se transpose super bien au rock, un peu comme le faisaient Marjo ou Diane Dufresne. On a aussi une influence qui vient des années 70, mais actualisée je dirais. 

PAN M 360 : Quelle a été ta méthode d’écriture, à part le “Sancerre, le haschich et les siestes » ?

Nunu Métal : Je vais composer des paroles par-dessus une ébauche de chanson. C’est plus par rapport au rythme que je vais trouver la twist. J’ai travaillé les textes en faisant du nomadisme virtuel, comme si j’allais explorer ce qui se fait dans les communautés en ligne. Chez les beatniks par exemple, il y avait un lien avec la spiritualité bouddhiste. Je suis allée chercher comment se présentait notre nouvelle spiritualité sur Instagram.

PAN M 360 : De ton côté Mingo, où es-tu aller chercher l’inspiration pour la musique ?

Mingo l’Indien : Je n’ai pas vraiment de genre qui m’influence en tant que tel. J’écoute beaucoup de jazz, de musique française comme Gainsbourg ou Brassens mais ça ne se reflète pas dans ce que je fais. On pourrait dire qu’on a flirté un peu avec Lou Reed. On pense à Aut’Chose, Plume Latraverse, ou des trucs comme Jacno. On ne compose pas vraiment en ayant des influences en tête.

Nunu Métal : Il y a toujours une touche à la Mingo, avec des guitares tournées à l’envers (rire).

PAN M 360 : Vous avez sorti un clip avec des danseurs pour le morceau accrocheur Swipe! Swipe!. Comment est-il venu habiller l’album selon vous ?

Nunu Métal : J’avais une idée en tête quand je l’entendais alors on a choisi cette chanson-là pour faire notre vidéo-clip. J’avais le goût de travailler avec des danseurs contemporains, pour mêler leur approche de la danse avec notre musique. On voulait un clash un peu comme Michael Clark pouvait le faire dans le temps avec le punk et le ballet. Sans résumé l’album, ce morceau donne un peu le ton avec les applications de rencontre, l’émancipation sexuelle et la petite touche féministe que j’ai mis pour composer l’album. 

PAN M 360 : On y voit les danseurs habillés en cyborg. A quel monde cela renvoie-t-il ?

Nunu Métal : Sur les réseaux, il y a beaucoup d’art cyberpunk, robotique et queer alien. Il y a un aspect dans tout cela que je trouve vraiment intéressant, comme Björk avait vu ça aller bien avant nous. Il y a par exemple l’artiste montréalaise Fecal Matter, connue internationalement dans le monde de la mode.

PAN M 360 : Vos spectacles comportent souvent des costumes et des projections. Qu’avez vous prévu pour le lancement qui se tient au théâtre Mainline le 2 avril prochain ? 

Nunu Métal : C’est un théâtre underground, plus anglo, sur l’avenue Saint-Laurent. Cette salle est assez méconnue mais elle gagne à être connue. Je l’avais découvert quand j’avais fait un 48 Hour Film Project, il fallait faire un film d’horreur à l’italienne en 48h. J’avais vraiment été charmée par l’endroit, il me faisait penser à un café ou lobby de cégep. Pour le spectacle, on va avoir deux autres invités avec nous et une première partie, plus électro-acoustique avec des machines DIY. 

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