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Pour la première fois depuis huit ans, le violoncelliste Stéphane Tétreault jouera en deux soirées (les 3 et 4 décembre en ligne) les célèbres Suites pour violoncelle seul de Bach dans le cadre du Festival Bach Montréal. L’occasion était belle de parler avec l’artiste de pandémie, de violoncelle et des changements dans sa façon de jouer cette musique franchement invincible au passage du temps et des modes.
PAN M 360 : Salut Stéphane, content de te parler ! Comment vis-tu la pandémie et toutes les restrictions ?
STÉPHANE TÉTREAULT : Salut, très heureux aussi de te parler ! La pandémie, je la vis un peu comme tout le monde : c’est difficile. La privation de la famille et des amis finit par affecter le moral, c’est certain, ces derniers prennent une grande place dans ma vie. Et puis, la privation de la scène et du contact direct avec le public, ça en rajoute une couche. Cela dit, je ne peux pas me plaindre non plus. J’ai la chance de faire plusieurs captations et d’être tenu occupé par plusieurs choses. Ce n’est pas le cas de tout le monde.
PAN M 360 : C’est vrai, on t’a vu entre autres dans une publicité du Quartier des spectacles aux côtés de plein d’autres artistes de la scène, tels Adib Alkhalidey, Ariane Moffatt, Catherine-Anne Toupin, Emmanuel Schwartz et Lydia Bouchard…
STÉPHANE TÉTREAULT : Oui, j’ai été très touché d’être invité à y participer ! C’est une belle initiative qui rend bien compte de l’importance de la culture. Il faut parler de l’art vivant, parler de sa vitalité et des bienfaits qu’il apporte à toute la société.
PAN M 360 : Surtout qu’en ce moment, on commence à voir un tantinet la lumière au bout du tunnel. Es-tu optimiste pour l’après-pandémie ?
STÉPHANE TÉTREAULT : Oui, même si j’anticipe que ce ne sera pas facile pendant encore un certain temps. Cela dit, il me semble évident que les gens ont super hâte de retourner dans les salles pour voir et entendre les artistes, et vice versa ! Je pense que lorsque le retour sera officiel et sans restrictions trop contraignantes, l’intensité de l’énergie positive qui sera présente va être incroyable ! Moi, en tout cas, j’ai très très hâte de m’asseoir au concert ou au théâtre et d’accueillir les émotions que les artistes voudront partager avec moi. J’ai tout aussi hâte d’offrir moi-même des émotions au public devant moi.
PAN M 360 : Venons-en à la principale raison de cette entrevue : les Suites de Bach que tu joues en deux soirées lors du Festival Bach Montréal. C’est la première fois que tu les interprète en rafale comme ça ?
STÉPHANE TÉTREAULT : Non, je les ai jouées en deux soirées aussi en 2012, au Festival Classica de Saint-Lambert, mais je n’avais que 19 ans à l’époque. C’était un peu fou d’accepter ce genre de défi à un si jeune âge, car ces suites sont très exigeantes non seulement sur le plan technique et musical, mais aussi sur le plan de la maturité émotionnelle. J’ai tout de même relevé le défi, mais jamais plus depuis. J’ai bien entendu joué une suite ici et là, lors de concerts variés, mais plus jamais en rafale. Ce sera donc la deuxième fois, mais pas la dernière !
PAN M 360 : Tu comptes recommencer ailleurs ?
STÉPHANE TÉTREAULT : J’aimerais faire une tournée avec elles, un peu partout au Québec et au Canada, et même à l’international.
PAN M 360 : Parlons de ta vision et de ta compréhension de ces monuments de la musique, qu’est-ce qui a changé depuis 2012 ?
STÉPHANE TÉTREAULT : Tellement de choses ! J’ai dû revoir mes coups d’archet et mes doigtés 112 fois ! Mon approche a également beaucoup évolué. Je la dirais plus… épurée, plus près de la source de cette musique. J’ai travaillé entre autres avec Elinor Frey, violoncelliste baroque montréalaise d’immense talent et de profondes connaissances stylistiques liées à la musique ancienne. Elle a ouvert mon esprit sur la culture et la pensée de cette discipline musicale, soit l’interprétation baroque, même si je ne prétends pas que c’est exactement ce que je ferai. Disons que mon jeu s’en trouve maintenant « informé ».
PAN M 360 : Quel est le meilleur conseil que tu retiens d’elle ?
STÉPHANE TÉTREAULT : Elle m’a tellement appris ! C’est difficile d’identifier un seul point. Spontanément, je dirais qu’elle m’a fait prendre conscience de la signification de l’expression anglaise less is more. Dans ce genre de musique, on doit faire passer des émotions, il faut que ce soit chaleureux et communicatif, mais il faut que ça demeure tout en subtilité et en raffinement. On ne passe pas son temps à déchirer sa chemise sur scène, et ce n’est de toute façon pas nécessaire pour que la musique dise ce qu’elle a à dire. Il y a aussi l’organiste et claveciniste Mireille Lagacé, à qui je dois dire merci, qui m’a accompagné dans mon évolution. Elle m’a énormément appris sur le type de jeu à déployer dans ce genre de musique.
PAN M 360 : Te souviens-tu de ta première rencontre avec cette musique ?
STÉPHANE TÉTREAULT : Je me rappelle que quand j’avais 11 ans, Yuli Turovsky m’avait donné la première suite à apprendre. Je connaissais la mélodie du Prélude, comme tout le monde, mais sans plus de profondeur. Je pratiquais, je pratiquais, mais Yuli n’était jamais satisfait de mon exécution. Un jour, il m’a dit : « Stéphane, imagines que tu es Bach. Tu fais de l’insomnie et tu décides d’aller à l’église improviser sur l’orgue plutôt que de tourner sous les couvertures. Le Prélude, il faut que tu le joues comme en pleine nuit, en improvisant pour alléger ton esprit. Ce n’est pas pensé, ce n’est pas réfléchi pour tel ou tel effet, c’est spontané et ce n’est pas trop appuyé, parce qu’on est seul dans une église en pleine nuit ! »
Ça m’a marqué. J’y ai repensé sans arrêt par la suite. Tellement que, peu après, au Concours de musique de Sorel, juste avant de commencer cette pièce, je me suis accroupi sur le violoncelle et je me suis concentré à me projeter dans ce scénario pendant quelque chose comme un bon 45 secondes ! Les juges ont dû se demander ce qu’il faisait là, celui-là ! En fin de compte, j’ai été satisfait après l’avoir jouée, ce qui ne m’arrivait pas souvent…
Qu’y a-t-il de si génial dans cette musique ? Écoutez un tutoriel simple et efficace pour mieux comprendre la fascination qu’exerce le fameux Prélude de la Première suite pour violoncelle de Bach (en anglais, avec la violoncelliste Alisa Weilerstein).
PAN M 360 : Les deux soirées sont à 22 h (si on écoute en direct, mais on peut les réécouter par la suite), est-ce un avantage ou une contrainte pour toi de jouer à cette heure ?
STÉPHANE TÉTREAULT : Ça me va très bien ! J’ai déjà joué un programme à 23 h en Suisse, éclairé aux bougies et tout. J’ajuste ma routine en conséquence, en faisant une sieste en après-midi, par exemple. Je suis un oiseau de nuit ! Si je devais donner un concert à 9 h, là, je pense que ce serait un peu plus difficile !
PAN M 360 : Je te souhaite le meilleur succès pour ces deux soirées !
STÉPHANE TÉTREAULT : Merci !