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Seul sur scène, Philippe Spiesser joue des percussions invisibles. En temps réel, ses mains et son corps sculptent virtuellement des sons et des images, le public est immergé dans une exploration du geste en musique comme instrument. Grâce à différents dispositifs de capteurs et à des algorithmes de vision par ordinateur, le corps de l’interprète se transforme en instrument. Bienvenue au spectacle Sculpt, présenté au Wilder ce mardi 12 avril dans le contexte des Résonances Croisées mises en œuvre par Le Vivier.
Ainsi, un percussionniste helvète est au centre d’un dispositif multimédia utilisant des capteurs Kinect et Arduino (capteur de mouvement infrarouge pyroélectrique). Ce projet, baptisé GeKiPe pour « GEste, KInect et Percussion », a été développé au sein de la Haute école de musique de Genève, en partenariat avec l’IRCAM Centre Pompidou de Paris. Le programme comporte deux pièces : Hypersphère de José-Miguel Fernandez et Le Silence d’Alexander Vert. L’environnement numérique est une création de l’artiste visuel Thomas Köppel.
PAN M 360: Quelles ont été les motivations premières de ce projet ?
PHILIPPE SPIESSER : Le projet est né en 2015. Comme je suis professeur à la Haute école de musique de Genève, j’ai la possibilité de développer des projets de recherche au sein de l’institution. J’avais déjà travaillé avec Alexander Vert, directeur artistique de Flashback à Perpignan et on a imaginé un nouveau spectacle avec des instruments virtuels en utilisant de nouvelles technologies. J’ai rencontré José-Miguel Fernandez de l’IRCAM à Paris, on a décidé de mener un projet de recherche / création musicale. C’est-à-dire que nous ne voulions pas faire seulement de la recherche mais on voulait aussi avoir un concert un an plus tard. Ce qui s’est passé, c’est qu’on a contacté une scène nationale à Perpignan qui a acheté notre spectacle alors qu’il n’existait pas encore.
« Le percussionniste Philippe Spiesser est au centre d’un dispositif multimédia utilisant des capteurs Kinect et Arduino (capteur de mouvement infrarouge pyroélectrique). »
PAN M 360 : Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ce dispositif ? De quelle manière, par exemple, les capteurs induisent une action de votre part ou d’autres sons ?
PHILIPPE SPIESSER : Nous avons développé un outil de captation : on utilise les gants, accéléromètre, une caméra Kinect. Nous avons invité les compositeurs Alexander Vert et José-Miguel Fernandez pour imaginer les deux premières pièces du spectacle Sculpt que nous présentons à Montréal. Depuis, évidemment, on a invité de nouveaux compositeurs à travailler avec ce dispositif.
PAN M 360 : Dans quelle sillon de recherche ce projet s’inscrit-il? Qui sont ses ancêtres? Comment les organismes mentionnés ont-ils fonctionné ensemble?
PHILIPPE SPIESSER : Nous avons travaillé sur différents capteurs, accéléromètres et gyroscopes existants. Du coup José-Miguel a développé tout un système de reconnaissance avec ces capteurs, afin de les intégrer à la performance d’un musicien comme moi. Nous sommes partis sur des gestes de percussionnistes, j’ai joué sur des instruments virtuels en faisant de vrais mouvements qu’on utilise en percussion. José-Miguel a repris ces données recueillies sur les capteurs pour en créer un outil de musique et de performance. Le dispositif a été créé autour de la latence entre le son et l’image. Dans cette optique, l’artiste visuel Thomas Köppel a quant à lui développé un instrument pour contrôler les images générées avec les gants. Ils ont mis en fait deux systèmes de captation ensemble. Il y a donc la caméra Kinect pour l’image et la spatialisation en trois dimensions et les capteurs que j’ai dans les gants qui produisent des inclinomètres. Du coup ils ont fait des choses qui ont fait avancer la captation gestuelle avec les caméras Kinect 2 et 3 , ainsi que de nouveaux capteurs. On utilise aussi les nouvelles avancées technologiques, avec les outils les plus récents.
PAN M 360 : En quoi ce projet se démarque-t-il des autres s’inscrivant dans une même « tradition »?
PHILIPPE SPIESSER : Nous travaillons là-dessus depuis sept ans, mais bien sûr, on utilise les systèmes de captation depuis les années 60-70 et ensuite la miniaturisation des outils a permis de nouvelles pratiques; on peut, par exemple, mettre des capteurs sur des danseurs. Ces nouveaux instruments de captation ont été en quelque sorte vulgarisés et démocratisés, notamment dans le gaming. On détourne ainsi les instruments de captation pour en faire des outils de recherche et de création.
« Le programme comporte deux pièces : Hypersphère de José-Miguel Fernandez et Le Silence d’Alexander Vert. L’environnement numérique est une création de l’artiste visuel Thomas Köppel. »
PAN M 360: Comment situez-vous ces deux œuvres dans l’œuvre de ces deux compositeurs?
PHILIPPE SPIESSER : Ils composent aussi pour des instruments traditionnels. Ils ont fait des études de composition traditionnelle, et là, l’idée était de composer une pièce entièrement pour des instruments virtuels, et donc à partir de données reçues sur les gants et la caméra Kinect, pour ainsi créer de la musique et de la vidéo. Donc les capacités des compositeurs sont dédiées à une œuvre avec un outil nouveau.
PAN M 360 : Pourriez-vous nous décrire sommairement les approches de ces deux compositeur dans le contexte précis de ces deux œuvres?
PHILIPPE SPIESSER : José-Miguel Fernandez, comme il vient de l’IRCAM, il a une composition électronique et générative. C’est-à-dire que l’interprète sculpte le son en direct. Alors qu’Alexander Vert a écrit une partition plus traditionnelle, comportant des sons préenregistrés que je déclenche et que je traite en temps réel. Dans les deux cas, il y a une part d’improvisation sauf que chez José-Miguel, c’est une pièce générative d’improvisation et donc qui évolue en temps réel. Chez Alexander Vert, il y a des tableaux bien précis dans lesquels j’évolue, j’y joue carrément des partitions virtuelles en trois dimensions, et quelques tableaux me permettent une part d’improvisation.
PAN M 360 : En quoi cette « performance » technique et scénique nous projette-t-elle dans la réalité virtuelle?
PHILIPPE SPIESSER : Déjà je joue sur des instruments qui n’existent pas, qui sont complètement virtuels. C’est une performance immersive, c’est-à-dire que le public est plongé dans un univers sonore et visuel. Et c’est vrai que le visuel apporte beaucoup, parce qu’on perd un peu la notion d’un concert traditionnel avec des musiciens qui jouent une partition sous des éclairages. Et on voit bien que je joue des instruments virtuels. J’ajouterais que nos nouveaux projets sont encore plus immersifs que celui de ce programme, avec des Google Glass avec la possibilité que le public puisse voir dans mes lunettes virtuelles.
PAN M 360: De quelle manière cette gestuelle devient-elle une œuvre d’art plutôt qu’un exercice explorant les potentialités d’un dispositif technologique?
PHILIPPE SPEISSER : Primo, nous travaillons avec différents compositeurs, et donc les univers sont différents. Ensuite, c’est codifié. Ces nouvelles technologies peuvent ne mener qu’à des démonstrations mais on peut avoir un jeu beaucoup plus fins qu’on ne pense. Sculpt, le spectacle que l’on présente, est un peu une démonstration. On y entre dans un cycle de recherche, qui impliquait un appel de financement, mais depuis nous avons mené d’autres recherches où on a fait carrément des instruments physiques mais augmentés par cette technologie. En tout cas, chacun de ces instruments ont leurs possibilités précises. Bien sûr il y a le problème des mises à jour de ces nouveaux instruments, dont l’obsolescence peut être programmée. Il faut des mises à jour… car la technologie évolue très rapidement. C’est ce dont témoigne cet art, celui de notre monde actuel où tout va vite.
POUR INFOS ET BILLETS SUR LE SPECTACLE DE MARDI, 21H AU WILDER, C’EST ICI.