Robert Robert sublime l’ennui dans Silicone Villeray

Entrevue réalisée par Marius Gellner
Genres et styles : art-pop / bedroom pop / pop

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Robert Robert revient avec un projet à la fois plus pop et plus personnel. Loin de la musique de club qui a lancé sa carrière, le DJ/ producteur décide cette fois-ci de poser sa voix calme, parfois indolente, sur des trames instrumentales pop/électros… tout de même propices au plancher de danse. 

Né dans la chambre de Robert Robert, Sillicone Villeray a été coréalisé avec Hubert Lenoir ainsi que Benoît Parent, Félix Petit, CRi, Marius Larue au mix et Richard Addison au matriçage. 

Depuis Villeray, quartier de Montréal où l’artiste de 25 ans habite au moment de l’écriture de cet album, il explore le quotidien à travers des chansons en français. Il y dépoussière ce qui semble banal afin d’en partager la beauté. 

Son ton à la fois mélancolique et plein d’espoir s’inscrit parfaitement dans la saison estivale et les réjouissances de la levée du couvre-feu à Montréal.

PAN M 360 : Ça fait une dizaine d’années que tu fais de la musique. Tu as sorti plusieurs projets, tu as joué à l’international… Est-ce que tu pourrais me résumer un petit peu ton parcours musical ? 

Robert Robert : J’ai commencé les cours de piano alors que je n’aimais pas vraiment ça, quand j’avais environ cinq ans. Plus tard, j’ai joué de la guitare, de la basse. J’ai commencé à m’y mettre sérieusement à 13 ans, quand on m’a montré comment fonctionnait GarageBand. J’étais un enfant qui jouait beaucoup aux jeux vidéo, donc c’était sympa d’avoir un logiciel. Je me suis mis à en faire de plus en plus, à écouter de la musique électronique. Vers 15-16 ans, j’ai commencé à me produire dans des raves. J’ai fait ça pendant un moment et vers 18 ans, j’ai pris le nom Robert Robert. À ce moment, j’ai commencé à penser un peu plus à la musique que je voulais faire, à approfondir certaines questions. Qu’est-ce que je peux faire avec ma musique ? Quels sont les sentiments que je peux véhiculer ? Comment je suis capable d’utiliser la musique comme vecteur d’émotion ? À partir de là, j’ai commencé à faire moins de shows dans des raves et à davantage me concentrer sur de la musique enregistrée. Avec des amis, on a sorti un vinyle, on s’est mis à faire des DJ sets dans des salles montréalaises, on a fait les Piknic Électronik… De fil en aiguille, on s’est retrouvé en France à Garorock, aux Francofolies de La Rochelle, etc.

À un moment donné je me suis retrouvé moins satisfait de ce que je faisais. Ça tournait vraiment autour du night life et de la musique qui marche dans les clubs. J’avais davantage envie de faire de la musique qui racontait des histoires parce que c’est ce que j’aime. Donc dans les dernières années je me suis mis à aller dans une direction plus chantée, écrite. C’est sûr que c’est bizarre. Ça fait un peu comme si je recommençais. Tout ce que j’ai fait avant c’était pour autre chose. Au final je m’amuse tellement en faisant cette musique !

PAN M 360 : Comment caractérises-tu l’univers musical de Silicone Villeray ?

Robert Robert : Je suis conscient d’avoir énormément d’influences, parce que j’ai commencé la musique très tôt. J’aime plein de trucs. Je ne peux pas forcément nommer ces influences quand j’écris une chanson. C’est inconscient. Mais pour revenir à l’univers musical de Silicone Villeray, je dirais que de chanson en chanson l’énergie change un peu. Manger des coups est plus agressive, tandis que Digital ressemble plus à une ballade. Là où ça se rejoint, c’est que l’univers se retrouve dans les textures. J’y passe beaucoup de temps et j’aime beaucoup travailler dessus. L’album est un mélange de textures, un côté électronique avec des textes sur beaucoup de basses et de synthés. Tous les éléments que je place dans une musique ont pour but d’amener à un mood spécifique.

PAN M 360 : Par quoi ce projet se distingue-t-il de ce que tu faisais avant ?

Robert Robert : Je crois que j’y ai passé plus de temps, parce qu’on en a eu beaucoup, dernièrement. J’ai assumé le fait que je voulais faire un projet qui se rapproche de la pop. Je ne me suis pas limité à me demander ce que les gens allaient penser. Dans la musique électronique, il y a cette recherche d’un côté edgy, pour que ce soit cool. Ici, j’ai essayé de ne pas y penser. Au lieu de chercher à savoir si les gens qui m’écoutent allaient aimer ça, je me suis plutôt concentré sur l’émotion et la manière de la transmettre.

PAN M 360 : Quelles sont les émotions que tu cherches à transmettre, justement ?

Robert Robert : Ça dépend des chansons, mais ultimement, j’ai envie que ça soit une musique qui te rende les pieds légers quand tu marches. C’est un peu le côté empowering, qui te fait te sentir mieux et qui te donne envie de faire face aux obstacles qui te barrent la route. C’est ça que j’avais besoin d’entendre, je pense, et tous les textes sont tirés d’histoires dans lesquelles j’avais besoin de cette énergie. Ça reste très introspectif. Ce sont des chansons que j’ai écrites moi-même donc j’en suis tellement proche que c’est difficile de les décrire adéquatement.

PAN M 360 : C’est la première fois que tu prends la parole dans ta musique. Qu’est-ce qui a motivé ce virage ?

Robert Robert : Je pense que c’est vouloir faire de la musique que j’écoute. J’écoute aussi de la musique électronique et j’ai déjà essayé de raconter des histoires dans ce que je faisais avant, mais ici je cherche vraiment à raconter de la manière la plus authentique possible. Je ne peux pas me cacher derrière une instrumentale. C’est ça l’exercice. Mais ce n’est pas venu après une grande réflexion. C’est venu tout seul, au fur et à mesure. Je me suis rendu compte que j’aimais davantage faire ça que de la musique électronique de boite de nuit.

PAN M 360 : Tu parles de la musique que tu écoutes… quelle est cette musique qui t’inspire ?

Robert Robert : J’ai beaucoup aimé écouter l’album Blond de Frank Ocean, en 2016. Les couleurs, l’univers, l’espèce de vibe dans laquelle ça te met… je trouvais ça fou. Je n’aspire pas à faire la même chose, mais le pouvoir que ça avait sur la façon dont je me sentais, je trouvais ça incroyable. J’ai aussi été influencé par plein de chansons d’artistes. Ces temps-ci, j’écoute toujours Little Miss Sunshine de Kev Koko, et, dans ma tête, c’est la piste qui m’inspire le plus en ce moment. Mais je ne pourrai pas nommer toutes mes influences parce qu’il y en a trop.

PAN M 360 : Quand j’ai écouté, j’ai vraiment retrouvé une atmosphère similaire à ce que Odezenne propose, par exemple…

Robert Robert : Oui c’est ça ! Bleu fuchsia, c’est une chanson que j’ai tellement écoutée cette année. Je trouve ça fou que son ad lib soit le mot “camion”. Ce que j’aime chez Odezenne, c’est que c’est candide, mais aussi très mélancolique. Je me reconnais là-dedans. La candeur et la mélancolie sont clairement des émotions que j’ai essayé d’inspirer avec mon album. 

PAN M 360 : Le titre Silicone Villeray nous indique que ton album tourne autour de ton identité montréalaise. Est-ce que c’est un album plus intime que les précédents ?

Robert Robert : C’est sûr que c’est un album plus intime et que ça s’inscrit à Montréal parce que j’ai tout fait ici. Mais pour moi, Silicone Villeray existe pour embellir le présent. Prendre quelque chose qui existe déjà et qui n’est pas forcément excitant. Villeray, c’est un quartier sympa, j’y habitais quand j’écrivais l’album et je trouvais ça génial, mais tu n’as pas non plus l’impression de courir vers le futur. C’est ça que j’avais envie de sentir. L’album sert un peu à prendre des moments banals et essayer de creuser pour les montrer dans toute leur beauté.

PAN M 360 : En écoutant tes projets antérieurs, on constate une différence flagrante entre les sons plus électroniques, un peu house, très dansants, et ce que tu fais aujourd’hui. C’est plus planant, mélancolique, on ressent une sorte de lassitude. Quels sont les effets que tu utilises dans la réalisation pour créer cette atmosphère ?

Robert Robert : J’ai enregistré beaucoup de mes voix sur le micro de mon ordinateur. C’est un micro vraiment sensible, donc tu ne peux pas parler fort. Je ne m’en rendais pas compte quand je le faisais, mais ça a fait que toutes mes paroles étaient faibles et dites avec un ton très blasé. Et quand je suis arrivé en studio, plus tard, pour enregistrer un peu mieux, j’ai gardé ça. J’aimais le mood que ça donnait. Parce que j’ai tendance à faire des instrumentales vraiment colorées, ça venait balancer, d’une certaine façon. Sinon j’ai aussi utilisé des effets et des chorus sur la voix pour qu’elle soit vraiment calme, voire lassée, blasée. Mais tu sens qu’elle se déplace quand même au niveau du son. Il y a une couleur surréelle, pour que ça reste dans cet univers, et pas juste comme du slam, par exemple.

PAN M 360 : Les chansons de l’album sont coproduites par Hubert Lenoir. Comment est née cette collaboration ?

Robert Robert : Hubert est arrivé quand j’avais fini l’album, du moins dans ma tête. On s’est parlé par Instagram parce qu’un de nos collaborateurs communs lui avait montré ma musique. Il est arrivé et on a passé trois autres mois sur cet album. Ce qu’il a fait varie vraiment de chanson en chanson. Il a fait les débuts, les fins, les arrangements par-ci par-là. Il a ajouté les percussions sur Folie Passagère, il a fait le pont sur L’été je m’ennuie. Et tout le long de l’album, on a fini par devenir des amis et on s’appelait pour parler de la philosophie derrière la musique qu’on faisait. Donc il a été là tout le long. C’était vraiment cool comme processus.

PAN M 360 : Est-ce que tu as une chanson préférée sur l’album ?

Robert Robert : J’aime beaucoup L’été je m’ennuie. J’étais allé voir le producteur montréalais CRi, cet été. On passait du temps ensemble, puis j’ai fait quelques accords et on a commencé à travailler sur la chanson. J’ai écrit les paroles sur mon téléphone pendant qu’il faisait le beat, on a enregistré. Au bout de trois heures, on avait la piste. Par la suite c’est retourné dans les mains d’Hubert et il a fait le pont musical. Donc j’ai vraiment aimé ce processus et la simplicité avec laquelle la chanson est apparue. En même temps, j’aime tout autant MP3 pour les fleurs de printemps, pour laquelle j’ai fait 14 versions. C’est le processus opposé, mais cette espèce d’histoire derrière la piste fait que j’ai un attachement particulier.

PAN M 360 : Comment  te sens-tu à l’idée de sortir cet album ?

Robert Robert : J’ai tellement hâte. On y a tellement passé de temps et on a tellement mis d’efforts. C’est sûr que ça vient avec un peu d’anticipation parce que c’est la première fois que je sors un truc aussi vulnérable. J’ai vraiment hâte que d’autres personnes puissent en profiter et j’espère que les gens auront autant de plaisir à se l’approprier que moi j’ai eu à le créer.

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