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À PAN M 360, nous voilà en compagnie de la Québécoise Katia Makdissi-Warren, leader, fondatrice, compositrice et directrice artistique de la formation Oktoecho et l’Australienne Corrina Bonchek, dont la démarche de lier musiques de création contemporaine aux musiques traditionnelle s indigènes se compare à celle de sa collègue. Réunies à Montréal pour mener à bien une création d’Oktoecho dans le contexte du Festival international Présence autochtone, Corinna et Katia expliquent leur projet dont l’objectif est d’impliquer les artistes indigènes sur le thème de la baleine, puissant symbole animal pour moult peuples autochtones et aussi un exemple idéal de la précarité des écosystèmes marins: Song to the whales / Chant des baleine. Ce projet s’annonce comme un spectacle immersif, incluant musique, conte et sons issus de milieux naturels.
Présentée les 6 et 7 août, 20h30, sur la Place des festivals à Montréal, cette création précède une tournée nord-américaine, dans le sillon du 35e Festival international Présence autochtone. Voyons voir ce qu’il en retourne !
PAN M 360: Ce programme s’annonce très intéressant parce que, à la fois, c’est un hymne et une complainte environnementale. Katia, peux-tu élaborer davantage sur les fondements de ce concept ?
Katia Makdissi-Warren: En fait, on a d’abord rencontré Greta Kelly, une artiste du collectif de Corinna ayant assisté à un concert d’Oktoetcho dans le cadre de Cinars. « Mon Dieu, ça ressemble à ce que nous faisons chez nous », nous avait-elle dit alors. Puis elle nous a mis en relation, souhaitant une collaboration.
« Ça serait vraiment bien qu’on puisse faire une collaboration ». Nous avons fait des visioconférences avec Corinna et avec la chanteuse maorie Wahia Sonic Weaver, sans compter les chanteuses inuites Nina Segalowitz et Lydia Etok qui sont collaboratrices d’Oktoecho.
Le sujet de la baleine s’est imposé parce que c’est un esprit fort dans toutes les communautés autochtones du monde. Les Inuits ont pu survivre pendant des millénaires en Arctique notamment grâce aux baleines.
Alors on comprendra que la baleine est un animal sacré, un symbole extrêmement puissant. Et dans ce cadre-là, qu’on a choisi tout le monde ensemble, donc la thématique de la baleine, c’est pourquoi on a décidé d’inviter Oncle Bunna Lawrie. Connexion assez spéciale!
Corinna Bonchek: J’avais d’abord rencontré Whaia, qui avait déjà tourné avec l’artiste aborigène il y a une dizaine d’années, soit en tant que membre des Whaledreamers. Les baleines sont super importantes pour Bunna et son peuple qui vivent à l’extrémité sud de l’Australie.
De son grand-père, Bunna a appris à chanter aux baleines, à les appeler même.
Ainsi, Whaia a entrepris un merveilleux voyage avec Bunna, en partageant sa culture, sa musique et en assimilant davantage la relation des peuples avec les baleines.
Ce projet est donc très spécial depuis que nous nous sommes tous rencontrés, cela nous a permis d’établir à long terme une très solide connexion artistique. Au-delà des peuples autochtones, la baleine questionne notre relation à l’environnement et nous mène à réfléchir à nos pratiques présentes et passées.
PAN M 360: Vivez-vous toustes à proximité ?
Corinna Boncheck: En fait, dans différentes régions. Il faut rappeler que l’Australie compte plus de 350 communautés autochtones qui parlent différentes langues. La musique est en grande partie responsable de notre rencontre et de cette connexion, et non la proximité géographique. Nos rencontres se produisent dans différents lieux en Australie et aussi ailleurs comme à Montréal dans le monde entier, ici à Montréal, et nous partageons toutes les différentes musiques que nous avons apprises à travers nos enseignements respectifs, ce qui inclut notamment la musique classique occidentale, des musiques du Myanmar ou de la Chine, et plus encore. Bien que nous ayons différents backgrounds, nous sommes très engagés à élever les voix indigènes et à créer ensemble ce troisième espace où nous pouvons apporter des sons et des cultures différentes et mieux vivre ensemble.
PAN M 360: Si nous essayons d’être plus précis sur la construction de cette nouvelle œuvre, quels sont les outils impliqués dans cette pièce et de quelle façon fusionnez-vous les voix traditionnelles et pratiques de ces deux régions du monde ?
Katia Makdissi-Warren: Des styles très différents de musique traditionnelle sont impliqués dans le projet. Bunna est un conteur et un grand défenseur des baleines à l’échelle internationale. Il chante mais il chante dans un style qui est peut-être un peu plus folk, mais dans sa musique folk, il introduit des éléments aborigènes aussi. On est vraiment de types différents et on veut pouvoir construire ensemble. Comme on n’a pas beaucoup de temps, on a une semaine de résidence. Ça fait déjà trois jours qu’on travaille, ça avance très bien.
PAN M 360: Qui compose quoi ? Comment se partage la création ?
Katia Makdissi-Warren: On est parti quand même de pièces de Corinna qu’elle avait déjà composées pour son ensemble qui sont au programme, quelques pièces d’Oktoecho aussi. Après ça on a créé de nouvelles choses ensemble pour être sûr de pouvoir avoir quelque chose qui représente tout le monde.Alors on a adapté les pièces de Corinna, on a adapté les miennes. Tout ça pour essayer de créer un langage qui se tient et en incluant aussi deux compositions de Bunna – parce que c’est son sujet, c’était important. Donc c’est en partant de pièces existantes, en les adaptant et en créant quelque chose de nouvelles pièces.C’est comme ça qu’on a créé la première étape de rencontre.
PAN M 360: Corinna, comment avez-vous construit les pièces de votre côté au départ ?
Corinne Boncheck: Je pense que ça marche parce que les deux ensembles permettent la coexistence de plusieurs langues musicales élaborées par chacun. En s’unissant, la sélection de nos musiques respectives est devenue extrêmement complémentaire.
De mon côté, je travaille sur des éléments très dynamiques, intenses, et aussi sur des choses plus gentilles mais assez abstraites. Alors que la musique de Katia est rythmique, multicouche, groovy. La combinaison de tous ces éléments est absolument merveilleuse ! Ajoutez les chansons de Bana dans le mix et avons cet incroyable voyage musical à proposer.
De plus, il y a beaucoup d’espace pour les voix individuelles des interprètes , dans les compositions. C’est en fait la continuité de leurs propres voix créatives qui font que cela finit par fonctionner comme une seule entité.
PAN M 360: Vous êtes deux compositrices occidentales et vous travaillez avec des artistes indigènes. Sont-ils mis à contribution exclusivement pour leurs cultures traditionnelles ? Quel est leur rôle créatif au-delà de leur intégration par vous ? Danger de relation coloniale ?
Corinne Boncheck : Pour ma part, je n’écris pas de notes pour les solistes. Je propose plutôt une sorte de paysage, c’est une offre de co-création, ce qui fait aussi partie d’un processus général de décolonisation. Et c’est la façon pour nous d’avoir toutes les voix créatives dans le mix. Je ne compose pas pour eux/elles comme je ferais pour un musicien du Moyen-Orient.
Katia Makdissi-Warren: C’est une co-création, oui. Et je pense que c’est vraiment important. Chacun doit aimer ce que j’offre suffisamment pour obtenir une offre en retour. Si on ne veut pas faire ce que je propose, on me dit juste non, pas de cette façon. Donc il doit y avoir suffisamment d’espace de création pour tout le monde impliqué.
PAN M 360: Y aura-t-il une suite à cette résidence et création ?
Katia Makdissi-Warren: Pour moi, c’est un processus à long terme. On espère poursuivre en Australie l’année prochaine. Pour l’instant, on vit cette première étape de belles rencontres, d’abord en modifiant chacune de nos pièces, puis en composant de nouvelles pièces pour que chaque artiste présent y trouve sa voie, y soit accueilli dans chaque pièce. Que Nina, Lydia et les chanteuses de gorge sont accueillies dans les pièces de Gong de Corinna, et pareil à l’inverse. C’est ce qui importe.
On a vraiment modifié pour que tout le monde se sente à l’aise d’un monde à l’autre et ça crée déjà une certaine unité.
PAN M 360: Une première étape, donc.
Katia Makdissi-Warren: Comme je disais, on n’a pas beaucoup de temps de préparation, il n’y a pas beaucoup de nouvelles compositions, mais on va continuer à travailler. Très certainement, l’étape suivante sera certainement encore plus cohésive. C’est vraiment une étape, je pense qu’en tout cas, on verra avec Corinna, mais je pense que c’est un travail en progrès et qu’on peut continuer à développer quelque chose ensemble pour avoir toujours plus d’unité dans la musique.
Co-dirigé et composé par Corrina Bonshek (Australie) et Katia Makdissi-Warren (Canada), en étroite collaboration avec des artistes de renom :
- Whaia Sonic Weaver – chanteuse maorie
- Oncle Bunna Lawrie – chanteur, conteur et activiste aborigène
- Nina Segalowitz & Lydia Etok – chanteuses de gorge inuites et codirectrices artistiques d’Oktoecho
- Et les musiciens : Greta Kelly, Étienne Lafrance, Bertil Schulrabe, Michael Askill et Jason Lee Scott