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La dernière fois qu’il était venu à Montréal en 2019, Pierre-Laurent Aimard avait interprété le Concerto pour piano no 1 de Béla Bartók avec l’OSM dans un concert haut en émotions. Le pianiste français est de retour au Québec pour présenter dans le cadre du Festival de Lanaudière, une série de quatre concerts autour du cycle Catalogues d’oiseaux d’Olivier Messiaen. Nous l’avons contacté pour qu’il nous parle de l’œuvre, de la manière dont elle a été programmée en concert, ainsi que sur sa relation avec Messiaen dont il était proche.
PAN M 360 : Quelle place occupe le Catalogue d’oiseaux dans le corpus d’Olivier Messiaen ?
Pierre-Laurent Aimard : Alors, c’est une place très spécifique. Il a incorporé des chants d’oiseaux dans ses compositions, mais de façon relativement anecdotique jusque dans les années 1950. Il a par la suite une sorte de crise personnelle et créatrice, qui se traduit par des recherches créatrices dans différentes directions à partir de la fin des années 1940. La solution qu’il trouve à différents problèmes (existentiels, esthétiques) pour trouver une paix intérieure d’une part, et pour être dans le mouvement d’avant-garde tout en étant très personnel d’autre part, c’est de se tourner vers les musiques de la nature. Au début des années 50, il compose une œuvre pour piano et orchestre, qui s’appelle le Réveil des oiseaux qui est inclusivement composée de chants d’oiseaux. Il n’y a pas d’autre matériau dans cette œuvre. C’est un grand radicalisme qui entraîne bien sûr un type de discours, un type de forme et de sonorité qui est résolument nouveau. Il y a un besoin d’être radical, mais aussi très méthodologique. Pour toutes ces raisons, cette œuvre occupe une place extrêmement spécifique dans le répertoire.
PAN M 360 : Sur la question de l’esthétique, quels moyens outre la transcription emploie-t-il ? Pierre-Laurent Aimard : Il y a deux types de situations dans les catalogues : les chants à proprement parler et leur mise en situation. C’est-à-dire, une description des paysages où se sont des musiques plus subjectives d’atmosphère. Dans ce dernier cas, Messiaen emploie son langage harmonique et rythmique détaillé dans son traité de rythmes. Il va extrêmement loin dans cette recherche harmonique et timbrique. Pour ce qui est des transcriptions des chants d’oiseaux, il les transcrit le plus scientifiquement possible, il les note, en réécoute les enregistrements, essaye d’être le plus fidèle possible. Mais, comme il le disait lui-même, il est impossible de transcrire parfaitement un chant d’oiseau pour nos instruments, puisque ceux-ci jouent avec un système tempéré. Donc en réalité, on s’approche très peu parfois de la réalité d’origine. Pour Messiaen, la frontière acoustique entre l’harmonie et le timbre tend plus à vouloir suggérer une couleur générale.
PAN M 360 : Vous avez côtoyé Olivier Messiaen par l’entremise de sa femme Yvonne Loriod de qui vous avez été l’élève. Quels souvenirs gardez-vous de cette période d’enseignement et de rencontres avec le compositeur ?
Pierre-Laurent Aimard : Ce sont des souvenirs très forts, d’abord parce qu’ils sont inscrits dans mon histoire alors que j’étais très jeune à partir de l’âge de douze ans. Donc, il y a bien sûr une perméabilité qui est considérable et une émotivité qui est beaucoup moins encadrée et contrôlée que quand on est jeune adulte. D’autre part, ils étaient tous deux de fortes personnalités. Yvonne avait une passion très grande, notamment pour la musique de son mari, elle possédait un pianisme très puissant et elle était nourrie de cette musique, mais aussi à celles de bien d’autres compositeurs contemporains. Elle représentait un type de personnalité artistique extrêmement rare qui en faisait une professeure de piano singulière. Quant à Messiaen, c’était très différent. J’ai eu le privilège de pouvoir le côtoyer et de travailler avec lui à plusieurs reprises pour beaucoup d’œuvres différentes dans des situations différentes. La dimension paisible et d’écoute intérieure qu’il avait était profondément inspirante tout comme cette capacité qu’il avait par son oreille prodigieuse à filtrer le monde musical et le monde autour de lui à travers cette oreille. Et ça influait sur toute personne qu’il côtoyait. Quelque part, sa façon d’être en musique nous enseignait à tous comment mieux écouter les phénomènes sonores.
PAN M 360 : À quel âge avez-vous découvert le catalogue?
Pierre-Laurent Aimard : Le catalogue lui-même, c’est quand j’ai été élève d’Yvonne Loriod et que j’ai commencé à en travailler et à écouter ses enregistrements. J’ai été illuminé par cette musique, si tant est qu’on puisse l’être à douze ans d’âge. Je me rappelle avoir écouté pendant des soirées entières jour après jours, certaines pièces du catalogue qui pour moi était une sorte de musique immaculée et même très inspirante.
PAN M 360 : Dans le cadre du Festival de Lanaudière, vous allez présenter l’œuvre dans un environnement très immersif, d’une part par le lieu qui est en pleine nature, mais aussi avec des activités de méditations et une conférence. Est-ce que vous trouvez que cette approche dynamique est une bonne manière d’aborder la musique de Messiaen plutôt que de passer par l’expérience de concert traditionnel ?
Pierre-Laurent Aimard : Je pense que oui. Vous savez, c’est une musique qui renouvelle considérablement notre façon non pas seulement d’écouter, mais aussi d’exister en musique. C’est une œuvre qui est marquée par les années 50, c’est-à-dire des années où l’on a tenté plusieurs expériences parce que le monde avait besoin de se redéfinir après le désastre de la Deuxième Guerre mondiale. On avait besoin d’imaginer des mondes nouveaux et des mondes meilleurs. Beaucoup de créateurs dans tous les domaines artistiques ont essayé de repenser l’humain et son projet. Messiaen l’a fait à sa façon avec ses catalogues en se tournant vers la nature et en se tournant vers une écoute méditative. On n’écoute pas cette musique d’une façon active et dramaturgique comme on écoute une musique du XIXe siècle, dont les développements nous sont connus et parfois même attendus. Il s’agit là au contraire d’une musique de l’inattendu puisqu’elle est dictée par la nature elle-même. On ne sait jamais quel oiseau chante ni quand, ni d’où. On a là en effet une invitation à la méditation avec l’environnement et la nature. On est en effet très loin du cadre de récital de piano traditionnel et formaté. Ce catalogue, du reste, n’est pas fait pour être interprété dans un concert formaté habituellement. J’essaye toujours de l’adapter à la géographie du lieu et au public pour le mettre dans une condition à écouter différemment.
Je crois aussi qu’il s’agit d’une œuvre qui fait sens très puissamment aujourd’hui où nous sommes confrontés aux problèmes environnementaux que nous savons. Avec le catalogue, il y a une volonté documentaire. De nos jours, on sait qu’un certain nombre de ces oiseaux ont disparu. Donc, elle acquiert une puissance de témoignage particulière et prophétique. Je remarque d’ailleurs que le public aujourd’hui le perçoit comme un message naturel et accessible, ce qui n’était pas le cas il y a trente ou quarante ans.
PAN M 360 : Pour un spectateur qui souhaiterait découvrir la musique de Messiaen c’est ce que vous lui donneriez comme conseils : de s’abandonner au message et à l’écoute du matériau sonore lui-même.
Pierre-Laurent Aimard : Oui. C’est la joie de la découverte constante.
Chants d’oiseaux, Miroirs de l’âme, les 22 et 23 juillet dans le cadre du Festival de Lanaudière. Détails et billets ici!