renseignements supplémentaires
La Béninoise Angélique Kidjo figure assurément parmi les mégastars de l’Afrique, et fort probablement celle de sa génération ayant acquis la plus grande notoriété en Amérique du Nord où elle vit depuis nombre d’années. Cette réputation s’est rendue jusqu’aux yeux et aux oreilles du compositeur Philip Glass, pionnier et pilier du minimalisme américain aux côtés des Steve Reich et Terry Riley. Une décennie plus tôt, Glass composait une œuvre en trois mouvements, Ifé, trois chants Yorùbá, consacrée à la chanteuse africaine, avec livret en langue yoruba. L’œuvre a été exécutée depuis, l’Orchestre symphonique de Montréal prend ici le relais sous la direction de la cheffe suisse-australienne Elena Schwarz. Avant quoi, la volubile Angélique se prête à cet entretien avec Alain Brunet qui lui parle sporadiquement depuis les années 90.
PAN M 360 : Quelle fut la motivation d’interpréter une telle œuvre?
Angélique Kidjo : Le directeur artistique du London Philharmonic, Timothy Walker, m’avait suggéré de chanter avec un orchestre symphonique. Il avait fumé quoi? Il a rencontré alors mon prof de chant et me dit qu’il va réfléchir. Une année plus tard, le London Philharmonic vient jouer au Lincoln Center et me recontacte en me disant qu’un compositeur devrait écrire pour moi. Il me donne en exemple Philip Glass, que je connais personnellement. Nous prenons rendez-vous avec Philip qui nous invite chez lui et accepte. « Pas de problème, dit Philip en me regardant: “ Angélique, tu choisis le sujet, tu m’écris trois textes et je t’écris une oeuvre .” Alors j’ai écrit trois textes qui racontent la création de l’univers selon les Yorubas. Je l’écris et je la traduis en français comme en anglais en disant à Phillip que cette langue est très tonale. Il ne dit rien et me revient un an plus tard en me fournissant une musique piano-voix. Je me dis alors « Comment il a fait ? »
PAN M 360 : Et comment donc?
Angélique Kidjo : Lorsque nous nous sommes rencontrés aux premières répétition, je lui ai demandé et il m’a regardée avec un sourire diablotin en me disant : « Tu ne connais pas tout sur moi, Angélique…J’ai étudié la phonétique! » Et il me fournit alors le manuscrit de l’œuvre en écriture phonétique. Et c’est là que tout a vraiment commencé. L’Orchestre philharmonique du Luxembourg a d’abord commandé l’œuvre. Philip était sur place. Il expliquait alors aux journalistes que lui et moi avions construit un pont sur lequel on n’avait pas encore commencé à marcher.
PAN M 360 : Et pourquoi choisir le yoruba plutôt que le fon, ta langue maternelle?
Angélique Kidjo : Mais je parle les deux. On parle quatre langues au Bénin. La mythologie de la création du monde chez les Yorubas est la même que celle des Fons. On me l’a aussi racontée en yoruba, parce que des gens de ma famille étaient de descendance yoruba – du côté de mon grand-père maternel dont les aïeux furent des esclaves yorubas à Bahia au Brésil pour ensuite retourner en Afrique. Avant la colonisation, les royaumes yoruba et fon se sont fait la guerre et des prisonniers ont vécu chez nous comme chez eux. C’est pourquoi, d’ailleurs, que tu dois parler plusieurs langues en Afrique, sinon tu ne peux pas bouger! Je suis donc issue de ce métissage et puisque j’ai une certaine facilité avec les langues, j’ai choisi le yoruba. En fait, je n’ai pas choisi cette langue rationnellement. Lorsque l’inspiration me vient avec une langue, j’écris dans cette langue.
PAN M 360 : Et de quelle manière cet opéra a-t-il été conçu par Philip Glass pour une artiste africaine ?
Angélique Kidjo : Philip reste toujours Philip. Ce qui est incroyable chez lui, c’est sa souplesse et sa capacité d’adaptation. Dire que sa musique est répétitive est réducteur. Il va où la musique le mène, il peut s’adapter aux nombre de mesures que suggère un air ou un texte. L’œuvre commence par un premier mouvement, le dieu suprême Olodumare qui envoie le dieu tutélaire des artistes Obatala et Oduduwa, le dieu de la logique, afin de construire le monde. Il leur donne un sac, un coq et du vin de palme en leur disant de ne boire qu’une fois la tâche accomplie. Obatala n’écoute pas cette consigne et devient saoul, Oduduwa doit le traîner là où il va. Oduduwa se retrouve devant une étendue d’eau à l’infini. Olodumare lui dit alors de vider le sac et mettre le coq sur le contenu du sac, de la poussière noire, de manière à ce que le coq éparpille le tout et crée là terre ferme. Ainsi naissent les continents et Yemanja, la déesse de la mer qui n’a pas été prévenue de céder son territoire, se met en colère et fait appel à d’autres divinités afin de créer un monde autour de cette terre nouvelle. C’est donc le deuxième mouvement. Le troisième mouvement met en scène le dieu Osumare, deux serpents qui s’entrelacent pour tenir la Terre afin qu’elle ne tombe pas, et donc ce dieu mâle-femelle tient la Terre et y garantit la fécondité. Ce récit s’inscrit progressivement dans la musique de Philip.
PAN M 360 :Point de vue formel, Philip Glass s’est-il inspiré de mélodies
Angélique Kidjo : Il s’est inspiré phonétiquement de la musique de la langue pour composer cette œuvre, tout en restant lui-même.
PAN M 360 : Cette œuvre a été faite il y a une décennie. Vous l’avez interprétée maintes fois?
Angélique Kidjo : Oui, d’ailleurs, on vient de la faire à Manchester, début février, avec le chef Robert Ames. Jusque là, je n’ai été dirigée que par des hommes et, pour la première fois, une femme dirigera à Montréal :Elena Schwarz. C’est un rêve qui se réalise!
PAN M 360 : De la part d’une artiste féministe qui s’est construite à partir de l’Afrique, puis en Europe et en Amérique du Nord, ça tombe sous le sens!
Angélique Kidjo : Oui, absolument. Je suis une féministe pragmatique, je travaille avec les hommes, j’ai grandi avec 7 frères et mon père aussi a construit la femme que je suis. Il existe beaucoup d’hommes qui veulent des égales à leurs côtés, mon père voyait ma mère comme son égale et elle avait autant de pouvoir que mon père. Ma fille est aussi élevée comme ça, elle est indépendante et responsable. Et cette fois je travaillerai avec une femme cheffe.
PAN M 360 : Philip Glass a-t-il fait autre chose pour toi?
Angélique Kidjo : Sa 12e symphonie, Logia, a été composée pour les 100 ans du Los Angeles Philharmonic, et il me voulait pour soliste du 3e mouvement pour voix et orgue. Il m’avait alors appelée pour me dire qu’il m’avait poussé sous le bus en rigolant. Je lui ai dit It’s okay with me! (rires)
PAN M 360 : Alors fin prête pour Montréal?
Angélique Kidjo : Je ne tiens jamais rien pour acquis. Tant que ce n’est pas fini, plein de choses peuvent se produire…
PAN M 360 : Projets?
Angélique Kidjo : J’espère revenir très bientôt pour la sortie mon nouvel album prévu en août.
PAN M 360: À très bientôt, donc !
Angélique Kidjo: Oui !
Angélique Kidjo et l’OSM ce mercredi 19 mars, 19h30, Maison symphonique. Billets et infos ici
Artistes
Orchestre symphonique de Montréal
Elena Schwarz, cheffe d’orchestre
Angélique Kidjo, chant
Œuvres
Leoš Janáček, La petite renarde rusée, Suite (arr. C. Mackerras, 22)
Philip Glass, Ifé, trois chants Yorùbá (20 minutes)
Entracte (20 min)
Ludwig van Beethoven, Symphonie no 6 en fa majeur, op. 68, « Pastorale » (39 minutes)
Artistes
Orchestre symphonique de Montréal
Elena Schwarz, cheffe d’orchestre
Angélique Kidjo, chant
Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, présentateur
Œuvres
Ludwig van Beethoven, Symphonie no 6 en fa majeur, op. 68, « Pastorale » (39 min)
Philip Glass, Ifé, trois chants Yorùbá (20 min)
Concert sans entracte