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MOPCUT : la chanteuse AUDREY CHEN, Américaine d’origine taiwanaise, le guitariste JULIEN DESPREZ, Français, le percussionniste LUKAS KÖNIG, Autrichien. Les trois artistes vivent en Europe et offrent un des projets les plus excitants de l’heure. L’approche vocale est fascinante, le jeu des pédales d’effets du guitariste est brillant, le soutien rythmique est à la hauteur de cette proposition extrêmement puissante.
Vendredi au FIMAV, sur le coup de minuit, on s’est pris toute une claque !
Subtilité, sensualité, violence, douceur, tous les états intérieurs de l’humain ont été tour à tour fréquentés par ces musiciens extêmement créatifs, dont la rencontre produit une des meilleures équations réunissant les variables drone, chant, bruitisme, avant-jazz, post rock, ou hardcore. Deux albums en témoignent : Accelerated Frames of References (2019) et JITTER (2021). Une interview s’imposait sur place ! Les réponses ont été formulées par les protagonistes de cette puissante proposition, alors qu’ils étaient en direction de Saguenay où ils se produisaient samedi, dans le contexte d’une soirée spéciale produite par le Festival des musiques de création.
PAN M 360 : Racontez-nous comment cela s’est passé. Comment vous êtes-vous rencontrés tous les trois et qu’est-ce qui a motivé ce projet au départ.
LUKAS KÖNIG : Audrey et moi nous sommes rencontrés dans le groupe de Maja Osojnik » All the term we are » où nous avons également joué à Victo 2017. Julien et moi nous sommes rencontrés à Londres en 2012. 2018 On m’a demandé de monter un projet spécial pour le Donaufestival Krems (Autriche), j’ai donc pensé à monter ce trio.
JULIEN DESPREZ : Yeah !
PAN M 360 : Comment le son a été développé ensemble ?
LUCAS KÖNIG : En jouant, enregistrant, faisant des tournées et mangeant ensemble. Nous improvisons à 100%. Bien sûr, un certain style d’utilisation de notre langage individuel a façonné le jeu. Chacun d’entre nous produit des sons très spéciaux et concrets. Mais en jouant ensemble, nous avons appris à nous connaître et à agir, réagir et bouger avec l’autre.
JULIEN DESPREZ : Avec Mopcut le son est sculpté par l’expérience de jouer ensemble.
PAN M 360 : Avez-vous eu des sources d’inspiration fortes dans ce domaine d’expression ?
LUKAS KÖNIG : En fait non. Nous croyons en la capacité de chacun à créer des sons d’une manière spéciale et nous voulons faire exactement cela sans nous pencher sur les idées d’autres personnes.
PAN M 360 : Pensez-vous que les concerts en direct donnent plus d’occasions au public d’absorber et d’apprécier vos propositions sonores ?
LUKAS KÖNIG : C’est une expérience live très spéciale, c’est sûr, et c’est un excellent moyen pour nous de nous exprimer et pour les gens de voir comment nous faisons ces sons. Les albums studio sont différents, parce que vous voulez faire quelque chose de spécial. Donc tu réfléchis à des moyens de mettre tes improvisations dans une forme produite. Avec le son, les longueurs, les graphiques. Tout va de pair
PAN M 360 : Pourquoi Mopcut, au juste ?
LUKAS KÖNIG : Au début, l’idée que je me faisais de ce groupe était de mettre autant de coupures et de blocs que possible dans la musique. C’est ainsi que j’ai trouvé Mopcut adapté. Quand on le compare à une coiffure :
MOPCUT est un style noise mi-long qui couvre la tête et les oreilles avec un bang vertical et une vague horizontale. C’est un style populaire pour tous les âges, les sexes et les générations.Le style sonore doit être taillé uniformément sur toute la circonférence de sorte que le bruit à l’avant atteigne l’intérieur de l’œil tandis que les vagues sur les côtés couvrent (ou couvrent presque entièrement) les oreilles. Les battements à l’arrière conservent la même longueur que les échantillons à l’avant et sur les côtés. Une fois le son global obtenu, on procède à l’élagage pour atteindre le minimalisme ou le maximalisme, selon le cas. L’improvisation, le bruit et les rythmes électroniques fonctionnent bien comme arrière-plan pour le MOPCUT. Les appareils et dispositifs électroniques peuvent être utilisés pour donner un peu plus de volume à la MOPCUT, mais les effets peuvent conduire à se tenir debout au lieu de s’accrocher bas.
La chanteuse AUDREY CHEN est passée maître dans l’art de tenir un public captif avec des bruits de bouche quasi impossibles. Elle est active dans d’innombrables projets d’improvisation libre, notamment un puissant duo avec l’électronicien Richard Scott (ils se sont produits au FIMAV en 2018).
PAN M 360 : Pouvez-vous nous raconter la façon dont vous avez construit votre propre langage ?
AUDREY CHEN : Ce serait une longue réponse, j’en ai peur, et j’ai donné/écrit quelques interviews récentes qui peuvent répondre à cette question de manière plus approfondie. Mais en bref, ma formation musicale a beaucoup moins à voir avec ma pratique que mon histoire personnelle en tant qu’enfant d’immigrants chinois taïwanais aux États-Unis, qui a trouvé dans la musique un moyen d’échapper à l’exclusion sociale due au fait d’être une minorité, et qui est devenue une mère célibataire à l’âge de 23 ans – le moment le plus transgressif de ma vie, qui a formé mon âge adulte et façonné mes choix à partir de maintenant. Depuis lors, pendant les 20 dernières années, mon travail, continuellement en cours, a été influencé et formé par les choix que j’ai dû faire pour survivre et aussi dans une recherche constante d’une sorte de vérité personnelle et d’une esthétique individuellement honnête.
PAN M 360 : Avez-vous eu quelques modèles de rôles en tant que grande chanteuse et chanteuse sonore ?
AUDREY CHEN : Pas particulièrement. Ma curiosité inhérente au son sous toutes ses formes m’a poussée à élargir la dynamique et à repousser les limites de mon instrument.
PAN M 360 : Vous êtes à l’aise dans toutes les expressions, du calme extrême à la violence extrême, donc faire partie de Mopcut signifie tout le spectre des sentiments, n’est-ce pas ?
AUDREY CHEN : Je ne pense pas que le sentiment ait quoi que ce soit à voir avec mes expressions. Je suis plutôt ouverte aux états d’être qui sont fluides et non linéaires. Avec Mopcut, cela devient amplifié dans ce genre de pratique de groupe.
PAN M 360 : Quel est votre attirail sur scène au-delà de votre voix fantastique ?
AUDREY CHEN : J’interagis avec un petit synthétiseur analogique appelé « Fourses » construit par Peter Blasser (Ciat Lonbarde)
PAN M 360 : Vous n’excluez jamais les phrases mélodiques dans votre métier. Cherchez-vous un équilibre entre les paysages sonores bruitistes et la musique tonale/modale ? Ou peut-être que ce n’est pas une considération… mais je suis sûr qu’il y a une réflexion solide de votre part concernant vos choix esthétiques. N’est-ce pas ?
AUDREY CHEN : Pour moi, tous les matériaux entendus, les textures, les sons de l’environnement, la parole et les sons chantés sont de bonne guerre. En général, je préfère ne pas adhérer aux « règles » concernant le genre ou l’esthétique.
Le batteur LUKAS KÖNIG est un touche-à-tout doué qui a accompagné au moins la moitié de la scène musicale expérimentale autrichienne, dont Maja Osojnik (au FIMAV en 2017).
PAN M 360 : Vous considérez-vous comme un » touche-à-tout » de la scène autrichienne d’avant-garde, comme le suggère le programme de la FIMAV ?
LUKAS KÖNIG : Eh bien, je fais beaucoup de choses différentes, des groupes, des projets. J’accepte donc heureusement ce terme. J’essaie de garder mes yeux/oreilles/esprit ouverts, de laisser entrer dans ma conscience toutes sortes de musiques et de sons. J’ai étudié la batterie jazz, mais je me suis beaucoup éloigné de ces études pour me diriger vers l’art, la performance, l’art sonore et la musique improvisée. Depuis peu, je joue de la percussion dans un groupe pop à succès. C’est comme surfer sur la vague de différentes eaux. C’est comme ça que ça reste croustillant pour moi.
PAN M 360 : Vous avez une batterie très personnelle. Pouvez-vous la décrire brièvement ? Et quels sont les ajouts électroniques ?
LUKAS KÖNIG : La batterie en elle-même est très basique mais depuis que j’ai développé mon projet solo « messing », j’utilise une cymbale qui est amplifiée et passe par une chaîne de pédales d’effets. De plus, j’ai des pédales pour un synthé-batterie et un sampler avec des sons de basse.
PAN M 360 : Bien sûr, vous avez un passé de jazz et de post fusion, et votre propre éducation musicale vous a conduit ailleurs. Où en sommes-nous maintenant ?
LUKAS KÖNIG : Aujourd’hui, je peux en quelque sorte chérir les fleurs de tout. Je joue des concerts spéciaux avec ce merveilleux groupe, nous voyageons dans le monde entier et nous gagnons notre vie en improvisant. C’est vraiment génial.
JULIEN DESPREZ a livré une performance si impressionnante avec son groupe Abacaxi en 2019 que nous n’avions qu’à le faire revenir, cette fois dans un contexte plus improvisé. C’est une étoile montante de la scène française et l’un des guitaristes les plus originaux de sa génération.
PAN M 360 : Peut-on résumer ton parcours vers ce que tu nous présente aujourd’hui? Y a-t-il eu des rencontres ou influences cruciales dans la construction de ta personnalité musicale?
JULIEN DESPREZ: J’ai commencé la guitare assez tard à l’âge de 16 ans. Il n’y avait pas de musiciens dans ma famille et je suis tombé sur cet instrument par hasard. N’ayant pas réellement choisi de jouer de cet instrument, quelques années plus tard je me suis rendu compte que je ne l’aimais pas tant que ça.
J’ai donc décidé de trouver un chemin pour en sortir et c’est à ce moment la que j’ai commencé à développer ce jeu avec mes pieds. Considerer mes pédales comme des vrais instruments plutôt que quelque chose qui modifie le son a été le point de depart.
Côté rencontres et influences, un artiste comme Arto Lindsay m’a beaucoup touché et m’influence toujours aujourd’hui. Sa fraîcheur, sa fragilité et sa multiplicité m’ont beaucoup apporté.
PAN M 360 : Ton pedalboard en dit long sur ton expression, ton jeu de pieds avec les boutons au plancher est une part importante de ton jeu. Alors comment as-tu construit cette expression entre jeu de guitare et jeu des pédales d’effets?
JULIEN DESPREZ: J’ai construit ce langage pour sortir de la guitare. Me mettre à jouer avec mes pieds a été somme toute assez naturel. Cette construction s’est faite également autour d’une déconstruction de l’instrument en lui-même. Comment le séparer en plusieurs éléments (cordes, manches, micros, sélecteur de micros, cordier..) afin de pouvoir les agencer d’une nouvelle manière.
Puis lors d’un long voyage au Brésil, j’ai travaillé avec les Coco Raizes De Arcoverde au Pernambuco . Ils m’ont transmis leur pratique du tap dance avec des claquettes en bois. Depuis cela m’a définitivement fait sortir de la guitare en me permettant de jouer avec mon corps tout entier.
A partir de ce moment là j’ai cessé de penser comme un guitariste. Ce qui m’a permis d’aborder l’instrument encore d’une nouvelle manière. Comme si je le regardais d’un nouveau point de vue.
PAN M 360: Quels sont les autres aspects de ton jeu qui selon toi te rendent distinct de tes collègues guitaristes ?
JULIEN DESPREZ: Je dirai que ce qui me distingue des autres guitaristes est que je ne me sens plus guitariste. Ce n’est plus un instrument que je joue aujourd’hui mais que j’utilise. Ce qui me permet une certaine plasticité autour de mon jeu de guitare. Je le remets en question très régulièrement et l’adapte en fonction de la musique que j’ai envie de jouer. Un peu comme si la guitare était un sampler ou un instrument électronique. Ce sentiment me pousse à toujours apprendre de nouvelles techniques afin d’arriver à la musique que j’entends.
PAN M 360: Ton jeu avec Mopcut diffère-t-il de ton jeu dans d’autres contextes?
JULIEN DESPREZ: : En quelque sorte. Dans un groupe comme Abacaxi, la musique se construit autour de différents calques qui se superposent. Les rythmiques tenues avec la guitare avec en opposition le jeu au pied. Ces deux calques créent du contraste et de la dynamique.
Dans Mopcut, je conçois plus mon dispositif instrumental comme une palette de peinture, de couleur et de sculpture. La musique se construit comme un tableau éphémère et le son se sculpte comme on jetterait de la peinture sur une toile!