MEG 2022 – Fatboy Slim : bête de fête

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon
Genres et styles : big beat / électro / funk / hip-hop / house

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Si on entend moins parler de lui aujourd’hui qu’il y a une vingtaine, voire une trentaine d’années, le nom de Fatboy Slim demeure indubitablement lié aux prémices de l’épopée rave. Des succès tels que Rockafeller Skank, Praise You et Right Here Right Now, tous trois tirés de son deuxième album You’ve Come A Long Way Baby (1998), ont fait connaître le DJ et réalisateur à travers le monde. Ses 10 millions d’albums vendus en témoignent.

De ses débuts avec le groupe indie Housemartins, en passant entre autres par Beats International, Freak Power, Mighty Dub Katz jusqu’à son populaire alias Fatboy Slim, Norman Cook a connu un parcours aussi impressionnant qu’éclectique.

Inactif sur disque depuis 2004, Fatboy Slim continue pourtant de sillonner le monde, étalant ses connaissances musicales et ses prouesses techniques d’une fête à l’autre, au grand plaisir des vieux comme des jeunes ravers.

À la veille de son fort attendu passage au festival MEG – lui qui devait se produire au Igloofest avorté de l’hiver dernier –, nous nous sommes entretenus avec le célèbre DJ qui nous a longuement causé de son cheminement, des musiques qui l’ont marqué, des débuts de l’épopée Fatboy Slim, du big beat, de sa passion pour le Djing, de la catastrophe Woodstock 99, de la place de l’ironie dans son œuvre et de l’enivrant chaos de la fête.

Check it out now, the funk soul brother.

PAN M 360 : Quels ont été tes premiers émois musicaux, par quoi as-tu commencé? Quel a été ton premier album acheté?

Norman Cook : J’aimais beaucoup la musique pop quand j’étais jeune. Je me souviens qu’à l’âge de 8 ans, j’avais dit à mes parents que je voulais être une vedette de la pop. Et c’est vers ça que je m’enlignais jusqu’à l’arrivée du punk. Là, je ne voulais plus être une vedette de la pop, je voulais simplement faire partie du monde de la musique, sans pour autant être une vedette. Je me souviens de mon premier disque acheté, c’était le simple Devil Gate Drive de Suzi Quatro… J’ai ensuite appris à jouer de certains instruments et c’est quand j’ai découvert le punk que je me suis lancé et que j’ai commencé à jouer dans des groupes. Je suis devenu DJ un peu par accident; j’achetais beaucoup de disques à l’époque et on m’invitait aux fêtes pour que je les fasse jouer. Donc à ces partys d’adolescents, il arrivait souvent que quelqu’un renverse son drink ou vomisse sur mes disques. Alors à un moment donné, une amie m’a invité à son party en me demandant d’apporter mes disques. J’ai dit que je viendrais, mais sans mes disques. Donc l’amie en question m’a offert de louer des tables tournantes en me proposant d’être responsable de la musique durant toute la soirée, comme ça je serais le seul à manipuler les disques. Et c’est comme ça que j’ai commencé. J’ai réalisé aussi que j’aimais partager avec d’autres mon appréciation de certaines chansons. J’aimais jouer des chansons et tenter de deviner ce que les gens aimeraient entendre ensuite, créer une sorte de performance. C’est comme ça que j’ai débuté, je devais avoir 14 ou 15 ans.

PAN M 360 : Et tu faisais jouer quoi à cette époque?

Norman Cook : Je faisais jouer du punk-rock! C’était vers la fin du punk et le début de la new-wave… Ça et certains hits pop de l’époque. Et c’est aussi durant cette période que j’ai découvert la musique électronique, des groupes comme Human League, Heaven 17 et tous ces trucs associés au mouvement new romantic. Avec un de mes amis, on avait acheté deux tables tournantes et afin de rentrer dans nos frais, on faisait des mariages, des fêtes d’écoles, et j’ai même été DJ lors de funérailles…

PAN M 360 : En fait tu as été témoin de cette incroyable période de la musique britannique.

Norman Cook : Oui, je me considère très chanceux d’avoir pu vivre ça. Pour moi c’est l’âge d’or de la musique. Vu mon âge, j’en ai vu et entendu pas mal. J’ai grandi avec la pop des années 70, ensuite le punk-rock, le hip-hop, la musique électronique… Je pense que je garde encore aujourd’hui l’esprit fondamental du punk-rock, c’est-à-dire de ne pas suivre l’ordre établi, de ne pas suivre les règlements, de changer les choses, de te débrouiller seul. Je me suis plus sérieusement plongé dans le Djing à partir du moment où j’avais l’âge pour fréquenter les boîtes de nuit. Rendu là, je jouais du funk, de la musique électronique, du rare groove et ensuite de la house. C’était vraiment excitant d’aller en boîte à cette époque. Mais faut savoir que c’était plus un hobby d’être DJ durant cette période. On avait des cachets ridicules. Alors je jouais dans des groupes le jour et le soir j’étais DJ, si je n’avais pas un show avec un de mes groupes.

PAN M 360 : Tu as joué dans quelques groupes, et bien sûr les Housemartins. J’ai toujours été intrigué par la différence entre la musique que tu jouais à l’époque avec ce groupe indie-rock et ce vers quoi tu t’es tourné par la suite. Car, après la disparition des Housemartins, tu t’es fait un nom avec Beats International, puis après Pizzaman, Mighty Dub Kats, des trucs complètement à l’opposé des Housemartins. En avais-tu assez de jouer dans des groupes?

Norman Cook : J’étais un enfant blanc dans une banlieue du sud de l’Angleterre et toute la musique que j’aimais vraiment était de la musique noire, comme le funk, le hip-hop, la house. Durant cette période, je trouvais que de jouer de la black music quand on est blanc n’était pas ok. Il y avait très peu de groupes de blancs qui jouaient de la musique de noirs à cette époque. Donc je me suis tourné vers la musique indie de blancs avec les Housemartins, un groupe qui venait du punk. Mais par contre en tant que DJ, je ne me gênais pas pour jouer de la musique black. Vinrent ensuite les boîtes à rythmes et les samplers et à partir de ce moment, les blancs pouvaient faire de la musique similaire à celle des noirs sans prétendre être eux-mêmes noirs. Donc c’est ce que j’ai fait, et j’ai lâché les Housemartins. Pour être honnête, je n’ai jamais vraiment aimé jouer avec les Housemartins. C’était le groupe de Paul (Heaton) et moi je n’étais que le bassiste.

PAN M 360 : Dans ces autres aventures avant de devenir Fat Boy Slim, tu dévoiles aussi ton amour pour le reggae et le dub.

Norman Cook : Oui, je joue beaucoup de ça comme DJ aussi. C’est la musique noire la plus authentique avec laquelle j’ai grandi. Où je vivais, il y avait toujours de la musique reggae autour de moi, donc j’ai appris à aimer cette musique en grandissant. Mais là encore, je ne voulais pas être ce gars blanc s’essayant au reggae. Dès que les samplers sont apparus, tu pouvais mettre toutes ces influences, ces idées et ces différentes sonorités ou rythmiques dans un morceau en y ajoutant ta touche personnelle sans prétendre être noir.

PAN M 360 : Alors, comment l’épopée Fat Boy Slim a-t-elle commencé?

Norman Cook : J’ai continué à jouer avec des groupes tout en étant DJ. Il y a eu Beats International et Freak Power, qui était une sorte de groupe acid-funk. Mais après une dizaine d’années à jouer dans des groupes le jour et faire le DJ le soir, j’ai réalisé que plus de personnes venaient me voir pour mes DJ sets que pour les concerts des groupes avec lesquels je jouais. Fatboy Slim était un de mes nombreux projets de DJ. Il y avait Mighty Dub Katz, Pizzaman et je jouais avec Freak Power. Donc la dernière chose que je voulais c’était d’un autre projet. Avec Fatboy Slim, c’était une façon d’amalgamer toutes ces différentes influences en une seule entité : le côté accrocheur de la musique pop, les rythmes du hip-hop et l’énergie de l’acid-house sont devenus un son à part entière qu’on a baptisé big beat. Tout ça a rapidement pris de plus en plus de place dans ma vie professionnelle et je n’avais désormais plus de temps pour jouer dans des groupes, j’étais encore debout de la nuit précédente à cause de Fatboy Slim. Au fil des ans, j’ai fait en sorte que Fatboy Slim soit juste moi, que je ne prétende plus être un bassiste essayant d’écrire des chansons traditionnelles, avec des paroles, des refrains, des couplets… Le punk-rocker en moi a tout abandonné ça. C’était pour moi l’occasion d’enfin créer la musique que j’aime vraiment, en mélangeant tous ces échantillons, au lieu de faire la musique que je croyais devoir faire.

PAN M 360 : Pour moi, le son Big Beat était une sorte de mélange entre l’énergie et l’agressivité du punk et le groove du hip-hop, avec la folie du dub en prime.

Norman Cook : Oui, c’est vrai! En fait c’est un peu tout ce que j’aime dans la musique. J’aime le côté rebelle du punk et cette idée que t’as pas besoin d’être un musicien pour faire un disque, mélangé avec les grooves des musiques noires que j’aime mais avec une certaine sensibilité pop. Je ne voulais pas être un artiste trop underground, j’aime divertir les gens et ce penchant pour le divertissement s’est retrouvé dans mes sets, où je sautais partout, où je pouvais jouer des morceaux hip-hop au 45 tours et des morceaux techno au 33 tours, juste pour fucker les genres. Et avec les samplers, le big beat m’a permis de continuer à faire ça.

PAN M 360 : Comment le Big Beat a-t-il évolué, si jamais il a évolué, et qu’est-ce que le Big Beat aujourd’hui?

Norman Cook : L’affaire c’est que le big beat n’a jamais vraiment évolué. C’était plus un truc destiné à briser les règles et à mélanger les genres. Le seul lien commun d’un disque à l’autre, ou d’un artiste à l’autre, était qu’il y avait un gros beat. Ensuite c’est devenu un genre, puis une formule et rapidement tout le monde s’est mis à faire des albums de big beat qui au final se ressemblaient tous, et c’est ça qui a tué le big beat en quelque sorte. Ça n’aura été l’affaire que de trois ou quatre ans. Mais je pense que le genre a toujours sa place. Quand on y pense, le style garage vient du Paradise Garage de NYC, la house vient du club Warehouse de Chicago et le Big Beat vient de mon club à Brighton, le Big Beat Boutique. Je suis vraiment fier de ça.

PAN M 360 : Tu as tous ces pseudos farfelus (Margaret Scratcher, Chimp McGarvey, Son of Wilmot, Yum Yum Head Food… plus d’une vingtaine!), des titres de chansons ou d’albums amusants… Dans quelle mesure dirais-tu que l’humour ou l’ironie font partie intégrante de ton oeuvre?

Norman Cook : Je pense que c’est une partie énorme de mon travail. L’ironie plus que l’humour. Je ne fais pas de disques comiques mais j’aime déformer les choses. Aussi, je ne me prends pas trop au sérieux. Y’a un tas de musiciens qui pensent être un cadeau que Dieu a donné au monde, mais moi je ne suis qu’un idiot qui aime frimer; j’aime faire sourire les gens, les faire danser. Je n’ai jamais vu le Djing comme une forme d’art élevée et je ne me suis jamais vu comme un artiste de génie ou un sex-symbole … C’est juste moi qui fais des disques. Et en ne me prenant pas au sérieux, je pense que c’est plus difficile pour les gens de me critiquer. Mais aussi, il y a une énorme quantité d’émotions et de références dans la musique et l’humour est souvent un aspect qui est négligé. Comme je le disais, mon boulot est de faire danser et sourire les gens, pas nécessairement de les éduquer, d’initier une rébellion ou quelque chose du genre. C’est souvent qu’une question d’empathie ou de sexe. Pour moi, Fatboy Slim c’est tous les aspects de ma personnalité réunis en un seul.

PAN M 360 : Ton dernier album, Palookaville, est sorti en 2004… il y a presque 20 ans. Prévois-tu d’en sortir un autre tôt ou tard?

Fatboy Slim : Pas vraiment. On dirait que ça ne me plaît plus de faire des albums. J’en ai fait plusieurs et puis ça ne m’a plus tenté. J’ai perdu cette passion mais je n’ai pas perdu la passion pour jouer de la musique pour les gens. Mais qui sait, peut-être qu’un jour je me lasserai de faire le tour du monde pour faire le DJ et rester éveillé jusqu’à des heures indécentes et que je retrouverai l’envie de faire un album. Il ne faut jamais dire jamais, mais pour être franc, le concept d’un album me semble un peu éculé en cette ère de streaming. Je vais peut-être mettre en ligne quelques nouveaux morceaux mais quand j’en aurai sorti assez pour mettre ça sur un album, ça va me sembler redondant.

PAN M 360 : Peut-être alors que tu vas ressortir ta vieille basse…

Norman Cook : Oui, je joue encore de la basse de temps en temps, pour des anniversaires ou des mariages. Si mes amis montent un groupe pour une de ces occasions, je suis toujours le bassiste désigné! J’aime encore ça mais je me considère meilleur DJ que bassiste, ça je peux te l’assurer!

PAN M 360 : Qu’as-tu fait dernièrement? De nouveaux projets en perspective?

Norman Cook : On a célébré récemment les 20 ans du gros party qu’on avait fait à Brighton Beach, ça c’était vraiment excitant. Aussi j’ai fini d’organiser mon premier festival dans lequel nous prenons possession d’un camp de vacances pour un week-end. C’est un de ces énormes camps de vacances typiquement britanniques dans lesquels personne ne va durant l’hiver. Donc j’ai sélectionné 35 DJs qui se relaieront durant le week-end du festival All Back To Minehead. Minehead est une toute petite station balnéaire dans l’ouest de l’Angleterre.

PAN M 360 : Comment travailles-tu tes DJ sets? Suis-tu un certain modèle strict avec un peu d’espace pour l’improvisation ou te laisses-tu simplement aller, en suivant l’ambiance?

Norman Cook : Je suis le mouvement. Je sais quels sont les trois premiers et les trois derniers morceaux de mon set mais ce qu’il se passe entre ça dépend de la foule, de l’ambiance… Par contre pour les gros shows, là je prends moins de risques. Les gens sont là pour entendre les hits. Plus le show est petit, plus j’ai de plaisir et plus je m’accorde de liberté. Je joue avec Serato, mon laptop et des CDJs.

PAN M 360 : Beaucoup de gens t’ont vu récemment dans le documentaire sur la catastrophe de Woodstock 99. Était-ce l’événement le plus chaotique auquel tu as assisté en tant qu’artiste ou bien il y en a eu des pires?

Norman Cook : Oh non, ce n’était pas le pire (rires). C’était chaotique mais je n’étais plus là le dimanche lorsque les choses ont commencé à vraiment mal tourner. C’était juste trop gros comme événement. C’était rempli de jeunes Américains saouls et quand tu en as autant réunis au même endroit, ça peut vite devenir un problème. Mais j’ai participé à des gigs bien moins organisées que Woodstock, et des gigs où les comportements étaient bien pires et où j’ai eu vraiment plus peur! Ça, ce sera le sujet d’un autre documentaire peut-être…

PAN M 360 : Pourrais-tu en mentionner un?

Norman Cook : Hum… non (rires). A gentleman never kisses and tells.

PAN M 360 : Tu as déclaré dans le documentaire que tu aimes le chaos lorsque tu te produis sur scène, est-ce toujours le cas? Et à quel type de chaos fais-tu référence?

Norman Cook : J’aime le chaos parce que la musique danse a pour but principal d’unir les gens mais aussi de les libérer pour quelques heures afin de leur faire oublier leur stress et leurs vies ennuyantes. Les gens sont libres, les gens sont ensemble, les gens sont sexy et j’essaye de leur faire oublier le train-train quotidien en les plongeant dans un monde fantastique rempli de lumières brillantes, de musique forte et de solidarité. Tant qu’il y a un esprit communautaire, tant que les gens ne se font pas de mal ou qu’ils ne cassent rien, j’aime le chaos qu’on ressent quand ils perdent la tête. Ça, tu le sens et tu peux le voir dans leurs yeux. Tu en vois qui te regardent et semblent te dire « mais qu’est-ce que tu nous fais là? » et je les regarde avec l’air de dire « yeah c’est le fun, let’s go! »… Pour moi c’est vraiment excitant, car c’est moi qui contrôle cette énergie, c’est moi qui tente de les rendre de plus en plus fous et qu’ils se perdent totalement dans la musique. C’est le genre d’abandon que j’essaye d’obtenir. Je n’essaye pas de provoquer une émeute, je veux que la foule se perde et se lâche ensemble. C’est ça le chaos que j’aime et recherche, quand les gens deviennent fous, en demeurant dans les limites de la décence et de la sécurité publique. La foule est aussi importante que le DJ. Si tu es dans un groupe, tu peux donner un spectacle incroyable à une foule merdique, mais en tant que DJ, c’est une conversation que tu établis avec ton public. Si la foule ne répond pas à ce que tu dis, alors là, ça devient un monologue.

PAN M 360 : Joues-tu tes tubes – Rockafeller Skank, Praise You, Weapon Of Choice… – dans tous tes sets? Te sens-tu parfois comme les Rolling Stones, obligés de jouer Satisfaction à chaque concert?

Norman Cook : En fait, je joue Satisfaction mixée avec Rockafeller Skank! Ça ne me dérange pas du tout! Je dirais que je joue pas mal tout le temps Right Here Right Now et Praise You, mais j’ai tellement de différentes versions et différents mashups et remixes de ces morceaux que je ne me tanne jamais. Je crois que c’est probablement les deux morceaux que le public serait déçu de ne pas entendre. Rockafeller Skank n’est pas toujours incluse dans mon set cependant, seulement si je trouve que les gens la méritent…

PAN M 360 : As-tu quelque chose à dire aux personnes qui assisteront à ton show à Montréal?

Norman Cook : D’abord de m’excuser auprès des Montréalais d’avoir pris autant de temps avant de venir, de les remercier d’avoir été indulgents. Ensuite d’inviter les gens à venir se perdre dans une euphorie collective, à s’évader… et de ne pas oublier leurs souliers de danse!

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