Mateo à l’ère post-colombienne

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Colombien d’origine, le chanteur montréalais Mateo est une créature composite… loin de renier ses racines latino-américaines.

Genres et styles : afrobeat / cumbia / guaguanco / jazz / lo-fi / pop / reggae / rock / salsa / son

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Révélation Radio-Canada en « musique du monde » pour la saison 2020-2021, Mateo exprime à la fois une culture rock mondialiste et un mélange inspiré de musiques afro-latines, soit colombiennes, cubaines, portoricaines, nuyoricaines. Présenté en webdiffusion aux Nuits d’Afrique, le chanteur, parolier et compositeur montréalais définit à sa manière ce qu’un artiste hispanophone peut exprimer aujourd’hui, où qu’il se trouve.

PAN M 360 : Quels furent les motifs de ta migration de Bogota à Montréal en 2015, à 19 ans ?  

MATEO :  Passion, curiosité et amour. Très large, mais assez simple. Je dirais, des très bonnes raisons ! Mais c’est du double tranchant. D’une part, c’est partir de chez ses parents et de l’autre, c’est immigrer tout seul. Les deux en même temps, c’est toute une aventure. En Colombie, je venais d’obtenir un diplôme en scénographie et direction artistique pour le spectacle vivant; c’est un métier avec lequel je suis toujours en amour, je voulais ensuite me spécialiser en techniques de scène et éclairage. Je voulais tout faire pour atteindre cet objectif, Montréal était ma destination pour sa réputation et ses possibilités en show-business. Du coup, j’y suis venu avec l’objectif d’apprendre le français et l’anglais pour ensuite poursuivre mes études.  

PAN M 360 : La musique l’a-t-elle toujours emporté au-delà de cet intérêt pour les métiers de la scène ? 

M. : Alors oui. Je pense que l’intégralité d’un artiste consiste en la compréhension globale de ce qui se passe sur scène mais aussi derrière le rideau, autant d’un point de vue technique que philosophique. En Colombie, la seule école qui donnait un programme complet en scénographie et conception était le Collège LaSalle – oui, ils ont une succursale à Bogota ! Par contre, les degrés de diplôme sont différents. Après avoir fini (vu mes possibilités économiques en tant qu’étudiant étranger), je suis venu ici pour étudier à l’École du Show Business. Mais la musique a toujours fait partie de moi; à ce moment-là, je ne l’ai pas vue comme une priorité d’exploration dans ma vie. La musique a toujours été là depuis mes 5 ans, c’est quelque chose d’inné en moi, je dirais. Aujourd’hui, la musique prend beaucoup plus d’ampleur dans mes objectifs professionnels et personnels. 

PAN M 360 : Ta musique est un vrai mélange de culture pop/rock et de styles caribéens et latino-américains, peux-tu décrire ce mélange ? 

M. : Ma musique inclut rock, cumbia, reggae, dancehall, reggaeton, salsa dura (Fania et contra Fania), són montuno, guaguancó, boléro, afrobeat, pop, lo-fi, jazz. Cette recherche identitaire me semble très honnête. C’est une étude sérieuse de mes influences « pures » qui me mène ensuite à offrir quelque chose de digeste et accessible, car le but est de transmettre. En ce sens, les rythmes afro-latins représentent une influence majeure dans mon travail. La salsa, le són montuno, la rumba et le guaguancó sont partout dans mes compositions, même avant de chanter ici. Juste pour en nommer quelques-uns, on retrouve la clave, les pregones, et les mambos, phrases normalement jouées par les cuivres mais que l’on chante plutôt ou que l’on joue à la guitare. 

PAN M 360 : Comment crois-tu être en mesure de te démarquer par rapport à la production latine actuelle ? 

M. : D’abord, il me faut comprendre l’océan que représente la musique latine, ses origines, ses influences. C’est méga vaste ! Donc, en tant qu’artiste actif de cette communauté, je me considère juste un porte-parole de la valeur de ma culture et de ses racines. Ma musique n’est qu’une fenêtre ouverte sur le potentiel déjà existant. Or, je me trouve hors des productions latines homogénéisées par les médias, j’essaie de me tenir loin des clichés. Ainsi, mon équipe et moi avons a trouvé quelque chose d’unique dans la scène latine, au Canada comme ailleurs. Ce que nous offrons est frais et honnête. Déjà, métaphoriquement, on essaie de sortir du coloré, du chaud, de l’exotique ou du sexuel tout en gardant nos racines. Nous préférons la candela, la sensualité, le goût, le charme. Un concept, un feeling : Mateo = sexy candela. On ne fait pas du collage, c’est vraiment une recherche approfondie pour la fusion et l’intégration d’éléments stylistiques. Après, côté studio et production, le travail est mené par mon producteur et imprésario Léon Perez. Tout ce processus nous sort du moule. 

PAN M 360 : Comment as-tu choisi tes musiciens ? Peux-tu nous raconter ces rencontres avec eux et ce qui a motivé tes choix à les garder au sein de ton équipe ? 

M. : Mes musiciens ont été rigoureusement sélectionnés. Ils ont été choisis en fonction de l’instrumentation souhaitée (deux guitares, basse, percussions, batterie) et pour leur cohésion, leur maturité musicale et leur voix propre. Comme toute bonne recette, la qualité, l’intégration et l’originalité de ses ingrédients garantissent la qualité du résultat. Le format ici choisi est aussi un facteur vraiment important; malgré les exigences de la composition et les éléments afro-latins à inclure; nous avons choisi de ne pas avoir de cuivres ni piano.

Il nous fallait d’abord un guitariste avec un langage vaste qui se démarquerait du cliché « Santana » et qui était quand même capable d’explorer les montunos à la guitare ainsi que la technique de finger picking. Nous voulions un guitariste qui a du goût et dont le jeu pouvait se mêler au mien. L’incroyable Tito Sono est guitariste classique à la base, il a des influences manouches, jazz, funk, flamenco. De surcroît il est un grand connaisseur du folklore latino-américain, ce qui est assez unique. 

Le bassiste, Diego Cruz a été mon prof de musique en Colombie quand j’avais 8-10 ans ! On a ensuite fait ensemble des tournées en Amérique du Sud. Le hasard ou le destin ou la vie… ont fait une sorte qu’on se retrouve tous deux à Montréal sans l’avoir planifié. Diego est un bassiste très particulier et très présent dans la scène latine d’ici. Je n’étais pas à la recherche de virtuosité mais plutôt de son groove et de son langage, surtout de quelqu’un à l’écoute des autres. Ses influences sont diversifiées : prog, métal, rock, salsa dura, folklore, etc. Il est très polyvalent, mon prof, mon bassiste, mon ami ! 

À la percussion, par contre, il nous fallait des racines et du vocabulaire : aguanilé, saoko, virtuosité, interprétation, présence scénique, caractère, ouverture d’esprit. Pour moi, il est le meilleur percussionniste en ville, Hanser Santos Gomez candela ! 

Et comme dernier élément, la batterie… Quel défi ! Mais voilà, ce véritable artiste renforce la couleur et l’identité de mon projet. Je ne le connaissais pas, Dan Fyah Beats, mon producteur Léon Perez l’a repéré et me l’a suggéré. Il ne l’avait vu jouer qu’une seule fois pour m’appeler illico et me dire « J’ai notre batteur ! » Il fallait absolument que ce soit lui et personne d’autre. Après (au moins) quatre mois de tentatives, on a réussi à l’inviter à une répétition. Pour une première fois, j’ai vu alors ce Jamaïcain, fin trentaine début quarantaine. Il franchit le seuil de la porte du studio, pas un mot. Il s’assoit, écoute un peu. Léon lui dit « Dan, just be yourself, don’t try to play latin or whatever, just play your shit. » Soudain, on découvre ce que peut faire un spécialiste du style one drop sur un boléro ! Batteur génial, multi-instrumentiste, chanteur, producteur, très créatif. Dan est une personne avec beaucoup de professionnalisme qui m’a fait redécouvrir ma propre musique.

PAN M 360 : Quels sont tes modèles ? Quels artistes t’ont vraiment marqué ? 

M. : Côté chant, j’ai plusieurs influences, tant pour leur technique vocale que pour leur interprétation :  Ismael Rivera, Andrew Stockdale, Cedric Bixler-Zavala, Hector Lavoe, José Feliciano, Ile Cabra, Angel Canales, Myles Kennedy, Bruno Mars. Et voici des musiciens qui m’ont vraiment marqué :  Jack White, Omar Rodriguez Lopez, Hector Lavoe, Angel Canales, Cabas, Josh Homme, Pedrito Martinez.

PAN M 360 : Quels genres musicaux t’intéressent actuellement ? 

M. : C’est assez vaste, je suis beaucoup dans le rap, le R&B, la salsa dura, le reggae, le jazz, les boléros, le rock. Aussi, je m’efforce d’être très objectif pour identifier une bonne chanson, quel que soit son genre musical.

PAN M 360 :  Comment se sent-on en tant qu’artiste hispanophone dont la carrière démarre à Montréal ?  Crois-tu pouvoir conquérir le marché latin tout en demeurant au Québec ?

M. : Je me sens honoré, fier et reconnaissant. Ici, c’est chez moi, j’ai envie de continuer à être un agent créateur de la culture québécoise et canadienne. Alors, oui, les objectifs sont assez grands pour le marché latin. Nous voyons beaucoup de potentiel dans ce que nous proposons. 

PAN M 360 : Comment perçois-tu l’intérêt du public local à ton endroit, bien au-delà de la communauté latine de Montréal ? 

M. : Ça a été vraiment incroyable ! J’ai le sentiment de ne pas être issu que de la communauté latine, mais aussi de faire partie de la scène musicale de Montréal. Je me suis baladé pas mal et j’ai finalement réalisé que la langue n’est pas le facteur déterminant pour qu’on aime la musique de quelqu’un. Un bon exemple dans l’industrie est Burna Boy. Je peux vous confier être surpris de voir à quel point les gens vibrent avec nous lorsque nous sommes sur scène, qu’ils chantent même avec nous parfois. Tout est question de transmission, un objectif fondamental pour nous. 

PAN M 360 : Être expatrié dans une ville cosmopolite à majorité française en Amérique du Nord, ça se vit comment ? T’y sens-tu accueilli convenablement en tant qu’artiste ? Quels sont les pour et les contre ? 

M. : Disons que Montréal, pour moi, c’est la ville où tout est possible. Je crois fermement que tout est une question de détermination, d’intelligence émotionnelle, de travail… et d’un peu de chance. J’ai vite appris la langue (française) pour réussir à m’intégrer. Je pense aussi que pour être bien accueilli, il faut proposer et travailler. Les pour ? Ce sont les espaces disponibles et la diversité pour s’épanouir en tant qu’artiste. C’est aussi l’ouverture d’esprit dans la majorité des scènes musicales et le talent de malade qu’on peut trouver dans notre ville. Les contre ? Ce sont les clichés et préjugés qui mènent certains à sous-estimer mon travail et celui des autres. Le but ultime, c’est de continuer à construire !

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